Qui es-tu ?
— Hé bien, alors ? Vas-tu enfin m’expliquer qui tu es ?
— Qui je suis ?
— Oui, c’est ça ! Qui es-tu, toi qui te présente toujours comme un vendeur de bougies ? Quelle que soit l’histoire, le conte, la légende ou le drame, c’est ainsi que tu t’es présenté. Et c’est toi qui, toujours, étais à l’origine du chaos venu les emporter.
— Ne me fais pas rire. C’est bien dans ta tête, pourtant, que tout s’est tramé, pas vrai ?
— Quoi ?
— Ce n’est pas moi qui t’ai forcé à vivre les travers d’une jeune enfant vendeuse d’allumettes, ni même les caprices d’une princesse pourrie gâtée, que je sache ? Je ne t’ai pas non plus poussé à suivre l’arrogance d’un garçon en quête d’admiration, ni celui qui, acculé par les autres, cherchait la perfection ?
— Certes, mais c’est toi qui, à chaque fois, a déclenché l’histoire ! C’est toi qui as offert aux personnages un objet, ou une indication, qui les a irrémédiablement menés à leur perte !
— Evidemment, puisque sinon, il n’y aurait pas eu de nouvelle histoire.
— Ainsi donc, tu reconnais ta responsabilité ! Mais alors, vas-tu enfin nous expliquer, bon sang, qui tu es ?
— Qui je suis ? Quelle question idiote. La vraie question, c’est qui tu es, toi ?
— Comment ça, moi ? Quel intérêt ?
— Tu veux vraiment savoir qui je suis ? Je vais te donner un début de réponse. Je ne suis pas un simple personnage qui prend part aux actions. Je suis plutôt le reflet de quelque chose d’autre.
— Un reflet ?
— Exactement. Je suis l’incarnation de celui qui, en premier, a imaginé ces histoires dans sa tête. C’est lui qui décide de les tourmenter et de leur manière d’exister. Je suis leur Destin, ou leur Univers, ou, tout simplement, l’Auteur.
— C’est donc cela ? L’auteur s’incarnant dans ses histoires pour les déclencher, c’est vraiment toi, vendeur de bougies ? Mais pourquoi toujours revêtir cet étrange costume ?
— Parce que c’est ce que je suis, un modeste vendeur de bougies. Car ces histoires que tu as lues, toutes, sont mes bougies. C’est moi qui les ai façonnées, et c’est toi qui les allumes, à chaque fois que tu les lis.
— C’est un peu tiré par les cheveux, si je puis me permettre…
— Pas tant que cela. Après tout, il existe bien des histoires qu’on invente, mais que personne ne lit jamais, n’ai-je pas raison ?
— Je suppose que c’est vrai…
— Et, dans ce cas, peut-on dire que les personnages de ces histoires peuvent prendre vie, s’il n’y a personne pour les lire ? Non. Elles existent un court temps, puis disparaissent dans les limbes. En posant mes mots sur le papier, et en les proposant, je leur permets de prendre forme dans la tête des lecteurs. Ces bougies de leur existence s’allument alors, et l’univers s’inscrit, dans vos têtes. Et par conséquent, je ne suis pas seul responsable des tourments des personnages.
— Comment ça ? Mais bien sûr que si !
— Seulement en partie. Après tout, n’est-ce pas dans vos têtes que les personnages ont pris vie ? N’est-ce pas en acceptant mes bougies tendues que vous les avez allumées, en lisant les histoires ? C’est vous qui, à jamais, faites se répéter des tourments qui auraient pu, comme bien d’autres, cesser d’exister.
— Mais c’est toi qui nous les propose !
— Et vous les prenez, même après une première fois. Vous savez qu’au final, ces personnages dont j’ai tissé la vie vont vivre des tourments. Mais vous aimez ça. Vous aimez les voir souffrir, se faire punir là où ils ont péché, ou se voir corrompre par des forces obscures. Sinon, vous ne prendriez pas ces bougies que je vous tends.
— Comment oses-tu rejeter la faute sur nous ! Nous sommes juste curieux, et nous apprécions lire des histoires ! Nous ne sommes en rien responsables si tu écris des choses horribles pour ces personnages ! Et d’ailleurs, tu parles d’eux comme s’ils étaient des êtres de chair et de sang, mais ils n’existent pas !
— Et donc, dis-moi, qui es-tu, toi ?
— Comment ça ? Mais je suis juste un lecteur parmi d’autres !
— Je ne te parle pas à toi. Mais à lui, là, derrière son écran !
— …
— Hé bien ? Tu n’avais pas envisagé être comme eux ? Cette conscience va-t-elle pour autant t’empêcher d’exister ? Je crois que non, mais le contraire était ton point de vue, je crois, non ?
— Pourquoi… Pourquoi nous fais-tu ça … ?
— Je l’ai dit, je façonne des bougies, et d’autres les allument. Je ne fais qu’une partie d’une collaboration insoupçonnée de la création. Pour exister, une œuvre a besoin d’un auteur, mais aussi d’un publique. Mais, dites-moi. Au final, vous ne m’avez toujours pas répondu ? Celui là semblait être sûr de lui il y a peu, mais toi, désormais, qu’en penses-tu ?
Qui es-tu ?