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Jul 24th, 2017
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  1. Outre-Rhin, le chômage baisse, et la pauvreté s'envole. Obnubilés par les performances économiques du pays, les gouvernants ne se soucient guère des inégalités qui se creusent de plus en plus. Et de la misère qui se cache.
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  3. à Berlin - Nous demandons aux chefs d'Etat et de gouvernement qui sont venus à Hambourg de comprendre que des problèmes comme celui de la montée des inégalités dans le monde a des conséquences globales et qu'il faut inscrire cela en haut de l'ordre du jour», déclarait Jörn Kalinski, représentant allemand du groupe d'ONG Oxfam, spécialisé dans la lutte contre la pauvreté, en marge du sommet du G20 réuni début juillet dans la capitale hanséatique. Un appel aux dirigeants des pays les plus riches de la planète lancé depuis l'Allemagne, qui cultive des inégalités records : locomotive économique de l'Europe, le pays possède aussi l'un des plus gros secteurs d'emplois à bas salaire du continent. Outre-Rhin, 22,5 % des actifs gagnent moins de 10,50 € de l'heure contre seulement 8,8 % pour la France. Masquée par les énormes surplus commerciaux des entreprises, la hausse du niveau de pauvreté commence à menacer la cohésion de la société allemande.
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  5. «L'Allemagne a atteint un nouveau record depuis la réunification, avec un taux de pauvreté de 15,7 %, soit 12,9 millions de personnes», s'inquiète Ulrich Schneider, secrétaire général de la Fédération allemande des organisations caritatives. Même le Fonds monétaire international s'alarme de la situation dans son dernier rapport annuel : «Malgré un filet de sécurité sociale bien développé et une forte progression de l'emploi, le risque de pauvreté relative [en Allemagne] demande une attention continue.» Début juillet, c'est la fondation syndicale Hans Böckler qui a montré à son tour que le nombre de travailleurs pauvres, c'est-à-dire gagnant moins de 60 % du revenu médian, est passé d'environ 2 millions de salariés en 2004 à 4 millions en 2014 (9,7 % de la population active) ! «J'ai suivi une formation de mécanicienne en matériel agricole en RDA, raconte Beate Goltz. Mais mon exploitation a été liquidée après la chute du Mur. Pendant mes dix années de chômage, je me suis recyclée en suivant une formation de mécanicienne auto. Mais je n'ai jamais retrouvé d'emploi...» Résultat, cette petite femme de 50 ans au physique émacié et à la toux trop fréquente s'est résolue à faire des ménages depuis 1999. Elle est tout de même fière de son «vrai» emploi, un CDI qui lui apporte environ 1 300 € brut par mois pour quarante heures hebdomadaires : «Je me lève vers 3 heures du matin et je commence à 4 h 30 dans une maison de retraite. Puis je fais des bureaux et un centre pour réfugiés. J'ai une pause l'après-midi. Et, à 17 heures, je fais le ménage dans un cabinet médical. C'est un petit extra qui me rapporte 120 € par mois», détaille-t-elle.
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  7. Le compagnon de Beate Goltz est, lui, employé dans une auto-école où il enseigne le code une quinzaine d'heures par semaine. Il gagne 450 € par mois et bénéficie d'une couverture de base sans devoir verser de cotisations sociales. Soit un minijob : «Mon mari a été longtemps malade et a touché l'allocation d'existence Hartz IV pendant plusieurs années. Mais Hartz IV, c'est vraiment pour les pauvres. C'est pour cela que nous ne sommes pas mariés. Sinon, ils auraient calculé nos revenus ensemble. Et avec ma paye, on est encore trop riches. Jamais il n'aurait pu toucher quoi que ce soit», glisse-t-elle. Aujourd'hui, l'Allemagne compte près de 6,6 millions de mini-jobbers, et 4,4 millions de bénéficiaires de l'allocation Hartz IV (409 € par mois auxquels s'ajoute l'aide au logement).
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  9. Ce sont les réformes du marché du travail inspirées par l'industriel Peter Hartz et mises en œuvre entre 2003 et 2005 par l'ancien chancelier social-démocrate (SPD) Gerhard Schröder qui sont à l'origine de cette dérive. L'Allemagne comptant à l'époque plus de 5 millions de chômeurs, Schröder a décidé de flexibiliser fortement le marché de l'emploi pour rendre «le chômage moins intéressant que le travail». Ces réformes ont engendré les minijobs, développé l'intérim et fait exploser les «Werksverträge», des contrats de sous-traitance proches des contrats de chantier. La fusion de l'allocation chômage longue durée et de l'aide sociale (loi Hartz IV) a accéléré la paupérisation. Nul ne peut toucher en effet cette allocation s'il dispose de plus de 9 750 € d'économies. Au-delà, il faut vivre sur ses avoirs personnels, ce qui explique que 70 % des chômeurs allemands (contre 45 % pour la moyenne des pays de l'Union européenne) vivent sous le seuil de pauvreté.
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  11. «Ce que l'on observe aujourd'hui, ce sont les conséquences de ce que Gerhard Schröder appelait, lors d'un passage à Davos, " le meilleur secteur à bas salaires d'Europe"», ironise Stefan Sell, spécialiste des questions de pauvreté à l'université de Coblence. Si le «miracle de l'emploi» a bien eu lieu sur un plan quantitatif, il a produit une catastrophe sur le plan qualitatif. A terme, l'Allemagne, pays vieillissant, risque de devoir faire face à une paupérisation encore plus forte de sa population retraitée. «Je ne me considère pas comme pauvre. Mais enfin, comme je n'ai pas les moyens d'aller boire une tasse de thé avec mes amies, je me suis inscrite à Pfandgeben [«Donner la consigne»]. C'est un site où les gens qui ont des bouteilles consignées appellent pour qu'on vienne les en débarrasser. En échange, nous gardons l'argent de la consigne», explique Lydia, 69 ans, qui récupère ainsi une vingtaine d'euros par mois.
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  13. DISSOLUTION DU LIEN SOCIAL
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  15. A l'horizon 2036, la Fondation Bertelsmann estime que 20 % des nouveaux retraités seront pauvres. Le pire, c'est que les dirigeants du pays ainsi qu'une majorité d'électeurs ne semblent pas même percevoir cette réalité affolante. La justice sociale ne passionne guère des électeurs qui envisagent, aux élections de septembre, de choisir le parti d'Angela Merkel, la CDU, qui propose de voter «pour une Allemagne dans laquelle nous aimons vivre». Pourquoi une telle indifférence ? «Ici, la pauvreté ce n'est pas comme à Calcutta où vous avez des gens qui meurent de faim au coin de la rue. La pauvreté à Cologne, par exemple, se dissimule bien. On se cache parce que l'on a encore plus honte d'être pauvre quand on vit dans une société riche et peu solidaire», explique Christoph Butterwegge, ancien candidat (Die Linke) à la présidence de la République.
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  17. «Heinrich Heine, explique-t-il, n'a pas écrit pour rien que l'Allemagne est le pays de l'obéissance. Ici, on ne se révolte pas. Et la société allemande a tendance à estimer que celui qui est pauvre n'a pas mérité autre chose, parce qu'il a dû commettre des erreurs, parce qu'il ne sait pas gérer son argent, parce qu'il a bu sa paye, parce que c'est un parasite social, etc.» Résultat, raconte Christoph Butterwegge, «de nombreux laissés-pour-compte se sentent responsables et se perçoivent comme des perdants. Si l'on ne réagit pas, la pauvreté dissout le lien social». Les gouvernements successifs ne sont pas inactifs pour lutter contre la pauvreté. Mais, sous la pression des lobbies économiques, ils sont hantés par la crainte qu'une augmentation trop forte des salaires ne menace la compétitivité des entreprises allemandes à l'export. Ainsi, le salaire minimum universel n'a été introduit qu'au bout de sept années de bataille. Et encore, au taux horaire de 8,50 € et avec un dispositif de contrôle tellement faible qu'il laisse aux chefs d'entreprise la possibilité d'opérer pas mal d'entorses.
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  19. Le «rapport gouvernemental sur la pauvreté» n'a été publié que début 2017, avec un retard d'un an et demi, parce que la chancellerie fédérale a exigé la suppression de nombreux passages évoquant les conséquences négatives de la pauvreté sur la croissance ou encore le déficit de la représentation politique des pauvres et de leurs intérêts. Par exemple, l'explication selon laquelle «les partis qui veulent évidemment gagner le plus de voix tiennent moins compte des intérêts des personnes à bas revenus, à cause de la faible participation politique» a disparu de la version finale du texte. En Allemagne, les pauvres (65 %) votent en moyenne beaucoup moins que les riches (90 %). Soit une différence de 25 points contre seulement 11 points pour la France (81 % contre 92 %).
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  21. Dès lors, les pauvres étant devenus invisibles et muets, pourquoi les gouvernants, tout à leur cynisme, se soucieraient-ils de leur sort ?
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  23. Encadré(s) :
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  25. "L'ALLEMAGNE A ATTEINT UN NOUVEAU RECORD DEPUIS LA RÉUNIFICATION, AVEC UN TAUX DE PAUVRETÉ DE 15,7 %, SOIT 12,9 MILLIONS DE PERSONNES."
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  27. LE "CROWDWORKER" EST-IL LE PAUVRE DU FUTUR ?
  28. Grâce à Internet, le travail à la tâche d'antan, payé à la pièce et réalisé à la maison, revient en force sous une forme plus moderne baptisée le crowdworking ou «travail en foule». Le principe est simple. Un employeur désireux de faire réaliser une tâche rapidement et à moindre prix se met en rapport avec une plate-forme Internet qui le met en relation avec une «foule» de travailleurs disséminés dans le monde entier qui vont se partager le travail. Les spécialistes appellent cela le «portage salarial». Payées la plupart du temps à très petits prix, les tâches en question vont de la saisie de données jusqu'à la programmation, en passant par la traduction, le test de sites Internet ou même la participation à des programmes de recherche. En Allemagne, le syndicat IG Metall a identifié près de 32 plates-formes actives qui fournissent un travail à la tâche à environ 1 million de personnes : «Le crowdworking sans encadrement, c'est la porte ouverte à toutes les dérégulations et à la paupérisation des travailleurs !» s'alarme la no 2 du syndicat.
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