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« Ce que j'ai entendu dans des classes de banlieue » Omar Youssef Souleimane (14/11/2024)

Nov 23rd, 2024
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  1. Omar Youssef Souleimane
  2. « Ce que j'ai entendu dans des classes de banlieue »
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  4. Le Point, no. 2729, jeudi 14 novembre 2024
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  6. L'écrivain d'origine syrienne a animé dans des collèges franciliens des ateliers organisés pour lutter contre la radicalisation et promouvoir la laïcité. Il témoigne.
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  8. Qui pouvait imaginer qu'un jour, sur le territoire français, des jeunes disent n'avoir jamais entendu parler de ce qu'il s'est passé le 13 novembre 2015 ? C'est pourtant le cas de nombreux élèves aujourd'hui.
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  10. J'ai animé, dans des collèges de Clichy-sous-Bois et de Carrières-sous-Poissy, des dizaines d'ateliers d'écriture organisés pour lutter contre la radicalisation et promouvoir la laïcité.
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  12. Chaque classe comptait environ 25 élèves, dont la mémoire n'est pas seulement vide de cet attentat mais aussi de celui de l'Hyper Cacher, des assassinats de Dominique Bernard et de Samuel Paty. Quant à Charlie Hebdo, il n'est pour eux qu'un " journal qui se moque du Prophète ",rien de plus.
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  14. Comment expliquer cette ignorance ? Est-elle fortuite, ces jeunes esprits en formation ne pouvant pas tout savoir, ou faut-il y voir un déni organisé, pour des raisons idéologiques ?
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  16. Clichés
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  18. Pas besoin de voyager en Afghanistan pour humer une atmosphère intégriste. Il suffit de prendre le métro ou le RER du centre de Paris jusqu'à un établissement scolaire de Bobigny, d'Aubervilliers ou de Mantes-la-Jolie. Une mentalité radicale y règne : des élèves me racontent qu'ils souhaitent partir en Arabie saoudite pour " devenir prédicateurs ", parce que là-bas " on coupe les mains des voleurs ", selon la charia, " on interdit l'homosexualité ", et les filles ne portent pas " n'importe quoi ".
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  20. D'autres estiment que le professeur - dont ils ne se souviennent pas du nom - qui a montré des caricatures du Prophète dans une classe a " mérité " ce qui lui est arrivé. " Pourquoi a-t-on le droit de se moquer de Mahomet et pas des Juifs ? " réagit un collégien. L'assassin de Samuel Paty aurait, pour eux, agi en légitime défense. Alors, je leur raconte mon histoire. Je leur dis que j'ai quitté la Syrie pour fuir la dictature et rejoindre la France, pays de liberté d'expression et de laïcité.
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  22. Je leur demande toujours de décrire leur vision de la France en quelques mots. Les réponses les plus courantes sont : " racisme "," parce que la France déteste les Arabes " ou " parce que la France est un pays d'extrême droite ". En deuxième lieu : " islamophobie "," l'État fait tout pour empêcher les filles de porter le voile à l'école ".
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  24. J'aborde le sujet de l'abaya - ils sont tous opposés à son interdiction. Il est très courant de voir les filles porter cette tenue en sortant de l'établissement. Elles pensent que la nouvelle loi est faite uniquement pour les réprimer.
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  26. En troisième cliché : " saleté "," parce qu'il y a des ordures partout ". En quatrième : " homosexualité "." Voir deux hommes ensemble, c'est bizarre, on ne peut pas être amis avec eux. "" Moi, un garçon avec des cheveux longs, ça me dégoûte. "" Les transsexuels ne devraient pas exister. "
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  28. Après chaque phrase prononcée par l'un de ces jeunes, je demande à ceux qui sont d'accord de lever la main. La majorité suit. Cette intolérance radicale et cette étroitesse d'esprit s'accompagnent en général d'une ignorance massive, non seulement de l'histoire récente, mais aussi de toute l'histoire de la France, de ses lois comme de ses valeurs. La Révolution française, la loi de 1905 ou Charles de Gaulle n'occupent aucune place dans l'esprit de ces jeunes de 13, 14 ou 15 ans.
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  30. La France serait " génocidaire "
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  32. M'appuyant sur une carte du Proche-Orient projetée au tableau, je leur explique la situation en Syrie pendant la révolution de 2011 : " Le régime dictatorial a tiré sur les militants ou les a arrêtés sauvagement. " Ensuite, je leur demande si quelqu'un parmi eux a déjà manifesté. Plusieurs répondent qu'ils l'ont fait une fois, pour la Palestine. Avant le 7 octobre 2023, aucun adolescent ne levait la main, mais, aujourd'hui, ils affichent leur engagement propalestinien, de type décolonial, directement inspiré des mouvements antifas et islamistes, accusant la France d'être " complice " des " génocidaires ".
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  34. Pour eux, la vengeance des " victimes de Gaza " s'inscrit dans celle, nécessaire, de l'Islam contre la France. Je poursuis mon histoire : " Je me suis échappé de la Syrie vers la Jordanie avant d'arriver à Paris. " Puis je nomme les États du Proche-Orient. Dès que j'arrive à Israël, plusieurs d'entre eux me coupent la parole : " Il n'existe pas, ça s'appelle la Palestine. " Je continue : " Mais il est là, regardez bien. "" Il faut le détruire ", commentent-ils.
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  36. Liberté
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  38. Cette année, on célèbre le 9 e anniversaire du 13 Novembre. Comment peut-on accepter que cet événement reste ignoré de nos jeunes ? Comment peut-on accepter d'abandonner nos élèves à ces discours de haine sans complexes ? Cela fait des années que l'on sait qu'un " islamisme d'atmosphère " les travaille et que les alertes s'enchaînent.
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  40. Que faire ? À chaque séance, je leur demande d'écrire des lettres adressées au réfugié que je suis, pour m'accueillir ici. À la fin de la lecture de ces missives, je les informe que je ne suis plus réfugié, mais français. " Oui, on a de la chance d'être des citoyens français, même si on vient d'ailleurs. " Ils sont surpris. Bien qu'ils soient nés en France et qu'ils y aient grandi, ils se considèrent d'abord comme marocains, algériens ou tunisiens... L'islam est pour eux une appartenance et une identité uniques. Je continue : " Je ne suis plus musulman non plus, je suis apostat. " Ils sont encore plus surpris. Revendiquer sa liberté, quand on baigne dans une culture islamiste, n'est pas une habitude.
  41.  
  42. Ce dont ont vraiment besoin ces jeunes, c'est de fréquenter des gens en dehors de leur " communauté ", de l'école, de la maison, de la mosquée et du discours extrémiste qui déferle sur les réseaux sociaux. Qui ira leur expliquer que le monde dans lequel ils vivent n'a rien à voir avec ce qu'ils entendent autour d'eux ? Si ce n'est pas l'école, qui le fera ?
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