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- Le scénario d'un engrenage mortel
- Bal de crépol| L'enquête sur la mort de Thomas, 16 ans, apporte des réponses sur l'origine du drame. Deux hommes sont au coeur des investigations. Nos révélations exclusives.
- Jérémie Pham-Lê et Vincent Gautronneau
- Des anonymes sur les réseaux sociaux jusqu'aux responsables politiques, chacun s'est déjà fabriqué une idée arrêtée du drame du bal de Crépol. Commentaires hâtifs, interprétations hasardeuses voire allégations erronées : depuis quinze jours, la mort de Thomas Perotto, 16 ans, est soumise à la récupération politique et à l'emballement médiatique.
- À l'extrême droite, on y voit un acte raciste « anti-Blancs » et le choc entre deux France, celle des villages contre celle des cités. À l'extrême gauche, on passe sous silence la gravité des faits. Même du côté de l'exécutif, l'affaire est imprudemment résumée à « un assassinat » ou « une attaque de personnes qui ont agressé gratuitement d'autres personnes »... Or la réalité des faits est plus complexe et la vérité judiciaire échappe aux grilles de lecture idéologiques. C'est ce qui ressort de l'enquête des gendarmes de la section de recherches de Grenoble dont notre journal a pris connaissance en exclusivité. Si les investigations ne font que débuter, quelques certitudes se dégagent. Rien n'accrédite la thèse d'un raid prémédité sur le bal de Crépol (Drôme) ce soir fatal du 18 novembre. Et le tueur de Thomas n'est toujours pas identifié.
- En revanche, fait nouveau : alors qu'une polémique fait rage sur les prénoms des mis en examen, dont l'origine serait, pour certains, une clé de compréhension du drame, deux jeunes hommes sont désormais suspectés d'être le meurtrier. L'un s'appelle Ilyès Z., 22 ans, d'origine maghrébine. Le second est un adolescent de 17 ans qui porte un prénom et un nom historiquement français. Ce dernier étant mineur, son identité est protégée par la loi. Le profil de celui que nous appellerons Julien intéresse d'autant plus les enquêteurs que son petit frère, soupçonné d'avoir aussi été présent à Crépol, est considéré comme en fuite par la justice.
- De l'enquête, il ressort qu'au moins neuf suspects, tous nés à Romans-sur-Isère (Drôme) à l'exception d'un, sont arrivés à Crépol au fil de la soirée à bord de cinq voitures (deux Clio, une Citroën, une Polo et une Peugeot) entre 23 heures et 1 heure du matin par petits groupes. Certains disent avoir eu vent du bal par les réseaux sociaux et été attirés par la présence annoncée de nombreuses filles. Au moins quatre d'entre eux ont d'ailleurs participé à cette soirée dansante et font partie des 450 personnes présentes à l'intérieur de la salle des fêtes, où ils sont restés près de deux heures avant que la bagarre mortelle n'éclate. Ce qui affaiblit la thèse d'une expédition punitive programmée. Il y a parmi eux Chaïd A., 20 ans, identifié par son survêtement bleu et rose de l'Olympique lyonnais. Il a remis un couteau de chasse à l'un des quatre vigiles, qui l'a fouillé et autorisé à entrer dans la salle. Figurent aussi Yanis B.-C., 18 ans, dont la présence est attestée par des photos prises dans la salle, mais aussi Nabil*, 16 ans, dont le téléphone borne à Crépol à partir de 23 h 43 et qui s'est filmé durant le bal, ou encore Ilyès Z., cheveux noués en catogan.
- Coups de coude et sourire narquois
- Entre les suspects et les fêtards, deux univers se toisent. Les Romanais apparaissent décalés avec leurs tenues de sport négligées par rapport à l'ambiance plus soignée du bal. Si une cinquantaine de témoins n'ont rien relevé de problématique dans l'attitude des suspects durant la fête, les voyant, pour certains, danser, d'autres disent à l'inverse avoir été troublés par quelques scènes. Ils décrivent de jeunes hommes assis dans leur coin, n'ayant pas l'air de s'amuser et jetant des regards malsains sur la foule. Certains évoquent même des « coups de coude » ou un épisode durant lequel un jeune de Romans aurait « obligé une fille à danser ».
- « Ils savent bien que personne ne peut les voir quand ils viennent. Ils cherchent des problèmes », a déclaré l'un des témoins aux gendarmes. « Les jeunes de Romans et de Crépol se côtoient au lycée, ils se connaissent de vue mais ils ne sont pas du même monde », glisse une source proche de l'enquête. Plus tard dans la soirée, un autre groupe de jeunes de Romans aurait rejoint le village mais serait resté à l'extérieur de la salle des fêtes, à boire de l'alcool sur le parking. Des participants du bal auraient été apostrophés par ces nouveaux arrivants avec des questions insistantes telles que « Alors, est-ce qu'on est fouillés ? » lorsqu'ils sortaient fumer une cigarette.
- Malgré cette ambiance un peu pesante, aucune intervention des vigiles n'est nécessaire. Ce n'est que vers 2 heures du matin qu'une altercation futile fait basculer la soirée. Elle va entraîner un enchaînement de violence mortelle. À ce moment-là, le DJ diffuse un ultime morceau du rappeur français Jul, « Tchikita » (« fillette » en espagnol). Selon le témoignage d'Ilyès Z., alors qu'il est assis « sans rien demander à personne », un rugbyman appelé Thomas L. se met à lui tirer sa longue chevelure brune et bouclée. « Il m'attrape les cheveux et me dit que j'ai les cheveux longs comme Nikita », a assuré le suspect en garde à vue. Cette provocation, une référence aux paroles de la chanson de Jul, ne plaît guère à Ilyès Z. qui, en retour, l'insulte et lui intime de dégager à deux reprises.
- « Allez, tu viens, on va dehors ! »
- Sourire narquois, Thomas L. aurait refusé de s'exécuter et aurait proposé à Ilyès Z de s'expliquer de façon virile, lui lançant : « Allez, tu viens, on va dehors ! » Des témoins évoquent une sortie précipitée de la salle d'« un grand brun » suivi de près par le rugbyman. « Cette altercation pourrait être à l'origine de la rixe », notent les enquêteurs dans un rapport daté du 25 novembre. Lors de sa déposition, Thomas L. a simplement reconnu avoir « peut-être bousculé » Ilyès Z. en rejoignant un groupe d'amis. Mais un témoignage interpelle. « Au cours de la soirée, Thomas (L.) m'a dit : J'ai envie de taper des bougnoules », a confié une amie du rugbyman aux enquêteurs.
- Dans le sas d'entrée, l'explication entre les deux hommes tourne court. Selon le récit d'Ilyès Z., il se fait frapper à coups de poing et de pied par Thomas L. et deux ou trois rugbymen arrivés en renfort. Il finit « à quatre pattes », sonné.
- De leur côté, deux de ses adversaires, dont l'un le connaît du lycée de Romans, ont assuré s'être défendus : l'un dit avoir « sauté sur son dos », l'autre lui avoir mis « un doigt dans l'oeil » pour éviter d'être étranglé. Cette bagarre va en tout cas agréger bien plus de belligérants, « une trentaine », selon les gendarmes. Les jeunes de Romans, renforcés par le groupe resté sur le parking, seraient à leur tour rentrés dans la mêlée, ainsi que des amis de Thomas L. Dont le jeune rugbyman Thomas Perotto.
- À cet instant, un vigile qui s'interpose entre deux bagarreurs reçoit un coup de couteau. « J'ai voulu les séparer alors j'ai pris le jeune de Crépol par le cou pour l'emmener plus loin, nous raconte ce professionnel de la sécurité. Je ressens une forte douleur à la main. C'était un coup de couteau qui visait la gorge. C'était ma main ou sa vie. » Ce vigile ajoute : « Beaucoup de conneries ont été dites. Quand j'ai été blessé, je ne refoulais pas de jeunes de Romans à l'entrée, je tentais juste de calmer les choses... »
- Peine perdue. La bataille entre les deux camps s'avère déséquilibrée. Côté Romans, plusieurs agresseurs sont armés de couteaux voire, selon certains témoignages, de « gants coqués ». Côté rugbymen, on n'a que les poings. Les affrontements sont rudes. Selon les expertises médicales, au moins cinq jeunes Romanais présentent des blessures liées aux coups. L'un sera identifié parce qu'il s'est présenté dans la nuit à l'hôpital de Valence pour se faire recoudre le bras.
- Des propos « hostiles aux Blancs » entendus
- Dans le clan des rugbymen, le bilan est bien plus dramatique. Thomas Perotto ne se relèvera pas. Il succombe à un coup de couteau, unique, « ayant frappé le ventricule droit sans frapper le coeur », d'après l'autopsie. Thomas L., quant à lui, est passé près de la mort : il est poignardé à deux reprises, dont une fois « au niveau de la zone cardiaque ». Un dernier souffre d'une plaie grave au dos. Dix autres personnes sont blessées plus légèrement. Lors des affrontements, neuf témoins sur les 104 auditionnés rapportent avoir entendu des propos « hostiles aux Blancs » de la part du clan Romans-sur-Isère. « On va t'avoir, petit Blanc », dit, par exemple, avoir saisi un des participants au bal.
- Après cette scène ultraviolente, les Romanais s'enfuient de Crépol en voiture. Un coup de feu est tiré depuis un véhicule. Aux alentours de la salle des fêtes, les gendarmes découvrent un véritable chaos. « La scène de crime est particulièrement dégradée du fait du nombre important de personnes ayant piétiné le sol », écrivent-ils. L'enquête, ouverte pour « meurtre en bande organisée », se révèle particulièrement complexe face à tant de témoignages contradictoires, évolutifs ou fragiles. Avec une question centrale : qui a porté le coup fatal à Thomas Perotto ?
- Selon la déposition initiale d'un rugbyman, Chaïd A. est d'abord désigné comme le tueur. À tort, semble-t-il. Après l'avoir reconnu une première fois sur une planche photographique, ce témoin va donner une description vestimentaire incompatible avec la tenue portée par Chaïd A. Il ne va d'ailleurs plus être capable de l'identifier lors de la présentation de nouveaux clichés lors d'une seconde audition. En revanche, le jeune Romanais est bien décrit par plusieurs comme porteur d'une lame au moment de la bagarre, sans que l'on sache s'il en a fait usage. Des auditions suivantes de témoins, il ressort une constante : le tueur de Thomas Perotto serait « un grand brun, les cheveux long bouclés ». Malgré des origines ethniques différentes, deux suspects correspondent à cette description : Ilyès Z., l'homme moqué par un rugbyman, et Julien, un mineur de Romans. « Leurs profils sont similaires », consignent les gendarmes, troublés par leur ressemblance physique.
- Certains suspects ont exprimé de la compassion
- Chacun a été désigné par au moins un témoin comme étant potentiellement le meurtrier. Mais tous deux ont nié. En garde à vue, Julien a même contesté sa présence à Crépol ce soir-là, livrant un alibi non confirmé. Des témoignages le désignent pourtant lui et son petit frère comme passant la soirée à l'extérieur de la salle et participant aux affrontements armés de couteaux. Étrangement, le benjamin était introuvable lors du coup de filet. D'autres témoignages évoquent l'implication d'Ilyès Z. ou Julien dans la blessure infligée au vigile.
- Quant aux graves blessures infligées à Thomas L., un suspect se dégage plus nettement : Yanis B.C., qui s'est rendu de lui-même à la gendarmerie avec son père. Lorsque les enquêteurs l'ont mis face à une vidéo de la soirée le montrant brandissant un couteau, ce jeune homme de 18 ans s'est braqué et a demandé à s'entretenir avec son avocat. De manière générale, aucun des neuf suspects mis en examen n'a reconnu avoir donné des coups de couteau. Six ont été écroués dont Chaïd A., Ilyès Z. et Julien. D'autres suspects courent toujours.
- Le tueur de Thomas serait-il parmi eux ou est-il déjà incarcéré ? Selon l'enquête, les jeunes Romanais étaient au moins une quinzaine. « L'élucidation des faits de Crépol n'est pas achevée », avait prévenu le procureur de Valence, Laurent de Caigny. En garde à vue, nombre de suspects ont prononcé des mots de compassion pour les victimes. Il en est ainsi de Faycal R., 21 ans : « Je suis innocent, je ne supporte pas l'idée de ce qu'il s'est passé. Je partage la peine de la famille de Thomas. Paix à son âme. »
- Illustration(s) :
- Très vite vue comme le symbole d'un choc entre deux France,la mort de Thomas se révèle plus complexe. Selon les élémentsde l'enquête, rien n'accréditela thèse d'un raid prémédité..
- sipa/MOURAD ALLILI.
- Crépol, village paisible de 500 habitants dans la Drôme,organisait un bal le 18 novembre. Une fête qui a tourné au drame..
- Note(s) :
- * Le prénom a été changé.
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