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Dec 18th, 2018
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  1. La petite fille aux allumettes et le vendeur de bougies
  2.  
  3. Il faisait froid, effroyablement froid, ce jour-là, en Cobaltique. Il neigeait depuis tôt le matin et le ciel ne cessait de s’assombrir tandis que la nuit approchait. En cet hiver en Cobaltique, il ne faisait pas bon sortir de chez soi. La plèbe, pourtant, n’avait pas vraiment d’autres choix. Il fallait bien travailler pour gagner son pain. Il fallait bien braver le froid pour réchauffer son intérieur de quelques bûches. Il fallait bien souffrir pour survivre.
  4. Cette dure et cruelle réalité, cependant, n’était effective que pour le bas peuple, la main d’œuvre. Réfugiés dans leurs châteaux ou autre manoirs, les nobles et les riches restaient bien à l’abri des fardeaux de l’hiver. Entre leurs murs de pierre, réchauffés par les feux de cheminée dont les combustibles avaient été ramassés par leurs employés et esclaves, ils festoyaient et mangeaient en bonne compagnie, leurs amis aussi favorisés qu’eux par la naissance ou le succès. Ils étaient en bonne santé. Ils étaient au chaud. Ils étaient puissants. Ils étaient bien loin de ne serait-ce qu’imaginer la pénible vie quotidienne de ces hommes et de ces femmes qui partageait leur pays et leur époque.
  5. Au milieu de ces personnes, dans un petit village sous la tutelle d’un Seigneur qui ne s’en rappelait l’existence qu’au jour de collecter les taxes, vivait une jeune fillette. Elle n’avait jamais été éduquée, ce qui n’était pas étonnant à cette époque où les Prieuré étaient encore rares. D’aussi loin qu’elle s’en souvenait, elle avait toujours vécu avec son père et sa vieille grand-mère. Si cette dernière était la seule personne à lui avoir apporté un peu de bonheur en ce monde, son paternel, lui, n’avait eu de cesse de lui faire prendre conscience de leur condition pitoyable. Il la battait, l’exploitait au travail et la punissait pour tout et surtout pour rien. Son petit corps déjà frêle était couvert de bleus et de plaies. Elle était maigre, car son père ne lui donnait jamais que les restes. Bref, la petite n’était qu’un exemple de la banalité de l’époque.
  6. Quelques mois plus tôt, sa vie avait basculé, mais en gardant ce même cap qu’elle avait toujours suivi. La maladie, cruelle conséquence de leur hygiène de vie, avait emporté sa grand-mère. C’est à ce moment que la petite fille comprit que son père avait bien un cœur caché sous ses airs de tortionnaire. Car la perte de la vieille dame suscita en lui un acharnement encore plus conséquent sur sa progéniture, comme un moyen de se débarrasser de tous ces sentiments désagréables qui le tenaillaient désormais. Si la petite n’avait pas encore vu l’Enfer jusqu’alors, c’était désormais chose faite.
  7. Les punitions et les violences faisaient parties de son quotidien plus que jamais. Elle passait de travaux en travaux, sans s’arrêter, du matin au soir, pour ramener à la maison quelques sous ou une maigre pitance. Et une fois le seuil de leur porte brinquebalante passée, elle était cognée par l’homme. Jamais un merci, jamais un remerciement. Des coups, et toujours des coups.
  8. Aujourd’hui, la petite fille traversait les rues du village en priant les passants de lui acheter une allumette. C’était la nouvelle idée de son tortionnaire. Il était persuadé qu’elle parviendrait à se faire quelques pièces qu’il pourrait ainsi dépenser une fois qu’elle se serait endormie sous la fatigue et la douleur. Mais hélas, il s’était trompé. Du matin au soir, creusant presque un chemin dans la neige par son trajet répétitif, elle ne vendit pas une seule petite allumette.
  9. Comme la nuit approchait à grands pas, la petite commençait à être de plus en plus effrayée. Que dirait-il si elle revenait bredouille ? Sa rage serait-elle capable de la tuer ? La laisserait-il seulement rentrer sous leur toit délabré ? Par ce froid, elle se voyait mal survivre à une nuit au dehors. Déjà en ce moment, elle sentait ses membres engourdis comme jamais, et son nez coulait sans cesse. Par moment, elle avait si froid dans ses vêtements sales et troués qu’elle grelottait à ne pouvoir rien faire d’autre. Puis elle se remettait en marche, clamant la pitié des passants. Mais ceux-ci n’avait que faire d’elle…
  10. Finalement, exténuée par sa journée, elle tomba de fatigue au sol. Elle se releva péniblement et se traina jusqu’au mur d’un taudis proche contre lequel elle s’assit. Malgré les nuages qui n’avaient de cesse de couvrir la Cobaltique de sa pellicule blanche comme les os, elle pouvait voir la Lune qui commençait à monter dans le ciel pour l’illuminer. Et elle repensa à ce qui l’attendait, angoissée à l’idée d’être confrontée à son père après cet échec.
  11. Transie de froid, frissonnant et grelotant, de petites larmes coulaient sur ses joues. De ses petites menottes tremblotantes, elle prit la boite d’allumettes qu’elle n’avait eu de cesse de présenter aux villageois. Peut-être… peut-être pouvait-elle s’en servir pour se réchauffer, rien qu’un peu ? Son père ne verrait peut-être même pas l’absence d’une allumette… Après moult hésitations, elle se décida à la frotter.
  12. Elle dut s’y prendre à trois fois, mais quelle merveille apparut enfin ! Une petite flamme, merveilleuse, ensorcelante, radieuse ! Cependant le plus extraordinaire était encore le grand feu de bois qui était apparu presqu’en même temps devant elle. Aussi ardent qu’un bucher, il emplit les alentours d’une chaleur agréable et salvatrice, faisant fondre la neige alentours.
  13. N’y croyant pas ses mirettes, la petite fille se releva et, dans un mouvement malheureux, éteignit sa précieuse allumette. Aussitôt, la fournaise disparut. Il ne restait de son existence que les traces de la neige fondue. Croyant comprendre ce qui venait d’arriver, la jeune fille fixa son allumette en respirant très fort. Puis elle en attrapa une nouvelle dans son paquet.
  14. - Pardonne-moi, petit fille, mais tu me sembles avoir vécu une vie tragique… je me trompe ?
  15. La petite fille sursauta et se retourna. Elle qui s’était crue seule dans la nuit glacée faisait désormais face à un homme qui lui souriait. Il était grand et portait une vieille toge rapiécée et mal entretenue, comme un de ces Cultistes qui s’était décidé à vivre avec les plus pauvres. Il portait au dos un grand sac, dans lequel elle aurait pu aisément se glisser. S’il exposait toutes ses dents aussi blanches que la neige tombante dans un sourire insistant, ses yeux étaient cachés par le vieux chapeau melon trop grand pour sa tête et dont s’échappaient de longs cheveux tout aussi blancs. L’enfant resta d’abord incrédule puis déglutit. Avait-il vu ce qu’elle avait fait apparaitre ?
  16. - Hé bien, tu étais sur le point de faire un vœu, je crois ? poursuivit-il. Mais avant qu’il ne se réalise que pour un temps limité, éphémère espoir dans la faible flammèche, me permettras-tu de te proposer un humble cadeau ?
  17. L’enfant cligna des yeux. Un cadeau ? Elle n’avait jamais entendu ce mot auparavant. Elle ne savait pas de quoi il s’agissait. Méfiante, elle fit un pas en arrière tandis qu’il plongeait une main dans son dos pour fouiller dans son sac. Puis il lui présenta son présent.
  18. - Je suis un vendeur de bougies, expliqua-t-il. Et je suis persuadé que ma marchandise est exactement ce dont tu as besoin ! En l’allumant, te rêves ne cesseront que lorsque toi, ou quelqu’un d’autre, décidera d’éteindre la flamme qui t’anime. Ils ne se briseront pas simplement sous l’effet du vent ou d’un geste inconscient. Ils perdureront.
  19. Il tendait vers elle trois grandes bougies d’un air insistant. L’enfant hésita, toujours grelotant. Puis elle s’avança et attrapa une première bougie qu’elle observa avec un étrange sentiment. Pour la première fois, l’espoir animait son esprit. Voyant la flamme qui animait son cœur regagner en vivacité, le vendeur de bougie accentua son sourire. Il déposa par terre, dans la neige, les deux autres bougies.
  20. - Je ne te demanderai aucun payement, dit-il en lui tournant ensuite le dos. Je suis de bonne humeur aujourd’hui. C’est une belle journée d’hiver.
  21. La petite fille releva le visage des bougies, souhaitant dire ces mots de remerciements qu’elle n’avait jamais entendus que de la bouche de feu sa grand-mère. Mais le temps qu’elle regarde vers lui, il avait déjà disparu, et ses traces de pas dans la neige s’arrêtaient brusquement.
  22. La petite resta interdite. Etait-ce une hallucination de son cerveau mourant ? Mais quand elle baissa la tête, les deux bougies étaient encore là, tout comme celle qu’elle tenait en main. Elle déglutit et s’agenouilla. Puis, attrapant de nouveau son allumette, elle réfléchit d’abord à ce qu’elle souhaitait. Puis elle la gratta.
  23. Aussitôt, elle se retrouva à l’intérieur d’une vaste pièce, avec une grande table, comme celles des nobles Seigneurs. Autour d’elle, d’épais murs de pierre se dressaient et, pas loin, un beau feu de cheminée dansait avec frénésie. Repensant aux paroles de l’apparition mystérieuse, elle alluma la première bougie de son allumette. Elle observa la flamme sur le cordon. Elle était aussi petite et fragile que si elle était restée sur le morceau de bois, mais elle était aussi plus simple à manipuler. Et puis, si elle la mettait en sécurité, elle pourrait perdurer longtemps ainsi. Elle prit la bougie en main et sourit. Elle décida de la déposer au-dessus de l’âtre de la cheminée.
  24. Elle décida ensuite de faire le tour de sa demeure. Le château était grand, très grand. Aussi gigantesque qu’elle n’ait pu l’imaginer dans ses rêves les plus fous. De ses fenêtres, elle pouvait voir le petit village dont elle venait. Son palace était de loin la plus belle propriété des alentours, peut-être même plus que celui de leur Seigneur.
  25. Surexcitée de se sentir à l’abri et au chaud, elle voyagea à travers les couloirs, découvrant des chambres à n’en plus finir, et des pièces qu’elle pourrait utiliser à son aise. Mais à courir ainsi, elle se sentit vite fatiguée. Pire, la faim commençait à la tirailler. Elle n’avait plus mangé depuis la veille. Elle retourna donc dans la première salle et attrapa sa boite d’allumettes.
  26. Elle en craqua donc une troisième. Aussitôt, sur sa table, apparut une grande corne dont sortaient milles plats et mets. La petite écarquilla des yeux et faillit en oublier la fragilité de sa flamme. Mais avant de commettre l’impair, elle se détourna du festin qui l’attendait, et alluma la seconde bougie.
  27. Une fois celle-ci en sécurité près de la première, elle se précipita à sa table. Jamais elle n’avait mangé autant que ce jour-là. Pour la première fois de sa vie, elle se sentait repue. Il y avait des aliments qu’elle n’avait alors jamais goûtés, et certains même dont elle ignorait l’existence. Au fur et à mesure qu’elle se servait dans la Corne, de nouvelles victuailles en sortaient et débordaient. Elle avait là une source de nourriture infinie.
  28. Quand elle ne put plus rien avaler, elle s’appuya bien fort contre sa chaise, aux anges. Elle se sentait si bien, en ce moment ! Mais un appel venant du dehors la ramena soudain à la réalité.
  29. Elle aurait reconnu cette voix rauque et colérique entre toutes. C’était son père. Soudain angoissée et effrayée, elle faillit tomber de sa chaise. Elle s’approcha de ses fenêtres. Devant la grande porte de son château, il était là, levant le poing au ciel. Il lui criait après, lui exigeant de lui ouvrir.
  30. L’enfant se précipita vers le couloir d’entrée, prise de panique, avant de s’arrêter subitement devant le portique qui la séparait de son tortionnaire. Si elle lui ouvrait, que ferait-il ? N’allait-il pas à nouveau la battre, comme à son habitude ? Lui crierait-il dessus ? Et dans sa colère, ne risquait-il pas d’éteindre les bougies ?
  31. Aussi, pour la première fois de sa vie, la petite fille décida de ne pas obéir à son père. Même si ses cris devenaient de plus en plus insistants au fur et à mesure. Même s’il élevait la voix. Même s’il la menaçait. Même si, après un moment sans réponse, il commença à sangloter et à lui demander pardon. La jeune fille resta impassible et résista à ses pleurs, comme il l’avait toujours fait pour elle. Et, finalement, après un long moment, les cris cessèrent. Elle courut jusqu’à une fenêtre pour le voir partir, tête baissée, jusqu’à sa propre et misérable bâtisse.
  32. Ne sachant si elle avait bien fait de tourner le dos à sa seule famille, la petite fille décida d’aller se coucher. Elle trouva une grande chambre, avec un bon lit douillet et confortable puis s’y installa. Elle n’avait pas l’habitude d’un tel confort. Pourtant, elle n’arriva pas à fermer l’œil.
  33. Toute sa journée lui repassait dans la tête. Elle se mit soudain à pleurnicher. Maintenant qu’elle avait tourné le dos à son père, elle était seule. Elle l’avait toujours été, mais la présence physique du tortionnaire laissait tout de même un bien étrange vide. Finalement, au bout d’un long moment, elle quitta sa couche et courut dans la grande salle. Et là-bas, elle craqua une dernière allumette.
  34. La seule chose qu’elle avait souhaité était apparue, aussi soudainement que le Vendeur de Bougies. Sa grand-mère se tenait devant elle, lui souriant paisiblement. La petite se pressa d’allumer l’ultime bougie et se précipita vers elle pour la serrer contre son petit torse. Mais elle lui passa littéralement au travers. La vieille dame n’était pas un être de chair et de sang. On ne pouvait faire revenir quelqu’un à la vie. La petite paniqua d’abord, mais le fantôme lui sourit tendrement et lui proposa de l’accompagner jusqu’à sa chambrée.
  35. Là-bas, la vieille dame la borda. Si elle était incapable de toucher sa petite fille, car elles n’appartenaient plus au même monde, il en était autrement des objets. Elle ne pouvait pas parler non plus. Mais sa simple présence était ce qui manquait à la jeune fille. Désormais, l’Eydolon serait toujours là pour veiller sur elle, et ce, à jamais.
  36. Cette histoire contée aujourd’hui dans tous les Continents s’arrête souvent ici. C’est ainsi que le clament les optimistes et les personnes naïves qui pensent que le bonheur triomphe parfois. Mais laissez-moi vous raconter ce que la plupart des bardes et des ménestrels font exprès d’omettre, pour préserver, soi-disant, les jeunes enfants d’une vérité plus cruelle. Ne saviez-vous pas que Blanche-Neige tuait sa Belle-mère dans la plus horrible des souffrances, et que les belles-sœurs de Cendrillon avaient eu les yeux percés par ses amis oiseaux ? Si, toutefois, vous l’acceptez, alors veuillez tourner la page… Mais soyez bien conscients que, de retour en arrière, il ne sera dès lors plus question !
  37. Les jours passèrent et la petite fille vécut heureuse avec sa grand-mère comme seule compagnie. Mais l’apparition d’une si grande demeure ne pouvait passer inaperçue très longtemps. D’abord un peu effrayés, les villageois se faisaient de plus en plus nombreux à se risquer sur ses terres. La petite fille, les connaissant tous de vue, reconnut ceux qui, comme elle, souffraient le plus du froid et de la pauvreté. Elle s’enquit d’offrir des vivres à ces pauvres âmes. Sa source n’était-elle pas inépuisable, de toute manière ? Puis elle offrit aussi le logis aux personnes les plus désespérées venues réclamer la charité. Il faisait froid, dehors, et n’avait-elle pas moult chambre à offrir ? Son père, néanmoins, ne réessaya jamais de revenir.
  38. Puis, un jour arriva où un hôte de la jeune fille, ayant appris un peu plus sur l’origine du château, décida de se l’approprier. Pour se faire, il attendit que la petite fille s’endorme, et tenta de voler les bougies qui se trouvaient sur l’âtre de la cheminée. Mal lui en prit, car la grand-mère veillait au grain ! Si elle ne pouvait le toucher directement, elle pouvait tout de même passer par l’intermédiaire d’objet, une dague à tout hasard. L’homme fut retrouvé le lendemain, poignardé. Et son fantôme dut jurer fidélité à la petite fille. Car tel était le sort de la petite fille. Toute personne qui venait à mourir ici rejoindrait ses rangs pour le meilleur comme pour le pire.
  39. L’histoire se répéta, se répéta, et se répéta encore des années durant. L’homme n’est-il pas naturellement jaloux de tout pouvoir qu’il ne peut avoir ? Au fil des années, c’est ainsi une petite armée de spectres que la jeune enfant s’était constituée.
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  41. Mais cette petite fille n’en était maintenant plus une. C’était devenu une jeune femme, bien plus imposante, à force d’être nourrie par la Corne d’abondance. Mais ce n’était que le plus petit changement.
  42. Ayant appris qu’une personne avait osé construire sur ses terres une bâtisse plus belle que la sienne, le Seigneur des lieux vint lui-même prendre connaissance de la situation. Il apprit de la bouche des habitants du village que cette femme diabolique osait percevoir une taxe supplémentaire à la sienne sur ses gens, ce dont le Noble n’avait en réalité que faire. Cependant, il se rendit sur place et exigea d’entrer dans le palace.
  43. On lui ouvrit les portes et il pénétra dans ce qu’il semblait n’être qu’un lieu désert à première vue. Dans la salle à manger, sur la table à laquelle trônait la Corne d’abondance, la jeune femme grasse lui proposa de manger un morceau à sa tablée. Il accepta, et entama ce pour quoi il était là. Il était prêt à lui vendre le terrain sur lequel elle s’était installée sans rien demander, mais à prix d’or, évidemment.
  44. Aussitôt, une multitude de spectres, les fantômes de ces jaloux qui étaient passés à la même table pendant des années, apparut, et la femme éclata de rire. Il n’avait rien à lui réclamé. Sous la menace, elle l’obligea à sortir.
  45. C’est la queue entre les jambes que le Seigneur s’enfuit bien vite chez lui. On en entendit plus parler pendant quelques mois, au terme desquels il se présenta à nouveau. Mais il n’était plus seul, puisqu’il avait amené avec lui des armes de siège et l’aide de quelques alliés. Ensemble, les Seigneurs tentèrent de prendre le Château de la jeune femme.
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  47. Sans succès. Ce fut une pitoyable défaite, la première d’une longue série. Ils avaient beau s’allier entre eux, aucun Seigneur ne parvint jamais à prendre le Château majestueux. Pire encore, en guise de représailles, les soldats morts au cours des combats revenaient hanter les demeures de leurs anciens maitres, qui finirent par fuir leurs propres terres.
  48. L’influence de ce que les gens appelaient désormais la Reine des fantômes se fit de plus en plus grande au cours des années. Sans jamais quitter son antre de pierre, elle commençait à manipuler l’échiquier politique à sa manière. Elle était en train de devenir la personne la plus puissante du Continent.
  49. Un jour d’hiver qu’il faisait particulièrement froid, on frappa à sa porte. C’était un petit garçon, vêtu de haillons, qui lui demandait pitié. Il réclamait de passer la nuit sous son toit, et un reste de nourriture. Mais la dame, grande et grasse, ricana avant de lui claquer la porte au nez.
  50. Cela faisait bien longtemps qu’elle n’offrait plus la charité. Premièrement parce qu’il tenterait de lui voler ses pouvoirs, et deuxième parce que, même s’il essayait, elle avait déjà bien trop d’Eydolon à son service ! Et puis, elle n’avait pas de temps à perdre avec un petit miséreux comme lui. Les petites gens, ces paysans, n’étaient que de la main d’œuvre, des êtres trop faibles pour s’en préoccuper ! Elle les exploitait depuis des années maintenant, sous la menace et la peur qu’elle inspirait, afin de se procurer des choses que son trésor ne pouvait lui fournir directement. Et puis, s’il voulait vraiment manger, il n’avait qu’à avaler de la neige ! Il était tout minuscule, alors qu’elle, avec ses formes imposantes, devait manger comme quatre, au point que la Corne peinait presque à lui suffire. Il n’était dès lors plus question de partager.
  51. Elle s’installa à sa table. Claquant des doigts, des spectres vinrent lui dresser une assiette et débouchonner une bouteille d’un bon vin importé. Elle ne leur adressa pas un regard. Cela faisait longtemps qu’elle avait oublié qui ils étaient. Même sa grand-mère n’était plus qu’un fantôme parmi les autres, forcée de lui obéir.
  52. Elle entama alors son repas, engloutissant des quantités monstrueuses de nourriture, prenant à peine le temps de mâcher. Plus, toujours plus, il lui en fallait plus, pour satisfaire son appétit ! Elle mangeait et mangeait encore! Elle passait son temps à dévorer ou à envoyer ses fantômes récolter les taxes et conquérir de nouvelles terres sous son emprise. Quand subitement, un os de poulet vint à se bloquer dans son œsophage.
  53. La grosse dame toussa d’abord puis se releva, paniquée, son teint devenant bleu, comme en pleine hypothermie, suffoquant de plus en plus. Ses fantômes, autour d’elle, la regardèrent sans bouger. Ils ne pouvaient pas la toucher, cela faisait partie de leur condition. Elle tomba à genoux, tirant sur la nappe de la table. Celle-ci entraina la Corne d’abondance dans sa chute, qui se brisa, répandant un peu de nourriture sur le sol de pierre.
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  55. Puis, alors que la grosse dame expirait, les centaines de revenants baissèrent la tête alors qu’ils disparaissaient, pour de bon cette fois, enfin libérés de leur malédiction. Dans un coup de vent venu de nulle part, les petites flammes des trois bougies s’éteignirent de concert. Au même moment, le toit du château commença à s’affaisser et le feu de cheminée, qui jamais n’avait faibli, disparut de lui-même.
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  57. Ainsi se termine cette pathétique histoire d’une pauvre petite fille, qui avait reçu un coup de main du destin, la propulsant au plus haut. Mais ayant ainsi quitté sa condition, elle était devenue comme ces Seigneurs qui n’ont cure des petits. Tout ce qui l’intéressait n’était que son propre pouvoir et son plaisir personnel, ainsi que l’expansion de ses terres. Sa grand-mère aimante l’aura appris à ses dépens.
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  59. Car la puissance est telle une maladie qui ronge votre humanité de l’intérieur. Plus vous aurez de pouvoir, moins la vie des autres vous intéressera, et plus votre propre existence sera importante. Vous aurez même envie de le clamer aux autres, aussi inférieurs soient-ils ! Être passé par la case du malheur ne change en rien cela. Pire, cela peut même l’exacerber. N’est-ce pas signe plus frappant encore du succès, une preuve supplémentaire de cette incroyable réussite ? Alors, si un jour, vous rencontriez un Vendeur de Bougies qui vous proposait son aide pour concrétiser vos rêves… réfléchissez-y peut-être à deux fois…
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