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Nov 20th, 2019
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  2. Si l’on admet qu’il existe des femmes qui regrettent d’être devenues mère, alors le caractère obligatoire de la maternité devient absurde.
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  4. Par Nolwenn Le Blevennec
  5. Publié le 19 novembre 2019 à 19h38
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  7. Regretter d’être mère parce que, finalement, on préfère faire autre chose : travailler, lire, regarder le plafond, ramasser des feuilles. Ou parce que la mission en elle-même nous étouffe (de responsabilités, d’inquiétudes permanentes, de culpabilité). Pour certaines femmes contemplatives, bosseuses, anxieuses, aimant le silence, l’aventure ou le jardinage, l’espace laissé par les enfants qu’elles ont conçus n’est pas suffisant du tout.
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  9. Ces petites personnes leur prennent trop ; leurs petites extrémités ne compensent pas. La sensation de contrainte surpasse les joies. Grâce à Orna Donath, chercheuse israélienne qui a un air d’Amy Winehouse, et que nous avions déjà rencontrée en 2017, l’idée qu’il existe une maternité sans joie fait son chemin. C’est important, parce que considérer le regret force à admettre que toutes les femmes ne s’épanouissent pas là-dedans. Et que la pression à l’enfant, supportée par toutes, crée de la souffrance et du malheur. Bonnes feuilles et entretien.
  10. Making of
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  12. En 2015, la chercheuse israélienne Orna Donath a sorti la première étude sur le regret d’être mère. Vingt-trois femmes de son pays témoignaient, en longueur, du désarroi de ne pas avoir consacré leur vie à autre chose qu’à la maternité. Le livre, découlant de cette étude, faisait ensuite le tour du monde (une dizaine de pays) et, en 2016, il secouait la société allemande où le débat a duré près d’un an. Mais c’est seulement ce mercredi 20 novembre que « le Regret d’être mère » sort chez nous (Odile Jacob). C’est fou : il aura fallu trois ans pour que le sujet nous atteigne, nous Français, alors que nous avions Anémone.
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  14. Un an avant la publication de l’étude israélienne, l’actrice du « Père Noël est une ordure » avait courageusement expliqué à Rue89 s’être « fait des enfants dans le dos ». De sa campagne poitevine, entre un journal de ragots et un paquet de clopes, Anémone avait dit avoir réalisé trop tard que ses premiers besoins étaient la liberté et la solitude. Ses enfants l’avaient empêchée de se laisser dévorer par le cinéma, sa seule passion.
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  16. A l’époque, son témoignage avait choqué : il faut dire qu’elle disait tout ça sans aucune contrition. Cinq ans plus tard, le sujet est un peu plus audible.
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  18. Vous faites la différence entre l’ambivalence maternelle et les regrets. Pouvez-vous nous expliquer ?
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  20. Je pense que de très nombreuses femmes sentent qu’elles éprouvent de l’ambivalence à être devenues mère. Beaucoup d’entre elles font face à des difficultés. Du stress, de l’anxiété, de la fatigue. Mais malgré tout, ces femmes ambivalentes sentent, croient, pensent quand même que le jeu en valait la chandelle. Pour elle, l’expérience de la maternité est positive. Cela a beaucoup apporté à leur vie. Tandis que pour les femmes qui regrettent, il n’y a pas d’ambivalence. Pour elles, c’était une erreur. Le jeu n’en valait pas la chandelle. Je pense que les mères qui regrettent ont une comptabilité différente. Elles font l’expérience des mêmes difficultés que les autres, mais quand elles en font la somme, et qu’elle la compare avantages, le sourire d’un enfant, elles se disent : « Eh bien, non. Je n’aurais pas dû ».
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  22. Oui, il n’y a aucune raison que les plaisirs de la maternité surpassent ses contraintes pour toutes les femmes. C’est une affaire de tempérament.
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  24. Oui. Certaines des femmes qui ont participé à mon étude ont des choses gentilles et douces à dire à propos de la maternité. Elles admettent qu’il y a des choses positives. Mais, à la fin, pour elles, cela reste une erreur. C’est quelque chose de tellement basique de penser que seulement parce que nous avons en commun des organes biologiques, nous sommes pareilles. Avec les mêmes rêves, aptitudes, besoins, souhaits. C’est une pensée très étrange pour moi. Nous sommes diverses et allons bien sûr vouloir prendre des chemins différents.
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  26. Pourquoi parler des femmes qui regrettent est si important ? Est-ce le seul moyen empirique de montrer que la maternité n’est pas une expérience toujours souhaitable ?
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  28. Ce n’est pas la seule manière de s’en rendre compte : on pourrait aussi écouter les femmes qui ne veulent pas d’enfants… Mais c’est vrai qu’elles ne sont pas toujours prises au sérieux parce que les gens leur opposent le fait qu’elles n’ont pas essayé : « Une fois que tu auras essayé, tu pourras parler ». Lorsqu’on écoute des femmes qui sont déjà mère, elles parlent d’une autre perspective. C’est très important qu’elles le fassent parce que cela permet de repenser le lien automatique que l’on fait entre femme et maternité. Les femmes sont des sujets. Des êtres humains qui pensent et qui rêvent. Je ne suis pas la première à le dire. Simone de Beauvoir l’a très bien fait en France. Mais je pense qu’il faut le redire, encore, en 2019, alors que l’avortement n’est même pas sécurisé aux Etats-Unis. Nous ne sommes pas des objets. Ce sont nos vies. Le regret réaffirme tout cela.
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  30. LIRE AUSSI > Orna Donath : « Le malheur d’avoir mis au monde un enfant doit rester temporaire »
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  32. En fait, il faudrait inventer un test psychologique pour aider les femmes à savoir si elles vont aimer ou non être mère… Parce que sinon, avant d’en faire, comment savoir ?
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  34. [Rires] Il faudrait que les femmes essaient peut-être de se connaître mieux pour savoir si cela va leur convenir. Il est bon qu’elles sachent ce qui leur apporte de la joie et de la sérénité dans la vie. Je suis sûre qu’il y a des femmes qui aiment s’occuper d’enfants. Qui aiment les nourrir, leur parler, les éduquer, les voir grandir et se mettre à marcher, jouer avec eux. Ce n’est pas parce que certaines vont affirmer préférer jardiner ou lire des livres que 100 % des femmes vont soudainement décider de ne plus faire d’enfants.
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  36. Votre étude a provoqué un débat en Allemagne. Des témoignages affluaient de partout… Cela a été différent en Israël ?
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  38. Pendant une semaine, après la publication de mon livre en Israël, il y a eu un débat public. Mais, ensuite, retour au silence. Je pense que dans toutes les sociétés, la maternité est considérée comme étant la chose la plus importante dans la vie d’une femme. Mais qu’ici, en Israël, c’est plus frontal. Plus extériorisé. Alors qu’ailleurs, c’est peut-être plus sous la surface. Ici, les gens commentent, donnent leur avis… Même si vous ne les connaissez pas. Tout le monde pense avoir le droit d’être impliqué dans cette décision privée. Ils la critiquent droit dans les yeux.
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  40. L’image d’une maternité comme un « lieu de délices » a été cassée, ces dernières années. Alors, pourquoi tant de femmes y vont quand même sans réfléchir ?
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  42. C’est vrai que ces cinq, six, sept dernières années, de nombreuses femmes se sont mises à parler. Des films et des séries se sont aussi emparés du sujet. Mais cela n’entraîne pas forcément une réflexion. Parce que les pressions sociales sont encore très fortes. C’est un tel rêve qu’on nous vend. La maternité comme la chose la plus importante et joyeuse de l’existence... Il y a de grandes chances pour que ces confessions de mères, qui disent toute la difficulté de la tâche, restent très abstraites pour celles qui ne sont pas encore mère. Les femmes les lisent et pensent : « Ok, pour moi, ça sera différent ».
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  44. LIRE AUSSI > « Nous avons eu tort de vous faire croire que la maternité est un lieu de délices »
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  46. Que pouvons-nous faire en attendant que cela change ?
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  48. La priorité est de mieux prendre soin des mères. Il n’est pas certain qu’il soit possible d’éliminer le regret, mais nous pouvons faciliter la vie de certaines femmes qui souffrent déjà pour d’autres raisons (pauvreté, racisme, homophobie). Jusqu’à présent, la société attend de nous qu’on fasse des enfants, mais nous néglige ensuite, dans de nombreux pays.
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  50. Individuellement, c’est aussi important de comprendre qu’on prend tous part à cette pression sociale. J’ai moi-même deux garçons. Et alors que je fais attention à ça, il m’est arrivé de vendre le rêve du deuxième enfant à des amies.
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  52. Tout à fait. Je pense que ce que vous dites là est très important. Nous sommes tous actifs dans cette machine sans nous en rendre compte. Maintenant que vous avez mis le doigt dessus, vous allez essayer d’arrêter, n’est-ce pas ? L’un des premiers objectifs avec ce livre, c’est de réduire la souffrance que nous créons pour les autres. Et une façon de le faire, c’est de laisser les femmes dans une entière liberté. Ce sont elles qui savent ce dont elles sont capables et ce qui est difficile pour elles. Alors il faut les laisser être ce qu’elles sont.
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  54. LIRE AUSSI > Qu’est-ce qui nous prend de faire un deuxième enfant ?
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  56. Les pères aussi mettent la pression sans s’en rendre compte en demandant un enfant de plus comme si c’était simple… Dans le livre, vous racontez l’histoire de Doreen qui a un seul enfant. S’en contente. Mais, sous la pression de son mari, elle retombe enceinte de jumeaux et elle vit cela comme un viol.
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  58. Oui, et je la comprends. Elle a fait un autre enfant en y consentant, mais contre sa volonté. On a fait pression sur elle et elle est tombée enceinte de jumeaux. Donc pour une femme qui ne veut pas être mère, elle est maintenant mère de trois enfants. Si les mères sont les principales référentes en termes de soins, personne n’a le droit de mettre la pression sur elles pour décupler ces mêmes soins.
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  60. Vous écrivez aussi qu’il faudrait idéalement considérer la maternité comme une relation, et non pas un rôle. C’est-à-dire ?
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  62. Un rôle est quelque chose de figé. Une structure dans laquelle on va pousser les femmes à entrer. Je pense qu’en considérant la maternité comme une relation subjective, on peut mieux comprendre comment elle est traversée par des émotions différentes. Comme dans toutes les autres relations. Je sais bien qu’avec un enfant, au début, ce n’est pas une relation d’égalité, mais cela reste une relation quand même. On peut considérer que quand vous tombez enceinte, vous vous engagez dans un lien sans connaître la personne qui est à l’autre bout. Pour le reste de votre vie. Ce sont deux personnes qui essaient de se comprendre. C’est plus humain de penser à la maternité comme ça, et pas avec des images toutes faites.
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  64. Quand on parle du regret d’être mère, les gens se cabrent tout de suite en disant : ces femmes sont ignobles, elles n’aiment pas leurs enfants.
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  66. Oui, tout le temps. Les gens pensent aussi que s’il y a regret, il y a négligence ou maltraitance. Ce qui n’est pas du tout le cas, la plupart du temps. Toutes les femmes auxquelles j’ai parlé m’ont dit aimer leurs enfants, mais ne pas aimer être leur mère. Elles le disent avec leurs mots, mais ce que cela veut dire, c’est qu’elles aiment les êtres, mais pas être dans cette position vis-à-vis d’eux. Mettre des limites, être responsables de tout, c’est trop lourd et envahissant pour elles. Mais cela ne dit absolument rien de l’émotion qu’elles ressentent vis-à-vis de l’enfant. C’est exactement la raison pour laquelle le livre s’appelle « le Regret d’être mère », et non pas « le Regret des enfants ». Ce n’est pas la même chose.
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  68. LIRE AUSSI > Etre mère et le regretter : « Je me suis fait un enfant dans le dos »
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  70. Pensez-vous que le regret d’être mère abîme quand même le lien ?
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  72. Je ne peux pas répondre à cette question parce que je n’ai pas parlé aux enfants. Mais si on explique, tout peut s’entendre. Un jour, j’ai rencontré une étudiante après une conférence. Elle m’a dit qu’avec mon livre, elle réalisait maintenant que sa mère regrettait d’être mère et que ça l’aidait à la regarder comme un sujet et ne plus être en colère. Elle arrivait maintenant à inscrire sa mère dans un contexte social et à ressentir de l’empathie pour elle. Par la même occasion, elle ne se voyait plus comme le mauvais enfant qui avait mis un terme à la vie de sa mère. C’est aussi une raison pour laquelle on doit parler : les enfants qui sentent que leur mère n’aime pas être mère, ce n’est pas à cause d’eux.
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  74. Vous faites toujours cette distinction entre consentement et volonté d’être mère. La volonté, c’est un consentement éclairé ?
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  76. Non, pas tout à fait. Je sais bien qu’aucune décision n’est complètement dénuée de pression, mais je pense que la volonté est quelque chose que l’on négocie avec soi-même, alors que le consentement est quelque chose que l’on négocie avec l’extérieur, avec quelqu’un d’autre. Ce n’est pas la même chose de dire je consens à boire de l’eau, et je veux boire de l’eau. Le consentement s’établit forcément avec quelqu’un d’autre. C’est la différence. Je pense que les femmes ont intérêt à sonder leur volonté d’être mère.
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  78. Pensez-vous qu’il faudrait que plus de femmes expriment publiquement leurs regrets ? Comme l’actrice Anémone ?
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  80. Quelques écrivains l’ont fait, mais ce ne sont pas des célébrités. Je sais qu’en Allemagne, une femme qui s’appelle Sarah Fischer a écrit là-dessus. Une autobiographie, sortie après mon livre. Je trouve ça bien, mais je ne cherche absolument pas à ce que le regret d’être mère devienne une tendance. J’ai même assez peur que cela devienne une idée creuse. Je veux juste dire que le regret existe, que nous devons repenser l’assignation des femmes à devenir mère. C’est l’objectif. Pas de dire que tout le monde doit regretter.
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  82. Comment avez-vous réussi à savoir que la maternité n’était pas pour vous ?
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  84. Je l’ai su à 16 ans. Je n’étais pas éduquée à l’époque et mes parents, de la classe moyenne, n’ont certainement pas mis sur la table la possibilité de ne pas avoir d’enfant. Non, cela peut paraître étrange, mais je crois que je me connaissais. A 16 ans, je savais que ce n’était pas mon rêve. Ce n’est pas une idée qu’on m’a transmise. Je n’avais pas de tante sans enfant inspirante. Tout ce que je voyais autour de moi, c’était des mères. Mais mon imagination tournait beaucoup, et pas dans cette direction.
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  86. A un moment, dans votre étude, vous prenez conscience que pour toutes ces femmes que vous interrogez, vous menez une vie idéale. Cela provoque de l’envie…
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  88. Je ne veux surtout pas faire de hiérarchie entre les vies des femmes. Je ne pense pas que ma vie soit meilleure que les autres. Je veux juste qu’il y ait des possibilités pour nous. Et pour vous dire la vérité, je ne m’identifie pas du tout comme une carriériste. Je m’identifie comme non-mère et comme la femme qui a la chance immense de faire ce qu’elle veut dans la vie, et notamment ce travail. Ce n’est pas la carrière qui m’intéresse, mais l’essence de mon sujet.
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  90. Sur quoi travaillez-vous maintenant ?
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  92. J’enseigne toujours à l’université Ben-Gourion du Néguev sur ces questions, mais pas seulement. Tous les étés, j’anime un groupe avec des femmes qui ne sont pas certaines de vouloir des enfants. Cela fait cinq ans. Nous parlons de leurs doutes. Nous laissons l’espace à l’absence de certitudes. J’ai aussi commencé une nouvelle étude à propos de femmes israéliennes, qui sont âgées et qui ne sont pas mères. J’ai déjà interviewé 24 femmes et la plus vieille a 86 ans. C’est en cours. Ce que je peux dire, c’est qu’il semblerait qu’un lot de problèmes différents se pose à chaque tranche d’âge pour les femmes qui n’ont pas d’enfants. Mais que la tendance n’est pas aux regrets…
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  94. Nolwenn Le Blevennec
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