Advertisement
fourmi-garou

Sylvie Brunel : « Non, l’époque de Gabriel Matzneff n’étai

Jan 2nd, 2020
210
0
Never
Not a member of Pastebin yet? Sign Up, it unlocks many cool features!
text 4.59 KB | None | 0 0
  1. La bienveillance dont a bénéficié l’écrivain pédophile dans les années 1980 n’est en rien le reflet d’une société et des années, estime l’écrivaine et géographe qui fustige, dans une tribune au « Monde », ceux qui réécrivent l’histoire.
  2.  
  3. Publié hier à 06h00, mis à jour à 11h59 Temps de Lecture 3 min.
  4.  
  5. [Avant même sa sortie, le 2 janvier, le livre de Vanessa Springora « Le Consentement » (Grasset, 216 p., 18 euros) a provoqué une déflagration dans le milieu littéraire et bien au-delà. Dans son ouvrage, la jeune femme relate la relation traumatisante qu’elle a eue, à 14 ans, avec l’écrivain Gabriel Matzneff, alors âgé de 50 ans. Celui qui publia en 1974 « Les Moins de seize ans » n’a jamais caché son attirance pour des mineurs, comme en témoignent certains de ses livres, tout particulièrement son journal intime. Des livres qui lui valurent d’être invité notamment sur le plateau de l’émission « Apostrophes » en 1990. Lors de cette émission, seule l’auteure québécoise Denise Bombardier dénonça­ le caractère pédophile de ces écrits et la complaisance du milieu littéraire. Au cœur ­désormais de la polémique.]
  6.  
  7. Je suis née en 1960. Dans les années 1980, je préparais l’agrégation de géographie à l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud. Très souvent je croisais, rôdant dans le parc du même nom, l’écrivain Gabriel Matzneff, reconnaissable entre mille avec son allure de dandy et son crâne soigneusement rasé. Il errait en quête de proies, vous déshabillait du regard, pesait sa chance et poursuivait son chemin. Beaucoup trop vieille pour lui déjà !
  8.  
  9. Matzneff venait de publier Ivre du vin perdu (La Table ronde, 1981), une apologie de la pédophilie où, comme dans l’ensemble de son œuvre, les mères étaient systématiquement dépeintes comme des empêcheuses de baiser en rond, petits garçons comme très jeunes filles. D’ailleurs, toutes les femmes, dès qu’elles dépassaient l’âge nubile, devenaient répugnantes aux yeux de celui qui se qualifiait complaisamment de libertin, alors qu’il n’était qu’un prédateur sexuel, adoubé par une certaine élite parisienne.
  10.  
  11. Cet entre-soi commis au nom de la littérature lui valait de participer à de multiples émissions, où il pouvait épandre sans retenue et sans honte son penchant, sous l’œil émoustillé de barbons persuadés de faire œuvre d’ouverture d’esprit. Et Pivot n’était pas le dernier à déguster la prétendue provocation de Matzneff, quoi qu’il prétende aujourd’hui.
  12.  
  13. Ne croyez pas que l’époque était libertine ou tolérante. Cette complaisance ne reflétait absolument pas les mœurs de l’époque. La France profonde n’en pensait pas moins, mais n’avait pas voix au chapitre. La coupure entre une élite hors sol, totalement déconnectée des réalités quotidiennes et des valeurs de la société, qui est apparue clairement avec la crise dite des « gilets jaunes », a été un des moteurs des révolutions sociales françaises.
  14. L’indécence
  15.  
  16. Matzneff choquait profondément déjà. Je tiens à le dire car l’histoire s’écrit souvent de façon biaisée, et laisser penser que les années 1980 étaient celles de l’acceptation de la pédophilie serait un mensonge. Les jeunes que nous étions alors ressentions ces écrits et ces paroles comme d’insupportables offenses. L’indécence avec laquelle cet homme, qui avait l’âge de nos parents, se complaisait dans l’étalage de sa débauche, de la façon dont il trompait la confiance des familles, séduisait et abusait des enfants qu’on lui confiait en toute naïveté – car justement les mères étaient loin d’imaginer pareille perversion – nous était simplement insupportable. Mais nous n’avions pas voix au chapitre, nous ne pouvions que subir.
  17.  
  18. Aujourd’hui, je suis heureuse que les femmes qui ont été des jeunes filles osent enfin prendre la parole, et que les jeunes femmes d’aujourd’hui se rebellent, dénoncent, racontent. Il est temps que « la honte change de camp », résume ma fille, l’écrivaine Ariane Fornia. Le livre de Vanessa Springora, que je n’ai pas encore lu, remet sans doute enfin les pendules à l’heure : non, il n’est pas et il n’a jamais été acceptable que des personnages abusent de leur position d’autorité pour saccager la jeunesse d’êtres vulnérables et sans défense, chez nous comme dans les pays pauvres, puisque le tourisme sexuel continue d’être assidûment pratiqué.
  19.  
  20. Sylvie Brunel est géographe et écrivaine. Elle a notamment publié Manuel de guérilla à l’usage des femmes (Grasset, 2009).
Advertisement
Add Comment
Please, Sign In to add comment
Advertisement