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De l’inculture historique d’Alain Soral (Said Chomsky, 2012)

Sep 28th, 2023
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  1. Saidchomsky
  2. De l’inculture historique d’Alain Soral
  3. 2012
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  5. Dans sa rédaction collégienne, Comprendre l’Empire, Alain Soral prétend nous donner d’innombrables leçons d’histoire. L’une, parmi tant d’autres, concerne l’usure au Moyen-Âge :
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  7. « Encore un pied dans les sociétés traditionnelles de la noblesse et du don, les sociétés à la fois marchandes, mais toujours religieuses – soit, par exemple, nos monarchies chrétiennes du Moyen-Âge – ont encore la conscience que le prestige social, pour que la société demeure à l’image de Dieu, doit venir de la noblesse d’attitude et d’âme. Ainsi interdisent-elles, pour raison religieuse, c’est-à-dire spirituelle et morale, le prêt à intérêt… Mais (…) l’Église, à la fois spirituelle et pratique, c’est-à-dire sociale, autorise ce prêt, mais à la marge. Elle confie donc cette pratique à la fois ignoble et nécessaire – tout à la fois sociale matériellement et antisociale spirituellement – à une caste maudite, maintenue hors de la société de Dieu, par qui circulera l’argent, mais à qui on se gardera bien, pour qu’elle ne vienne pas menacer, avec son accumulation de profit, l’ordre social fondé sur le prestige et la dépense, de lui octroyer aucun droit politique. Ainsi existera-t-il pendant quelques siècles, une société double, l’une officielle, prestigieuse et somptuaire, ayant le pouvoir par la noblesse et la terre, mais s’appuyant en douce sur une caste cachée, officieuse et maudite, accumulant progressivement dans l’humiliation la richesse de l’usure ; énorme moyen par ailleurs de corruption et de domination. » (pages 42-43)
  8.  
  9. Jacques Heers, lui, semble penser le contraire. Mais qui est Jacques Heers ? Un des plus grands médiévistes français, souvent invité sur Radio Courtoisie, éminemment respecté par Bernard Lugan. Donc à priori respectable aux yeux d’Alain Soral et de ses groupies. Que dit Jacques Heers ? Dans Le Moyen-Âge, une imposture (éditions Perrin, 2008), il écrit au chapitre L’usure et le temps des tabous :
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  11. « L’homme du Moyen-Âge vivait donc accablé d’une religiosité aveugle, de superstitions ridicules, qui lui interdisaient tout libre arbitre et coulaient la société dans un étroit carcan d’obligations et de tabous. Telle est l’idée communément admise et soutenue, depuis très longtemps, par toutes sortes d’ouvrages très sérieux. Preuve en serait, parmi tant d’autres, l’interdiction et la « condamnation » de l’usure, (…), le schéma pouvait s’inscrire d’une manière simpliste et les auteurs, plus soucieux d’énoncer des principes généraux que de cerner des réalités d’approche parfois difficile, en ont tiré les conclusions que l’on sait : l’Eglise défendait, personne n’osait et les bons chrétiens se sont donc, de bon gré, par conviction ou par peur des pénitences et même des feux de l’Enfer, abstenus de pratiquer les prêts d’argent et même toute pratique comptable ou scripturaire qui impliquait un profit de ce genre. (…) Seuls les Juifs, placés hors de cette loi commune, marginaux, étrangers, méprisés et détestés de ce fait, pouvaient se risquer à pratiquer l’usure (…) ». (pages 305-306)
  12.  
  13. Jacques Heers écrit son livre en 1992 et anticipe les fadaises d’Alain Soral d’une vingtaine d’années. Jacques Heers serait-il animé du même don de prescience dont Alain Soral se vante de vidéos en vidéos ? Evidemment, non ! Jacques Heers est lui un intellectuel sérieux. Que pense-t-il de cette thèse (le lecteur nous excusera de citer si longuement l’auteur mais chaque mot contredit si nettement les bêtises soraliennes qu’il nous était difficile d’en exclure un trop grand nombre) ?
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  15. « Ce fut la thèse soutenue, sans preuves à l’appui mais très satisfaisante pour l’esprit, par Werner Sombart, dans les années 1900-1930, thèse complètement démantelée depuis par des innombrables travaux, non de philosophes de l’Histoire mais de véritables chercheurs et, cependant, toujours à l’honneur, toujours inspiratrice de discours et de manuels. (…) Il y a tant à dire sur ces naïvetés que l’on ne sait par où commencer. Tout est faux et à reprendre à la simple lecture des documents, lecture qui, évidemment, ressort d’une autre démarche intellectuelle que la spéculation.
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  17. Quelques évidences tout d’abord : les rappels de l’interdiction de l’usure, rappels précis, circonstanciés, adaptés à chaque pratique, certes furent très fréquents, constamment renouvelés, édictés non seulement par l’Église elle-même à différents degrés de la hiérarchie, mais tout autant par le gouvernement princier ou municipal. Cependant, la multiplication des règlements et interdictions n’est, en aucun cas, que les hommes s’y pliaient et que ces pratiques du prêt n’avaient pas cours ; tout au contraire, c’est le signe de graves résistances et désobéissances, et donc de la permanence des pratiques usuraires. Une abondante production réglementaire montre clairement que les infractions demeuraient nombreuses et que les hommes tenaient peu compte des interdictions. » (pages 307-308)
  18.  
  19. « Tout historien des pratiques monétaires et financières dans les sociétés médiévales, tant urbaines que rurales, constate que le prêt à intérêt se pratiquait partout, par tous, sous différentes manières et parfois vraiment à petit prix. » (page 309)
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  21. Autres fadaises soraliennes réfutées par Jacques Heers :
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  23. « Les communautés juives n’étaient pas forcément exclues, nettement séparées, cantonnées dans une juiverie (le mot de ghetto n’apparaît que plus tard), dans un quartier fermé, en tous cas soigneusement isolé. (…) D’autre part, les Israélites n’étaient pas seulement prêteurs sur gages ; loin de là (…) Sur le plan des affaires, les prêteurs juifs ne se retranchaient pas de la bonne société chrétienne. Ils collaboraient souvent avec les financiers de la ville ou de simples bourgeois en quête de bons investissements (…) »
  24.  
  25. Arrêtons ici le massacre d’Alain Soral. Nous renvoyons, entre autres ouvrages de qualité sur la question, à celui de Jacques Heers, La naissance du capitalisme au Moyen-Âge. Changeurs, usuriers et grands financiers (éditions Perrin, 2012). Ridiculisé le Soral du XIXe siècle, aux analyses antisémites et obsolètes, non fondées. Ridiculisé Werner Sombart : rappelons que Bernard Lazare – souvent cité et honteusement récupéré par Soral – en son temps avait détruit les thèses de ce pseudo-économiste et sociologue.
  26.  
  27. Et cerise sur le gâteau, Alain Soral est désavoué par Michel Drac (qu’il dit trouver excellent) dans sa critique du livre de Jacques Heers :
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  29. « La preuve conclusive du fait que le Moyen Âge « noir » est une imposture, et que cette imposture traduit des stratégies de classe, réside enfin pour Jacques Heers dans le fait que l’on a reproché au Moyen Âge le refus de l’usure. Thèse absurde, qui voudrait que l’origine de la Réforme se trouvât dans la volonté de pouvoir pratiquer le prêt à intérêt… alors que dans la pratique, ce que Max Weber appela « l’éthique protestante » était déjà très largement pratiqué par les catholiques au Moyen Âge – le prêteur à intérêt se rachetant de ses fautes par ses dons et legs aux institutions charitables. Alors, encore, que l’origine du développement capitaliste, par le prêt à intérêt sur grande échelle, la commandite et la société anonyme, remonte à l’Italie du XII° siècle. Alors, toujours, que la première grande crise du capitalisme, liée à l’explosion d’une bulle spéculative, a lieu en Lombardie, au début du XIV° siècle, en plein Moyen Âge. » (web.archive.org/web/20120512000206/httt://www.scriptoblog.com/index.php?option=com_content&view=article&id=367:le-moyen-age-une-imposture-jacques-heers&catid=50:histoire&Itemid=55 remplacer le troisieme t de httt par un p)
  30.  
  31. Alain Soral KO vient de se faire savater. À quand un DVD ?
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