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- Justice
- Enquête pour «trafic d’influence»: Nikolaï Sarkisov, l’étrange ami russe de Nicolas Sarkozy
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- Sarkozy face à la justicedossier
- Fondateur du numéro 2 de l’assurance en Russie, un milliardaire a octroyé à l’ancien président un contrat de 3 millions d’euros qui intrigue la justice. Une enquête préliminaire menée par le PNF est ouverte depuis 2020. Selon la DGSI, l’homme d’affaires aurait eu des activités «en liaison avec la criminalité organisée».
- Sarkozy à l’université d’été du Medef à Longchamp, en 2019. Sarkisov à l’inauguration du consulat arménien à Lyon, en 2014. (Eliot Blondet/Abaca // Maxime Jegat/Le Progrès/MaxPPP)
- par Laurent Léger
- publié le 12 avril 2022 à 17h51
- Ce 30 janvier 2019, en sonnant au troisième étage d’un immeuble du Triangle d’or parisien, les policiers pensaient tomber sur Pascaline Bongo, la sœur du président du Gabon. Ils enquêtent sur les «biens mal acquis» de potentats africains et ont des questions à poser à cette pièce maîtresse du régime gabonais. Mais surprise : c’est un oligarque russe qui occupe alors les lieux. Pour 22 000 euros par mois, Nikolaï Sarkisov s’était loué depuis 2016 pour trois ans un vaste sept pièces, histoire d’attendre que les travaux dans son appartement de l’avenue Foch soient terminés.
- Aujourd’hui, c’est lui que la justice titille. Celui qui a fondé en Russie avec son frère un groupe d’assurance devenu aujourd’hui le numéro 2 du secteur, a employé un consultant de luxe, Nicolas Sarkozy, dans des conditions qui intriguent le Parquet national financier (PNF). Depuis l’été 2020, une enquête préliminaire est ouverte pour «trafic d’influence» à la suite d’une déclaration de Tracfin. Un virement de 500 000 euros adressé à Sarkozy a attiré l’attention d’une banque, qui a saisi le service antiblanchiment de Bercy. Edmond de Rothschild, l’établissement qui abrite les comptes de l’ancien chef de l’Etat, n’avait pas jugé bon de le faire.
- Mais le signalement Tracfin a braqué le projecteur sur le contrat signé entre l’ancien chef de l’Etat français et Reso Garantia, la société contrôlée par le milliardaire russe et son frère, pour un montant de 3 millions d’euros. C’est en juillet 2019 que le groupe d’assurance moscovite a embauché Sarkozy en tant que «conseiller spécial» et «président du comité de conseil stratégique auprès du conseil d’administration», avait précisé un porte-parole à Mediapart en 2021. L’ex de l’Elysée, dont les talents d’assureur étaient inconnus jusqu’à aujourd’hui, était alors encensé par les Russes : il «est un excellent négociateur et un excellent avocat», détaillait le bureau des Sarkisov. «Nous sommes très satisfaits des progrès qui ont été réalisés en matière commerciale» grâce à «M. Sarkozy», renchérissait Reso Garantia.
- «Proches du Kremlin»
- Mais quels conseils donnés aux éminents oligarques ont pu valoir à Sarkozy cette série d’adjectifs laudateurs ? «Le travail de M. Sarkozy et de son équipe» n’aurait relevé que de «projets multinationaux majeurs» de nature «commerciale» situés «hors de France», et n’impliquant «aucun gouvernement ou agence gouvernementale», se contente alors de préciser la société d’assurances. Avec de telles formules, on est bien avancé : impossible d’en savoir plus. Sollicitée par Libération, la porte-parole de Nicolas Sarkozy indique seulement que sa mission étant «terminée», l’ancien président a quitté le groupe russe à l’automne 2021.
- Quant à Nikolaï Sarkisov, il n’a pas souhaité nous répondre. L’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine met les hiérarques russes et leurs amis en difficulté, incluant ceux qui ne sont pas inscrits sur les listes noires des sanctions européennes, britanniques ou américaines, ce qui est le cas des frères Sarkisov. «Je peux vous dire qu’ils sont proches du Kremlin, précise pourtant un homme d’affaires qui les connaît bien. Ils fournissent de l’assurance au ministère de la Défense à Moscou.» Les principaux actionnaires de Reso Garantia sont en tout cas passés sous le radar des sanctions.
- Selon nos informations recueillies à Moscou, les autorités russes ont accepté de coopérer avec le Parquet national financier et ont interrogé une série de responsables et d’employés de Reso Garantia. C’était avant l’invasion de l’Ukraine. Leurs conclusions : circulez, il n’y a rien à voir, le consultant Sarkozy aurait bien employé de l’huile de coude au profit de l’entreprise. Mais pour les précisions, on peut toujours attendre. La prochaine étape des investigations devrait néanmoins, en toute logique, consister en une audition de l’ex-président en bonne et due forme, qui n’a toujours pas été menée. A Libération, Jean-François Bohnert, procureur de la République financier, confirme néanmoins que «l’enquête, ouverte pour trafic d’influence et blanchiment de crime ou délit, est toujours en cours à ce jour».
- Ancien du KGB
- La relation entre l’oligarque et Nicolas Sarkozy s’est-elle nouée autour du groupe Axa, l’un des leaders français de l’assurance, actionnaire important du groupe russe ? Telle était la thèse de départ, analysant le contrat offert à Sarkozy en éventuel renvoi d’ascenseur après que le Président avait peut-être donné un coup de pouce à l’opération d’entrée de l’assureur français au capital de Reso Garantia.
- En 2008 en effet, Axa, alors présidé par un proche de Sarkozy, Henri de Castries, prend, contre un chèque de 810 millions d’euros, quelque 37 % de Reso Garantia. Les groupes français et russes créent une filiale commune dans l’assurance vie et, surtout, Axa prête aux frères Sarkisov la somme faramineuse de 1 milliard de dollars, qui atterrit dans leur holding chypriote. Les oligarques ont remboursé le crédit en 2012, mais le milliard leur a donné des ailes. «Ce prêt les a boostés», analyse un businessman. L’option qui avait été réservée à Axa, lui permettant d’acquérir le reste de la société russe en 2010 et 2011, ne sera pas exercée. Est-ce à ce stade que Nicolas Sarkozy est intervenu entre les groupes russe et français ? Aujourd’hui, les Français détiennent 38,4 % de l’assureur russe, et viennent de discrètement retirer leurs représentants au conseil d’administration de Reso Garantia.
- Il est vrai que si Nikolaï Sarkisov est loin d’être un inconnu en France, ce quinquagénaire reste difficile à saisir. Notre homme est né dans le Cuba prosoviétique de la guerre froide, alors que son père, un haut fonctionnaire d’origine arménienne, y était affecté. Titulaire des nationalités russe et arménienne, il a acquis récemment le passeport chypriote, faisant de lui un citoyen européen. Chypre est connue pour offrir, depuis 2007, des «passeports dorés» en échange d’un investissement immobilier local supérieur à 2,5 millions d’euros − une pratique en cours jusqu’à 2020. Après avoir œuvré dans le commerce extérieur, il a effectué deux ans de service militaire dans les rangs du KGB. La «moitié des oligarques sont des KGbistes», note un ancien haut cadre du renseignement français.
- Plaque diplomatique
- Les services de renseignement intérieur, qui scrutent de près la présence sur le territoire des hommes de Moscou, ont inscrit en tout cas Nikolaï Sarkisov dans leur fichier secret Cristina. Selon un document déclassifié datant de mars 2017, consulté par Libération, la DGSI a rhabillé l’oligarque pour l’hiver : elle estime que ce dernier mènerait des investissements sur le sol français «en liaison avec la criminalité organisée». Le futur employeur de Nicolas Sarkozy «multiplie les acquisitions immobilières de prestige aussi bien à Monaco, sur la Côte d’Azur qu’à Courchevel en Savoie», note le document qui souligne aussi que l’intéressé a été nommé en janvier 2013 «chef de poste consulaire au consulat général de la république d’Arménie à Lyon».
- Que peut faire un homme d’affaires dont la fortune dépasserait, à en croire le magazine Forbes, le milliard d’euros, d’un titre de consul ? A part profiter d’un passeport diplomatique et d’une éventuelle immunité qui lui serait attachée, cela relève du mystère. Jouant au petit diplomate de circonstance, Sarkisov a en tout cas été chargé, au nom de l’Arménie, d’organiser en France des cérémonies pour la fête nationale arménienne ou de venir en aide à ses ressortissants, par exemple en délivrant des papiers d’identité, tout comme son frère Sergueï, consul général à Los Angeles. L’oligarque ne se privait pas de faire des blagues à ce sujet : «C’est pratique pour se garer n’importe où», glissait-il à ses interlocuteurs, arborant sur ses voitures une plaque diplomatique en bonne et due forme. En 2019, le Premier ministre arménien l’a discrètement démis. Un litige judiciaire impliquant les Sarkisov en Ukraine, dans lequel les oligarques ont finalement été blanchis, aurait servi de prétexte pour se débarrasser de l’embarrassant consul.
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- Les gestionnaires de ses affaires sont installés à Milan. Lui a un temps été domicilié à l’adresse du consulat d’Arménie à Lyon (l’immeuble abritant les services consulaires étant lui-même sa propriété), et logerait désormais à Dubaï, comme nombre de milliardaires russes désireux de se mettre à l’abri. L’homme coche d’ailleurs les mêmes cases que la plupart des oligarques. Il s’affiche avec de belles jeunes femmes, mannequins ou présentatrice de télévision. La dernière, Ilona, diffuse tous les jours à ses 620 000 followers sur Instagram des photos d’elle, de ses vêtements chics et chers, de ses voyages en jet privé, coupe de champagne en main, de ses vacances aux Maldives… Comme nombre d’autres, Nikolaï Sarkisov a acquis à tour de bras de belles propriétés immobilières. Un 600 mètres carrés avenue Foch à Paris, plusieurs villas à Saint-Tropez, une propriété viticole de 140 hectares à Ramatuelle, une demeure à Cap-d’Ail, juste à côté de Monaco, des appartements à Cannes, ainsi que le château de Saint-Amé (Var), connu pour être apparu dans l’un des films de la série le Gendarme de Saint-Tropez.
- Coquilles dans des paradis fiscaux
- Forcément propriétaire d’un yacht, il fait pâle figure avec son Leopard de 25 mètres seulement, le Mysven, à côté des quasi-paquebots de Roman Abramovitch (140 mètres de long) ou d’Andreï Melnitchenko, dont le 142 mètres a été saisi le 12 mars par les autorités italiennes. «Il a une belle collection de voitures mais se montre plus discret que les autres milliardaires russes», se souvient une relation tropézienne.
- A Courchevel, parfois surnommé «Kourchevelovo» par sa riche clientèle russe, Sarkisov est propriétaire d’une série d’énormes chalets, pour ses loisirs personnels ou à titre d’investissements. Et il n’y a pas que des amis. Cela fait des années qu’un litige occupe Nikolaï Sarkisov et son ancien associé, un homme d’affaires corse vivant en Suisse, François-Xavier Susini. Partenaires en affaires pour la construction et la revente de mégas chalets de luxe dans la station préférée des oligarques, ils se déchirent devant les tribunaux d’Albertville − une nouvelle audience se tient dans ce dernier vendredi 15 avril −, de Paris et de Luxembourg depuis que Sarkisov a, selon les documents consultés par Libération, cessé de financer leur projet commun, le chalet Apopka.
- Ce palace de plus de 2 700 mètres carrés au cœur de Courchevel n’a jamais été terminé, et des entrepreneurs attendent toujours le règlement de plusieurs millions d’euros de factures impayées. Après avoir fait vendre le chalet à un prix battant toute concurrence à cause de la liquidation judiciaire de sa société, Nikolaï Sarkisov l’aurait racheté à la barre du tribunal par la magie d’un montage sophistiqué et opaque empilant des coquilles dans des paradis fiscaux. Son ex-associé, qui lui reproche de s’être approprié le bien d’une «valeur de 60 millions d’euros en 2015» en ne versant que quelque «26 millions», vient de déposer plainte au PNF pour «escroquerie», «banqueroute par détournement d’actifs» et «blanchiment». Une nouvelle raison qui lui vaudra de s’expliquer devant la justice française.
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