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En correctionnelle à Aix, le mauvais quart d'heure de François Burgat (2025)

Apr 26th, 2025
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  1. En correctionnelle à Aix, le mauvais quart d'heure de François Burgat
  2. Erwan Seznec
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  4. Le Point.fr, no. 202504
  5. vendredi 25 avril 2025
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  7. Poursuivi pour apologie du terrorisme, l'islamologue a passé une audience plaisante, jusqu'aux réquisitions, mesurées mais cinglantes.
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  9. L'audience au tribunal d'Aix-en-Provence durait depuis déjà quatre heures lorsque le substitut du procureur Emmanuel Merlin s'est levé. Jusque-là, on l'avait seulement entendu parler pour donner son accord au renvoi à des audiences ultérieures de deux affaires de violences conjugales. Le tout-venant de la correctionnelle devait céder la place à la vedette du jour, François Burgat.
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  11. Son CV est long : né le 2 avril 1948 à Chambéry, arabisant, pilier de l'Institut de recherche et d'études sur le monde arabe et musulman d'Aix-en-Provence (Iremam), directeur de recherche au CNRS de 2016 à 2021, directeur de plusieurs instituts culturels et scientifiques français au Proche-Orient, dans les années 1990 et 2000, président du conseil scientifique et administratif du Centre arabe de recherches et d'études politiques (Carep), membre du comité de rédaction de la revue L'Orient XXI, auteur de plusieurs ouvrages sur l'islam politique, dont L'Islamisme en face (La Découverte, 1995) et Comprendre l'islam politique (La Découverte, 2016), etc.
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  13. Il comparaissait pour des faits présumés d'apologie du terrorisme commis en janvier et décembre 2024, à travers des messages postés sur les réseaux sociaux.
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  15. Du respect pour le Hamas
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  17. « J'ai infiniment, je dis bien infiniment plus de respect et de considération pour les dirigeants du Hamas que pour ceux de l'État d'Israël », écrivait-il sur X, le 2 janvier 2024. Cette phrase lui avait valu une garde à vue de sept heures, le 9 juillet 2024 , sur signalement de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), relayé par une plainte de l'Organisation juive européenne (OJE), rejointe par Avocats sans frontières et la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra).
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  19. Le message du 21 décembre 2024, quant à lui, ouvrait d'une certaine manière cette audience d'avril. Le verdict dans le procès de l'assassinat de Samuel Paty était tombé la veille. Le militant islamiste Abdelhakim Sefrioui et Brahim Chnina, père de l'élève qui avait menti à propos de son professeur, avaient été condamnés à treize et quinze ans de réclusion pour association de malfaiteurs terroriste (ils ont fait appel).
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  21. « Le verdict Paty (prononcé en présence d'Alain Finkielkraut) explicite un triste jalon de l'histoire contemporaine de la France : sa sortie de l'État de droit. Nous sommes tous des "terroristes" », écrivit alors François Burgat, toujours sur X. Le verdict avait de quoi l'inquiéter. Il était reproché à Abdelhakim Sefrioui et Brahim Chnina d'avoir influencé par leurs écrits Azim Epsirkhanov, l'assassin de Samuel Paty, sans le connaître.
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  23. Le « père de l'islamo-gauchisme aurait-il peur qu'on lui demande un jour des comptes ? » s'était interrogé le lendemain le journaliste Jean Quatremer commentant la sortie de François Burgat.
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  25. Fatales digressions géopolitiques
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  27. Présidant le tribunal correctionnel, la juge Sarah Chaib lui a effectivement demandé des comptes à Aix-en-Provence. Elle l'a fait courtoisement, le laissant longuement digresser sur l'ensemble de sa carrière et, fatalement, sur le conflit israélo-palestinien.
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  29. François Burgat habite à Aix-en-Provence. Il avait battu le rappel de ses soutiens, qui remplissaient la salle. Il a parlé sans doute autant pour eux que pour la présidente, qui a souvent dû lui demander de se retourner vers elle. « Répondez aux questions posées par la cour ! » a fini par lui lancer sa propre avocate, Me Lucie Simon, du barreau du Val-de-Marne. Pas la peine de répondre à celle du substitut du procureur Merlin, il n'y en avait pas encore eu une seule.
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  31. François Burgat a déroulé un argumentaire rodé. Oui, il éprouve de l'admiration et du respect pour le Hamas. Les abominations du 7 octobre 2023 étaient terroristes, mais non, l'organisation ne l'est pas. Il établit un parallèle avec le Front national de libération algérien, salue « l'intelligence politique du Hamas », rappelle qu'il a souvent rencontré ses leaders. « Y compris ceux de la branche militaire ? » demande la présidente. Il ne peut rien dire à ce sujet, tout ce qui le concerne est secret.
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  33. Embarrassantes violences sexuelles
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  35. François Burgat resitue son tweet du 2 janvier 2024. Le New York Times venait de publier une enquête sur les crimes sexuels du Hamas. Le mouvement islamiste avait répondu par un long démenti, dont François Burgat défendait la crédibilité. « J'avais des raisons de penser que le communiqué du Hamas ne relevait pas de la propagande », explique-t-il.
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  37. Il ne dira pas pour quelles raisons, mais il n'a pas changé d'avis. « Il n'existe plus de source fiable » sur ces crimes sexuels aujourd'hui, insiste-t-il. « L'accusation s'est totalement effondrée, il n'en reste rien. » La présidente le reprend : « Ce n'est pas tout à fait ce que disent les Nations unies. »
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  39. Plus précisément, le Conseil de sécurité a validé le 11 mars 2024 un rapport évoquant « des motifs raisonnables de croire que des violences sexuelles liées au conflit, notamment des viols et des viols en réunion, ont été commises dans au moins trois sites : le festival musical Nova et ses environs, la route 232 et le kibboutz Re'im. Dans la plupart de ces incidents, les victimes ont d'abord été violées puis exécutées ».
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  41. La présidente, qui a plusieurs fois rappelé que le conflit israélo-palestinien n'est pas le sujet du jour, ne donne pas tous ces détails. Elle laisse François Burgat aller et venir dans ses explications, du Proche-Orient à la France et de la France au Proche-Orient. Du reste, peu importe où il se trouve, il se dit toujours du côté des victimes : « J'ai plus de respect pour le colonisé que pour le colonisateur, pour les dominés que pour les dominants. »
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  43. Rony Brauman, témoin éclair
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  45. Rony Brauman est venu témoigner pour lui. L'ancien responsable des équipes médicales de Médecins sans frontières, 74 ans, parle de la « guerre génocidaire » en cours à Gaza, où se trouveraient des « camps de concentration ». Il affirme à la barre que « la majorité des sionistes ne sont pas juifs aujourd'hui », mais évangélistes américains. Son témoignage est bref et n'apporte pas grand-chose sur le fond. Il ne connaît pas François Burgat autrement que par ses écrits.
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  47. Jamais condamné pour antisémitisme, comme le rappellera son autre avocat, Me Rafik Chekkat, le prévenu place tout de même qu'une certaine religion « est plus naturellement associée à l'exercice du pouvoir » que d'autres, en réponse à une question de Me Muriel Ouaknine-Melki, représentante de l'OJE. L'approbation réjouie dans la salle s'entend un peu trop. La présidente demandera plusieurs fois le silence pendant l'audience.
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  49. Elle lui tend une perche énorme. La jurisprudence reconnaît aux chercheurs un supplément d'expression, allant jusqu'à des propos polémiques. S'exprimait-il sur X en tant que chercheur ou livrait-il une opinion citoyenne ? François Burgat ne saisit pas. Il insiste sur « une interaction, qu'il serait hypocrite de nier », dans les sciences humaines, entre les deux statuts. La science militante est sur le banc des prévenus.
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  51. La jurisprudence Chnina-Sefrioui l'inquiète. Il ne l'explique pas autrement que par « une atmosphère d'islamophobie » ayant contaminé les tribunaux. Il revendique « le droit de porter à la connaissance du public [...] des analyses qui ne font pas consensus », envers et contre tout, dit-il, car il serait « censuré totalement par les médias ».
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  53. « Si la CGT dit à "bas les grands patrons" et qu'Action directe abat un grand patron, la CGT sera coupable ? » s'interroge-t-il. Les intellectuels n'ont pas l'habitude de rendre des comptes et François Burgat ne souhaite manifestement pas que cela change. « Jusqu'à l'apologie du terrorisme ? » l'interroge la cour. « Oui, je prends ce risque », répond-il. Lucie Simon baisse la tête, Rafik Chekkat se raidit une seconde.
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  55. Responsabilité des intellectuels
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  57. Le propos est très assuré, le directeur de recherche honoraire est éloquent, mais comment se définit-il lui-même ? Ce n'est pas clair. Les parties civiles lui reprochent de « planter des graines » pour des passages à l'acte. Lui affirme désarmer les tensions. Il se pose à la fois en soutien indéfectible de la lutte armée des opprimés présumés et en rempart contre la violence.
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  59. « Toute démarche antiterroriste qui refuse de prendre en compte la part de responsabilité de la victime est vouée à l'échec », il l'a dit et redit en d'autres occasions. « Je suis très prétentieux, j'ai la prétention de lutter contre la violence mieux que d'autres » en « déconstruisant » les motivations des auteurs. Sans ses tweets, en résumé, les juifs de France seraient peut-être plus en danger qu'ils ne le sont aujourd'hui.
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  61. Déjà trois heures, et le substitut du procureur n'a toujours posé aucune question. « Je vous trouve décevant », lui lâchera Me Serge Tavitian, avocat de la Licra, dans sa brève plaidoirie. Me Muriel Ouaknine-Melki, qui lui succède pour l'OJE, rectifie le tir. Elle suppose qu'Emmanuel Merlin n'a pas envie de donner encore une tribune à François Burgat.
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  63. Sa propre plaidoirie tient en un mot, la fatigue. Elle est fatiguée de plaider pro bono pour l'OJE. Elle n'en peut plus de rappeler de cour en cour les divagations antisémites et propalestiniennes d'assassins francophones qui n'avaient jamais mis les pieds en Palestine, de Mohammed Merah à Amedy Coulibaly en passant par Youssouf Fofana. Assis sur son banc, François Burgat ne la regarde pas. Il a fermé les yeux et attend, droit et impassible. Les avocats de la partie civile, manifestement, ne l'ont pas déstabilisé.
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  65. Réquisitions assassines
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  67. Le moment des réquisitions arrive enfin. Emmanuel Merlin va parler environ quinze minutes. Ce sera suffisant pour que la teinte du visage de François Burgat finisse par atteindre la nuance lie-de-vin de ses souliers de cuir.
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  69. « Tenu autrefois à une obligation de réserve », l'érudit longtemps titulaire d'un passeport diplomatique a « rattrapé son retard » en matière de divagations, attaque le magistrat, qui s'emploie à fouetter la fierté professionnelle du prévenu. « Quand on est chercheur, il faut faire attention aux mots que l'on choisit. Mais s'il choisissait ses mots, il ne serait pas là aujourd'hui. »
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  71. Ce n'est pas seulement une question de fond, mais aussi de tactique, s'acharne le substitut du procureur. « Son créneau, qui ne tient pas du tout la route, est celui de l'expression libre », face à une pression sociale que renforceraient « les juridictions françaises dans une posture islamophobe ». Des propos « d'une stupidité totale devant des magistrats ! » tonne Emmanuel Merlin.
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  73. Huit mois avec sursis requis
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  75. Il souligne avec cruauté la superficialité de celui qui vient de prodiguer des leçons, semblant trop souvent confondre la cour et ses cours. « Avec la propagande du Hamas, il considère qu'il est suffisamment documenté ! » Concernant le dossier Paty - et le procureur mime de la main une pile de 2 mètres de hauteur -, « il n'a rien lu de tout ça, il n'y connaît rien, il s'est contenté de la plaidoirie de l'avocat des accusés et il s'en vante ! Mais un avocat défend ses clients, pas la vérité ! »
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  77. Emmanuel Merlin se fait un devoir de lire l'article 7 de la charte du Hamas de 1988, qui cite un hadith : « Le Jour du Jugement dernier ne viendra pas avant que les musulmans ne combattent les juifs, quand les juifs se cacheront derrière les rochers et les arbres. Les rochers et les arbres diront, Ô Musulmans, Ô Abdallah, il y a un juif derrière moi, viens le tuer. »
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  79. La charte a été réécrite en 2017, mais comme le rappelle le substitut, François Burgat s'est pris d'admiration pour le Hamas bien avant, en 2006. « Je ne suis pas du genre à poser des questions inutiles, surtout quand elles permettent de pérorer sur des choses assez choquantes », ajoute-t-il. Si cela n'avait tenu qu'à lui, l'audience ne se serait sans doute pas éternisée, car « le dossier est assez simple, juridiquement parlant ». La cour a « un boulevard » pour condamner au titre de l'apologie du terrorisme.
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  81. Il requiert huit mois de prison avec sursis, une amende de 4 000 euros, la suspension des comptes sur les réseaux sociaux pour six mois et deux ans d'inéligibilité. La défense a plaidé la relaxe. Verdict le 28 mai.
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