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Jul 23rd, 2019
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  1. Les jardins du prestigieux palais Sursock en guise de salle de réception. Deux anciens chefs du gouvernement et une flopée d’ex-ministres parmi les invités. Et une cérémonie pleine de solennité et d’émotion. Les noces d’Abdallah Salam et de Marie-Joe Abi-Nassif, samedi 15 juin, dans le quartier huppé d’Achrafieh, à Beyrouth, auraient pu ressembler au mariage de n’importe quel jeune couple issu de la haute société libanaise.
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  3. A un détail près : les deux trentenaires, avocats au barreau de New York, n’ont scellé leur union ni dans une église (elle est chrétienne maronite) ni auprès d’un imam (lui est musulman sunnite). C’est devant un notaire, dans le cadre d’un contrat de droit civil, qu’ils se sont juré fidélité et assistance. Une rareté au pays du Cèdre. Les affaires familiales – mariage, divorce, garde des enfants et héritage – y sont traditionnellement régies par la loi religieuse. Ou plus précisément, par le code de chacune des dix-huit confessions qui forment la mosaïque communautaire libanaise.
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  5. L’initiative des deux tourtereaux est un défi pour la ministre de l’intérieur, Raya El-Hassan, membre du Courant du futur, la formation à dominante sunnite du premier ministre, Saad Hariri. Cette quinquagénaire au credo libéral, première femme à accéder à un tel poste dans le monde arabe, va devoir trancher : soit ordonner à ses services d’enregistrer le contrat d’Abdallah et Marie-Joe et s’exposer alors aux foudres des autorités religieuses ; soit leur enjoindre d’y faire obstruction et prendre le risque de ternir son aura de ministre éclairée.
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  7. « C’est un test pour le gouvernement », explique Abdallah, héritier d’une fameuse lignée politique qui compte parmi ses rangs deux anciens premiers ministres.
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  9. « On aurait pu aller se marier à Chypre, comme le font chaque année des milliers de nos compatriotes qui rejettent le mariage religieux. Notre union aurait alors été enregistrée en dix minutes, mais nous avons la volonté de bâtir un Etat de droit, basé sur une identité commune, détachée de l’appartenance confessionnelle. »
  10. Mariage civil facultatif
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  12. Pour ce faire, le couple s’est infiltré dans une faille du corpus législatif libanais : un texte de 1936, legs des autorités mandataires françaises, stipulant que les Libanais ne relevant d’aucune confession dépendent du droit civil pour toutes les questions relatives au statut personnel. Cette disposition a été ranimée par une circulaire de 2009, signée du ministre de l’intérieur de l’époque, Ziad Baroud, autorisant les citoyens à faire rayer, s’ils le désiraient, leur religion du registre d’état civil.
  13. Lire aussi A bout de souffle, le Liban se dote d’un nouveau gouvernement
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  15. A la place de « sunnite » et « maronite », respectivement, Abdallah et Marie-Joe ont fait mentionner « non déclaré ». Avant eux, en 2012-2013, treize couples avaient usé de ce stratagème pour obtenir la reconnaissance de leur union civile, contractée sur le territoire libanais. Mais le remplacement, en 2014, du successeur bienveillant de M. Baroud, Marwan Charbel (en poste de 2011 à 2013), par un cacique du Courant du futur, Nohad Machnouk, avait mis un terme à la manœuvre. La cinquantaine d’autres mariages non religieux, soumis depuis cette date à l’administration, ont tous été retoqués.
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  17. Le mufti de la république, Abdellatif Deriane, a fustigé une initiative qui « menace la cohésion familiale »
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  19. L’entrée en fonction, en janvier, d’un nouveau gouvernement et donc d’un nouveau ministre de l’intérieur a convaincu Abdallah et Marie-Joe de l’opportunité de relancer la machine. D’autant qu’en février Raya El-Hassan s’était dite personnellement favorable à l’élaboration d’un « cadre » instaurant un mariage civil facultatif. « Je vais essayer d’ouvrir une porte pour un dialogue sérieux et profond sur ce sujet », avait prudemment souligné la ministre.
  20. Le couple s’est appuyé sur un texte législatif datant de 1936, plutôt que sur l’un des codes religieux de l’une des 18 confessions que compte le Liban.
  21. Le couple s’est appuyé sur un texte législatif datant de 1936, plutôt que sur l’un des codes religieux de l’une des 18 confessions que compte le Liban. UFUK SARISEN PHOTOGRAPHY
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  23. L’Eglise maronite et le clergé sunnite, les institutions les plus rétives à cette évolution, ont aussitôt protesté. Le mufti de la république, Abdellatif Deriane, a fustigé une initiative qui « menace la cohésion familiale ». Du côté chrétien, le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, a estimé qu’« une personne chrétienne ne peut pas se marier civilement, parce qu’elle sera en état de péché ». Il a conditionné son ralliement à ce projet à l’adoption d’une « loi civile unique, qui s’imposerait à tous », perspective encore moins probable que la création d’un contrat civil optionnel.
  24. Article réservé à nos abonnés Lire aussi Mort du cardinal Sfeir, ancien chef de l’Eglise maronite et artisan de la lutte contre l’occupation syrienne du Liban
  25. De lucratives rentrées d’argent
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  27. Les autorités religieuses sont d’autant moins tentées de renoncer à leur monopole sur les affaires familiales que cette position leur garantit de lucratives rentrées d’argent. « Raya a de bonnes intentions, mais le problème va bien au-delà d’elle, fait remarquer M. Baroud, l’ancien ministre de l’intérieur. Moi, en tant qu’indépendant, je pouvais faire à peu près ce que je voulais. Mais elle, elle est dépendante des calculs de son parti. »
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  29. Compte tenu des mauvais résultats qu’il a enregistrés aux législatives de 2018, le Courant du futur n’a guère intérêt à provoquer sa base, conservatrice sur les questions de société. Saad Hariri, chef d’une coalition très fragile, confrontée à d’énormes chantiers sur le plan économique, ne semble pas désireux d’ouvrir un nouveau front, même si, à titre personnel, il est lui aussi favorable au mariage civil. La poursuite du statu quo est donc le scénario le plus probable.
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  31. « Si le ministère de l’intérieur n’enregistre pas notre mariage, alors on portera plainte contre lui », Abdallah Salam, avocat
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  33. « A quoi cela me sert qu’une femme tienne le portefeuille de l’intérieur si elle n’arrive pas à avancer sur un dossier intimement lié à l’égalité entre les sexes, s’insurge Marie-Joe, qui a suspendu sa carrière d’avocate pour s’adonner à sa passion, l’art lyrique. Les lois confessionnelles défavorisent les femmes au sein de la famille, notamment pour ce qui est de la garde des enfants. La politique de l’autruche du ministère de l’intérieur ne peut pas durer plus longtemps. »
  34. Lire aussi Au Liban, une femme à la tête du ministère de l’intérieur
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  36. Les jeunes mariés espèrent que, comme en 2012-2013, leur initiative aura un effet boule de neige. Ils ont déjà été contactés par plusieurs couples désireux de leur emboîter le pas. Leur notaire a aussi reçu de multiples appels téléphoniques en ce sens. : « Si le ministère de l’intérieur n’enregistre pas notre mariage, prévient Abdallah Salam, alors on portera plainte contre lui. »
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