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LyaraxeWatt

CP - Chap 1

May 20th, 2019
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  1. Un bruissement dans les couvertures. Une chaleur qui s’évanouit. Le bruit sourd des pieds nus sur la moquette. Il ne fallait pas grand-chose pour me réveiller, et même avec toute la discrétion du monde, Avae aurait été bien incapable de quitter mon lit sans me perturber.
  2.  
  3. Depuis plusieurs semaines, d'ailleurs, elle ne prenait même plus la peine de ralentir ses mouvements pour éviter d'être entendue. Elle avait rapidement compris la vacuité d'une telle démarche. Rien qu'au son qu'elle émettait à chacun de ses pas, je pouvais presque la localiser dans l'appartement. Les yeux fermés, je l'écoutais s'habiller. Le frottement de ses vêtements contre sa peau était perceptible uniquement grâce au silence de mort qui régnait dans l'immeuble ce matin là.
  4.  
  5. Après avoir remonté sa jupe, Avae s'immobilisa. Il n'y eut alors plus le moindre bruit. Des implants plus performants m'auraient permis d'écouter sa respiration, ou même le battement de son cœur sous sa poitrine, mais Jaeden Kurson avait considéré qu'une telle précision n'était pas nécessaire.
  6.  
  7. Lorsqu'elle se remit à se déplacer, ce fut pour ouvrir les stores mécaniques qui empêchaient les premiers rayons du soleil de s'infiltrer dans la chambre. Le cliquetis de l'activation retentit dans la pièce, juste avant qu'une lumière aveuglante ne vienne me tirer un grognement plaintif.
  8.  
  9. -Vas-y, fais comme chez toi ! Ironisai-je en cachant mon visage sous mon oreiller.
  10.  
  11. J'étais à nouveau dans l'obscurité, mais le simple fait de savoir la chambre baignée d'un éclairage matinal suffisait à m'épuiser. J'avais une légère migraine, et l'impression d'avoir dormi tout juste quelques heures. Comment faisait-elle, Avae, pour se lever avec autant d'aisance ?
  12.  
  13. -Je crois que je ne vais jamais réussi à m'habituer à cette vue, fit remarquer Avae, que je devinais toujours postée devant la fenêtre.
  14. °°°
  15. Au dernier étage d'une tour de trois-cent-cinquante mètres, la Stia, je devais moi-même avouer que cet appartement proposait quelques panoramas dignes d'intérêt. La vue dont parlait Avae, c'était celle de milliers d'immeubles liés entre eux par un enchevêtrement de routes, un urbanisme chaotique qui s'étendait jusqu'à l'horizon, flottant sur une brume permanente. Ce n'était pas fait pour être beau, ça ne l'était pas, mais il s'en dégageait quelque chose d'impressionnant, de tentaculaire. Le plus souvent, regarder à travers cette vitre me donnait des vertiges. Et là, malgré l'oreiller qui recouvrait mes yeux, la simple image de ce paysage dans mon esprit suffisait à me déstabiliser.
  16.  
  17. -Bon, lève-toi maintenant, Mad. Faut que je sois partie dans moins de dix minutes.
  18.  
  19. Elle me faisait pitié. J'avais refermé les yeux, mais sans la voir, je la devinais étouffée sous son tailleur de secrétaire. Elle devais porter ce même costume chaque jour, supporter les mêmes regards libidineux des mêmes connards arrogants, effectuer les mêmes taches ingrates pour le même salopard, tout ça à longueur d'année. Alors certes, elle s'en tirait mieux que la moyenne sur le plan financier, bien mieux, mais pour rien au monde je n'aurais enfilé cet ensemble noir. Ce n'était rien d'autre qu'un uniforme d'esclave.
  20.  
  21. -Tu sais que t'es pas obligée de m'attendre, tu peux y aller sans moi.
  22. -Franchement, il est hors de question que je me balade seule par ici. C'est un repaire à tueur en série, ton quartier. Alors je veux bien que tu te plaises entourée de violeurs récidivistes drogués, mais personnellement, je préfère éviter de me retrouver seule face à l'un d'entre eux.
  23. -Dans ce cas, viens en voiture et gare-toi devant l'immeuble. Je te promets que tu ne te feras pas violer dans ma cage d'ascenseur.
  24. -Pour me retrouver le lendemain avec une carcasse démontée dont il ne reste que le volant ? Très peu pour moi, merci.
  25. -Excusez-moi, chère mademoiselle, de ne pas avoir de voiturier à ma disposition. Mais je te promets que tu n'as rien à craindre par ici, tente le coup, juste une fois.
  26. °°°
  27. Elle soupira. C'était souvent ce qu'elle faisait, quand elle voulait abréger les discussions. Ce n'était pas le soupir amusé de quelqu'un qui ferait semblant d'être atterré. C'était le soupir exténué de quelqu'un qui s'occupe d'un des hommes les plus influents du monde, et qui se retrouve obligée de travailler avec une personne qui n'a pas les mêmes priorités.
  28.  
  29. La détresse d'Avae eut finalement raison de mon flegme. Elle ne cacha pas son soulagement en me voyant sortir du lit, mais celui-ci s'avéra de courte durée. Avec cette femme, l’anxiété ne disparaissait jamais très longtemps. J'avais à peine posé mon premier pied au sol qu'elle était déjà dans ma cuisine, à la recherche de quelque chose de comestible.
  30.  
  31. -Je t'avais pas demandé de faire des courses ? Demanda-t-elle en fouillant dans mes placards.
  32. -Jusqu'à preuve du contraire, tu n'as pas autorité sur mon approvisionnement. Mais je suis sûre que si je demandais à Kurson, il se ferait un plaisir d'ajouter cette activité à la liste de tes responsabilités.
  33.  
  34. Elle ne répondit rien et se contenta de sortir un bloc gélatineux aromatisé au chocolat. Son silence était souvent encore plus grave que ses soupirs. Je ne savais jamais précisément si je l'amusais, ou si je lui donnais l'envie de m'assassiner à grands coups de hache. Je partais du principe que si elle continuait à passer certaines de ses nuits chez moi, elle devait m'apprécier au moins un petit peu.
  35. °°°
  36. Quant à moi, je n'étais pas bien sûre de ce que je pensais d'elle. Je me posais rarement ce genre de question. Tout ce que je pouvais savoir, en l'observant s'activer dans la cuisine depuis l'entrée de ma chambre, c'était qu'elle était belle. Elle avait sans doute obtenu son poste en partie grâce à ça – même s'il aurait été absurde de remettre en question son évidente efficacité - et, en ce qui me concernait, je n'y voyais rien de problématique. On se battait tous avec les armes que le monde nous offrait. Ses long cheveux bruns, emmêlés par une nuit de sommeil, tiraient vers le châtain aux pointes. Avec ses lunettes arrondies et son tailleur noir, elle avait une allure intemporelle, mais qui rappelait l'aliénation de son emploi.
  37.  
  38. -Tu veux manger un truc ? Et habille-toi, on part dans cinq minutes, maximum, si on ne veut pas être en retard. En fait, je suis probablement déjà en retard. Aucune chance que j'y sois à l'heure.
  39. -Je m'habille, détend-toi. Si tu veux, tu peux descendre m'attendre à la voiture. Tu remarqueras que personne ne l'a démontée pendant la nuit.
  40.  
  41. J'ouvris la porte de ma garde-robe. S'il y avait bien une pièce qui faisait usage de l'immensité de mon logis, c'était celle-ci. De géométrie ovale, elle était suffisamment grande pour accueillir une dizaines de personnes. La totalité des murs était recouverte par la collection de vêtements la plus variée qu'il m'avait été donné de voir. Des robes de soirée côtoyaient des tenues de combats, il y avait des dizaines de pantalons de toutes les formes et de toutes les longueurs, ainsi que d'épaisses parkas au côté de longues vestes chics. Des restes de haillons de ma jeunesse étaient accrochés à proximité de ma collection d'armes.
  42. °°°
  43. Il n'y avait aucune logique dans l'organisation. Je disposais d'une ribambelle de cintres magnétiques, et de tout autant de tiroirs, chaque nouvel atour était placé là où il y avait de la place. Certains étaient des souvenirs, d'autres des achats compulsifs, ou bien des uniformes datant de précédentes missions. Il y avait même des vêtements d'homme, des manteaux pris à mes cibles, ou des chemises empruntées à des partenaires, datant d'une époque où tout était plus simple.
  44.  
  45. Je n'avais jamais porté les trois quarts de cette collection, mais j'aurais été incapable de m'en séparer. Elle me donnait le sentiment de pouvoir être qui je voulais, que chaque matin, je pouvais décider de la personne que je serai. C'était une belle illusion.
  46.  
  47. Quand je retrouvai Avae dans la pièce principale, la jeune femme me lança un regard noir. J'avais opté pour un trench en cuir, et un pantalon noir synthétique. Mon arme de poing était accroché à ma ceinture, dans mon dos. J'étais assez satisfaite du rendu, mais mon invitée ne donnait pas l'impression d'y accorder une grande importance.
  48.  
  49. -Rappelle-moi de ne jamais plus attendre le dernier moment pour te réveiller.
  50. -Puisque tu fais la même erreur absolument tous les matins où tu viens ici, je suppose que te le rappeler ne changera pas grand-chose.
  51.  
  52. Je crus qu'elle allait soupirer à nouveau, ou me lancer une autre remarque désobligeante à propos de ma lenteur, mais elle s'approcha de moi pour déposer un baiser inattendu sur mes lèvres. C'était définitivement une femme pleine de surprises. Au moins avais-je ma réponse aux questions que je me posais : elle devait m'apprécier au moins un petit peu.
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  54. -On y va ? M'interrogea-t-elle d'une voix suppliante.
  55. °°°
  56. Une analyse circulaire me permit de m'assurer que je n'oubliais rien. De toute manière, il n'y avait rien à oublier. La grande salle de mon appartement avait des allures d'immense hangar désaffecté. Une table, le strict nécessaire en terme d'électroménager, trois chaises design d'un blanc laiteux, et un canapé qui ne servait presque jamais : si personne n'avait vécu ici, le décor n'aurait pas été moins vivant. La seule chose qui valait le coup, c'était la baie vitrée qui recouvrait presque toute la surface murale, donnant une vue d'ensemble de [INSERER NOM VILLE].
  57.  
  58. -C'est bon, on y va, ai-je murmuré.
  59.  
  60. Un sourire soulagé apparut sur le visage d'Avae. Pour la faire sourire, il fallait l'emmener travailler. Je me rendis compte que je me trouvais à des années lumières d'elle. En ouvrant la porte de l'appartement, et comme chaque matin qu'elle passait à mes côtés, je me demandais ce qui la poussait à revenir plusieurs soirs par semaines, alors même qu'elle savait qui j'étais.
  61.  
  62. Je détestais ne pas trouver de réponse.
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