Advertisement
Guest User

Untitled

a guest
Mar 28th, 2020
784
0
Never
Not a member of Pastebin yet? Sign Up, it unlocks many cool features!
text 13.44 KB | None | 0 0
  1. Bonjour à toutes et tous,
  2.  
  3. En ces temps de confinement, il faut bien s'occuper un brin, ou disons faire autre chose que préparer des cours/corriger des copies (pour les profs), ou bien bosser dur sur son projet tutoré (pour les élèves). C'est pourquoi je vous propose ce soir (et sans doute d'autres soir qui suivront) une petite pause réflexion. Arghh, me direz-vous, pause et réflexion sont ont peu antonymes, donc je corrige ... une parenthèse réflexion.
  4.  
  5. Au coeur de cette diatribe mailesque, je voudrais aborder un sujet fortement associé à notre équipe pédagogique constituée pour une bonne part d'enseignants/chercheurs, mais qui peut s'étendre à l'ensemble de vos professeurs qui sont, je pense, attachés à vous stimuler les neurones pour faire de vous autre chose que des veaux qui suivent des moutons !
  6.  
  7. Ainsi donc, je vous propose de réfléchir quelques instants sur la polémique qui agite notre état ces derniers jours : l'usage de l'hydroxychloroquine préconisé par le Pr Raoult.
  8.  
  9. Pourquoi vous interpeller à ce sujet ? Pour trois raisons principales. Premièrement, vous suivez des études d'informatique, et comme toute science, elle n'est pas soumise à la croyance mais aux faits et preuves. C'est entre autre ce pourquoi on vous rembarre quand vous nous présentez un programme en disant "je crois que ça marche" ou "pourtant, ça marchait tout à l'heure" :-) . Il ne suffit pas de croire, il faut le prouver. Certes, ce n'est pas aussi simple qu'en maths de prouver de façon irréfutable quelque chose en informatique mais c'est souvent possible, notamment en comparant des résultats (NB: cette remarque est au centre de la réflexion présente). En tant qu'étudiant en informatique, vous devez donc apprendre à suivre une démarche scientifique en général, mais aussi les particularités de la démarche en informatique.
  10.  
  11. Deuxièmement, quand bien même vous êtes en DUT Info, vous aurez constaté, j'espère, que l'on vous pousse très fortement dans les matières générales (et même en info de façon détournée) à développer vos capacités d'analyse (rationnelle j'entends) d'événements, de faits, de connaissances. Cela va de pair avec la démarche scientifique et, à mon avis tout personnel, avec le fait d'être un citoyen "actif" et "intelligent" (au sens ne pas s'arrêter à ses impressions)
  12. Troisièmement, simplement parce que cette polémique donne lieu à moults commentaires postés à la fin des articles du net, et que ces posts sont à 95% en contradiction (outre le fait qu'ils soient généralement d'une stupidité abyssale) avec le premièrement et deuxièmement ci-dessus (NB: ca dépend fortement des articles : si vous comparez les commentaires de articles du "Monde, il n'y a pas photo avec ceux sur yahoo). En effet, cela oscille entre des commentaires complotistes sur le lobby politico/pharmaceutique qui veut enterrer le professeur "qui dérange", voire "tuer les vieux comme ça le problème des retraites est réglé", et le posts racistes du genre "levy, buzin, ... ne supportent pas qu'un non-juif ramène sa fraise pour sauver le monde". Avec bien entendu au milieu, une bonne partie de remarques du style "Politiques tous pourris, ils nous font mourrir à cause de leur indécision, macron démission". Même si chacun est libre de penser comme il l'entend, le maître mot est justement "penser", et pas "croire", trop de gens confondent les deux.
  13. Venons-en maintenant à la polémique elle-même. Petit résumé si vous n'avez pas suivi l'affaire : le Pr Raoult de l'IHU de Marseille clame depuis quelques temps que ses essais associant l'hydroxochloroquine à un antibiotique permet de guérir du coronavirus, ou tout au moins de guérir plus rapidement. Pataquès général vis-à-vis du haut-conseil (qui donne ses avis à notre président), mais aussi plein d'autres médecins, chercheurs : ses études ne sont pas fiables car ne suivant pas les protocoles habituels, Raoult joue à l'aprrenti sorcier, etc. etc. etc. Les médias s'en mêlent en interviewant des collaborateurs du professeur, des médecins qui sont contre, des politiques. Bref, à partir de tout ça, chaque français (comme tout bon français) se fait alors une opinion, quasi unanimement basée sur ses à priori plus l'instinct de survie. C'est pourquoi il y a autant de posts vilipendant le gouvernement pour sa frilosité quant à inonder les hôpitaux avec le traitement miracle, ou bien louant le Pr Raoult avec un prix Nobel direct, ou encore, c'est le plus courant, en conspuant l'élite politico/pharmaco/medecino buiness qui essaie de couler Raoult car son traitement coute 2€ et que les labos pharmaceutique n'y trouvent pas leur compte, alors que s'ils pouvaient vendre un vaccin, ça serait le pactole. Ou alors ils essaient de le couler car il : option 1 (chavinisme basique) est à Marseille et pas de Paris, option 2 (populisme basique) porte pas de costume, option 3 (racisme basique) n'est pas juif, etc.
  14. Mais il y a aussi quelques posts (peut être 2-3%, un peu plus dans les médias un peu plus "élitistes") faisant remarquer que dans la dernière étude (publiée hier) sur 80 cas, il y a 1 mort + 1 en très mauvais état, ce qui donne un taux de mortalité voisin de celui qu'on obtient sans traitement. Et un peu en même temps, une étude chinoise rapporte que sur 30 patients étudiés, avec 15 traités et 15 non traités, il y a le même taux de rémission. D'où une conclusion directe et logique : le traitement du Pr Raoult ne semble servir à rien par rapport aux traitement actuellement prodigués.
  15.  
  16. Dans ce cas, qui a raison : les 97% de fanatiques qui croient en Raoult et son traitement, ou bien les 2-3% de mécreants qui ont fait une première analyse des résultats ? C'est tout l'objet de ce mail que vous vous posiez la question et alliez plus loin que ces 2 catégories.
  17.  
  18. Avant de vous posez les questions destinées à vous forger une opinion rationnelle et non pas subjective, je vais donner quelques éléments de ce que l'on considère comme une véritable étude scientifique.
  19.  
  20. En recherche scientifique, les maths sont un peu à part car la preuve absolue existe alors que dans la plupart des autres disciplines, on dispose de 2 moyens de prouver quelque chose. Le premier consiste à établir des modèles que l'on teste ensuite par des très très nombreuses expériences, réalisée par différentes équipes. On n'obtient donc jamais des preuves absolues par l'expérience, sauf si l'on est capable de montrer que l'on a parcouru tous les cas possibles. D'ailleurs, il y a qqs années, un ordinateur a été utilisé pour prouver un théorème par l'expérience et cette preuve a été jugée recevable par les mathématiciens car tous les cas possibles avaient été explorés. Moralité, si on veut prouver qu'un modèle reflète bien la réalité, on doit trouver un protocole expérimental suffisamment convaincant et reproductible. C'est un des gros problème des sciences médicales et notamment avec les médicaments où il est parfois compliqué de mener des études à large échelle. Mais c'est tout de même possible en suivant des règles assez logiques :
  21.  
  22. - prendre suffisamment de personnes (>1000) pour avoir tous les profils (âge, classe sociale, maladie en cours, ...)
  23. - répartir aléatoirement les gens en deux groupes : ceux qui prennent le médicament et ceux qui prennent un placebo (donc sans effet thérapeutique)
  24.  
  25. - que ni les patients, ni les docteurs/infirmiers qui suivent l'étude ne connaissent le groupe auquel appartient un patient donné, et ne sachent donc pas s'ils donnent le médicament ou le placebo.
  26.  
  27. On établit donc des conclusions (positives, négative, mitigées) par comparaison entre les résultats des deux groupes. Sans ces 2 groupes, pas de comparaisons donc pas de conclusions : juste des mesures, des faits.
  28. Le deuxième moyen est aussi basé sur des comparaisons. Il s'agit de montrer qu'une chose fonctionne mieux/moins bien qu'une autre. Pour cela, il suffit de prendre des expérimentations existantes, comparables, et d'en tirer des conclusions.
  29.  
  30. Revenons à la polémique : peut-on juger de la recevabilité des résultats du professeur si l'on ignore comment il a obtenu ceux-ci ? Non. Moralité, 99.99999% des avis émis sur la toile n'ont aucune valeur, qu'ils soient du côté des "croyants" ou des "mécréants". Personnellement, je préfère tout de même les "mécréants" qui ont commencé à réfléchir en calculant un bête pourcentage et en le comparant à des données officielles.
  31.  
  32. Pour se forger une opinion rationnelle, il faut donc oublier tout le batage médiatique qui a totalement parasité ou déformé les informations. Oublier aussi les déclarations du professeur et de ses collaborateurs dans des médias, sur les réseaux sociaux etc, qui soit ne reflètent que partiellement l'étude qui a été menée, soit ont été faites maladroitement (trop d'aplomb, pas assez d'explications juste des faits, ...) Bref les scientifiques font rarement de bons communiquants.
  33.  
  34. Revenons donc simplement aux sources et en l'occurence à l'article publié vendredi. Il est en attachement. Bien entendu, il est technique mais relativement compréhensible. Pour les faits, voici ce qu'il dit sur les 80 patients :
  35.  
  36. - ils sont à peu près de tous âges, avec pour moitié des maladies diverses déjà présentes, considérées comme potentiellement aggravantes pour le covid
  37. - après 8 jours de traitement 93% n'ont plus de "charge virale", donc ne sont plus contagieux et peuvent terminer leur guérison en chambre normale voire à la maison.
  38. - 1 est mort, 1 encore en soins intensifs.
  39.  
  40. Si l'on s'en tient aux stats liées à la mortalité, ils n'ont donc pas fait mieux que le procédé naturel de guérison.
  41. Ensuite, si on lit le descriptif de l'expérimentation, on voit qu'ils n'ont pas du tout utilisé la première façon de prouver l'efficacité d'un traitement (effectifs > 1000 + répartition aléatoire en 2 groupes+ test/medoc/placebo à l'aveugle). Additionné à la remarque précédente, il est donc tout à fait normal que certains pensent que la conclusion du professeur quant à l'efficacité du traitement soit surestimée, voire erronée, car la démarche utilisée est hors du cadre habituel et ne constitue pas une preuve. Pour faire un parallèle avec l'info, ce n'est pas parce que vous lancez un programme 100 fois et qu'il calcule le bon résultat que ça prouve qu'il fonctionne correctement. La seule solution est de vérifier s'il suit l'algorithme prévu quel que soit le cas de test (NB: ce qui peut effectivement être impossible à prouver parfois à cause de la complexité du programme). Il faut donc un point de comparaison. Moralité, si l'on prend juste la partie description du protocole+résultats, alors l'étude du professeur ne permet en rien de conclure : elle donne juste des points de références qui peuvent être utilisés par d'autres études.
  42.  
  43. En revanche, l'étude comporte une partie discussion des résultats, ce qui est normal dans un article scientifique. C'est généralement dans cette partie que se situent les comparaisons (entre groupes placébo/médoc, ou avec d'autres études) qui mènent aux conclusions. Or, cette étude donne effectivement des comparaisons avec d'autres études (chinoises), mais uniquement sur l'aspect diminution rapide de la charge virale et pas du tout sur la létalité. En fait, il n'est jamais directement dit que le traitement réduit la mortalité ni qu'il empêche de choper ce virus. Tout au plus il y a une remarque sur le fait qu'une charge virale importante est liée au degré de complications éventuelles. Le non-dit derrière cette remarque est, peut être, que si on fait baisser rapidement la charge virale, il y a moins de chance qu'il y ait complication et donc moins de morts. Mais ce n'est pas explicite. Bref, la conclusion essentielle est que, apparemment, avec une prise en charge précoce, ce traitement permet de guérir plus vite.
  44. Le problème, c'est que les autres études mentionnées sont peu nombreuses, ont été pratiquées sur peu de patients et pas forcément avec des protocoles classiques. Il n'est donc pas étonnant que là encore, on puisse douter que la conclusion soit pertinente. En tant que chercheur, les articles avec peu de comparatifs ou bien des tests peu représentatifs sont toujours considérés comme des faiblesses (voire erreurs) dans la démarche scientifique (quoique parfois c'est simplement la rédaction de l'article qui est trop simplifiée). En tant qu'étudiant en info (ou simplement en tant que citoyen), vous devriez être sensible à cela car en science démarche foireuse = impossible de conclure dans un sens où dans l'autre. Pour autant, dans le cas des traitements du coronavirus, il y a effectivement peu d'études et il faut bien commencer quelque part. Mais pour toutes ces études préliminaires, faut-il juste publier des résultats ou bien se risquer à tirer des conclusions ? Difficile de répondre quand cela touche la vie des gens. Donc à chacun de se faire une opinion, mais cette fois, en étant au courant de ce qui a vraiment été testé et comparé et pas sur des "on-dit".
  45.  
  46. Je vous invite également à revoir les différents interviews, aussi bien côté équipe du professeur que du côté des médecins sceptiques, ou encore de politiques, pour voir combien ont réellement pris le temps d'avancer autre chose que des arguments simplistes du genre "mais ça marche", ou bien "mais on ne connaît pas les risques". En gros, l'idée c'est de trouver le rapport démagogie/pédagogie, quelle que soit le bord.
  47. bonne nuit et portez vous bien.
Advertisement
Add Comment
Please, Sign In to add comment
Advertisement