Appel à l'intifada, rapprochement avec LFI... le jeu dangereux... (Le Point, 29/09/2024)

Le Point.fr, no. 202409

dimanche 29 septembre 2024

Appel à l'intifada, rapprochement avec LFI... le jeu dangereux de Perspectives musulmanes
Par Bartolomé Simon

L'association menée par le militant islamiste Elias d'Imzalène prend de l'ampleur depuis le 7 Octobre en nouant des liens avec les Insoumis.

Une petite centaine de personnes se masse devant une scène sur la place de la Nation, à Paris, dimanche 8 septembre. Au micro, un trentenaire à la barbe fournie harangue la foule. « Est-ce qu'on est prêts à mener l'intifada dans Paris ? Dans nos banlieues ? Dans nos quartiers ? », lance-t-il. Avant de poursuivre : « Le génocide a des complices. Ils s'appellent Biden, ils s'appellent Macron, Macron le voleur d'élections, n'est-ce pas ? On les connaît les voleurs, qui habitent à l'Élysée et à Matignon. On les connaît. Et est-ce qu'on est prêts à les virer eux aussi ? »

Pour ce discours tendancieux, Elias d'Imzalène, de son vrai nomEl-Yess Zareli , 45 ans, a été placé en garde à vue le mardi 24 septembre. Il est visé par une enquête du parquet de Paris, ouverte pour « provocation publique à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de leur origine, nation, race ou religion déterminée », provocation « à commettre des atteintes volontaires à la vie ou l'intégrité physique de la personne aggravée par l'origine ou la religion », et enfin pour provocation « à commettre des crimes ou délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ».

Dimanche 8 septembre Paris
Elias D'imzalène islamiste, fiché S
Anti laïc, anti républicain appelle à l'intifada et parle de Jérusalem
Écoutez ? pic.twitter.com/2y0XItzEi2
-- Chris (@APchris06)
September 8, 2024

Promouvoir l'islam politique

Cette emphase ne ressemble pas vraiment à Elias d'Imzalène. Ces dernières années, le militant islamiste, originaire de Trappes (Yvelines), s'est au contraire efforcé de lisser ses interventions, pesant chaque mot, combattant officiellement une « islamophobie » qui cache d'autres desseins.

Mais rarement il a dépassé les bornes en public, contrôlant son discours en bon politique. En avançant à pas de loup, le leader de l'association Perspectives musulmanes est parvenu à se faire inviter au Parlement européen puis à se rapprocher d'élus de la République, en l'occurrence de La France insoumise où il a désormais table ouverte. Comment a-t-il pu à ce point se « normaliser » ?

Elias d'Imzalène surgit sur la scène politique dès 2019. Il coorganise alors la très décriée Marche contre l'islamophobie, dont il sera finalement écarté par calcul politique. Jugé trop radical, il est mis de côté : mieux vaut mettre au premier rang l'Unef ou le NPA, des organisations de gauche historiques qui légitiment la cause. À la suite de ce défilé controversé - que certains élus de gauche ont su éviter, sentant venir le vent du boulet -, le Collectif du 10 novembre contre l'islamophobie naît. Il devient en 2021 Perspectives musulmanes.

Son but officiel ? « Répondre à une urgence face à l'offensive engagée contre toute forme de liberté dans les modes de vie et les expressions des musulmans. » En réalité, il s'agit de promouvoir l'islam politique : instaurer la religion comme base de la société, de la loi, des moeurs. Et, pour rallier à sa cause, toujours se présenter comme victime d'oppression. En mai 2022, Perspectives musulmanes réussit à se faire officiellement inviter au Parlement européen à Strasbourg pour parler « islamophobie ». Une réunion organisée par le Cojep, une organisation turque pro-Erdogan.

Susciter une cohésion de l'Oumma

Au niveau national, l'association s'oppose, au même moment, à la « loi séparatisme ». Elle s'active de plus en plus à partir de la rentrée 2022. En septembre 2022, elle réunit quelques dizaines de personnes, sur la place de la République à Paris, en soutien à l'imam Hassan Iquioussen. Celui-ci se trouve alors en fuite, recherché par la justice pour des provocations « à la discrimination, à la haine ou à la violence envers les juifs, les femmes et les non-musulmans ».

Tout événement lié de près ou de loin avec l'islam ou susceptible de mobiliser une communauté est bon à prendre. Ainsi, Elias d'Imzalène défile à Nanterre (Hauts-de-Seine) aux côtés d'Assa Traoré et s'insurge après la mort de Nahel, tué par un policier en 2023. On le retrouve aussi à la sortie d'une école de Trappes (Yvelines) à la rentrée 2023, lors de la polémique sur l'interdiction de l'abaya à l'école.

Jusqu'aux attentats en Israël le 7 octobre 2023, qui donnent une nouvelle ampleur à Perspectives musulmanes. Le pilonnage de Gaza offre à l'association une occasion sans pareille de mobiliser la communauté musulmane, son but premier. « Ce type d'association n'attire pas l'attention sur le sort des Ouïghours, qui sont pourtant musulmans, note l'essayiste Naëm Bestandji, qui travaille sur les milieux islamistes. Mais ils le font avec les Palestiniens, car ils voient dans ce conflit des musulmans agressés par des juifs sur un territoire religieusement important. L'ambition est de susciter une cohésion de l'Oumma [la communauté musulmane, NDLR] dans le monde entier. »

Drapeaux palestiniens

C'est ainsi qu'Elias d'Imzalène va tisser des liens de plus en plus solides avec la gauche radicale. Il est aperçu, par exemple, lors de rassemblements étudiants pro-Gaza rue Saint-Guillaume à Sciences Po, mais aussi en manifestation aux côtés du NPA ou de Révolution permanente. Perspectives musulmanes se rapproche du collectif Urgence Palestine d'Omar Alsoumi, un activiste propalestinien expérimenté dont Le Point a réalisé le portrait.

Au nom de l'anticolonialisme, Perspectives musulmanes compare « l'oppression des Kanaks » en Nouvelle-Calédonie à celle « passée des Algériens par la France et à l'oppression actuelle des Palestiniens par l'Israël sioniste ». Le 30 mai, Elias d'Imzalène défile encore sous les fenêtres de TF1 contre l'interview de Benyamin Netanyahou.À LIRE AUSSI Qui est Omar Alsoumi, importateur officiel du conflit palestinien en France ?

Considérée comme trop radicale en 2019, l'association n'a plus aucun mal à s'afficher avec une partie de la gauche depuis le 7 Octobre. En témoigne sa bruyante et visible occupation du terrain, au soir d'un meeting de La France insoumise, place de la République, le 30 juin. Alors que les militants Insoumis découvrent les résultats du premier tour des législatives, une demi-douzaine de membres de Perspectives musulmanes sortent un mégaphone et agitent des drapeaux palestiniens. « Qui sème la hagrah [agression, NDLR] récolte l'Intifada ! » hurlait déjà Maria de Cartena, la numéro deux de l'association, aux côtés des antifas, des drapeaux kanaks et de divers syndicats... sans être inquiétée par la justice à l'époque.

« Un identitaire rétrograde sur les moeurs »

Avant le 7 Octobre, la prétendue lutte contre « l'islamophobie » avait déjà donné à Elias d'Imzalène l'occasion d'approcher les Insoumis. Il s'affichait aux côtés de Louis Boyard et Rachel Keke dès 2023. Le sujet palestinien lui permet de défiler aux côtés des députés LFI Thomas Portes, Carlos Martens Bilongo, Ersilia Soudais ou encore de Taha Bouhafs et Rima Hassan.

Ces élus savent-ils vraiment à qui ils ont affaire ? Elias d'Imzalène n'est pas vraiment un gauchiste... En 2013, l'islamiste, proche d'Alain Soral, tenait des conférences au théâtre de la Main d'Or - géré à l'époque par Dieudonné. « Il s'agit d'un militant d'extrême droite musulmane, identitaire, rétrograde sur les moeurs, mais qui enrobe son discours d'anti-impérialisme et anticolonialisme, observe l'essayiste Naëm Bestandji. Un enrobage qui plaît à une frange perdue de la gauche. »

Elias d'Imzalene, fiché S, lecteur de Mein Kampf, proche de Soral et de La France insoumise, appelle à "l'intifada dans Paris". LFI veut la guerre civile et utilise les islamistes comme force réactionnaire pour la déclencher et prendre par la rue le pouvoir refusé par les urnes. https://t.co/OxwxeuINOJ pic.twitter.com/JzSgTN7SLn
-- Eddy Mitchell Sardou (@EddySardou)
September 8, 2024
https://x.com/EddySardou/status/1832866926579585324

Cette même gauche semble oublier la vision du monde très binaire d'Elias d'Imzalène : il y a les musulmans et les autres. Cet été, l'association Perspectives musulmanes s'est encore demandé si les JO de Paris 2024 étaient « répressifs envers les musulmans »... Sur la question des moeurs, le compte Twitter du site Islam & Infos - géré par Elias d'Imzalène - aux 43 000 abonnés produit un texte édifiant en 2022, à propos des accusations d'agressions sexuelles qui visent alors l'Insoumis Taha Bouhafs - et qui n'ont rien donné.

Loin de dénoncer les violences sexistes et sexuelles, un combat cher à ses nouveaux compagnons de lutte, Islam & Infos accuse les « françaises » [sic] de mettre en cause un « arabe ». « Si nous sommes conséquents, il nous faut exiger un régime de droit pour les nôtres coupables ou non », propose aussi Islam & Infos. Soit une justice pour les musulmans, et une pour les autres.

« Un salafiste qui n'exclut pas de travailler avec les Frères musulmans »

Cette vision du monde a déjà été mise au jour par une vidéo d'Elias d'Imzalène exhumée par Naëm Bestandji en juin 2013. Il parle depuis la mosquée de Torcy (Seine-et-Marne) : « Vos écoles, dans lesquelles vous envoyez vos enfants, dans lesquelles on m'a appris à mécroire, à détester [l'islam, NDLR], à détester nos ancêtres, doivent être abandonnées et qu'on arrive à nos écoles. Aujourd'hui, nous devons nous dire : le projet d'école et le projet de mosquée, c'est deux choses qui vont ensemble. [...] C'est à nous de faire nos centres de loisirs. C'est à nous de prévoir des salles de sport pour nos femmes. [...] Un jour il faudra penser local. Un jour il faudra penser communautaire. Un jour il faudra penser grand. Un jour il faudra penser même à avoir nos banques, notre monnaie locale. »

Ces « propos réactionnaires et sécessionnistes n'empêchent pas des élus de gauche de continuer à mettre en avant Elias d'Imzalène », déplore Naëm Bestandji. « Ils ne pourront pas dire qu'ils ne savaient pas. »

En 2017, la mosquée de Torcy est fermée par les autorités pour son incitation au djihad. Elias d'Imzalène y était intervenu deux fois, notamment pour une conférence au titre peu nuancé : « Cordoba ou Srebrenica, quel avenir pour l'islam en Europe ? » Comprendre : les musulmans domineront-ils l'Europe ou se feront-ils génocider ? Elias d'Imzalène croit-il toujours dans cette logique séparatiste ? Perspectives musulmanes n'a pas répondu à nos sollicitations. Pour Naëm Bestandji, il s'agit d'un néosalafiste : « Un salafiste qui n'exclut pas de travailler avec les Frères musulmans et des politiciens pour faire progresser l'islamisme politique. »

Reste à savoir si cette stratégie d'entrisme portera ses fruits. Lors de sa garde à vue, une seule élue a accouru à son chevet : la députée LFI Ersilia Soudais. Une initiative solitaire qui a déplu au sein même de La France insoumise, relève Charlie Hebdo , tant le profil de l'intéressé est sulfureux...

Si Elias d'Imzalène est visé par une procédure judiciaire, on peut lui envisager un destin à la Barakacity, association « humanitaire » musulmane dissoute en 2020. Le salafiste Idriss Sihamedi, fondateur de l'ex-Barakacity, s'est depuis exilé au Royaume-Uni, où il a relancé, en 2024, une association, Safwa Center. Lors de la garde à vue d'Elias d'Imzalène cette semaine, Perspectives musulmanes s'est dit la cible d'une cabale « islamophobe ». Fidèle à sa stratégie de victimisation.