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- Télérama (site web)
- jeudi 13 mars 2025
- “Que ce soit conscient ou pas, l’affiche LFI représentant Cyril Hanouna reprend les pires codes de l’antisémitisme culturel”
- Le parti politique LFI a retiré une de ses affiches mettant en scène Cyril Hanouna. La représentation de l’animateur a immédiatement suscité des accusations d’antisémitisme. L’historienne Marie-Anne Matard-Bonucci décrypte l’image.
- Mardi soir, La France insoumise (LFI) dévoilait deux affiches sur son compte X pour appeler à manifester le 22 mars prochain « contre l’extrême droite, ses idées… et ses relais » : l’une est illustrée par une photo de Pascal Praud, la seconde par celle de Cyril Hanouna, toutes deux en noir et blanc. Accusée d’avoir repris les codes de l’imagerie antisémite en représentant Cyril Hanouna, juif d’origine tunisienne, le visage retravaillé et déformé par la colère, LFI a retiré l’affiche de son compte et réfuté tout antisémitisme au sein du parti. Mais ces images questionnent tout de même. Décryptage de l’historienne Marie-Anne Matard-Bonucci, professeure à Paris-VIII, en charge des Assises de lutte contre l’antisémitisme pour la partie éducation, et directrice de la r evue Alarmer. Elle y a consacré un ouvrage collectif, Antisémythes. L’image et la représentation des juifs.
- Q: La campagne de LFI frôle-t-elle de « très, très près l’imagerie #antisémitisme », comme l’a écrit Daniel Schneidermann sur X, l’un des premiers à l’exprimer sur les réseaux sociaux ?
- Deux affiches, toutes deux en noir et blanc, ont pour l’instant été diffusées. L’une met en scène Pascal Praud, en gros plan, visage en colère : nous sommes ici dans une dénonciation ad hominem, qui fait apparaître Pascal Praud comme un personnage haineux, grimaçant, mais sans la dimension d’antisémitisme de l’affiche représentant Cyril Hanouna. Car il n’y a aucun doute, celle-ci (telle qu’elle devait être diffusée avant que LFI ne décide de la retirer) reprend les pires codes de l’antisémitisme culturel ! En la découvrant, j’ai immédiatement pensé à l’affiche du Juif Süss, un film de propagande nazie tourné en 1940 par Veit Harlan sous la supervision de Joseph Goebbels. Métamorphosé par la caricature en personnage difforme, le Juif est montré comme un personnage non conforme.
- Dans la représentation de Cyril Hanouna, on retrouve à nouveau tous les stéréotypes antisémites (dont l’écrivain et homme politique Édouard Drumont a fait une sorte de fiche signalétique dans La France juive, son pamphlet antisémite publié en 1886) : la caricature avec la déformation ou l’accentuation des traits, en particulier du nez « crochu » et des oreilles « saillantes » – l’un des postulats de l’antisémitisme étant qu’il y aurait une physionomie spécifique des Juifs –, mais aussi l’orientation, bien particulière, du visage. Sur cette photo, Cyril Hanouna est en position de domination, de surplomb, comme s’il tramait quelque chose, ce qui reprend l’iconographie du « Juif-monde », autrement dit le Juif enserrant et dominant la planète. C’est un autre lieu commun de la caricature antisémite.
- Q: Le choix de la personnalisation emprunte-t-il aussi aux codes de la propagande antisémite ?
- Il s’agit avant tout de la volonté d’incarner les « ennemis », de mettre un visage sur ceux qui sont censés représenter les ennemis pour LFI. Et donc, quand cet ennemi est juif, comme c’est le cas de Cyril Hanouna, LFI fait appel aux codes de l’antisémitisme. Mais lors de la dernière campagne des européennes, Pascal Praud s’était déjà retrouvé sur une affiche des Insoumis [avec ce slogan : « Pascal Praud vote, et vous ? », ndlr], de même que Manuel Valls ou la journaliste Nathalie Saint-Cricq. On n’est plus dans le combat des idées, on cible des individus ou des entités [lors de cette campagne des européennes, le même slogan fut décliné : « Les riches votent. Et vous ? », « Les golfeurs votent. Et vous ? », « Les racistes votent. Et vous ? »,ndlr], ce qui contribue à une escalade de la violence et détériore la qualité du débat public, avec une simplification des enjeux. Et ce d’autant plus que cette campagne prend pour cible des individus (Cyril Hanouna et Pascal Praud) qui n’apaisent pas, bien au contraire, le débat ! Cela revient à s’aligner sur leurs propres codes, en utilisant un langage de l’ennemi : il y a « eux » et « nous », « eux » contre « nous ». Ce qui est, pour le coup, un grand classique de la rhétorique raciste et antisémite.
- Il se rejoue aujourd’hui toute une grammaire, une iconographie, qui s’est mise en place et a légitimé des pratiques de discrimination et de persécution.
- Q: Des slogans de Donald Trump aux tracts de l’AfD (Alternative pour l’Allemagne, parti allemand d’extrême droite) ou au salut nazi d’Elon Musk et Steve Bannon, la communication politique puise-t-elle, de plus en plus, dans la matrice des années 1930 ?
- Étant historienne, je suis toujours méfiante par rapport aux travers de l’anachronisme. La situation actuelle n’est pas comparable à celle de l’Europe en 1933. Mais on est bien obligé, parfois, de faire ces parallèles quand certains acteurs réemploient sciemment des codes issus de la culture politique des années 1930. Elon Musk, indéniablement, a franchi le tabou du salut nazi et fait un clin d’œil à l’extrême droite…
- Dans le cas de cette campagne d’affichage de LFI, que ce soit conscient ou inconscient, l’antisémitisme ne fait aucun doute. La ou les personnes qui ont trafiqué, retravaillé la photographie de Cyril Hanouna plongent dans une tradition d’antisémitisme culturel, ce que j’appelle les « antisémythes », véhiculés par la propagande aux XIX? et XX? siècles – sachant que le signalement des Juifs dans l’iconographie est un fait très ancien, qu’on repère dès l’art religieux médiéval. Il se rejoue aujourd’hui toute une grammaire, une iconographie, qui s’est mise en place et a légitimé des pratiques de discrimination et de persécution. Même si l’attention des chercheurs s’est souvent focalisée sur les discours, les images constituent une source privilégiée pour repérer la dynamique, la constitution et la diffusion des stéréotypes. Car elles n’ont pas seulement accompagné les discours. Elles les ont simplifiés, standardisés, en facilitant la mémorisation des stéréotypes et en diffusant les préjugés.
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