Advertisement
max-ou

CR du machin de Michel Onfray sur le "judéo-christianisme"

Sep 12th, 2018
195
0
Never
Not a member of Pastebin yet? Sign Up, it unlocks many cool features!
text 6.21 KB | None | 0 0
  1. Compte rendu de
  2. Michel Onfray, Décadence. Vie et mort du judéo-christianisme, Paris, 2017, Flammarion, 652 p., 22,90 €.
  3.  
  4. Paru dans Revue philosophique de la France et de l'étranger, 2018, vol. 143, no 3
  5.  
  6. Ce gros livre se présente comme une vaste fresque historico-philosophique, prenant acte de l’inéluctable disparition prochaine de la civilisation « judéo-chrétienne », fondée sur une pure fiction (Jésus de Nazareth) et, à partir de Constantin, sur l’alliance des théologiens chrétiens avec un pouvoir coercitif. C’est dans l’image de Jésus chassant les marchands du Temple et dans la pensée de saint Paul – un impuissant mû par une inextinguible rancœur –, que prendraient leur source toutes les violences dont le christianisme doit être tenu pour coupable, de la persécution des païens à la Shoah, en passant par les croisades, l’inquisition, les guerres de religion ou le colonialisme génocidaire.
  7.  
  8. La charge n’est pas neuve. Mais si l’ouvrage fait assaut d’une apparente érudition qui a pu en abuser plus d’un, il révèle beaucoup d’ignorance des acquis de la recherche historique récente. L’accès au « Jésus de l’histoire » rencontre certes maints obstacles, mais en revenir aux positions défendues dans les années 1920-1930 par un Alfaric ou un Couchoud, qui niaient radicalement l’historicité du fondateur du christianisme, est tenu pour impossible par la toute grande majorité des historiens. L’ouvrage est truffé de quantité d’autres contre-vérités sans réel fondement qui l’apparentent à un pamphlet accumulant les sophismes réducteurs. Comment peut-on ainsi affirmer que le christianisme serait la source majeure de la pensée d’Hitler ou reprendre sans nuance la thèse d’une papauté complice effective du génocide des Juifs ? De même, comment suivre Onfray lorsqu’il martèle que les horreurs engendrées par les principes dévoyés des Lumières à travers la Révolution française (qu’il décrit avec des allures hallucinantes de captatio benevolentiae d’un public réactionnaire), ou par les philosophies du soupçon et le marxisme, procèderaient d’un imaginaire occidental nourri d’eschatologie chrétienne ?
  9.  
  10. L’aplomb avec lequel ces affirmations sont assénées sèmerait le doute si l’incompétence de l’auteur ne sautait aux yeux. Malgré le nombre de livres qu’il confesse avoir lus pour écrire ce livre, plus que pour tout autre (p. 599), Onfray est en effet souvent pris en défaut d’ignorance basique. Ainsi lorsqu’il nomme Arien le fondateur de l’arianisme, confondant l’initiateur (Arius) et les adeptes de ce courant, dont, au demeurant, la christologie est présentée avec des approximations risibles (p. 164). Un coup d’œil sur la bibliographie « essentielle » donnée en fin de volume montre que, sous le couvert d’une distance affirmée avec les pratiques universitaires, l’auteur cache surtout une insuffisance documentaire et méthodologique. S’agissant de l’histoire de l’Église ancienne, la démonstration de l’impéritie strictement historienne du propos a été faite par l’excellent petit livre de Jean-Michel Salamito, Monsieur Onfray au pays des mythes (Paris, Salvator, 2017). En fait, le christianisme accablé par Onfray n’est que celui qu’il a fantasmé à grand renfort de visions simplistes et d’amalgames grossiers. Sur le plan de la philosophie de l’histoire, la vision nietzschéenne qui le conduit à considérer l’évolution de la « civilisation judéo-chrétienne » comme celle d’un grand corps vivant, de sa naissance à sa déliquescence, est manifestement motivée par un contentieux personnel qui oppose Onfray aux monothéismes et au christianisme en particulier, dont le fondement commun serait la haine de la vie, de l’intelligence, des plaisirs terrestres, du corps, des femmes… Les arguments, souvent caricaturaux, sont ceux déjà fourbis dans le Traité d’athéologie (Grasset, 2005).
  11.  
  12. Onfray a voulu, une fois de plus, régler ses comptes avec le christianisme, réduit significativement au seul « catholicisme », au fil d’un interminable réquisitoire, dont l’un des objectifs avoués est de valider la thèse huntingtonienne du « choc des civilisations ». Celle-ci méritait mieux qu’un plaidoyer aux prétentions historiennes si mal fondées. Au seuil de son inexorable disparition, le judéo-christianisme se voit d’ores et déjà, selon l’auteur, supplanté par l’islam. Celui-ci n’est certes qu’un totalitarisme ayant vocation à annihiler toute autre spiritualité ou idéologie – ce qui est « démontré » par le recours au tout-venant de la rhétorique la plus islamophobe ou à des théories aussi contestables que celle du « grand remplacement » –, mais Onfray lui reconnaît un élan vital qui manque désormais au christianisme. Que celui-ci ait abandonné la partie, l’auteur en voit une illustration dans le méprisable aggiornamento engagé par l’Église catholique à Vatican II, dont il développe une critique digne des milieux les plus traditionalistes : Vatican II, allant démagogiquement dans le sens du poil de la modernité, avaliserait la mort d’un Dieu transcendant et l’avènement de l’homme-Dieu immanent. Toute avancée des religions, que ce soit l’islam ou le christianisme, vers la légitimation théologique du métissage culturel et spirituel est d’entrée de jeu disqualifiée ou passée sous silence par Onfray, tant elle gêne la lecture huntingtonienne de l’histoire contemporaine qu’il revendique explicitement. Face à l’anéantissement à venir de « notre » civilisation, Onfray prétend n’éprouver ni satisfaction, ni regret. Renvoyant dos-à-dos réactionnaires et progressistes, il veut se borner à faire le constat de ce qui advient, posture qu’il définit comme celle du « tragique » par excellence. Mais le tragique s’accorde-t-il à cette cynique impassibilité ? Et on a beau se targuer de construire une philosophie froide de l’histoire, cela ne dispense pas de respecter la factualité de celle-ci. Le succès et l’accueil souvent enthousiaste fait dans les médias à Décadence illustrent en réalité une navrante faillite tant de la culture historique que de la raison critique. Christian Cannuyer
Advertisement
Add Comment
Please, Sign In to add comment
Advertisement