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- Les origines du coronavirus: la tentation du virus
- chimère
- Par Gwendoline Dos Santos et Caroline Tourbe
- ÉPISODE 4. Où l'on découvre qu'il s'en passe de belles sur les paillasses des
- laboratoires et que même, parfois, les virus se font la malle.
- Un virus, un nouvel hôte et des mutations. Voilà le triptyque qui fait s'arracher les
- cheveux aux scientifiques devenus détectives. Depuis son apparition remarquée dans
- la population chinoise à la fin de l'année 2019, le nouveau coronavirus s'est révélé
- particulièrement doué pour infecter les humains. Au cours des premiers mois de la
- pandémie, son génome a été scruté sous toutes les coutures et, pourtant, il n'a pas
- révélé la trace de mutations facilitant sa diffusion dans l'espèce humaine. Un peu
- comme si le Sars-CoV-2 était déjà parfaitement adapté à son nouvel hôte, selon
- l'analyse menée par Alina Chan, souvenez-vous, cette chercheuse américaine du
- Broad Institute au MIT, qui a passé son confinement le nez plongé dans les
- publications.
- « Habituellement, le rythme de ces mutations est plus élevé au début d'une épidémie,
- car le virus est encore mal adapté à la nouvelle espèce et ces mutations améliorent
- peu à peu son adaptation. Plus l'adaptation est réussie, plus les mutations
- sélectionnées ralentissent », explique Jacques van Helden. Ce professeur de bio-
- informatique à l'université Aix-Marseille, spécialiste de l'analyse des génomes, s'est
- lancé dans la quête des origines du Sars-CoV-2 avec une équipe pluridisciplinaire.
- Lire aussi Notre immunité à l'épreuve de l'épidémie
- Des zones d'ombre dans la transmission
- Mais pourquoi ce point détail serait-il si important ? Parce que la détection d'un virus
- déjà adapté à l'homme laisse de la place à deux scénarios. « Soit le virus a circulé dans
- la population sous une forme moins virulente, à bas bruit, avant l'apparition de
- l'épidémie, avant que des mutations apparaissent fin 2019 pour en faire ce qu'il est
- aujourd'hui, détaille Jacques van Helden. Soit ce virus a été sélectionné en laboratoire
- et s'est échappé accidentellement. » Un accident qui se serait produit autour de la
- date du 6 octobre.
- « On est tous d'accord pour dire que l'hypothèse principale reste la zoonose, mais il y
- a des chaînons manquants et des situations qui posent questions », rappelle pour la
- énième fois le chercheur, comme s'il avait peur qu'on le fasse passer pour un
- complotiste. Et son acolyte Étienne Decroly du laboratoire « architecture et fonctions
- des macromolécules biologiques » (CNRS, université Aix-Marseille) prend des gants :
- « L'hypothèse qui prime c'est l'origine naturelle, mais il reste des zones d'ombre à
- éclaircir. » Oui, on a bien compris. Promis. D'autant que la fameuse « Batwoman »,
- Zheng-Li Shi, à la tête de son groupe de recherche spécialisé dans les coronavirus à
- l'Institut de virologie de Wuhan (WIV), réfute fermement l'idée qu'une fuite aurait pu
- se produire dans l'un des laboratoires de la ville.
- Lire aussi D'où viennent les nouveaux virus
- « C'est juste l'opposé de la démarche scientifique ! »
- Les deux collègues décortiquent toutes les hypothèses. Et c'est peut-être précisément
- parce qu'on leur suggère le contraire qu'ils sont si déterminés à ne rien laisser au
- hasard. Qui leur suggère donc de faire l'autruche ? Le 19 février 2020, 27 éminents
- scientifiques du monde des virus ont cru bon de prendre la plume pour rappeler tous
- leurs collègues à l'ordre. Publiée dans The Lancet, l'une des plus prestigieuses revues
- de sciences médicales, leur lettre explique, pour faire court, que leurs homologues
- chinois contribuent à lutter contre le virus, qu'ils ont rendu leurs données publiques,
- qu'il faut les soutenir, qu'il existe déjà un grand nombre d'indications selon lesquelles
- le nouveau virus est d'origine naturelle, mais surtout ils écrivent précisément : « Nous
- sommes unis pour condamner fermement les théories du complot suggérant que le
- Covid-19 n'a pas une origine naturelle. »
- Lire aussi Sars-CoV-2 : le mystérieux billard à trois bandes
- Le ton est donné ! Comprenez : ceux qui travaillent sur d'autres pistes que la zoonose
- sont des complotistes. Étienne Decroly en est encore abasourdi : « Je n'ai jamais vu
- ça ! Un papier qui dit au monde scientifique quelles sont les questions qu'il a le droit
- de se poser, c'est juste l'opposé de la démarche scientifique ! »
- Une affirmation dogmatique
- Le grand découvreur de virus Jean-Michel Claverie du laboratoire « information
- génomique et structurale » (CNRS, université d'Aix-Marseille), lui, se marre : « C'est
- simple, si vous n'êtes pas d'accord avec la doxa ambiante, vous êtes un complotiste. Si
- vous dites tout pareil que le gouvernement, vous êtes un expert ! Il ne faudrait quand
- même pas oublier qu'on est en Chine ! Imaginez un directeur d'un grand institut de
- virologie qui avoue à sa hiérarchie qu'il a déclenché une épidémie mondiale à la suite
- d'une erreur en laboratoire, je pense qu'il ne va pas juste s'en tirer avec un blâme. »
- Comme à son habitude, le bio-
- informaticien Jacques van Helden
- décortique les arguments scientifiques à
- disposition de la communauté pour
- permettre aux auteurs d'être aussi
- affirmatifs. Son constat est ferme : « En
- science, toute hypothèse doit être
- réfutable. Ce qui ne veut pas dire qu'elle
- est fausse, mais on doit se donner la
- possibilité d'envisager de nouvelles
- découvertes qui viseraient à la remettre en question. Si une hypothèse n'est pas
- réfutable, c'est un dogme. Le dogme n'a pas sa place en science. On est tenu à une
- exigence permanente de réfutabilité, et une théorie est valide tant qu'elle résiste à la
- réfutation », rappelle-t-il.
- On peut décidément dire que, dans cette crise, The Lancet aura fait quelques
- boulettes. Après le retentissant « LancetGate » et l'affaire de l'hydroxychloroquine,
- voilà le plus grand journal médical de la planète s'essayant au dogme. Et un peu de
- patience, on ne vous a pas encore tout dit. Attendez de voir leur dernière casserole au
- prochain épisode.
- Lire aussi Scandale du « Lancet » : « Chaque année, 1 500 études sont
- rétractées »
- Une manipulation impossible à détecter
- Revenons aux origines de notre virus, il faut donc pouvoir réfuter toutes les
- hypothèses, y compris celles d'un papier publié dans Nature Medicine, sous le titre :
- « The proximal origin of Sars-CoV-2 » (Andersen & al.) qui tournent autour de cette
- phrase clé : « Nos analyses montrent clairement que le Sars-CoV-2 n'est pas une
- construction de laboratoire ou un virus délibérément manipulé. » La majeure partie
- de la communauté scientifique, la tête dans le seau et le seau sur la tête, a avalé d'un
- trait cette conclusion sans l'avoir forcément visée de près.
- Pas Étienne Decroly ni Jacques van Helden, qui avancent tous les deux le même
- argument massue : « Les manipulations de laboratoires ne laissent pas forcément de
- traces. » Pour eux, les hypothèses doivent tenir compte de ce qu'il est réellement
- possible de réaliser dans les laboratoires de virologie. « Et dans certains laboratoires,
- la manipulation du génome de virus potentiellement pathogène est une pratique
- courante, notamment pour étudier les mécanismes de franchissement de la barrière
- d'espèces », insiste Jacques van Helden.
- Lire aussi P4 de Wuhan : enquête sur une affaire française
- À la question simple : est-on capable de
- faire la différence entre un virus trafiqué
- et un virus 100 % naturel ? le virologue
- Étienne Decroly répond formellement :
- « J'en suis incapable. » Aujourd'hui, grâce
- aux technologies de construction des
- gènes synthétiques, il est effectivement
- possible de fabriquer une molécule d'ARN
- et de l'injecter dans des cellules, pour
- obtenir un vrai virus capable de circuler
- naturellement. « C'est d'ailleurs ce qu'a fait une équipe suisse, elle a recréé un virus
- Sars-CoV-2, complètement synthétique, complètement efficace rien qu'en utilisant le
- génome publié ! » souligne Bruno Canard, fin connaisseur du monde des coronavirus
- sur lesquels il travaille au sein de son laboratoire « architecture et fonctions des
- macromolécules biologiques » (CNRS), avec notamment le virologue Étienne Decroly.
- Des expériences en laboratoires
- En réalité, sur les paillasses, il n'y a même pas besoin de lever le petit doigt pour
- modifier un virus. « À partir du moment où on cultive des virus en milieux cellulaires,
- même sans les bidouiller, ils évoluent et peuvent se modifier tout seuls. On n'est dès
- lors pas à l'abri d'un accident, et il y en a eu plusieurs dans l'histoire récente ! »
- rappelle Serge Morand*, écologue au Cirad, grand spécialiste des virus émergents en
- Asie du Sud-Est. Ce n'est pas un secret, dans les labos, on fait… des expériences.
- En virologie : on collecte des virus, on les caractérise, on les fait pousser, on regarde
- comment ils se comportent dans leur hôte… En particulier, cela fait partie des
- missions du laboratoire de Zheng-Li Shi à Wuhan qui collecte des virus en milieux
- naturels pour voir si certains présentent des dangers pandémiques. L'une des
- manières de vérifier cette potentielle dangerosité d'un virus, c'est de tester sa capacité
- à passer d'un animal à un autre. Pour ce faire, les chercheurs pratiquent des passages
- successifs entre espèces. Il s'agit d'inoculer le virus à un animal, comme le furet par
- exemple. Une sélection artificielle, au sens darwinien du terme, s'exerce sur le virus
- pour qu'il s'adapte à son nouvel hôte. Ce transfert permet de sélectionner les souches
- les plus aptes à passer à une autre espèce, comme la civette. « On va s'appuyer sur les
- mutations naturelles aléatoires et à chaque génération sélectionner les mutants aux
- caractéristiques intéressantes », explique van Helden. Un peu comme un éleveur
- bovin sélectionne dans sa ferme sa meilleure vache laitière, le virologue sélectionne
- dans ses éprouvettes le virus le plus apte à infecter les cellules. Sachant que cette
- méthode de sélection se réalise aussi en utilisant de simples cellules mises en culture,
- animales comme humaines.
- Lire aussi Origine du coronavirus : « L'infection d'un employé de laboratoire de
- Wuhan est plus probable »
- Le passage successif entre espèces ou sur cultures cellulaires est l'une des hypothèses
- explorées par Karl et Dan Sirotkin dans un article datant d'août dernier dans
- Bioessays. L'article retrace les expériences possibles en laboratoire et attire l'attention
- sur le fait qu'elles sont aussi capables d'accélérer le rythme d'évolution d'un virus,
- comparé à celui qui s'opère dans la nature. Dans une grotte, quand un virus tente de
- passer d'une espèce à l'autre, il y a beaucoup d'échecs. « En laboratoire, on multiplie
- les chances, on répète l'expérience jusqu'à ce qu'elle marche », note Jacques van
- Helden.
- Le directeur du Centre d'infection et d'immunité à l'institut Ide Lille, Jean Dubuisson,
- précise : « Les passages successifs sur un même type de cultures cellulaires ont plutôt
- tendance à atténuer les virus. » Ce qui est effectivement en contradiction avec
- l'apparition ex nihilo de ce site furine, qui se révèle d'ailleurs instable et est perdu
- rapidement en cultures cellulaires. En effet, le virus doit s'adapter à un seul type de
- cellule et n'a pas à gérer tout un organisme avec un système immunitaire hostile : il
- peut donc perdre des fonctions. « C'est d'ailleurs de cette façon qu'ont été élaborés les
- premiers vaccins atténués contre la fièvre jaune ou la rougeole. Les virus ont été
- passés un grand nombre de fois sur des cultures cellulaires et, à la fin, on a obtenu des
- virus qui ont trouvé leur équilibre avec les cellules dans lesquelles on les a propagés
- et ont perdu de leur pouvoir pathogène », poursuit le chercheur.
- Virus chimère
- Mais venons-en aux expériences qui provoquent le plus de fantasmes : la
- recombinaison de virus par génie génétique. Il s'agit de modifier le génome du virus
- avec des outils moléculaires pour le rendre plus efficace. Dans le jargon scientifique,
- on parle de « gain de fonction ». Prenons un exemple : un chercheur dispose d'un
- virus de chauve-souris et souhaite vérifier si l'ajout dans son génome d'un petit bout
- de celui d'un virus de pangolin, de cerf ou de serpent le rend plus infectieux. Il recrée
- ainsi un virus chimère, avec de nouveaux caractères qu'il peut étudier. C'est un jeu
- d'enfant ! « Je reçois tous les jours par mail des publicités de kits avec lesquels dans la
- nuit je peux fabriquer le virus le plus mortel qui soit, juste en changeant sa spike par
- exemple. C'est no limit ! » soupire Bruno Canard.
- Loin d'être de la science-fiction, ce type d'expérience a déjà défrayé la chronique en
- 2011. Un chercheur hollandais, Ron Fouchier, avait transformé des virus de grippe
- aviaire en virus capables de se transmettre facilement d'homme à homme. Son but au
- départ était de déterminer quelles mutations pourraient s'avérer dangereuses et
- conférer au virus un potentiel pandémique. « Pour se prémunir de la souche, il a créé
- la souche qu'il craint ! » tonne Jacques van Helden. À l'époque, cela avait d'ailleurs
- déclenché une vive inquiétude dans la communauté scientifique, au point de
- suspendre tout financement public de ce type d'expériences aux États-Unis
- entre 2014 et 2017.
- Lire aussi Coronavirus, le combat secret des chercheurs
- Alcatraz pour virus
- L'objectif de ces expériences n'est pas de créer des virus destinés à être relâchés dans
- la population. « Il faut le dire explicitement ! martèle Jacques van Helden. La finalité
- de ces expériences est de comprendre les mécanismes infectieux, détecter les souches
- potentiellement dangereuses afin de mettre en place des programmes de surveillance
- et, dans certains cas, des stratégies vaccinales. Ensuite, il faut être conscient des
- risques et analyser la balance bénéfice/risque du type d'expérience. »
- Ces expériences de gain de fonction sont-elles un passage obligé ? « Non, il y a
- toujours moyen de faire autrement. On peut simuler l'explosion d'une bombe
- atomique sans avoir à la faire exploser », remarque encore Bruno Canard. Pour Jean
- Dubuisson, même son de cloche : « Il y a toujours un risque avec le gain de fonction.
- Nous procédons plutôt à des pertes de fonction, et surtout nous ne travaillons pas sur
- des génomes complets. Il est beaucoup plus intéressant d'inactiver des séquences
- pour essayer de comprendre leur rôle sans prendre de risque. » Il n'empêche que ces
- expériences de gain de fonction sont pratiquées au vu et au su de tous. Mais même
- quand toutes les bonnes pratiques de laboratoire sont respectées à la lettre, et même
- si c'est réalisé dans des laboratoires de haute sécurité de type P3 ou P4, des Alcatraz
- pour virus, le risque est inaliénable.
- Pour autant, absolument rien n'indique que cela s'est produit avec le coronavirus qui
- nous préoccupe actuellement. D'ailleurs, pour François Balloux, le phylogénéticien à
- l'University College de Londres, comme pour d'autres scientifiques, l'hypothèse du
- « gain de fonction » sur le Sars-CoV-2 n'est pas sérieuse. « Quand on le regarde, il n'a
- rien d'aussi atypique ou surprenant sur ces capacités d'infection des cellules
- humaines qui nécessiterait d'avoir eu recours à ces techniques. L'évolution pourrait
- suffire à expliquer son existence. » Éric Leroy, spécialiste des zoonoses, directeur de
- recherche à l'IRD (Institut de recherche pour le développement), est encore plus
- virulent : « Pour moi, ce sont des élucubrations. À un moment donné, le scientifique,
- quand il interprète des données, forcément il n'est pas totalement objectif et neutre.
- Il a sa sensibilité personnelle, politique, sociale, qui oriente son interprétation, c'est
- normal, on est des hommes avant tout. »
- Aux origines du coronavirus: dansle secret des
- labos
- Par Gwendoline Dos Santos et Caroline Tourbe
- ÉPISODE 5. Où l'on découvre que les missions d'enquête sur le Sars-CoV-2 nous prennent un peu pour des pangolins. Et si le virus devenait doux comme un agneau ?
- Il n'y a pas cinquante chemins : si on pense que ce virus est issu de la faune, il va
- falloir aller le chercher, lui ou ses très proches parents, dans les milieux naturels,
- dans les élevages. Si on pense que c'est un virus qui a évolué à bas bruit depuis
- longtemps, il va falloir aller le chercher dans tous les prélèvements congelés d'anciens
- patients. Si on pense que c'est un accident de laboratoire, puisque l'épidémie s'est
- propagée depuis Wuhan, c'est évidemment dans les laboratoires de cette ville qu'il
- faut prélever des échantillons en premier. « Cela doit être difficile à négocier
- politiquement. Si ce virus résulte d'un accident de laboratoire, ce sera peut-être plus
- compliqué à établir », regrette Jacques van Helden, professeur de bio-informatique à
- l'université Aix-Marseille, développeur de méthodes informatiques et statistiques
- pour l'analyse des génomes. Il va falloir procéder méthodiquement.
- « L'équipe de l'OMS qui va enquêter sur place doit savoir ce qu'il y avait dans ces
- labos, les expériences qui y étaient faites, ce qu'il y avait réellement sur le marché,
- détaille Serge Morand*, écologue au Cirad, reconnu pour ses recherches sur les virus
- émergents en Asie du Sud-Est. Malheureusement, pour l'instant, nous n'avons pas
- grand-chose pour évacuer une fois pour toutes l'hypothèse d'une fuite d'un
- laboratoire de Wuhan. »
- Transparence chinoise
- Qu'on se rassure, l'investigation est en cours. Dès juillet, l'Organisation mondiale de
- la santé (OMS) a établi sa feuille de route pour enquêter sur la source originelle du
- Sars-CoV-2. La première réunion entre les experts de l'organisation et les
- scientifiques chinois a eu lieu fin octobre en webconférence. Fin novembre, Tedros
- Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l'OMS, semblait bien décidé : « Nous
- voulons connaître l'origine du virus et nous ferons tout pour la connaître. »
- Lire aussi Origine du Covid : les nouveaux mensonges de la Chine
- La mission devrait débuter sur le terrain en janvier. Peut-être un peu tard au goût de
- certains : « C'est comme si un crime avait eu lieu il y a un an, et c'est maintenant
- qu'on va faire les perquisitions ! S'il y avait quelque chose à cacher, il l'est déjà ! Avec
- ces missions intergouvernementales on se fout du monde. Elles servent à faire des
- congrès, des rapports sur papier glacé, rien d'autre », juge Jean-Michel Claverie,
- pointure internationale dans la recherche fondamentale sur les virus et professeur du
- laboratoire information génomique et structurale (CNRS/université d'Aix-Marseille).
- Et si ce n'était que ça. Plus posé, Serge Morand regrette la faible portée tout à fait
- prévisible de la mission : « Dans sa feuille de route, l'OMS s'est un peu autolimitée
- aussi… L'hypothèse de l'échappement du labo est laissée pour l'instant aux
- investigateurs chinois eux-mêmes ! »
- Peut-on leur faire confiance pour enquêter sérieusement sur leurs propres
- laboratoires ? On peut douter de la volonté de transparence de la Chine. En
- témoigne le document sur lequel la chaîne américaine CNN a mis la main. Un rapport
- « confidentiel » du Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) de la
- province du Hubei, où se trouve la ville de Wuhan, épicentre de
- l'épidémie. 117 pages qui en disent long sur comment les autorités chinoises ont
- minimisé la crise aux yeux du monde. On y apprend qu'une terrible épidémie de
- « grippe », touchant 20 fois plus de monde que les années précédentes, sévissait dans
- le Hubei fin 2019… et on comprend surtout que la Chine ne déclarait pas le nombre
- réel de cas qu'elle détectait sur son sol. Pour exemple, en date du 10 février :
- officiellement 2 478 cas annoncés, quand, dans ses tablettes secrètes, le CDC de
- Hubei en comptait déjà 5 918.
- Lire aussi Coronavirus : comment l'alerte a été étouffée à Wuhan en
- décembre 2019
- Conflits d'intérêts et mélange des genres
- Et ce n'est pas tout ! La composition du groupe OMS, en elle-même, fait fulminer
- nombre de scientifiques. Notamment parce qu'on y retrouve Peter Daszak, président
- d'EcoHealth Alliance. Cet organisme international à but non lucratif, financé
- essentiellement avec des crédits de recherche américains, a pour objectif – très
- louable – d'organiser et de financer des programmes de surveillance et de prévention des pandémies virales. Le hic, c'est que l'équipe de Zheng-li Shi à Wuhan bénéficie de
- ces subsides pour des travaux sur les coronavirus. « Ça me gêne énormément, ce
- comité, les conflits d'intérêts y sont trop importants », peste Serge Morand. Le nom
- de Peter Daszak apparaît par exemple à plusieurs reprises aux côtés de celui de
- Zheng-li Shi dans la littérature scientifique. « À sa place, j'aurais refusé de participer à
- ce comité, et ceci afin d'éviter d'alimenter les hypothèses complotistes ! » revendique
- Serge Morand. Selon la revue Nature, Daszak estime, lui, qu'il a été « transparent sur
- son travail en Chine » et que la confiance qu'il a établie avec les chercheurs là-bas
- aidera l'équipe à mieux comprendre les débuts de la pandémie.
- Comme si cela ne suffisait pas, le 19 novembre dernier, le même Peter Daszak était au
- cœur d'une autre tempête dans le landerneau scientifique. Cette fameuse lettre de
- The Lancet dont nous avons longuement parlé dans le précédent épisode, signée
- par 27 scientifiques, appelant à soutenir les collaborateurs chinois et à faire taire les
- théories conspirationnistes, quitte à imposer un dogme, vous vous en souvenez ? Eh
- bien elle a été orchestrée de bout en bout par ce même Peter Daszak, comme
- l'attestent ses e-mails rendus publics par USRighttoknow, un collectif indépendant
- qui œuvre pour la transparence, connu notamment pour ses révélations sur les
- manipulations de l'industrie agro-alimentaire dans la science. Dernier caillou dans la
- chaussure du Lancet, son comité d'enquête monté pour faire la lumière sur les
- origines de la pandémie (en parallèle du travail de l'OMS) est également piloté par…
- Peter Daszak. Encore lui. « Avec ce mélange des genres, absence de transparence et
- conflits d'intérêts, on met tout en place pour discréditer ces missions », tacle
- l'écologue Serge Morand. Bruno Canard, grand spécialiste des coronavirus et
- responsable du laboratoire Architecture et fonctions des macromolécules
- biologiques (CNRS), n'y va pas non plus par quatre chemins : « Le comité
- d'investigation de l'OMS, c'est une blague ; EcoHealth Alliance, c'est une blague. Nos
- collègues ne se rendent pas compte que si on ne dénonce pas ça, on sera mis dans le
- même sac que ces gens malhonnêtes. On ne peut pas laisser faire ça ! »
- Un virus « serial killer » devenu bénin
- La quête des origines du Sars-CoV-2, on le comprend, pourrait ne jamais aboutir. Mais
- au cours de notre enquête, quelques éléments positifs se sont offerts à nous. Alors, on
- vous en fait cadeau. En remontant aux origines d'un autre coronavirus courant, le
- OC43, responsable de simples rhumes, des chercheurs de l'université de Louvain ont
- découvert en 2005 qu'il a peut-être eu un passé de « serial killer » avant de devenir
- doux comme un agneau, ou presque. Selon eux, la grande épidémie de « grippe
- russe », de la fin du XIX n'aurait possiblement rien à voir avec un virus grippal
- comme on le croyait jusqu'alors. Elle pourrait correspondre au saut chez l'homme de
- ce coronavirus OC43 et à son essor vers 1890. « Au départ inadapté, le virus se serait
- propagé rapidement, aurait fait des morts avant de trouver un équilibre avec son
- nouvel hôte au bout de quelques années et de devenir bénin », estime Jean
- Dubuisson, du centre d'infection et d'immunité à l'institut Pasteur de Lille. Voilà qui
- nous ferait un bon scénario pour le Sars-CoV-2. Verdict en 2023.
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