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Aug 10th, 2018
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  1. La crise a été violente, début juillet. Congés aidant, en attendant le lancement de la saison 2 en septembre, Le Média espérait retrouver un peu de sérénité après le départ précipité de l’une de ses cofondatrices, Sophia Chikirou. Sur fond de désaccord financier, c’est le contraire qui se produit. Deux clans s’affrontent. L’ex-conseillère de Jean-Luc Mélenchon et ses alliés d’un côté, dont la majorité a désormais quitté l’aventure, et le nouveau trio à la tête du Média, Gérard Miller et Henri Poulain, également cofondateurs, et la journaliste Aude Lancelin.
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  3. À l’issue d’un séminaire interne mouvementé au début de l’été (que Mediapart avait documenté), qui a révélé des fractures au sein des équipes et des divisons quant à la stratégie à adopter pour pérenniser la webtélé alternative, Sophia Chikirou avait démissionné de son poste de présidente de l’entreprise de presse du Média (EDPLM), qui salarie les journalistes, pour laisser la place à Aude Lancelin, ancienne de l’Obs, le 10 juillet. Sophia Chikirou avait conservé la tête de la société de production (SDPLM), qui gère tous les aspects techniques.
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  5. Mi-juillet, nouveau coup de théâtre dans la vie plus que tourmentée de la jeune chaîne de télévision, diffusée depuis le 15 janvier 2018 : Sophia Chikirou, qui avait déjà rejoint la plateforme européenne des Insoumis dans la perspective des prochaines élections, laisse finalement son mandat à la tête de SDPLM. Elle est officiellement remplacée par Stéphanie Hammou, précédemment directrice de production. Dans le même temps, Gérard Miller, autre cofondateur, abandonne la présidence de l’association Le Média, qui chapeaute les deux sociétés. Il est remplacé par Hervé Jacquet, associé d’Henri Poulain, l’un des initiateurs du projet.
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  7. Simple jeu de chaises musicales comme il en existe dans tant d’entreprises ? Bien plus que cela. Car, tout au long du mois de juillet, la crise s’est incrustée. Nouveaux départs, guerre de clans, découverte de bizarreries comptables : le Média a continué d’être chahuté. C’est ainsi que le 31 juillet, les deux cofondateurs que sont Henri Poulain et Gérard Miller ont dû faire une mise au point auprès des socios, dans leur groupe Facebook privé, pour tenter de faire cesser une campagne contre la nouvelle direction.
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  9. Mediapart a pu rassembler de nombreux éléments du puzzle qui ont mené Le Média à cette situation explosive et obligé la nouvelle équipe à réorienter le projet de cette télévision « humaniste, progressiste, écologiste et féministe ».
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  11. Selon un document interne, consulté par Mediapart, la tension existant entre Sophia Chikirou et le nouvel attelage à la tête du Média (Aude Lancelin, Henri Poulain et Gérard Miller) s’est renforcée fin juillet. Le 27 juillet exactement, « juste après avoir annulé à 14 h 17 la passation prévue à 15 h avec Hervé Jacquet, passation qu’elle avait acceptée par mail, Sophia Chikirou a demandé au Crédit du Nord de faire trois virements : les deux premiers à deux des six autoentrepreneurs ayant travaillé pour le Média, le troisième à sa propre société, Mediascop, d’un montant de 67 146 euros ».
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  13. La demande de virement a été bloquée par la banque. Deux jours plus tôt, indique le document, un chèque de 64 119,61 euros, libellé également à l’ordre de Mediascop avait été débité du compte. Plus de 130 000 euros en 48 heures.
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  15. Sophia Chikirou, qui a répondu aux questions de Mediapart, se défend de toute dissimulation : « Tout le monde au Média était informé de ces prestations, surtout les fondateurs puisque les trois sociétés des fondateurs fournissaient des prestations de communication et audiovisuelles pour lesquelles le Média n’avait pas les compétences en interne. » L’ex-présidente du Média affirme même qu’elle avait proposé un échéancier sur quatre mois pour que cette facture (à consulter ci-dessous) puisse être réglée, ce qu’a refusé Gérard Miller selon elle. D’où sa décision d’exiger le paiement à réception.
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  17. « J’ignorais que la société de Sophia Chikirou était prestataire du Média », affirme Aude Lancelin à Mediapart, qui dit néanmoins n’avoir jamais mis le nez dans les comptes avant juillet. La nouvelle patronne de la société de presse explique prendre « cette facture comme une volonté de tuer le Média, par dépit, alors même que Sophia m’avait personnellement demandé de prendre sa succession et avait tenu à se féliciter publiquement de mon élection. Si la banque n’avait pas bloqué le virement, nous aurions été en grande difficulté financière et les salaires n’auraient vraisemblablement pas pu être versés cet été ».
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  19. Sophia Chikirou rémunérée comme prestataire de service
  20. Cette facture, présentée le 27 juillet et dont le paiement a été refusé par la banque, a pu être consultée par Mediapart. Elle comporte notamment un poste de « prestation de direction conseil et stratégique » pour la période de janvier à juillet 2018 d’un montant de 49 724 euros hors taxes, calculé sur un tarif de 400 euros par jour sur une durée de 124 jours. En résumé : via sa société Mediascop, dont elle est l’unique actionnaire, la consultante Sophia Chikirou donnait des conseils à la présidente Sophia Chikirou.
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  22. Interrogés par Mediapart, deux salariés de la société de production – qui ont requis l’anonymat – indiquent n’avoir jamais été témoins de prestations de conseil auprès des équipes. « Elle facture des prestations sans réalité », affirme l’un d’eux. Bastien Parisot, ancien salarié du Média et proche de Sophia Chikirou, affirme quant à lui : « J’étais évidemment au courant de l’activité de Mediascop sur les réseaux sociaux, puisque je travaillais en collaboration avec Sophia Chikirou sur le sujet ! Ce que j’ignore, c’est le contenu de la facture, n’ayant pas accès à cette info. »
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  24. Henri Poulain avance une explication, tout en s’interrogeant sur la manière de faire : « Elle était bénévole en tant que présidente mais rémunérée comme conseil en stratégie. En interne, c’est ainsi qu’elle le justifie. Cela me semble problématique de se revendiquer bénévole et de se rémunérer par ailleurs. »
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  26. Concernant la prestation de conseil, Sophia Chikirou invoque une étanchéité totale entre son rôle à la tête de la société de production et celui de présidente de Mediascop. « Cette prestation correspond au travail fourni par Mediascop et qui ne relève pas du mandat social de présidente de la SDPLM. Il s’agit de l’élaboration de la stratégie marketing et communication sur le Web, de la communication extérieure et de la supervision quotidienne de sa mise en œuvre [...]. » D’ailleurs, explique-t-elle, il existe une convention régissant les relations entre Médiascop et Le Média depuis le 2 janvier 2018. Convention qui n’a pu être confirmée ni par Aude Lancelin ni par Henri Poulain.
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  28. Tout juste ce dernier indique : « A minima oralement, il y avait un accord entre Le Média et Mediascop pour que des investissements soient avancés [par la société de Sophia Chikirou] durant les quatre premiers mois. C’est une convention théorique, sans montant précis. » Henri Poulain fait référence à la période de lancement et de crowdfunding, faisant appel aux contributions financières des socios, entre septembre et décembre 2017.
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  30. Cet épisode met en lumière la rupture entre les fondateurs. Notamment sur le pouvoir exercé par chacun à la tête des sociétés en cette période troublée. Comme l’indique le document d’information interne consulté par Mediapart, le 27 juillet, Sophia Chikirou devait rendre définitivement son tablier lors d’une réunion où la nouvelle direction indique qu’elle ne s’est pas présentée.
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  32. Une thèse dont elle se défend : « Je devais envoyer mes démissions le 31 juillet en accusé-réception avec un mois de préavis comme le prévoient les statuts, déclare-t-elle à Mediapart. Je répète donc, et j’ai les pièces justifiant ma version, qu’au moment où j’agis le 27 juillet, je suis toujours présidente. »
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  34. Henri Poulain conteste cette version : « On attendait que le prêt demandé à la banque soit débloqué, ce qui était la dernière mission de Sophia. Ce qui fut fait aux alentours du 22 juillet. » Il explique que le 24 juillet une assemblée générale « virtuelle » de l’association s’est tenue au cours de laquelle le dernier mandat de Sophia Chikirou lui a été retiré. « Cela a été signifié à Sophia, d’autant qu’il y a eu un rendez-vous pris pour la restitution des clés », complète Henri Poulain.
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  36. Cette guerre intestine, qui a réellement éclaté lors du séminaire regroupant les salariés début juillet, prend notamment sa source sur une appréciation différente de la situation financière du Média. « Il y avait une opacité notamment sur les recettes. Gérard Miller a découvert début juillet seulement la réalité des entrées et des sorties. Vis-à-vis des associés, c’est sans doute le moment de la cassure », estime Aude Lancelin.
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  38. Le 14 juin 2018, lors d’une émission spéciale, Sophia Chikirou indiquait aux socios que les dépenses s’élevaient 184 395 euros par mois contre 152 508 euros de recettes, « avec lissage des titres de propriété », ces « actions » que les Socios ont achetées dans la perspective de la mise en place d’une coopérative, encore inexistante. Soit, sur les cinq mois d’exercice du Média depuis janvier, une perte de presque 160 000 euros sur le 1,5 million d’euros de cotisations (sorte d’abonnement des Socios), 800 000 euros de titres de propriété (capital théorique) et 100 000 euros de dons.
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  40. Or, selon le bilan comptable établi par la nouvelle direction au 30 juin 2018 que Mediapart a pu consulter, le Média affiche un déficit de 262 728,30 euros. Plus de 100 000 euros d’écart avec le calcul présenté publiquement par l’ancienne présidente. Encore une fois, Sophia Chikirou justifie : « Pas une seule fois en sept mois de gestion, Le Média ne s’est trouvé à découvert. Pas une seule fois, les salaires n’ont pas été payés à temps. Pas une seule fois, nous n’avons eu de problèmes de trésorerie empêchant le paiement de tel ou tel prestataire. »
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  42. Elle indique qu’entre récupération de la TVA à venir et crédit-leasing négocié avec la banque mais non encore versé à l’époque – ce que ne conteste pas la nouvelle équipe –, Le Média se trouve dans une situation financière saine. Sophia Chikirou précise surtout que, face à ce qu’elle nomme « la gravité de ces accusations » de ses anciens compagnons de route, « je vais devoir saisir le tribunal de grande instance et demander la désignation d’un administrateur judiciaire provisoire et un audit pour prouver ma bonne gestion ». D’abord calfeutré derrière les murs du Média, parfois diffusé sur les réseaux sociaux entre pro et anti Chikirou, l’affrontement risque donc de se déplacer sur le terrain judiciaire.
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  44. D’autant que Sophia Chikirou affirme avoir demandé « qu’un cabinet d’expertise effectue un audit. Gérard Miller s’y est opposé alors que seuls des professionnels de la gestion d’entreprise pourraient émettre un avis objectif ». Son ex-camarade d’aventure Henri Poulain indique à Mediapart se souvenir d’un telle demande, faite oralement au cours d’une conversation. Il ajoute, pour planter le décor actuel qui ne permet pas d’avoir une vue exhaustive de la situation comptable : « La totalité des documents administratifs sont dans le bureau de Sophia Chikirou, fermé à clé. Et Sophia a gardé les clés… »
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  46. Bataille sur la vision éditoriale du projet initial
  47. Sous cette bataille d’égos, se joue aussi celle d’une vision de la ligne éditoriale et de la programmation du Média, qui a fait du JT quotidien, dès ses débuts, sa marque de fabrique. Il fallait produire un journal alternatif face aux mastodontes que sont les chaînes d’information en continu. Fait par une équipe réduite, le JT absorbe, selon Aude Lancelin et Henri Poulain, la moitié du budget du Média. Et est loin de faire l’unanimité.
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  49. « Je doute du JT depuis février, pour d’autres raisons que financières. C’est une forme old school, cela revient à faire de la radio filmée. Et l’écosystème de diffusion n’est pas au point. Quand on a dix à douze journalistes actifs, c’est très difficile de générer 30 minutes d’informations quotidiennes », témoigne Henri Poulain. Aude Lancelin a d’ailleurs déjà annoncé la fin de ce programme, certainement remplacé par des séquences d’actualités courtes, sortes de pastilles plus facilement diffusables sur les réseaux sociaux.
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  51. Une trahison, selon Bastien Parisot, qui a décidé de quitter Le Média avec quatre autres salariés de la société de production après le départ de Sophia Chikirou. « La suppression du 20 h est un détournement du projet », déclare-t-il à Mediapart. L’ex-directrice lui emboîte le pas : « Je me suis également opposée très clairement à la suppression du journal à 20 h. C’est cette promesse qui a justifié la levée de fonds : faire un journal quotidien d’actualité. En y renonçant sans avoir consulté les socios, et en réorientant le Média vers de l’investigation ou de la critique des médias, Le Média perd sa raison d’être ! »
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  53. Elle y ajoute, tout comme Bastien Parisot, son opposition ferme à la possible fin de la gratuité totale du contenu et au report, à sa connaissance, de la création de la coopérative dont les socios sont censés devenir « propriétaires », qui « rompt [avec] un engagement fondamental ».
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  55. Aude Lancelin réfute toute « trahison » ou le moindre « détournement ». « La promesse de fond, ce n’est pas sur un format, quel qu’il soit. L’essence du projet est de devenir un grand média indépendant et alternatif. À ce stade, nous n’avons pas acté de changer de modèle économique, on reste sur l’accès libre avec les socios », rassure-t-elle.
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  57. Elle reconnaît une réflexion en cours sur un paywall (accès payant et privilégié pour certains contributeurs) et le report de la mise en place de la coopérative, et non pas son annulation. « C’est toujours d’actualité, même si le projet est retardé », précise la nouvelle patronne de la société de presse. Avant de lâcher : « Les mécontents, ce sont des gens dont le petit univers vient d’imploser. »
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  59. Reste que la confiance pourrait être rompue avec les socios, ces 19 000 contributeurs financiers qui ont permis la création du Média et qui parfois ont apporté de l’huile de coude à travers le sous-titrage des émissions ou les « correspondants-citoyens ». Là encore, les visions s’opposent sur la relation construite – et à construire – avec eux.
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  61. « Je suis sidérée et choquée, j’avais un sentiment de révolte quand je voyais ce que Sophia Chikirou faisait avec les socios. Certains, avec très peu de moyens, ont quand même mis de l’argent dans le projet », note une salariée qui travaillait en étroite relation avec eux.
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  63. Celle-ci affirme que des demandes ont été faites à l’ex-présidente du Média pour consulter et faire voter les socios sur des éléments stratégiques. « Hors de question, répondait-elle », relate la salariée. Elle cite la question de la publicité, sujet hautement inflammable au Média, qui n’a pas fait l’objet d’une consultation sur le fond auprès des socios.
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  65. « Sophia Chikirou avait demandé que les socios contre la pub soient isolés », raconte un autre salarié. Un texto sur une messagerie interne du Média, dont Mediapart a pu prendre connaissance, valide cette affirmation. Sophia Chikirou, en plein débat sur la mise en place ou non de la publicité comme nouvelle source de financement, écrit : « Dites-vous une chose : je préfère perdre mille socios que renoncer à développer le projet d’un groupe autonome économiquement. Si les gauchistes veulent du purisme, qu’ils aillent voir ailleurs. [...] On en profite pour isoler les éléments bordéliques. »
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  67. Parmi les équipes domine le même sentiment de ne pas avoir été consulté sur ce sujet. Plusieurs sources, dont Aude Lancelin, affirment avoir découvert le lancement du projet de publicité à travers la newsletter destinée aux socios. Henri Poulain affirme avoir été informé, « un dimanche », par le même canal. Sans aucune discussion préalable. « Pourtant je fais partie du comité de pilotage », rappelle-t-il.
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  69. Sophia Chikirou, là encore, se défend de toute attitude autoritaire : « Je n’ai rien imposé ! Dans le cadre de ma fonction de présidente, et après l’avoir dit publiquement, j’ai voulu lancer une période de test pour la publicité éthique. » Il semble néanmoins que cette formulation – « dans ma fonction de présidente » – indique une prise de décision autonome, sans un consensus préalable.
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  71. La question de la mise en place de la coopérative, promesse initiale pour « vendre » des parts sociales et financer Le Média, va également être un point crucial de communication à la rentrée. La nouvelle direction confirme donc à Mediapart que le projet est loin d’être enterré, juste repoussé le temps de tout remettre à plat avec une équipe très allégée (cinq départs côté production, deux encore côté rédaction cet été).
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  73. Sophia Chikirou, elle, affirme que tout était déjà prévu et que les socios devaient bientôt voir la couleur de leur titre de propriété. « J’ai conçu le Média pour qu’il devienne la première SCIC [société coopérative d’intérêt collectif – ndlr] de France dans le domaine de l’information et de la culture. [...] J’avais prévu de convoquer une AG virtuelle de 19 000 socios pour qu’ils votent les statuts de la SCIC et désignent la direction et le conseil de surveillance. Cette AG était prévue à la mi-septembre pour commencer la vente des parts sociales à l’occasion de la date anniversaire du lancement du Média, soit le 11 octobre. »
  74. Une affirmation qui surprend Henri Poulain : « Je n’étais pas au courant. C’est vraiment symptomatique du fonctionnement de Sophia Chikirou, elle n’a pas partagé cette information. » Ni avec l’équipe, ni avec les fondateurs, ni même avec les socios, pourtant les premiers concernés par cet événement.
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  76. Cette confiance à retrouver puis à consolider avec la communauté qui finance Le Média est le plus grand défi de la nouvelle équipe. Aude Lancelin en est consciente. Elle sait que là se joue l’avenir du projet, qui aura besoin de ressources nouvelles à la rentrée. « Je n’ai pas peur d’une hémorragie des socios, car nous partageons la même vision. Dans l’adversité, c’est parfois miraculeux ce qui se passe. Ils sont à nos côtés. J’espère qu’ils comprendront qu’il faut distinguer les hommes et le projet. »
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