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Jawad Rhalib, esprit libre et engagé (Le Figaro, 18 avril 2024)

Apr 18th, 2024 (edited)
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  1. JAWAD RHALIB, ESPRIT LIBRE ET ENGAGÉ
  2. Beck, Valérie
  3. Le Figaro, no. 24775, jeudi 18 avril 2024
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  5. CE CINÉASTE BELGO-MAROCAIN, DONT LE FILM « AMAL. UN ESPRIT LIBRE » EST EN SALLE DEPUIS MERCREDI, DÉNONCE AVEC COURAGE LA RADICALISATION À L'ÉCOLE ET L'ISLAMISATION DE LA SOCIÉTÉ.
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  7. Jawad Rhalib n'a rien d'un homme en colère. Il étonne même par son calme et sa détermination placide. Résolument engagé, ce réalisateur belgo-marocain bouillonne cependant face aux injustices et n'hésite pas à batailler. Depuis vingt-cinq ans, il dénonce ainsi les dérives sociales et religieuses de notre société dans des documentaires coup-de-poing. « Quand je vois des choses qui ne tournent pas rond, je n'arrive pas à me taire. C'est un peu comme un clou, vous voyez ? Je tape avec le marteau jusqu'à ce que le clou finisse par rentrer. J'espère qu'un jour cela paiera. » Bien plus qu'un marteau, Amal. Un esprit libre,sa dernière fiction incroyablement réaliste, est une masse qui nous assomme et nous laisse groggy, stupéfaits (voir nos éditions d'hier, page 28).
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  9. À travers le personnage d'Amal (Lubna Azabal), une enseignante de littérature à Bruxelles qui subit les intimidations et les menaces d'un groupe d'élèves et de leurs parents pour avoir présenté en cours Abu Nawas (un poète arabo-musulman bisexuel et profondément religieux du VIIe siècle), Jawad Rhalib aborde de front et sans concession le problème de la radicalisation et de l'intégrisme à l'école .Un sujet brûlant percuté par la réalité avec l'assassinat de Samuel Paty intervenu pendant la production du film, puis avec celui de Dominique Bernard.
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  11. La peur est au coeur de ce thriller implacable. La peur d'une professeur dont la liberté d'expression est entravée, celle d'une lycéenne harcelée pour son homosexualité ou d'une directrice d'établissement qui ne veut surtout pas faire de vagues. « La peur d'Amal, c'est ma peur à moi,confie Jawad Rhalib. Je vis constamment avec elle quand je traite d'un sujet aussi délicat. C'est humain, naturel. Les idées noires défilent pendant la nuit et puis, au matin, on se lève, on oublie et on repart au combat. »
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  13. Et, comme l'atteste sa filmographie, Jawad Rhalib ne recule devant aucun combat. Celui des jeunes Marocains pendant la révolution de 2011 (Le Chant des tortues). D'une femme dans un village du Haut Atlas, bataillant pour l'égalité des sexes (Fadma, même les fourmis ont des ailes). Celui de modestes pêcheurs en lutte pour leur survie face aux chalutiers étrangers (Les Damnés de la mer). De personnes LGBT+ contre les discriminations (The Pink Revolution).Ou d'artistes arabo-musulmans combattant pour une liberté d'expression menacée et gangrenée par la montée de l'intégrisme islamique (Au temps où les Arabes dansaient). Ce dernier documentaire, récompensé par de nombreux prix, a été programmé un peu partout, au Canada, en Suisse, et même en Afrique. Mais pas en France, à l'exception du Festival international du film politique de Carcassonne, où il a fait l'ouverture, et du Festival Itinérances, à Alès.
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  15. « J'ai été très peiné de ne pas le voir sortir en France. D'autant que c'est un film qui a touché énormément de monde. Je ne vais pas donner de noms, mais on nous avait demandé de couper un passage, une scène deSoumission, de Michel Houellebecq, adaptée par une troupe de théâtre flamande. La raison invoquée était qu'il fallait éviter de heurter la sensibilité de certains. Aucun autre pays n'a réclamé la même chose, pas même le Burkina Faso. » Le réalisateur n'a pas peur de déplaire. « Si on commence à réfléchir à la façon dont son travail va être perçu ou récupéré, on n'avance pas. On reste là à observer et on fabrique du Disney ou des films qui caressent dans le sens du poil. On ne peut pas plaire à tout le monde. »
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  17. Ayant passé son enfance à Meknès, au Maroc, dernier d'une famille de trois enfants, il le reconnaît : ses parents ne sont pas pour rien dans son engagement. Son père, aujourd'hui décédé, a été résistant pendant le protectorat français et a fait de la prison. Sa mère, danseuse, très libérée pour l'époque, portait des jupes et se moquait royalement du jugement des autres. Elle n'a pas changé. Jawad Rhalib l'a filmée dans Au temps où les Arabes dansaient. « Alors qu'elle doit danser, je lui dis : « Et n'oublie pas que tu t'adresses en fait aux radicalisés, aux islamistes qui veulent nous priver de notre liberté. » Elle me répond : « D'accord. »Et, du haut de ses 75 respectables années, elle commence à leur envoyer des doigts d'honneur !»
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  19. Jawad Rhalib, qui, petit déjà, ne pouvait pas s'empêcher d'intervenir s'il voyait quelqu'un se faire agresser dans la rue, cite, parmi ses souvenirs marquants, le retour de l'ayatollah Khomeyni en Iran. « J'ai été marqué par ces images en noir et blanc à la télévision et tout ce qui s'est passé après. Et puis cela s'est étendu à travers le temps, avec Daech, avec les talibans. On s'attaque toujours tout de suite à ce qui ouvre les esprits, c'est-à-dire à la culture. Je vous assure qu'à chaque fois je me dis que je vais faire une comédie. Mais il y a des urgences qui me ramènent aux mêmes préoccupations J'ai même fait une analyse pour tenter de comprendre pourquoi je ne peux pas vivre tranquillement, sans chercher les problèmes. C'est plus fort que moi ! Il faut que je me mêle de tout. »
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  21. Le réalisateur sait quand même s'arrêter pour passer du temps en famille, avec son fils de 9 ans pour jouer à cache-cache, courir dans la maison ou regarder ensemble « Pékin express ». Avec un regard malgré tout toujours en alerte. « L'émission se passe en Indonésie cette année. Les femmes sont musulmanes, voilées, mais on les voit danser, chanter au karaoké, prendre la main de ces hommes étrangers qu'elles accueillent dans leur foyer. Elles n'ont pas encore été polluées par l'islamisme. » Dans ses projets, un nouveau documentaire, Puisque je suis née. Pendant un an, Jawad Rhalib a suivi une adolescente de 14 ans issue d'un village perché dans le Haut Atlas, qui veut poursuivre ses études malgré les contraintes climatiques et l'opposition des hommes. Le cinéaste pense déjà à l'écriture de sa prochaine fiction. « Cela sera encore un sujet social et engagé, mais qui ne touchera pas l'islamisme cette fois. Je pense que je vais tourner cette page et aller vers d'autres choses. » Mais sans pour autant lâcher le marteau.
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