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Jul 21st, 2017
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  3. Dans la conduite de la politique économique et sociale d’Emmanuel Macron, la réforme à la hussarde du code du travail, par le biais des ordonnances, focalise logiquement toutes les attentions : parce qu’il s’agit, au travers du projet de loi d’habilitation, du premier texte qui arrive devant le Parlement ; parce qu’il s’agit aussi d’un projet sensible susceptible de marquer tout le quinquennat. On aurait tort, pourtant, de sous-estimer la gravité des polémiques qui risquent de s’ouvrir, avec le projet de loi de finances et surtout son volet fiscal qui arrivera quelque temps plus tard, en octobre, devant le Parlement.
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  5. Car dans le domaine des impôts, le projet du chef de l’État concentre tous les griefs que peut susciter un Meccano fiscal, tant il est porteur d'inégalités, à l’avantage des ultrariches ainsi que nous le verrons plus loin. Enfin, il risque de ruiner le consentement à l’impôt, pourtant au cœur du pacte républicain.
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  7. 1. L’enjeu démocratique du consentement à l’impôt. La République se fonde dans le prolongement de la nuit du 4-Août, qui abolit les privilèges – et au tout premier chef les privilèges fiscaux. Et cette aspiration à ce que les impôt soient justes, supportés par les citoyens au prorata de leurs revenus, est consignée dès les premiers soubresauts de la Révolution dans la Déclaration des droits de l’homme et son célèbre article 13 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »
  8.  
  9. « En raison de leurs facultés » : en clair, les constituants édictent le principe qu’une fiscalité authentiquement républicaine est une fiscalité progressive. Plus on est riche, plus on doit payer. La question de l’impôt est donc aux sources de l’effondrement de la monarchie et de l’émergence de la démocratie. Faut-il que nous vivions des temps obscurs pour qu’il soit utile de le rappeler ?
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  11. Que l’on se souvienne des premiers soubresauts de la Révolution française. Emmené par Isaac Le Chapelier ou encore le duc d’Aiguillon, c’est le Club breton – qui, ultérieurement, sera l’amorce du club des Jacobins et qui est constitué par les délégués de Rennes, de Saint-Brieuc ou encore de… Quimper aux états généraux – qui propose le premier, le 3 août 1789, l’abolition des droits seigneuriaux (lire Sous les révoltes fiscales, la menace populiste). La revendication était au cœur des cahiers de doléances. Au milieu du siècle suivant, dans son célèbre pamphlet Napoléon le Petit (1852), Victor Hugo (1802-1885) décrira avec verve l’exaspération que suscitent à l’époque les privilèges dont jouissent la noblesse et le clergé :
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  13. « Un jour, il y a soixante-trois ans de cela, le peuple français, possédé par une famille depuis huit cents années, opprimé par les barons jusqu’à Louis XI, et depuis Louis XI par les parlements, c’est-à-dire, pour employer la sincère expression d’un grand seigneur du XVIIIe siècle, “mangé d’abord par les loups et ensuite par les poux”, parqué en provinces, en châtellenies, en bailliages et en sénéchaussées, exploité, pressuré, taxé, taillé, pelé, tondu, rasé, rogné et vilipendé à merci, mis à l’amende indéfiniment pour le bon plaisir des maîtres ; gouverné, conduit, mené, surmené, traîné, torturé ; battu de verges et marqué d’un fer chaud pour un jurement ; pendu pour cinq sous ; fournissant ses millions à Versailles et son squelette à Montfaucon ; chargé de prohibitions, d’ordonnances, de patentes, de lettres royaux, d’édits bursaux et ruraux, de lois, de codes, de coutumes ; écrasé de gabelles, d’aides, de censives, de mainmortes, d’accises et d’excises, de redevances de dîmes, de péages, de corvées, de banqueroutes ; bâtonné d’un bâton qu’on appelait sceptre ; suant, soufflant, geignant, marchant toujours, couronné, mais aux genoux, plus bête de somme que nation, se redressa tout à coup, voulut devenir homme, et se mit en tête de demander des comptes à la monarchie, de demander des comptes à la Providence, et de liquider ces huit siècles de misère. Ce fut un grand effort. »
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  15. Pour se souvenir que le consentement à l’impôt a été l’un des ressorts majeurs de la contestation de l’absolutisme, on peut encore se replonger dans les écrits d’Alexis de Tocqueville (1805-1859) et notamment dans son essai L’Ancien Régime et la Révolution (1856), écrit à la même époque : « Il faut étudier dans ses détails l'histoire administrative et financière de l'ancien régime pour comprendre à quelles pratiques violentes ou déshonnêtes le besoin d'argent peut réduire un gouvernement doux, mais sans publicité et sans contrôle, une fois que le temps a consacré son pouvoir et l'a délivré de la peur des révolutions, cette dernière sauvegarde des peuples. »
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  17. Si ces rappels sont précieux, c’est que c’est cela qui se joue avec Emmanuel Macron : prolongeant ou accentuant des réformes inégalitaires engagées par Nicolas Sarkozy et François Hollande, ajoutant les siennes, contribuant à alimenter la détestation de l’impôt bien que l’État soit de plus en plus impécunieux, il risque de ruiner un peu plus dans le pays un consentement à l’impôt qui a déjà été fortement ébranlé ces dernières années.
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  19. 2. Une nuit du 4-Août à l’envers. Le doute n’est pas permis : le cœur de la réforme fiscale d’Emmanuel Macron vise à offrir d’énormes cadeaux fiscaux aux plus grandes fortunes. C’est ce que Nicolas Sarkozy avait entrepris, notamment avec son « bouclier fiscal », ou encore sa réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou la quasi-disparition des droits de succession ; c’est ce que François Hollande avait poursuivi, en adjoignant à l’ISF un système de plafonnement encore plus avantageux que le bouclier précédent ; et c’est donc ce que poursuit Emmanuel Macron par une cascade de cadeaux multiples.
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  22. Une fiscalité dérogatoire pour le capital
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  24. 4. La flat tax pour les revenus du capital. Ce cadeau aux plus grandes fortunes n’est pas le seul. Il y en a un autre, dont on parle moins parce qu’il faut entrer dans le maquis de la fiscalité du capital pour en mesurer la portée : c’est un cadeau dont le coût est évalué par l’OFCE à près de 4 milliards d’euros par an qu’a prévu Emmanuel Macron, avec l’instauration de ce qu’il a appelé le prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % sur ces mêmes revenus mobiliers, c’est-à-dire les revenus du capital.
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  26. Pour comprendre l'impact de cette réforme, il faut avoir à l’esprit que le principe d’égalité des citoyens devant l’impôt, édicté par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme, voudrait que les revenus du travail et ceux du capital soient assujettis à la même fiscalité. En clair, c’est l’impôt sur le revenu, qui est progressif et dont le taux marginal culmine à 45 %, qui devrait être la norme. Les revenus du capital, qui profitent surtout aux plus hauts revenus, devraient eux être assujettis le plus souvent aux taux les plus élevés de l’impôt sur le revenu, 41 % ou 45 %.
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  28. Mais sous les avancées du néolibéralisme, la fiscalité du capital a profité progressivement d’un traitement de plus en plus dérogatoire, contraire aux principes de la Déclaration des droits de l’homme, même si sous Lionel Jospin et, dans une moindre mesure, sous François Hollande, des mesures légèrement correctrices ont été prises. Au final, l’état des lieux de la fiscalité du capital est confus et complexe, mais l’impôt sur le revenu reste en certains cas la référence pour l’imposition.
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  30. Voici la situation présente, résumée par l’OFCE : « Les revenus d’intérêt offrent un prélèvement libératoire optionnel à un taux de 24 %, jusqu’à 2 000 euros de revenus, tandis que l’intégration à l’impôt sur le revenu (IR) est obligatoire au-delà. S’y ajoutent les prélèvements sociaux à un taux de 15,5 % (dont 5,1 points sont déductibles de l’IR si le revenu est soumis au barème). Les dividendes sont toujours soumis à l’IR, avec un abattement de 40 %, après avoir payé les prélèvements sociaux à 15,5 % (5,1 points déductibles) sur leur totalité. Ils sont en effet issus des profits des entreprises ayant déjà subi l’Impôt sur les sociétés, au taux théorique de 33,33 % (auquel s’ajoute maintenant, sauf pour les TPE, un prélèvement de 3 %). Les plus-values réalisées sont soumises aux prélèvements sociaux, puis à l’IR, avec un abattement qui dépend de la durée de détention et atteint 50 % au bout de 2 ans, puis 65 % au bout de 8 ans. »
  31.  
  32. Cette étude de l’OFCE peut être consultée ici :
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  34. Remettant en cause cet assujettissement partiel à l’impôt sur le revenu, ce prélèvement forfaitaire de 30 %, très en retrait sur les taux de 41 % ou 45 %, offre donc une situation fiscale dérogatoire généralisée aux plus hauts revenus. Non seulement Emmanuel Macron veut sortir les revenus du capital de l’imposition progressive pour les soumettre à une fiscalité proportionnelle par construction beaucoup moins juste, mais de plus, il choisit ce taux de 30 % qui est très faible. C’est donc bel et bien une flat tax, comme on dit dans le sabir anglo-saxon, qui va voir le jour.
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  36. « Selon nos estimations, sous l'hypothèse où elle ne générerait aucun perdant, la mise en place d'un PFU devrait réduire la fiscalité de l'ordre de 4 milliards d'euros et cette baisse serait largement concentrée sur les ménages les plus aisés : le gain à attendre pour les ménages appartenant au dernier centile de niveau de vie devrait atteindre en moyenne 4 500 euros par an », écrit l’OFCE.
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  38. Mais comme on l’a vu précédemment dans le cas de l’ISF, la détention d’actifs mobiliers est de plus en plus forte, à mesure que l’on monte dans l’échelle des revenus. Ce cadeau, plus considérable que celui de l’ISF, va donc d’abord profiter à une toute petite minorité, celle des ultrariches, comme le relève l’OFCE : « Du fait de la forte concentration des revenus mobiliers dans le haut de la distribution des revenus, l’impact de la réforme devrait être d’autant plus important pour les ménages les plus aisés. Selon les données de l’Insee, en 2011, parmi les individus appartenant aux 9 premiers déciles de niveau de vie, 58 % perçoivent des revenus mobiliers contre 95 % des ménages dits aisés, c’est-à-dire appartement au dernier centile de niveau de vie (les 1 % les plus riches). Pour comparer, ces ménages perçoivent des revenus mobiliers en moyenne 50 fois plus élevés que ceux perçus par les ménages des 9 premiers déciles. »
  39.  
  40. Le graphique ci-dessous résume ces constats :
  41.  
  42. graphique3
  43.  
  44. Commentaire de l’OFCE : « Ces différences importantes transparaissent lors de l’analyse de la répartition des gains selon le niveau de vie des ménages. Ainsi, sur les 4 milliards de coût estimé de la réforme, les 10 % de ménages les plus aisés devraient bénéficier de près de 2,6 milliards de baisse d’impôt, soit près des deux tiers de l’enveloppe budgétaire consacrée. Les seuls ménages appartenant au dernier centile de niveau de vie, les 1 % les plus aisés, devraient voir leur niveau de vie s’accroître en moyenne de 4 225 euros, soit un gain de pouvoir d’achat de 3,1 %, alors que le gain moyen pour les ménages appartenant aux 9 premiers déciles de niveau de vie serait de 0,3 %, soit un gain moyen par ménage de l’ordre de 55 euros (133 euros en moyenne si l’on ne considère que les bénéficiaires de la réforme). »
  45.  
  46. Ce cadeau du prélèvement unique, cumulé à celui sur l’ISF, est même encore plus choquant qu’il n’y paraît. On sait en effet que le chef de l’État entend financer ces gigantesques allègements d’impôts par des économies correspondantes : sur la fonction publique, sur l’enseignement supérieur et la recherche, etc. En fait, c’est donc un gigantesque transfert de revenus qui va être à l’œuvre : une partie du pays va être soumise à des mesures de rigueur pour financer des cadeaux à une poignée d’ultra privilégiés.
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  48. En somme, le sobriquet de « président des riches » dont Nicolas Sarkozy avait été à bon droit affublé et que François Hollande lui avait ravi (lire ISF: Hollande ravit à Sarkozy le titre de «président des riches»), c’est Emmanuel Macron qui va bientôt le mériter, beaucoup plus que ses prédécesseurs.
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  50.  
  51. La fiscalité française est devenue dégressive
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  53. 5. La face cachée de la suppression de la taxe d’habitation. La réforme fiscale d’Emmanuel Macron n'est pas seulement un projet concocté en complicité avec les plus grandes fortunes et les milieux d’affaires. Dans sa cascade de projets, dont les effets sont complexes et difficiles à prévoir, il y a une autre inspiration, que l’on devine mi-technocratique, mi-autoritaire. Ainsi de la réforme de la taxe d’habitation visant à ce que, à terme, 80 % des ménages français en soient totalement exonérés, pour un coût total de 10 milliards d’euros.
  54.  
  55. Depuis des lustres, la taxe d’habitation fait l’objet d’une critique majeure, celle d’être assise sur des valeurs locatives cadastrales qui n’ont pas été réactualisées depuis une éternité et de ne tenir aucun compte des revenus de ceux qui l’acquittent. Au fil des ans, il y a ainsi eu mille propositions, visant à rendre un peu plus équitable une fiscalité locale injuste. À titre d’exemple, il a été suggéré à la fin des années 1980, sans toucher à l’autonomie de gestion des collectivités locales, de mettre un peu de progressivité dans la taxe d’habitation en l’adossant à une taxe départementale sur le revenu (TDR), ce qui était assurément une bonne idée mais n’a jamais été appliqué.
  56.  
  57. L’idée venait corriger l’un des défauts majeurs de la fiscalité française qui est de plus en plus dégressive, comme l’avait établi l’économiste Thomas Piketty juste avant l’élection présidentielle de 2012 (lire Le petit livre rouge de la révolution fiscale). En clair, au lieu d’être progressif, le système français de prélèvement direct sur les ménages devient dégressif, dans les plus hautes tranches de revenus. C’est ce qu’établissait ce graphique réalisé par Thomas Piketty :
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  59. graphique5
  60. Voici le vice central du système français de prélèvements obligatoires : plus on est riche… moins on paie d’impôt. Pour corriger ce travers, il y a donc deux options possibles. Soit refonder un véritable impôt citoyen progressif, ce qui été la proposition de Piketty, par le biais d’une suppression de l’impôt sur le revenu et de la transformation de la CSG en un impôt sur le revenu. Soit en instaurant un peu de progressivité dans d’autres impôts, philosophie qui était précisément celle de la TDR.
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  62. Avec sa réforme de la taxe d’habitation, Emmanuel Macron balaie tous ces débats anciens et monte une machinerie fiscale sans queue ni tête, sans cohérence affichée. Et c’est encore une fois ce qu’établit l’étude de l’OFCE consacrée à ce projet.
  63.  
  64. L’étude montre bien en effet que l’ambition de la réforme n’est pas de remettre de la progressivité dans un système fiscal très injuste, mais qu’elle aurait pour effet paradoxal de n’apporter un gain de pouvoir d’achat qu’aux classes moyennes, avec des effets dérisoires pour les plus hauts revenus mais tout autant… pour les plus modestes. Ce qui est tout de même ubuesque !
  65.  
  66. L’OFCE fait en particulier ces constats : « Si à l'heure actuelle, seuls 15,5 % des ménages n'acquittent aucune taxe d'habitation du fait de l'existence de conditions d'exonération et d'abattements, la mesure proposée par Emmanuel Macron devrait constituer un gain de pouvoir d'achat pour les ménages correspondant à 0,7 % de leur revenu. La mesure cible particulièrement les classes moyennes. En effet, les ménages ayant un niveau de vie compris entre les 4e et 8e déciles devraient bénéficier d'un gain moyen compris entre 410 et 520 euros par an et par ménage, soit près de 4 à 5 fois plus que les gains moyens enregistrés par les ménages des premiers et derniers déciles de niveau de vie. » Et c’est ce qu’illustre le graphique ci-dessous :
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  68. graphique4
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  70. Dans quel obscur cénacle Emmanuel Macron a-t-il donc été dénicher un projet qui vise à redonner du pouvoir d’achat sauf à ceux… qui en ont le plus besoin ? Il suffit de se poser cette question pour comprendre que ce projet est totalement biscornu. Ou plutôt, il a une cohérence, mais qui n’a rien à voir avec la fiscalité. Dans la logique autoritaire et néomonarchique dans laquelle il inscrit décidément son action, le chef de l’État veut tout bonnement reprendre la main face aux collectivités locales, et battre encore un peu plus en brèche leur supposée autonomie de gestion.
  71.  
  72. C’est la seule vraie raison de cette autre monstruosité fiscale qui va voir le jour : les collectivités locales pourront sans difficulté être mises au régime sec si, pour leur financement, elles ne disposent plus que d’un impôt malingre, payé par une infime minorité de contribuables. De l’ISF rabougri jusqu’à la taxe d’habitation elle aussi rabougrie, c’est en tout cas une fiscalité dévastée qui va voir le jour, sous les coups de serpe d’Emmanuel Macron. Au risque de briser le consentement à l’impôt que nous évoquions plus haut.
  73.  
  74. Le pari fait par Emmanuel Macron est d’ailleurs risqué. Car outre la contestation sociale ou la colère que ces réformes peuvent susciter, celle de la taxe d’habitation soulève une autre grave question : n’est-elle pas anticonstitutionnelle ? Si l’interrogation est justifiée, c’est pour au moins deux raisons : parce que le gouvernement entend faire peser sur une toute petite minorité de contribuables un impôt qui a une vocation universelle ; ensuite parce que cette nationalisation de la fiscalité locale pourrait venir entraver la liberté d’administration des collectivités locales, garantie par la Constitution.
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  77. Des usines à gaz surréalistes
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  79. 6. La bombe à fragmentation de la CSG. Ce sentiment de loufoquerie et d’injustice, on l’éprouve encore plus fortement quand on observe la réforme de la contribution sociale généralisée (CSG) à laquelle veut procéder Emmanuel Macron.
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  81. Sur le papier, on comprend certes la mécanique. La voici, telle que la résume l’OFCE dans une autre étude consultable ci-dessous : « La mesure proposée dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron et dont l’entrée en vigueur au 1er janvier 2018 a été confirmée par le Premier ministre Édouard Philippe lors de son discours de politique générale du 4 juillet 2017, consiste en la suppression des cotisations salariées maladie et chômage pour les salariés du secteur privé (3,15 points) financée par une hausse de 1,7 point de la CSG, qui ne touchera pas les retraités modestes (ceux exonérés de CSG ou soumis à la CSG à taux réduit, c'est-à-dire 40 % environ des retraités) ni les indemnités chômage, mais concernera en revanche les revenus du capital. »
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  83. Mais dans quelle logique ce projet s’inscrit-il ? S’agit-il de redonner du pouvoir d’achat aux salariés, pour par exemple contrebalancer les effets des mesures sur l’ISF et la fiscalité du patrimoine ? Si c’est le cas, c’est raté puisque cette mesure pénalisera une grande majorité de retraités, soit environ 8 millions d’entre eux, qui subiront… une perte de pouvoir d’achat ; et les fonctionnaires ont de leur côté tout à craindre, puisque la mesure de compensation qui est supposée contrebalancer pour eux cette hausse de la CSG est pour le moins imprécise. Verra-t-elle seulement le jour ? Alors que le gouvernement multiplie les mauvais coups contre les fonctionnaires, avec le blocage annoncé des traitements, le rétablissement du jour de carence ou encore une nouvelle suppression des effectifs, il serait aventureux de croire le gouvernement sur parole.
  84.  
  85. En fait, il faut pénétrer dans cette usine à gaz que veut construire le gouvernement pour en comprendre les dangers.
  86.  
  87. Prenons le cas des retraités : ils vont devoir supporter une CSG de 1,7 point pour toutes les pensions supérieures à 14 000 euros net par an (1 200 euros par mois) pour un célibataire et 22 000 euros net par an (2 000 par mois) pour un couple. On conviendra qu’à ces niveaux-là, ce sont mêmes les petites retraites qui vont faire les frais du projet, quoi qu’en dise le gouvernement. Et, si ces retraités sont aussi des épargnants, ils subiront la même ponction de 1,7 point sur les actifs dont ils disposent, qu’il s’agisse d’un compte épargne logement (CEL), d’un plan d’épargne logement (PEL) ou d’une assurance vie. Pour la grande majorité des retraités, ce sera donc une ponction sur leur pouvoir d’achat.
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  89. Pour les fonctionnaires, l’inquiétude est voisine, et elle ne sera levée que lorsque la mesure de compensation sera connue. De plus, ils seront aussi concernés par la hausse de la fiscalité de l’épargne.
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  91. Selon le gouvernement, il reste qu’une catégorie de Français, celle des salariés du privé, sera gagnante puisque leurs cotisations maladie et chômage baisseront au total de 3,15 points, tandis que la CSG sera relevée de 1,7 point. Le calcul est donc simple à faire : grâce à une baisse des prélèvements sociaux de 1,45 point, les salariés vont bénéficier d’un gain de pouvoir d’achat non négligeable.
  92.  
  93. Et pourtant, il faut se défier de ces calculs que présente le gouvernement. Car si ces salariés sont aussi épargnants, ils devront supporter une hausse de 1,7 point de la CSG sur leur CEL, PEL ou assurance vie. Mais aussi sur les plans d’intéressement, de participation ou d’abondement d’épargne salariale, dont ils pourraient profiter au sein de leur entreprise.
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  95. L’OFCE souligne les incohérences du projet gouvernemental. Il note en effet d’abord ceci : « Il est indiqué dans le programme présidentiel qu'une “mesure équivalente dégagera également du pouvoir d'achat pour les fonctionnaires et les indépendants” et que la réforme devrait être neutre pour les finances publiques. » Et ajoute : « Notons d'abord que ces deux dernières affirmations sont incohérentes. En effet, sous l'hypothèse que les fonctionnaires et les indépendants bénéficient d'un gain de pouvoir d'achat identique à celui enregistré par les salariés du secteur privé, la substitution aurait, selon nos estimations, un coût budgétaire de l'ordre de 4,2 milliards d'euros. En effet, selon les données de l'enquête revenu fiscaux et sociaux de l'INSEE de 2013, actualisée pour 2015 à l'aide du modèle de micro simulation “Ines” développé par la DREES et l'INSEE, une hausse de la CSG de 1,7 % devrait engendrer une hausse des recettes fiscales de l'ordre de 20,7 milliards d'euros. La baisse de cotisations proposée pour les salariés dépendant du régime général devrait quant à elle entraîner une baisse des recettes de l'ordre de 18,3 milliards d'euros. Si une compensation de l'ordre de 3,15 % des revenus bruts devait être versée aux fonctionnaires et aux indépendants, il faudrait ajouter 6,6 milliards d'euros aux 18,3 milliards d'euros de compensation précédents. »
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  97. Et l’OFCE conclut : « Compte tenu des déclarations répétées quant à la neutralité fiscale de la substitution, nous supposons que les agents de la fonction publique et les indépendants ne seraient compensés que de la hausse de 1,7 % de la CSG. Sous cette hypothèse, les 15 millions de ménages dont la personne de référence est un actif occupé devraient bénéficier d'un gain moyen de l'ordre de 274 euros par an et les 11 millions de ménages dont la personne de référence est retraitée devraient voir leur pouvoir d'achat amputé d'environ 375 euros. Par déciles de revenu, les gains moyens sont relativement faibles : si l'augmentation de la CSG pesant sur le capital impacte fortement le dernier décile de niveau de vie, cet impact doit être relativisé compte tenu de l'impact très positif pour ces ménages de l'instauration du Prélèvement forfaitaire unique (PFU). »
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  99. En résumé, c’est bel et bien une tuyauterie insensée qui va être construite pour un résultat faible sinon dérisoire, dont on comprend mal la logique et l’intérêt. C’est sans doute Alexis Corbière, député de La France insoumise, qui le 10 juillet sur LCI a trouvé les mots les mieux ciselés pour qualifier le projet Macron : « Baisser l'ISF mais augmenter la CSG pour nos anciens, c'est honteux, immoral, scandaleux », a-t-il dit, reprochant au gouvernement de vouloir « faire les poches des plus anciens ».
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  101. Car en fait, si c’est effectivement une usine à gaz que le gouvernement va construire, avec des effets de transfert qu’il a sans doute encore mal calculés, le projet, à fort relent technocratique, n’en a pas moins une double cohérence. D’abord, depuis des lustres, les technocrates de Bercy se répandent en lamentations contre les pensions des retraités, estimant que le niveau de vie de ceux-ci est trop élevé. Pensez donc ! Avec une pension de 1 200 euros par mois, on pousse le pays vers la faillite. La réforme de la CSG est donc l’aboutissement de ce vieux rêve de l’oligarchie de Bercy : tailler dans les revenus des retraités.
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  103. Une seconde cohérence se devine : par la suppression des cotisations chômage, le gouvernement veut mener à son terme une nationalisation du régime d’assurance chômage, le seul dont la gestion est encore paritaire. En clair, les partenaires sociaux vont être sortis du jeu. Ce qui atteste du mépris que le gouvernement a pour la négociation sociale et plus encore pour le paritarisme.
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  105. En somme, la CSG est utilisée comme un instrument pour mener le même combat que celui contre le code du travail : le social, voilà l’ennemi !
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  107. 7. Une fiscalité de classe. Au premier coup d’œil, les différentes mesures de la réforme fiscale d’Emmanuel Macron ne donnent pas le sentiment d’un projet d’ensemble cohérent. Pourtant, dès lors que l’on examine une à une les différentes parties du projet, on comprend qu’elles sont comme autant de pièces d’un même puzzle, le tableau d’une fiscalité reconstruite au profit quasi exclusif des plus riches et au détriment des plus modestes.
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  109. C’est la raison pour laquelle il est si utile de se replonger dans les premiers débats de la Constituante, lors des balbutiements de la Révolution française, pour se souvenir que l’impôt est au fondement de la République. Peu de temps avant la Déclaration des droits de l’homme, c’est Bertrand Barère de Vieuzac (1755-1841), député du Bigorre à l'Assemblée nationale, qui faisait ce constat et il est plus que jamais d’actualité : « La liberté du peuple est toute dans l'impôt ; c'est là le gage le plus sûr de ses droits. »
  110.  
  111. C’est dire si ce quinquennat commence sous de sombres auspices…
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