« Et pour tes péchés, sois maudit Abyliss d'Alvachia. Puisse le prix de ta sinistre âme, laver l’impureté qui est tienne et venger ceux que tu as souillé de part tes actes... Puissent l'errance éternelle et la douleur expier les infamies que tu as commisses et évincer la discorde que tu as semée. Ainsi soit-il... »
Ces mots résonnaient encore dans son esprit, son esprit malsain et torturé. Il était là, un spectre, une carcasse déambulant au beau milieu des rues, occupé à ressasser le passé. Son passé. Près de six siècles s'étaient écoulés depuis lors, mais jamais ces paroles n'avaient quitté ses pensées, se rappelant sans cesse à lui. Il était hanté, hanté par le souvenir amère du bon vieux temps, de son époque, celle qui lui était si chère. Depuis cette tragique journée d'été, cette fameuse journée où tout avait changé, son monde s'était écroulé et il fût dépossédé de tout ce qui eût un jour de la valeur à ses yeux.
Un long soupire s'échappa d'entre ses lèvres. Il avait espéré que cette balade lui permettrait de se changer les idées, mais elle semblait l'avoir simplement noyé un peu plus dans les profondeurs de ses funestes songes... La sérénité des alentours aidant, il tâcha d'enfuir ses pensées au fond de son esprit, laissant un court instant ses paupières se fermer et inspirant l'air printanier de cette agréable matinée de début Avril. Une brise fraîche vint caresser les mèches sombres de sa chevelure, s'engouffrant un court instant sous sa chemise, titillant sa délicate peau de porcelaine mais ne parvient pour autant pas à lui soutirer le moindre frisson. Une carcasse... Prince déchu. Incapable de ressentir, éprouver, apprécier... Tel l'archange Lucifer, on lui avait coupé les ailes, lui privant de tout ce qui l'apparentait encore aux êtres humains.

Le vide.

Il se remit à marcher, arpentant les allées presque vides, jouissant du calme et du semblant de tranquillité que le lieu lui inspirait. Son regard perçant se balada un court instant, détaillant brièvement les alentours. L'endroit n'était que peu fréquenté, cependant il l'était suffisamment pour que, ça et là, une dizaines de paires d'yeux se retournent sur son passage.
Il avait l'habitude d'attirer ainsi tout les regards, qu'ils soient de curiosité, d'intérêt, d'envie, de méfiance voir parfois même de peur. Tout le monde ou presque se risquait à lui lancer une œillade hardie, ne serait-ce que pour baisser les yeux quelques minces secondes plus tard, forçant un rictus amer sur les lèvres charnues du démon. Tout avait changé, mais pas cet effet qu'il exerçait sur les gens, ni même cette étincelle dominante qui luisait dans ses iris, ordonnant presque une soumission immédiate à ceux qui l'apercevait. Accoutumé à être ainsi au centre de toutes les attention, Abyss ne cessa d'avancer de sa démarche noble, élégante et féline. Son allure sombre et la façon avec laquelle il se déplaçait l'apparentaient à un dangereux fauve, un prédateur sanguinaire s'en allant chercher une proie.
Il ne passait jamais inaperçu, de par sa forte présence et son aura puissante, intense et pénétrante... L'aura de cet homme était presque aussi perturbante que son comportement était arrogant. Cette supériorité princière lui collait à la peau. Il possédait une prestance naturelle valorisée par son apparence parfaitement soignée, jusqu'au moindre détails de ses vêtements. En cette matinée printanière, les courbes élancées, athlétiques et sveltes de son corps étaient mises en avant par une riche chemise de soie noire et un pantalon de la même nuance. Des matières nobles, d'une couleur qu'il appréciait et qui lui correspondait, elle était similaire à ce qu'il dégageait. Entre fascination et obscurité. De même pour ses cheveux noir de jais, dont quelques mèches indisciplinées venaient sans cesse lui barrer le visage, ce visage aux traits doux et captivants, trompeurs. Les deux puits sans fonds qui lui servaient d'iris quant à eux, étaient à présent teintés d'un bleu translucide et perçant. Des yeux hypnotisants et d'autant plus troublants qu'ils changeaient fréquemment de couleur.

En se préparant pour sortir, le jeune homme avait longuement observé son reflet dans la glace, cette image qui était restée figée malgré les années. Rien n'avait vraiment changé, ni sa beauté démoniaque, ni son charisme, ni la perfection perverse de ses traits. Et encore moins ses yeux, quelque chose clochait au fond de ses iris dans lesquels il semblait possible de se noyer. Il semblait être possible de déceler l'absence d'une âme dans ses deux grands abîmes sombres... Ses prunelles étaient le reflet de lui-même, de l'être vile et sans cœur qu'il incarnait réellement et il n'était pas difficile d'y déceler la monstruosité pure de leur propriétaire.
Le regard dans le vide, Abyss bifurqua, se décidant à rebrousser chemin, mais s'immobilisa tout d'un coup et avant même d'avoir fait le moindre mouvement. Un frisson glacial lui parcourut l'échine, l'électrisant presque. Si fort qu'il se figea complètement, comme paralysé au milieu du chemin.

Et c'est alors qu'il l'entendit, accompagnée d'un étrange mélange de sensations, comme il n'en avait plus ressentit depuis des siècles. Une voix... Elle l'appelait et le poussa à tourner la tête, instinctivement. Oh, il ne dût pas contempler les alentours bien longtemps pour comprendre. Il était bon observateur mais même un aveugle aurait réussi à assembler les pièces du puzzle. Son regard de braise s'arrêta sur une bague, aux reflets rougeâtres foncés comme le sang, un magnifique grenat pyrope de sa couleur... Et tout ne fût plus que certitude dans son esprit. Son regard détailla un instant la charmante détentrice du bijoux et même s'il n'aurait sans doute pas dû se soucier d'elle, une fois n'est pas coutume. Car cette humaine, c'était celle qui la possédait et il allait fallait la lui reprendre.

Il l'avait retrouvée.

Enfin...

Sa première relique !