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Le Point - Gwendoline Dos Santos and Caroline Tourbe - Les origines du coronavirus (2)

Dec 24th, 2020 (edited)
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  1. Les origines du coronavirus: la tentation du virus
  2. chimère
  3. Par Gwendoline Dos Santos et Caroline Tourbe
  4. ÉPISODE 4. Où l'on découvre qu'il s'en passe de belles sur les paillasses des
  5. laboratoires et que même, parfois, les virus se font la malle.
  6.  
  7. Un virus, un nouvel hôte et des mutations. Voilà le triptyque qui fait s'arracher les
  8. cheveux aux scientifiques devenus détectives. Depuis son apparition remarquée dans
  9. la population chinoise à la fin de l'année 2019, le nouveau coronavirus s'est révélé
  10. particulièrement doué pour infecter les humains. Au cours des premiers mois de la
  11. pandémie, son génome a été scruté sous toutes les coutures et, pourtant, il n'a pas
  12. révélé la trace de mutations facilitant sa diffusion dans l'espèce humaine. Un peu
  13. comme si le Sars-CoV-2 était déjà parfaitement adapté à son nouvel hôte, selon
  14. l'analyse menée par Alina Chan, souvenez-vous, cette chercheuse américaine du
  15. Broad Institute au MIT, qui a passé son confinement le nez plongé dans les
  16. publications.
  17. « Habituellement, le rythme de ces mutations est plus élevé au début d'une épidémie,
  18. car le virus est encore mal adapté à la nouvelle espèce et ces mutations améliorent
  19. peu à peu son adaptation. Plus l'adaptation est réussie, plus les mutations
  20. sélectionnées ralentissent », explique Jacques van Helden. Ce professeur de bio-
  21. informatique à l'université Aix-Marseille, spécialiste de l'analyse des génomes, s'est
  22. lancé dans la quête des origines du Sars-CoV-2 avec une équipe pluridisciplinaire.
  23. Lire aussi Notre immunité à l'épreuve de l'épidémie
  24. Des zones d'ombre dans la transmission
  25. Mais pourquoi ce point détail serait-il si important ? Parce que la détection d'un virus
  26. déjà adapté à l'homme laisse de la place à deux scénarios. « Soit le virus a circulé dans
  27. la population sous une forme moins virulente, à bas bruit, avant l'apparition de
  28. l'épidémie, avant que des mutations apparaissent fin 2019 pour en faire ce qu'il est
  29. aujourd'hui, détaille Jacques van Helden. Soit ce virus a été sélectionné en laboratoire
  30. et s'est échappé accidentellement. » Un accident qui se serait produit autour de la
  31. date du 6 octobre.
  32. « On est tous d'accord pour dire que l'hypothèse principale reste la zoonose, mais il y
  33. a des chaînons manquants et des situations qui posent questions », rappelle pour la
  34. énième fois le chercheur, comme s'il avait peur qu'on le fasse passer pour un
  35. complotiste. Et son acolyte Étienne Decroly du laboratoire « architecture et fonctions
  36. des macromolécules biologiques » (CNRS, université Aix-Marseille) prend des gants :
  37. « L'hypothèse qui prime c'est l'origine naturelle, mais il reste des zones d'ombre à
  38. éclaircir. » Oui, on a bien compris. Promis. D'autant que la fameuse « Batwoman »,
  39. Zheng-Li Shi, à la tête de son groupe de recherche spécialisé dans les coronavirus à
  40. l'Institut de virologie de Wuhan (WIV), réfute fermement l'idée qu'une fuite aurait pu
  41. se produire dans l'un des laboratoires de la ville.
  42. Lire aussi D'où viennent les nouveaux virus
  43. « C'est juste l'opposé de la démarche scientifique ! »
  44. Les deux collègues décortiquent toutes les hypothèses. Et c'est peut-être précisément
  45. parce qu'on leur suggère le contraire qu'ils sont si déterminés à ne rien laisser au
  46. hasard. Qui leur suggère donc de faire l'autruche ? Le 19 février 2020, 27 éminents
  47. scientifiques du monde des virus ont cru bon de prendre la plume pour rappeler tous
  48. leurs collègues à l'ordre. Publiée dans The Lancet, l'une des plus prestigieuses revues
  49. de sciences médicales, leur lettre explique, pour faire court, que leurs homologues
  50. chinois contribuent à lutter contre le virus, qu'ils ont rendu leurs données publiques,
  51. qu'il faut les soutenir, qu'il existe déjà un grand nombre d'indications selon lesquelles
  52. le nouveau virus est d'origine naturelle, mais surtout ils écrivent précisément : « Nous
  53. sommes unis pour condamner fermement les théories du complot suggérant que le
  54. Covid-19 n'a pas une origine naturelle. »
  55. Lire aussi Sars-CoV-2 : le mystérieux billard à trois bandes
  56. Le ton est donné ! Comprenez : ceux qui travaillent sur d'autres pistes que la zoonose
  57. sont des complotistes. Étienne Decroly en est encore abasourdi : « Je n'ai jamais vu
  58. ça ! Un papier qui dit au monde scientifique quelles sont les questions qu'il a le droit
  59. de se poser, c'est juste l'opposé de la démarche scientifique ! »
  60. Une affirmation dogmatique
  61. Le grand découvreur de virus Jean-Michel Claverie du laboratoire « information
  62. génomique et structurale » (CNRS, université d'Aix-Marseille), lui, se marre : « C'est
  63. simple, si vous n'êtes pas d'accord avec la doxa ambiante, vous êtes un complotiste. Si
  64. vous dites tout pareil que le gouvernement, vous êtes un expert ! Il ne faudrait quand
  65. même pas oublier qu'on est en Chine ! Imaginez un directeur d'un grand institut de
  66. virologie qui avoue à sa hiérarchie qu'il a déclenché une épidémie mondiale à la suite
  67. d'une erreur en laboratoire, je pense qu'il ne va pas juste s'en tirer avec un blâme. »
  68. Comme à son habitude, le bio-
  69. informaticien Jacques van Helden
  70. décortique les arguments scientifiques à
  71. disposition de la communauté pour
  72. permettre aux auteurs d'être aussi
  73. affirmatifs. Son constat est ferme : « En
  74. science, toute hypothèse doit être
  75. réfutable. Ce qui ne veut pas dire qu'elle
  76. est fausse, mais on doit se donner la
  77. possibilité d'envisager de nouvelles
  78. découvertes qui viseraient à la remettre en question. Si une hypothèse n'est pas
  79. réfutable, c'est un dogme. Le dogme n'a pas sa place en science. On est tenu à une
  80. exigence permanente de réfutabilité, et une théorie est valide tant qu'elle résiste à la
  81. réfutation », rappelle-t-il.
  82. On peut décidément dire que, dans cette crise, The Lancet aura fait quelques
  83. boulettes. Après le retentissant « LancetGate » et l'affaire de l'hydroxychloroquine,
  84. voilà le plus grand journal médical de la planète s'essayant au dogme. Et un peu de
  85. patience, on ne vous a pas encore tout dit. Attendez de voir leur dernière casserole au
  86. prochain épisode.
  87. Lire aussi Scandale du « Lancet » : « Chaque année, 1 500 études sont
  88. rétractées »
  89. Une manipulation impossible à détecter
  90. Revenons aux origines de notre virus, il faut donc pouvoir réfuter toutes les
  91. hypothèses, y compris celles d'un papier publié dans Nature Medicine, sous le titre :
  92. « The proximal origin of Sars-CoV-2 » (Andersen & al.) qui tournent autour de cette
  93. phrase clé : « Nos analyses montrent clairement que le Sars-CoV-2 n'est pas une
  94. construction de laboratoire ou un virus délibérément manipulé. » La majeure partie
  95. de la communauté scientifique, la tête dans le seau et le seau sur la tête, a avalé d'un
  96. trait cette conclusion sans l'avoir forcément visée de près.
  97. Pas Étienne Decroly ni Jacques van Helden, qui avancent tous les deux le même
  98. argument massue : « Les manipulations de laboratoires ne laissent pas forcément de
  99. traces. » Pour eux, les hypothèses doivent tenir compte de ce qu'il est réellement
  100. possible de réaliser dans les laboratoires de virologie. « Et dans certains laboratoires,
  101. la manipulation du génome de virus potentiellement pathogène est une pratique
  102. courante, notamment pour étudier les mécanismes de franchissement de la barrière
  103. d'espèces », insiste Jacques van Helden.
  104. Lire aussi P4 de Wuhan : enquête sur une affaire française
  105. À la question simple : est-on capable de
  106. faire la différence entre un virus trafiqué
  107. et un virus 100 % naturel ? le virologue
  108. Étienne Decroly répond formellement :
  109. « J'en suis incapable. » Aujourd'hui, grâce
  110. aux technologies de construction des
  111. gènes synthétiques, il est effectivement
  112. possible de fabriquer une molécule d'ARN
  113. et de l'injecter dans des cellules, pour
  114. obtenir un vrai virus capable de circuler
  115. naturellement. « C'est d'ailleurs ce qu'a fait une équipe suisse, elle a recréé un virus
  116. Sars-CoV-2, complètement synthétique, complètement efficace rien qu'en utilisant le
  117. génome publié ! » souligne Bruno Canard, fin connaisseur du monde des coronavirus
  118. sur lesquels il travaille au sein de son laboratoire « architecture et fonctions des
  119. macromolécules biologiques » (CNRS), avec notamment le virologue Étienne Decroly.
  120. Des expériences en laboratoires
  121. En réalité, sur les paillasses, il n'y a même pas besoin de lever le petit doigt pour
  122. modifier un virus. « À partir du moment où on cultive des virus en milieux cellulaires,
  123. même sans les bidouiller, ils évoluent et peuvent se modifier tout seuls. On n'est dès
  124. lors pas à l'abri d'un accident, et il y en a eu plusieurs dans l'histoire récente ! »
  125. rappelle Serge Morand*, écologue au Cirad, grand spécialiste des virus émergents en
  126. Asie du Sud-Est. Ce n'est pas un secret, dans les labos, on fait… des expériences.
  127. En virologie : on collecte des virus, on les caractérise, on les fait pousser, on regarde
  128. comment ils se comportent dans leur hôte… En particulier, cela fait partie des
  129. missions du laboratoire de Zheng-Li Shi à Wuhan qui collecte des virus en milieux
  130. naturels pour voir si certains présentent des dangers pandémiques. L'une des
  131. manières de vérifier cette potentielle dangerosité d'un virus, c'est de tester sa capacité
  132. à passer d'un animal à un autre. Pour ce faire, les chercheurs pratiquent des passages
  133. successifs entre espèces. Il s'agit d'inoculer le virus à un animal, comme le furet par
  134. exemple. Une sélection artificielle, au sens darwinien du terme, s'exerce sur le virus
  135. pour qu'il s'adapte à son nouvel hôte. Ce transfert permet de sélectionner les souches
  136. les plus aptes à passer à une autre espèce, comme la civette. « On va s'appuyer sur les
  137. mutations naturelles aléatoires et à chaque génération sélectionner les mutants aux
  138. caractéristiques intéressantes », explique van Helden. Un peu comme un éleveur
  139. bovin sélectionne dans sa ferme sa meilleure vache laitière, le virologue sélectionne
  140. dans ses éprouvettes le virus le plus apte à infecter les cellules. Sachant que cette
  141. méthode de sélection se réalise aussi en utilisant de simples cellules mises en culture,
  142. animales comme humaines.
  143. Lire aussi Origine du coronavirus : « L'infection d'un employé de laboratoire de
  144. Wuhan est plus probable »
  145. Le passage successif entre espèces ou sur cultures cellulaires est l'une des hypothèses
  146. explorées par Karl et Dan Sirotkin dans un article datant d'août dernier dans
  147. Bioessays. L'article retrace les expériences possibles en laboratoire et attire l'attention
  148. sur le fait qu'elles sont aussi capables d'accélérer le rythme d'évolution d'un virus,
  149. comparé à celui qui s'opère dans la nature. Dans une grotte, quand un virus tente de
  150. passer d'une espèce à l'autre, il y a beaucoup d'échecs. « En laboratoire, on multiplie
  151. les chances, on répète l'expérience jusqu'à ce qu'elle marche », note Jacques van
  152. Helden.
  153. Le directeur du Centre d'infection et d'immunité à l'institut Ide Lille, Jean Dubuisson,
  154. précise : « Les passages successifs sur un même type de cultures cellulaires ont plutôt
  155. tendance à atténuer les virus. » Ce qui est effectivement en contradiction avec
  156. l'apparition ex nihilo de ce site furine, qui se révèle d'ailleurs instable et est perdu
  157. rapidement en cultures cellulaires. En effet, le virus doit s'adapter à un seul type de
  158. cellule et n'a pas à gérer tout un organisme avec un système immunitaire hostile : il
  159. peut donc perdre des fonctions. « C'est d'ailleurs de cette façon qu'ont été élaborés les
  160. premiers vaccins atténués contre la fièvre jaune ou la rougeole. Les virus ont été
  161. passés un grand nombre de fois sur des cultures cellulaires et, à la fin, on a obtenu des
  162. virus qui ont trouvé leur équilibre avec les cellules dans lesquelles on les a propagés
  163. et ont perdu de leur pouvoir pathogène », poursuit le chercheur.
  164. Virus chimère
  165. Mais venons-en aux expériences qui provoquent le plus de fantasmes : la
  166. recombinaison de virus par génie génétique. Il s'agit de modifier le génome du virus
  167. avec des outils moléculaires pour le rendre plus efficace. Dans le jargon scientifique,
  168. on parle de « gain de fonction ». Prenons un exemple : un chercheur dispose d'un
  169. virus de chauve-souris et souhaite vérifier si l'ajout dans son génome d'un petit bout
  170. de celui d'un virus de pangolin, de cerf ou de serpent le rend plus infectieux. Il recrée
  171. ainsi un virus chimère, avec de nouveaux caractères qu'il peut étudier. C'est un jeu
  172. d'enfant ! « Je reçois tous les jours par mail des publicités de kits avec lesquels dans la
  173. nuit je peux fabriquer le virus le plus mortel qui soit, juste en changeant sa spike par
  174. exemple. C'est no limit ! » soupire Bruno Canard.
  175. Loin d'être de la science-fiction, ce type d'expérience a déjà défrayé la chronique en
  176. 2011. Un chercheur hollandais, Ron Fouchier, avait transformé des virus de grippe
  177. aviaire en virus capables de se transmettre facilement d'homme à homme. Son but au
  178. départ était de déterminer quelles mutations pourraient s'avérer dangereuses et
  179. conférer au virus un potentiel pandémique. « Pour se prémunir de la souche, il a créé
  180. la souche qu'il craint ! » tonne Jacques van Helden. À l'époque, cela avait d'ailleurs
  181. déclenché une vive inquiétude dans la communauté scientifique, au point de
  182. suspendre tout financement public de ce type d'expériences aux États-Unis
  183. entre 2014 et 2017.
  184. Lire aussi Coronavirus, le combat secret des chercheurs
  185. Alcatraz pour virus
  186. L'objectif de ces expériences n'est pas de créer des virus destinés à être relâchés dans
  187. la population. « Il faut le dire explicitement ! martèle Jacques van Helden. La finalité
  188. de ces expériences est de comprendre les mécanismes infectieux, détecter les souches
  189. potentiellement dangereuses afin de mettre en place des programmes de surveillance
  190. et, dans certains cas, des stratégies vaccinales. Ensuite, il faut être conscient des
  191. risques et analyser la balance bénéfice/risque du type d'expérience. »
  192. Ces expériences de gain de fonction sont-elles un passage obligé ? « Non, il y a
  193. toujours moyen de faire autrement. On peut simuler l'explosion d'une bombe
  194. atomique sans avoir à la faire exploser », remarque encore Bruno Canard. Pour Jean
  195. Dubuisson, même son de cloche : « Il y a toujours un risque avec le gain de fonction.
  196. Nous procédons plutôt à des pertes de fonction, et surtout nous ne travaillons pas sur
  197. des génomes complets. Il est beaucoup plus intéressant d'inactiver des séquences
  198. pour essayer de comprendre leur rôle sans prendre de risque. » Il n'empêche que ces
  199. expériences de gain de fonction sont pratiquées au vu et au su de tous. Mais même
  200. quand toutes les bonnes pratiques de laboratoire sont respectées à la lettre, et même
  201. si c'est réalisé dans des laboratoires de haute sécurité de type P3 ou P4, des Alcatraz
  202. pour virus, le risque est inaliénable.
  203.  
  204. Pour autant, absolument rien n'indique que cela s'est produit avec le coronavirus qui
  205. nous préoccupe actuellement. D'ailleurs, pour François Balloux, le phylogénéticien à
  206. l'University College de Londres, comme pour d'autres scientifiques, l'hypothèse du
  207. « gain de fonction » sur le Sars-CoV-2 n'est pas sérieuse. « Quand on le regarde, il n'a
  208. rien d'aussi atypique ou surprenant sur ces capacités d'infection des cellules
  209. humaines qui nécessiterait d'avoir eu recours à ces techniques. L'évolution pourrait
  210. suffire à expliquer son existence. » Éric Leroy, spécialiste des zoonoses, directeur de
  211. recherche à l'IRD (Institut de recherche pour le développement), est encore plus
  212. virulent : « Pour moi, ce sont des élucubrations. À un moment donné, le scientifique,
  213. quand il interprète des données, forcément il n'est pas totalement objectif et neutre.
  214. Il a sa sensibilité personnelle, politique, sociale, qui oriente son interprétation, c'est
  215. normal, on est des hommes avant tout. »
  216.  
  217.  
  218. Aux origines du coronavirus: dansle secret des
  219. labos
  220. Par Gwendoline Dos Santos et Caroline Tourbe
  221. ÉPISODE 5. Où l'on découvre que les missions d'enquête sur le Sars-CoV-2 nous prennent un peu pour des pangolins. Et si le virus devenait doux comme un agneau ?
  222.  
  223. Il n'y a pas cinquante chemins : si on pense que ce virus est issu de la faune, il va
  224. falloir aller le chercher, lui ou ses très proches parents, dans les milieux naturels,
  225. dans les élevages. Si on pense que c'est un virus qui a évolué à bas bruit depuis
  226. longtemps, il va falloir aller le chercher dans tous les prélèvements congelés d'anciens
  227. patients. Si on pense que c'est un accident de laboratoire, puisque l'épidémie s'est
  228. propagée depuis Wuhan, c'est évidemment dans les laboratoires de cette ville qu'il
  229. faut prélever des échantillons en premier. « Cela doit être difficile à négocier
  230. politiquement. Si ce virus résulte d'un accident de laboratoire, ce sera peut-être plus
  231. compliqué à établir », regrette Jacques van Helden, professeur de bio-informatique à
  232. l'université Aix-Marseille, développeur de méthodes informatiques et statistiques
  233. pour l'analyse des génomes. Il va falloir procéder méthodiquement.
  234.  
  235. « L'équipe de l'OMS qui va enquêter sur place doit savoir ce qu'il y avait dans ces
  236. labos, les expériences qui y étaient faites, ce qu'il y avait réellement sur le marché,
  237. détaille Serge Morand*, écologue au Cirad, reconnu pour ses recherches sur les virus
  238. émergents en Asie du Sud-Est. Malheureusement, pour l'instant, nous n'avons pas
  239. grand-chose pour évacuer une fois pour toutes l'hypothèse d'une fuite d'un
  240. laboratoire de Wuhan. »
  241. Transparence chinoise
  242. Qu'on se rassure, l'investigation est en cours. Dès juillet, l'Organisation mondiale de
  243. la santé (OMS) a établi sa feuille de route pour enquêter sur la source originelle du
  244. Sars-CoV-2. La première réunion entre les experts de l'organisation et les
  245. scientifiques chinois a eu lieu fin octobre en webconférence. Fin novembre, Tedros
  246. Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l'OMS, semblait bien décidé : « Nous
  247. voulons connaître l'origine du virus et nous ferons tout pour la connaître. »
  248. Lire aussi Origine du Covid : les nouveaux mensonges de la Chine
  249. La mission devrait débuter sur le terrain en janvier. Peut-être un peu tard au goût de
  250. certains : « C'est comme si un crime avait eu lieu il y a un an, et c'est maintenant
  251. qu'on va faire les perquisitions ! S'il y avait quelque chose à cacher, il l'est déjà ! Avec
  252. ces missions intergouvernementales on se fout du monde. Elles servent à faire des
  253. congrès, des rapports sur papier glacé, rien d'autre », juge Jean-Michel Claverie,
  254. pointure internationale dans la recherche fondamentale sur les virus et professeur du
  255. laboratoire information génomique et structurale (CNRS/université d'Aix-Marseille).
  256. Et si ce n'était que ça. Plus posé, Serge Morand regrette la faible portée tout à fait
  257. prévisible de la mission : « Dans sa feuille de route, l'OMS s'est un peu autolimitée
  258. aussi… L'hypothèse de l'échappement du labo est laissée pour l'instant aux
  259. investigateurs chinois eux-mêmes ! »
  260.  
  261. Peut-on leur faire confiance pour enquêter sérieusement sur leurs propres
  262. laboratoires ? On peut douter de la volonté de transparence de la Chine. En
  263. témoigne le document sur lequel la chaîne américaine CNN a mis la main. Un rapport
  264. « confidentiel » du Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) de la
  265. province du Hubei, où se trouve la ville de Wuhan, épicentre de
  266. l'épidémie. 117 pages qui en disent long sur comment les autorités chinoises ont
  267. minimisé la crise aux yeux du monde. On y apprend qu'une terrible épidémie de
  268. « grippe », touchant 20 fois plus de monde que les années précédentes, sévissait dans
  269. le Hubei fin 2019… et on comprend surtout que la Chine ne déclarait pas le nombre
  270. réel de cas qu'elle détectait sur son sol. Pour exemple, en date du 10 février :
  271. officiellement 2 478 cas annoncés, quand, dans ses tablettes secrètes, le CDC de
  272. Hubei en comptait déjà 5 918.
  273. Lire aussi Coronavirus : comment l'alerte a été étouffée à Wuhan en
  274. décembre 2019
  275. Conflits d'intérêts et mélange des genres
  276. Et ce n'est pas tout ! La composition du groupe OMS, en elle-même, fait fulminer
  277. nombre de scientifiques. Notamment parce qu'on y retrouve Peter Daszak, président
  278. d'EcoHealth Alliance. Cet organisme international à but non lucratif, financé
  279. essentiellement avec des crédits de recherche américains, a pour objectif – très
  280. louable – d'organiser et de financer des programmes de surveillance et de prévention des pandémies virales. Le hic, c'est que l'équipe de Zheng-li Shi à Wuhan bénéficie de
  281. ces subsides pour des travaux sur les coronavirus. « Ça me gêne énormément, ce
  282. comité, les conflits d'intérêts y sont trop importants », peste Serge Morand. Le nom
  283. de Peter Daszak apparaît par exemple à plusieurs reprises aux côtés de celui de
  284. Zheng-li Shi dans la littérature scientifique. « À sa place, j'aurais refusé de participer à
  285. ce comité, et ceci afin d'éviter d'alimenter les hypothèses complotistes ! » revendique
  286. Serge Morand. Selon la revue Nature, Daszak estime, lui, qu'il a été « transparent sur
  287. son travail en Chine » et que la confiance qu'il a établie avec les chercheurs là-bas
  288. aidera l'équipe à mieux comprendre les débuts de la pandémie.
  289. Comme si cela ne suffisait pas, le 19 novembre dernier, le même Peter Daszak était au
  290. cœur d'une autre tempête dans le landerneau scientifique. Cette fameuse lettre de
  291. The Lancet dont nous avons longuement parlé dans le précédent épisode, signée
  292. par 27 scientifiques, appelant à soutenir les collaborateurs chinois et à faire taire les
  293. théories conspirationnistes, quitte à imposer un dogme, vous vous en souvenez ? Eh
  294. bien elle a été orchestrée de bout en bout par ce même Peter Daszak, comme
  295. l'attestent ses e-mails rendus publics par USRighttoknow, un collectif indépendant
  296. qui œuvre pour la transparence, connu notamment pour ses révélations sur les
  297. manipulations de l'industrie agro-alimentaire dans la science. Dernier caillou dans la
  298. chaussure du Lancet, son comité d'enquête monté pour faire la lumière sur les
  299. origines de la pandémie (en parallèle du travail de l'OMS) est également piloté par…
  300. Peter Daszak. Encore lui. « Avec ce mélange des genres, absence de transparence et
  301. conflits d'intérêts, on met tout en place pour discréditer ces missions », tacle
  302. l'écologue Serge Morand. Bruno Canard, grand spécialiste des coronavirus et
  303. responsable du laboratoire Architecture et fonctions des macromolécules
  304. biologiques (CNRS), n'y va pas non plus par quatre chemins : « Le comité
  305. d'investigation de l'OMS, c'est une blague ; EcoHealth Alliance, c'est une blague. Nos
  306. collègues ne se rendent pas compte que si on ne dénonce pas ça, on sera mis dans le
  307. même sac que ces gens malhonnêtes. On ne peut pas laisser faire ça ! »
  308.  
  309. Un virus « serial killer » devenu bénin
  310. La quête des origines du Sars-CoV-2, on le comprend, pourrait ne jamais aboutir. Mais
  311. au cours de notre enquête, quelques éléments positifs se sont offerts à nous. Alors, on
  312. vous en fait cadeau. En remontant aux origines d'un autre coronavirus courant, le
  313. OC43, responsable de simples rhumes, des chercheurs de l'université de Louvain ont
  314. découvert en 2005 qu'il a peut-être eu un passé de « serial killer » avant de devenir
  315. doux comme un agneau, ou presque. Selon eux, la grande épidémie de « grippe
  316. russe », de la fin du XIX n'aurait possiblement rien à voir avec un virus grippal
  317. comme on le croyait jusqu'alors. Elle pourrait correspondre au saut chez l'homme de
  318. ce coronavirus OC43 et à son essor vers 1890. « Au départ inadapté, le virus se serait
  319. propagé rapidement, aurait fait des morts avant de trouver un équilibre avec son
  320. nouvel hôte au bout de quelques années et de devenir bénin », estime Jean
  321. Dubuisson, du centre d'infection et d'immunité à l'institut Pasteur de Lille. Voilà qui
  322. nous ferait un bon scénario pour le Sars-CoV-2. Verdict en 2023.
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