A Berlin, l'antisémitisme à vif: les pro-palestiniens hurlent "mort aux Juifs" (2023)

A Berlin, l'antisémitisme à vif

Smain Laacher & Marc Knobel
Libération, lundi 17 avril 2023

Soixante-huit ans après le début du conflit israélo-palestinien, quels que puissent être les tensions, les attentats et les représailles qui s'ensuivent, rien ne justifie qu'à Berlin, ce samedi 9 avril, des manifestants aient hurlé «mort aux juifs», s'inquiètent l'historien Marc Knobel et le sociologue Smaïn Laacher.

Qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur notre intention : nous sommes fermement attachés à une résolution politique et pacifique du conflit israélo-palestinien. Avec son cortège de désillusion, de désolation et de guerres désastreuses, ce conflit interminable aux soubresauts tragiques, n'a que trop duré. Nous pensons qu'il faut trouver les moyens de relancer les voies du dialogue pour mettre un terme à ces souffrances infinies. Cela suppose que, du côté israélien, on ait le courage politique et historique de reconnaître et d'admettre qu'un Etat-nation palestinien devra un jour exister. Cela suppose également que du côté palestinien, en particulier dans sa fraction djihadiste, l'on mette un terme définitif à un délire se traduisant par le désir de supprimer Israël du monde.

Dans la situation guerrière permanente et confuse dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, avec un gouvernement israélien qui n'a jamais été aussi à droite et qui entreprend un périlleux coup d'Etat contre le système judiciaire de son pays et du côté palestinien, une autorité vide de sens et de contenu, avec une corruption endémique et des leaders vieillissants coupés des souffrances de leur peuple, il faut éviter les provocations inutiles. Le Hamas, galvanisé et encouragé par l'Iran, encourage à ce que des attentats et des attaques visent des civils. Dernièrement trois fratries de jeunes israéliens ont été assassinés dans des conditions tragiques. Du côté israélien, les images terribles de la police entrant à l'intérieur de la mosquée Al-Aqsa, pour y déloger par la force des Palestiniens constituent non seulement une flagrante erreur politique mais aussi une inadmissible provocation.

Une logique de déshumanisation

Mais, quels que puissent être aujourd'hui entre les uns et les autres, les tensions, les agressions, les attentats et les représailles qui s'ensuivent, rien ne justifie, en aucune manière, qu'à Berlin, dans le quartier de Neukölln, ce samedi 9 avril, des centaines de personnes déchaînées supposées être des «inconditionnelles» de la cause palestinienne hurlent (c'est le mot) «mort aux juifs». Que l'on ne se méprenne pas. «Mort aux Arabes» ou «morts aux juifs», la logique fondamentale est exactement la même : déshumaniser l'autre ; le réduire à une chose, le déposséder de tout sentiment humain.

Qu'à Berlin, en 2023, l'on puisse entendre de nouveau ces cris de haine est proprement effrayant. Car ces hurlements résonnent dans un pays qui a pensé et appliqué l'extermination des juifs.

Est-il besoin de rappeler que l'escalade de la violence entre Israël et les Palestiniens a provoqué plusieurs manifestations en Allemagne, au cours de ces derniers mois ? Des manifestants ont crié des slogans antisémites, brûlé des drapeaux israéliens et endommagé l'entrée d'une synagogue par des jets de pierres.

Le 27 janvier 2018, journée de la mémoire de l'Holocauste, Angela Merkel dénonçait la résurgence de l'antisémitisme en Allemagne. «Il est inconcevable, avait-elle dit, et (cela) constitue une honte, de voir qu'aucun établissement juif ne peut exister sans protection policière, qu'il s'agisse d'une école, d'un jardin d'enfants ou d'une synagogue.» Au même moment, le président du Conseil central des Juifs en Allemagne (ZDK), Josef Schuster, avait conseillé aux Juifs de ne pas porter la kippa dans les grandes villes. Puis, le 13 avril, Angela Merkel avait dénoncé à la télévision israélienne l'émergence d'une «autre forme d'antisémitisme»parmi des réfugiés d'origine arabe dans le pays. Ces propos avaient été tenus alors qu'une attaque antisémite présumée avait lieu à Berlin. Un jeune homme portant une kippa avait été agressé et frappé à coups de ceinture en pleine rue par un groupe de jeunes. Selon la presse allemande, l'agresseur présumé est un réfugié syrien ayant vécu dans un centre pour migrants près de Berlin. L'émotion fut si grande que ce 25 avril 2018, des milliers d'Allemands ont porté la kippa et participé à des rassemblements organisés dans toute l'Allemagne en soutien à la communauté juive. Les manifestants portaient un autocollant où il était écrit «Ich bin Jude» («je suis juif»).

Combattre l'antisémitisme partout où il se trouve

Déjà le 6 mai 2002 le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung par la voix de son journaliste Salomon Korn rappelait à tous une question à la fois ancienne et dramatique : «Au regard de l'antisémitisme qui existe en Allemagne et en Europe et que le conflit au Proche-Orient rend encore plus éclatant, les Juifs vivant en Allemagne se voient de nouveau confrontés à cette vieille question qui pèse sur leur tête comme une épée de Damoclès, à savoir "Avons-nous bien fait de rester en Allemagne ?"»

Alors ? Aujourd'hui et plus que jamais, les auteurs de cet article appellent à la vigilance, bien sûr. Mais aussi (et peut-être surtout), à tout mettre en oeuvre pour que cesse ce conflit de maintenant soixante-dix-huit ans.

L'antisémitisme procède de tous les amalgames et s'importe facilement dans nos pays. Nous ne saurions l'accepter, encore moins nous taire. Et s'il faut espérer en une résolution du conflit, il faut, dans le même effort, combattre l'antisémitisme, partout où il se trouve et se donne libre cours. Pour que plus jamais nous n'entendions «mort aux juifs» ou «mort aux Arabes».

Marc Knobel est l'auteur de Cyberhaine. Propagande et antisémitisme sur Internet, éditions Hermann, 2021.Smaïn Laacher est l'auteur de Juger la terreur. Le procès des attentats de janvier 2015, éditions de l'aube, 2022.

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