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Sep 15th, 2023
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  1. Le Monde (site web)
  2. societe, jeudi 14 septembre 2023 - 21:00 UTC +0200 1874 mots
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  4. La plainte qui pourrait embarrasser Edouard Philippe
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  6. Rémi Dupré
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  8. L’ancienne directrice générale adjointe de la communauté urbaine Le Havre Seine Métropole, qui a saisi la justice, dénonce notamment un contournement des règles de passation des marchés publics pour l’exploitation de la Cité numérique du Havre.
  9.  
  10. C’est une action en justice qui pourrait provoquer des secousses au sein de l’exécutif du Havre (Seine-Maritime), fief de l’ex-premier ministre (2017-2020) Edouard Philippe. Selon nos informations, et comme le confirme le Parquet national financier (PNF), une plainte a été déposée, jeudi 14 septembre, auprès du PNF pour « prise illégale d’intérêts, détournement de biens, favoritisme, concussion et harcèlement moral » par l’ancienne directrice générale adjointe de la communauté urbaine (CU) Le Havre Seine Métropole, dont le contrat de trois ans n’a pas été renouvelé par Edouard Philippe.
  11.  
  12. Administratrice territoriale, Judith (le prénom a été modifié), vise directement dans sa plainte Edouard Philippe, patron du parti Horizons, maire du Havre et président de la CU Le Havre Seine Métropole depuis son départ de Matignon en juillet 2020. Elle cible aussi Stéphanie de Bazelaire, adjointe au maire chargée de l’innovation et du numérique et conseillère communautaire de la CU, ainsi que la directrice générale des services (DGS) de la CU, Claire-Sophie Tasias.
  13.  
  14. Contactés, ni Edouard Philippe, ni Mme de Bazelaire, ni Mme Tasias n’ont encore donné suite à nos sollicitations. Au cœur de la plainte : un soupçon de contournement des règles des marchés publics en lien avec une convention d’objectifs pluriannuelle cosignée, le 30 juillet 2020, par Edouard Philippe, en tant que président de la CU, et Mme de Bazelaire, comme présidente bénévole de LH French Tech.
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  16. Plusieurs recommandations et alertes des juristes
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  18. En vertu de ce document, la CU a chargé l’association LH French Tech – active depuis le 15 juillet 2020 (soit le jour de l’élection de M. Philippe à la tête de la CU), dirigée par Mme de Bazelaire et dont le siège social est situé au domicile de l’élue – d’animer et d’exploiter la Cité numérique du Havre, nouvel édifice dédié aux métiers du numérique, de l’entrepreneuriat et de l’innovation.
  19.  
  20. Au terme d’un appel à manifestation d’intérêts lancé par la CU en mars 2020, seule l’association, déclarée en sous-préfecture en avril 2020, a déposé un projet. Elle a été retenue dans le cadre d’un service d’intérêt économique général (SIEG), schéma juridique plus souple que l’attribution d’un marché public. Cette convention lie la CU et LH French Tech pour quatre ans et fixe le versement, à l’association, d’une « compensation de service public » de 2,154 millions d’euros par la collectivité.
  21.  
  22. En janvier 2020, dans une étude, les conseils externes de la CU ne plaidaient pas particulièrement en faveur de la mise en place d’un SIEG pour des raisons de « sécurité juridique », pointant les « risques non négligeables de requalification » de ce montage juridique en « marché ou en concession » si « obligations de service public et initiative publique du service ».
  23.  
  24. De surcroît, la situation de conflit d’intérêts dans laquelle était susceptible de se trouver Mme de Bazelaire, à la fois présidente de LH French Tech, adjointe au maire et conseillère communautaire, a fait l’objet de plusieurs recommandations et alertes des juristes de la CU, selon des éléments et échanges internes consultés par Le Monde.
  25.  
  26. Outre la présidence de LH French Tech, la conseillère communautaire, qui a figuré sur la liste de M. Philippe pour les élections municipales, occupe un poste rémunéré de direction à l’Ecole de management de Normandie, hébergée dans la Cité numérique.
  27.  
  28. « Difficultés de gestion »
  29.  
  30. En février 2020, soit avant le scrutin municipal, le service juridique de la CU avait déjà dû plancher et tirer la sonnette d’alarme sur la « compatibilité » des fonctions de président d’association avec celles d’élu municipal ou de conseiller communautaire « notamment lorsque l’association intervient dans le même domaine de compétence que l’élu ». Il préconisait que l’élu ne « signe aucun acte en lien avec l’association » en question.
  31.  
  32. Concernant Mme de Bazelaire, la direction juridique de la CU a pointé, en juillet 2020, le risque pénal « très fort » de « prise illégale d’intérêts » tout en n’écartant pas celui de « favoritisme ». Elle a recommandé que l’élue ne prenne part à aucune délibération sur la Cité numérique, sorte de la salle lors des votes, et démissionne de la présidence de l’association.
  33.  
  34. Voté le 23 juillet 2020 par la CU lors d’un vote auquel Mme de Bazelaire n’a pas participé (le procès-verbal ne précise pas si elle a quitté la salle), ce SIEG va être le « dossier prioritaire » de Judith, recrutée comme directrice générale adjointe de la collectivité en septembre 2020 pour piloter les dossiers en lien avec l’innovation. « J’ai toujours été perplexe sur ce dossier et me suis rapidement rendu compte que l’association était incapable de dérouler le projet, confie-t-elle aujourd’hui. J’ai signalé les difficultés de gestion : l’association commençait à brûler les sous dans des salaires mirobolants. »
  35.  
  36. Situation budgétaire intenable
  37.  
  38. Les services de la CU s’étonnent, en 2021, des recrutements en CDI et constatent que l’association n’a pas tenu ses trajectoires d’activité et financière. Le « cumul de fonctions » de Mme de Bazelaire fait à nouveau l’objet de plusieurs alertes en interne. Mais l’élue « refusait de démissionner » de la présidence de l’association, comme l’assure Judith.
  39.  
  40. L’élue, qui a participé aux réunions d’un « comité numérique » mis en place par M. Philippe, fut toutefois contrainte de quitter la tête de LH French Tech, à l’été 2021, sous la pression de l’administration afin de « sécuriser » « les élus et dirigeants de la CU », comme l’avaient réclamé les services juridiques de la collectivité.
  41.  
  42. Au fil des mois, la situation budgétaire de LH French Tech devient intenable. « L’association n’a pas déroulé son activité comme prévu, n’a pas vraiment cherché à augmenter son chiffre d’affaires, assure Judith. Au bout de dix-huit mois, j’ai proposé à Edouard Philippe de mettre un terme anticipé à la convention. » En mars 2022, alors que la collectivité a déjà versé 1,15 million d’euros à French Tech LH, la CU vote la rupture anticipée de la convention avec l’association à compter du 30 juin 2022, et du bail d’occupation à la Cité numérique.
  43.  
  44. L’avenir de l’association continue cependant d’inquiéter les services de la collectivité. Alors que l’administratrice provisoire de LH French Tech a sollicité l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, une note interne est préparée fin septembre 2022 par Judith, avec l’aide du service juridique, à l’attention d’Edouard Philippe, et relue préalablement par la nouvelle directrice générale des services, Claire-Sophie Tasias, concernant les « sérieux risques juridiques » qu’entraînerait pour la CU et l’association une « procédure de liquidation judiciaire ». « Les risques étaient connus en haut lieu », insiste Judith aujourd’hui.
  45.  
  46. Dans la note à l’attention d’Edouard Philippe est relevé le risque de requalification du SIEG en délégation de service public (« contrat de la commande publique ») en cas de liquidation judiciaire de l’association.
  47.  
  48. « Risque avéré » de qualification en « association transparente »
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  50. Selon les juristes de la CU, la justice pourrait engager des poursuites pour « délit d’octroi d’avantage injustifié » si elle était saisie par « le liquidateur » de LH French Tech et « porter un regard plus sévère sur le dossier » « au vu du large périmètre des objectifs de service public dévolus à l’association et du peu d’activités commerciales exercées en propre par cette dernière. » Dans la foulée, Mme Tasias demande par écrit à Judith si « le président » est directement « concerné » par ce risque pénal. « Les services ont répondu au moins oralement oui à cette question », dit Judith aujourd’hui.
  51.  
  52. La note à l’attention de M. Philippe souligne aussi que la CU « commettrait une faute de gestion » en ne réclamant pas une « créance exigible » à l’association pour les « surcompensations » versées à cette dernière et « estimées à 240 000 euros pour 2021 et 2022 ». Selon les services de la collectivité, l’association pourrait être contrainte de reverser à la CU les subventions publiques touchées en cas de contrôle de la Commission européenne.
  53.  
  54. Par ailleurs, les juristes de la CU observent qu’il existe « un risque avéré » de qualification de LH French Tech en « association transparente », à savoir une association perdant toute autonomie vis-à-vis de la collectivité publique. Ce qui pourrait entraîner un contrôle de légalité par la chambre régionale des comptes (CRC), « l’élu reconnu comptable de fait », encourant « une déclaration d’inéligibilité. »
  55.  
  56. La note rappelle aussi que le « cumul de fonctions » de Mme de Bazelaire lors de la signature de la convention en juillet 2020 « pourrait susciter l’interrogation du procureur de la République et des magistrats de la CRC ». LH French Tech sera finalement liquidée judiciairement au printemps 2023 par un jugement du tribunal du Havre.
  57.  
  58. « J’ai subi un véritable harcèlement »
  59.  
  60. Responsable de cette note sur le dossier de la Cité numérique, Judith affirme avoir vu ses conditions de travail soudainement se dégrader. Les relations se tendent avec la nouvelle DGS et la plaignante n’est plus « conviée à certaines réunions » à l’automne 2022. Elle dit avoir subi « des pressions, humiliations et pratiques vexatoires » et avoir été sommée par sa supérieure de ne plus évoquer, en interne, « par écrit ou au téléphone », le dossier de la LH French Tech avant d’en être « dessaisie ». On lui annonce ensuite qu’elle serait « ultérieurement dessaisie de tous les dossiers innovation ».
  61.  
  62. « Il y a un malaise en interne sur ce projet. J’ai subi un véritable harcèlement après voir transmis en interne les analyses juridiques. D’une certaine façon, j’en savais trop, j’en disais trop », avance Judith. En arrêt de travail fin 2022 puis disposant d’horaires aménagés, Judith sollicite auprès de M. Philippe la protection fonctionnelle, mesure de protection due par l’administration aux agents publics victimes d’agression dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions. Dans un courrier d’avril 2023, le patron de la CU lui notifie son refus de lui accorder la protection fonctionnelle, réitère son soutien à Mme Tasias et informe Judith de son intention de ne pas renouveler son contrat à durée déterminée à la CU en raison d’un défaut d’expertise et d’implication.
  63.  
  64. Depuis, Judith, qui a retrouvé un poste dans l’administration centrale, a déposé, en juillet, une requête auprès du tribunal administratif de Rouen pour contester le rejet de sa demande de protection fonctionnelle. Elle a par ailleurs saisi, en mars, le défenseur des droits pour obtenir le statut de lanceur d’alerte. « Cette affaire montre une fois de plus les dangers de l’immixtion public-privé et l’absence de contrôle de certains hauts dignitaires de l’Etat, considère l’avocate de Judith, Christelle Mazza. Le renforcement de la protection du statut des lanceurs d’alerte doit inviter tout agent public témoin de la violation de la probité à signaler ces faits, en matière de probité notamment, sans craindre de représailles. »
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