max-ou

Jean-François Revel, L'antisémitisme a changé de nature (2000)

Mar 3rd, 2025
78
0
Never
Not a member of Pastebin yet? Sign Up, it unlocks many cool features!
text 5.34 KB | None | 0 0
  1. L'antisémitisme a changé de nature
  2. Jean-François Revel
  3.  
  4. Le Point, 27 octobre 2000
  5.  
  6. Les destructions et incendies de synagogues, de lieux de réunion ou d'éducation juifs qui ont souillé la France en ce mois d'octobre ne procèdent en rien d'un antisémitisme semblable à celui de l'avant-guerre ou de Vichy. Ils n'en sont nullement la résurgence. La haine qui les inspire se nourrit de nouveaux poisons, qui n'ont rien de commun avec les anciens. Elle naît dans de nombreux milieux, sans rapport avec les précédents par leur composition sociale et leurs obsessions culturelles.
  7.  
  8. Le vieil antisémitisme européen , dont la virulence gagne durant la seconde moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe, s'abreuvait à quelques idées fixes qui, en gros, se ramènent à trois accusations : les juifs se définissent en dernier ressort par rapport à l'argent, l'accumulation d'un pouvoir économique et financier disproportionné à leur nombre ; ensuite, ils excellent à s'emparer de postes d'influence en quantité excessive dans la presse, l'édition, les professions libérales ; enfin, cette conduite conspiratoire autorise à leur dénier la qualité de citoyens loyaux du pays dont ils ont la nationalité.
  9.  
  10. Cette construction paranoïaque, depuis « La France juive » d'Edouard Drumont jusqu'à Charles Maurras et Léon Daudet, en passant par Maurice Barrès, débouche sur l'infamie du statut des juifs imposé par Vichy. Mais cette idéologie n'est pas seulement française, tant s'en faut, ni exclusivement d'extrême droite, comme tend à l'accréditer la machine à refouler de la gauche. Dans « La question juive » (1), Karl Marx éructe : « Quel est le culte profane du juif : le trafic. Quel est son dieu profane ? L'argent. » Dans le délire de Marx, la société bourgeoise, condamnée à périr, s'identifie à la juiverie : « C'est de ses propres entrailles que la société bourgeoise engendre continuellement le juif... Grâce à lui, l'argent est devenu une puissance mondiale. » On le voit, le père du socialisme « scientifique » est aussi l'ancêtre des ennemis actuels de la mondialisation.
  11.  
  12. Qu'il fût de droite ou de gauche , l'antisémitisme s'appuyait donc sur les trois mêmes hantises : l'argent, le complot, le pouvoir mondial apatride. Ce sont ces trois imputations que l'on retrouve dans le célèbre faux antisémite « Protocoles des sages de Sion ». On a établi aujourd'hui que leur véritable auteur fut un Russe, compagnon de Lénine, et qui resta auprès de ce dernier jusqu'à la fin.
  13.  
  14. Les ressorts psychologiques des agressions antisémites récentes sont-ils avant tout religieux ? Peut-être le sont-ils en partie, en dépit des propos suaves de certains recteurs et imams qui se veulent rassurants. Mais l'essentiel n'est pas là, puisque aussi bien les actes criminels se sont produits en réaction à l'aggravation soudaine des affrontements israélo-palestiniens. L'élément politique est donc décisif. C'est la haine de l'Occident, tenu pour globalement hostile au monde arabe, qui est la clé de l'explication. La présente tragédie du Proche-Orient fait que cette haine se concentre davantage aujourd'hui sur les juifs à travers Israël, considéré comme une création de l'Occident. Mais ce ne fut pas toujours le cas. Les vagues d'attentats meurtriers à Paris en 1986 et 1995 ne devaient rien à l'antisémitisme. Elles visaient les Français en général.
  15.  
  16. Reste enfin un dernier facteur qui ne peut que pousser nos « jeunes des banlieues », ou du moins une minorité active parmi eux, à la criminalité politico-religieuse. C'est que, ils le voient bien, la violence est devenue dans notre pays le moyen normal, et le seul infailliblement couronné de succès, d'exprimer ses revendications, son mécontentement et ses conceptions : que l'on soit camionneur, agriculteur, marin-pêcheur, corse ou basque, on n'attend son salut et on ne l'obtient que des entraves à la circulation, des menaces de polluer les fleuves, des destructions et incendies de bâtiments privés ou officiels, voire historiques, d'attentats et même d'assassinats. Nos dirigeants se gargarisent de « République » et de « citoyenneté » pour mieux dissimuler et se dissimuler qu'ils ont capitulé sur le terrain du droit. Quand des milliers de Basques espagnols et français donnent l'assaut dans les Pyrénées-Atlantiques, les forces de l'ordre se contentent d'établir un cercle protecteur autour des princes européens réunis à Biarritz, mais laissent les casseurs dévaster le centre de Bayonne. Comme l'a dit le maire de cette ville : « A Biarritz, ce sont les cocktails-petits fours, à Bayonne, ce sont les cocktails Molotov. »
  17.  
  18. Bien mieux, après la condamnation de José Bové à de la prison ferme pour destruction, viol de propriété privée et récidive, on a pu entendre des dirigeants politiques ou syndicaux, et jusqu'à des ministres en exercice, s'élever contre ce jugement, appelé par eux « provocation ». Avaient-ils conscience d'abord de commettre un délit en contestant publiquement une décision de justice, ensuite de faire l'apologie du banditisme idéologique et catégoriel ?
  19.  
  20. La France, sous l'impulsion ou par la lâcheté de ses dirigeants, a ainsi lentement glissé dans l'illégalité et dans la légitimation de la violence. Comment les « jeunes des banlieues » n'en tireraient-ils pas des conclusions pratiques pour eux-mêmes ?
Advertisement
Add Comment
Please, Sign In to add comment