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Apr 13th, 2023
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  1. Lycéens en garde à vue au commissariat de Sevran : «Pas de pitié pour les noirs ici»
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  3. Six élèves, cinq mineurs et un majeur, ont été interpellés le 27 mars dernier devant leur lycée Blaise-Cendrars à Sevran, en marge d’un blocus contre la réforme des retraites. Trois d’entre eux, placés en garde à vue entre dix et quarante-huit heures, accusent les policiers d’insultes racistes et d’humiliations.
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  5. «J'ai peur, je veux appeler ma mère mais le policier me dit "Ferme ta gueule, ça sert à rien de pleurer, elle ne va pas venir".» Assise sur un banc dans un parc, Kaja (1), 16 ans, livre avec la plus grande précision le récit de son interpellation le 27 mars, en marge d'un rassemblement contre la réforme des retraites devant son lycée Blaise-Cendrars, à Sevran, en Seine-Saint-Denis. Six élèves, cinq mineurs et un majeur, ont été interpellés ce jour-là. Le plus âgé a été déféré au tribunal de Bobigny et sera jugé ultérieurement « pour les faits de complicité de destruction par un moyen dangereux» ; quant aux cinq autres, ils ont fait l'objet d'une convocation «en vue d'une mesure de réparation pénale pour les faits de destruction par un moyen dangereux», précise le parquet de Bobigny auprès de Libération.
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  7. Lorsqu'elle arrive devant son lycée à 9 h 30, Kaja, en classe de première à Blaise-Cendrars, découvre le blocus filtrant d'abord organisé par une dizaine d'élèves. Vers 10 heures, un groupe d'une dizaine de jeunes se cachant le visage mettent le feu à deux poubelles, avant de les renverser au milieu de la route qui longe l'établissement. Une professeure qui était sur place précise qu'il y avait parmi eux «des éléments en dehors du lycée» et que le feu n'a duré que cinq à dix minutes, comme le confirment deux autres professeurs. Kaja raconte y avoir jeté une «feuille et un morceau de bois» puis quitté les lieux avant midi. Sur le chemin, tout près du lycée, une voiture de la police nationale s'arrête derrière elle. Selon son récit, une policière la plaque contre le capot avant de la menotter et de lui lancer «Ferme ta gueule». En larmes, Kaja demande où elle est emmenée. «Ils m'ont dit : "Tu vas rester en garde à vue. On t'a vue. Si tu coopères, tu vas sortir plus vite". Et ils répétaient "Ferme ta gueule Fatoumata", alors que ce n'est pas mon prénom», précise-t-elle.
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  9. Un mur couvert d'excréments
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  11. Au commissariat de Sevran, Kaja rapporte avoir encore été humiliée à plusieurs reprises. D'abord à son arrivée, lorsqu'elle patiente sur un banc. «Ils riaient en disant "Regardez Fatoumata, elle pleure" et ils ne voulaient pas que j'appelle ma mère.» Puis, une fois interrogée par l'officier de police judiciaire qui lui notifie ses droits. A son côté, un autre agent lui aurait dit : «Pas de pitié pour les noirs ici.» Au moment d'ajouter le nom d'un élève sur l'ardoise listant les jeunes interpellés, un troisième se serait exclamé : «Ah, encore un Arabe !» Avant d'être emmenée en cellule, une policière lui aurait demandé de se déshabiller, entièrement. «J'étais toute nue devant une dame que je ne connaissais pas, je me sentais comme une terroriste.» Sollicitée à de multiples reprises depuis le vendredi 7 avril, la préfecture de police de Paris, compétente dans la capitale et dans les départements limitrophes, n'a pas donné suite.
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  13. La policière lui remet seulement son tee-shirt et le short qu'elle a l'habitude de porter sous son jogging. Frigorifiée, Kaja obtient tout de même le droit de récupérer son manteau avant d'être enfermée dans une cellule aux murs recouverts d'excréments. «Ça puait, c'était horrible» , grimace-t-elle. Elle assure qu'on a refusé de lui apporter à boire puis avoir eu droit à «des pâtes aux champignons périmées». Kaja dit être restée environ dix heures en garde à vue.
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  15. Au même moment, cinq autres élèves de Blaise-Cendrars se trouvent aussi dans les locaux de ce commissariat, tous interpellés aux alentours du lycée. Parmi eux, Rian (1), 16 ans, en première professionnelle et placé selon lui trente heures en garde à vue. Interpellé vers 11h30, il raconte, tout en triturant la fermeture éclair du sac à dos posé à ses pieds, avoir été moqué par les policiers : «Ils me regardaient en riant et ils m'ont demandé de signer une feuille, alors que je ne savais pas ce qu'il y avait écrit dessus», assure-t-il.
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  17. Placé en cellule avec deux autres lycéens qu'il ne connaît pas, Rian demande à garder le plat de pâtes pour plus tard, pour ne pas rompre son jeûne de ramadan. Demande refusée, selon lui. Il ne mangera finalement qu'à minuit. Rian en est certain : lors de son audition, les policiers lui ont affirmé avoir tout de suite prévenu son père Mosbah alors que ce dernier, joint par Libération , assure ne l'avoir appris qu'à 13 heures. Sur place, Mosbah se voit refuser d'entrer dans les locaux. On lui répond seulement que son fils est en garde à vue pour «dégradation de bien public».
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  19. «Ferme ta gueule»
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  21. Rokia, elle, assure ne même pas avoir été prévenue de l'interpellation de son fils Ousmane (1), 18 ans, élève dans la même classe que Rian. Inquiet de ne pas le voir à la maison en fin de journée, son mari contacte un professeur du lycée qui lui raconte le blocus et les interpellations : «Votre fils est peut-être au commissariat.» Le couple s'y rend dans la foulée, mais assure n'avoir eu aucune réponse en sonnant à l'interphone. «J'en étais malade, confie sa mère. Je suis revenue le lendemain, on m'a dit qu'il allait être libéré, mais ce n'est pas ce qu'il s'est passé.» Ousmane dit avoir été placé quarante-huit heures en garde à vue avant d'être déféré au tribunal de Bobigny.
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  23. Ousmane jure n'avoir «rien fait». Si ce n'est repousser la poubelle qui avait été dirigée vers lui avant de tenter de calmer, sans succès, le groupe d'élèves qui l'avait incendiée. Le lycéen rapporte être ensuite monté dans sa voiture vers 11h30 puis s'être garé sur le côté en entendant les gyrophares. «Un policier m'a plaqué contre la voiture, m'a menotté en serrant fort. J'ai dit "Il se passe quoi, là ?" Il a répondu "Ferme ta gueule".» Auditionné, il demande à contacter l'avocat de sa famille, «mais on m'a d'abord répondu que ça ne servait à rien» . L'officier de police judiciaire aurait tiqué sur son âge : «Ça commence à être intéressant, il y a un majeur dans l'histoire.» En cellule, Ousmane doit dormir sans couette la première nuit, seulement vêtu de son qamis et d'un caleçon. «Vous avez eu un comportement de chien, vous ne méritez que ça» , lui aurait lancé un policier.
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  25. Pendant ce temps, environ huit profs et une trentaine d'élèves manifestent sous les fenêtres du commissariat. Ne sachant pas que d'autres élèves ont été interpellés aux abords du lycée, ils sont venus pour demander la libération d'un terminale, Henri (1), interpellé par la police après avoir écrit avec de la peinture à l'eau sur les murs du lycée «Jeune, fier et révolté». L'adolescent aux petites lunettes rondes et veste beige assortie à son jean raconte avoir été menotté «mais pas mal traité par la police». Il sera rapidement libéré à l'arrivée de son grand frère sans avoir été placé en garde à vue. «On s'inquiétait pour lui, mais un policier nous a dit de façon très agressive de sortir et a ajouté "Vous êtes chez nous ici". Ils l'ont ensuite libéré par l'arrière, sans nous prévenir», se souvient Léon, prof de philo à Blaise-Cendrars.
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  27. Bien plus tard, le groupe comprend que plusieurs autres élèves ont aussi été interpellés en voyant le père de Rian faire le pied de grue dehors : «Il avait très peu d'infos et quand il leur a dit qu'il s'agissait d'un enfant, on lui a répondu que c'était un délinquant», rapporte Léon. Sa collègue Jeanne (1) se désole : «Je suis partie du blocus en me disant que c'était chouette, qu'il y avait une bonne ambiance et j'apprends après que deux de mes élèves sans histoire ont été arrêtés juste pour un petit feu de poubelles ? Mais moi j'en ai cramé plus jeune à Paris pour des blocus et je n'ai jamais été interpellée pour ça !»
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  29. (1) Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.
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