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Nov 17th, 2019
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  1. Prise de poids. Allaitement. Elles demandent la fin des conseils tyranniques pour les femmes enceintes
  2. Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet, co-auteures de « Le Guide féministe de la grossesse » (Marabout/2019). (Astrid di Crollalanza)
  3. Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet, co-auteures de « Le Guide féministe de la grossesse » (Marabout/2019). (Astrid di Crollalanza)
  4. Dans ce guide, les femmes enceintes trouvent de quoi se défendre des fantasmes et projections dont elles font l’objet depuis qu’elles ont été fécondées.
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  6. Par Louise Auvitu
  7. Publié le 15 novembre 2019 à 14h34
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  9. « Vivre sa grossesse à deux, de manière totalement libre et éclairée, loin des clichés sexistes et des injonctions culpabilisantes ». Voici les ambitions que Pihla Hintikka, journaliste finlandaise, et Elisa Rigoulet, curatrice et auteure spécialisée en art contemporain, se sont fixées quand elles ont eu l’idée d’élaborer « Le Guide féministe de la grossesse » (Marabout, 2019). Dès les premières pages de leur livre, elles posent le constat suivant :
  10. "« Pendant neuf mois et plus, la future mère est ramenée à ses attributs biologiques, image souvent accompagnée d’une conception du couple conservatrice et hétéronormée, bien sûr, qui enferme la femme et l’homme dans des rôles sociaux qu’ils n’ont pas choisis. »"
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  12. « Si nous voulons les femmes et les hommes égaux, nous les voulons égaux partout », ajoutent-elles quelques lignes plus loin. Mais pourquoi, au cours de ces neuf mois qui précèdent la naissance d’un enfant, cette parité semble-t-elle si compliquée à obtenir ?
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  14. C’est à Paris dans un café du XXe arrondissement à l’ambiance cosy et au mobilier seventies que Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet nous ont donné rendez-vous. Avec elles, nous avons parlé de la place des hommes dans ce parcours ultra-médicalisé qu’est la grossesse, de tout un tas de diktats dont celui de l’allaitement et des stéréotypes de genres.
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  16. A vous lire, on a l’impression qu’il existe une sorte d’opposition entre maternité et féminisme. Est-ce vraiment le cas ?
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  18. Pihla Hintikka : Je n’irai pas jusqu’à parler d’opposition. Je pense qu’il s’agit plutôt d’un oubli. Les femmes se sont tellement battues pour avoir le droit de ne pas avoir d’enfant, notamment grâce à la libéralisation des méthodes de contraception et à la légalisation de l’avortement, qu’elles en ont parfois oublié que celui d’en avoir existait. C’est ainsi que beaucoup de femmes se retrouvent en manque d’informations et incapables d’avoir un point de vue précis sur la maternité avant d’y être confrontées.
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  20. LIRE AUSSI : De Beauvoir à #Metoo, comprendre la révolution féministe
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  22. Dans votre livre, vous évoquez le fait que la grossesse enferme souvent le partenaire dans un rôle de simple spectateur. Qu’est-ce que vous entendez par là ?
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  24. Elisa Rigoulet : Il y a quelque chose d’assez hypocrite dans l’invitation qu’on fait aux hommes dans la grossesse. Sur le papier, on veut que les futurs pères soient présents partout et à chaque moment, mais dans les faits, il n’en est rien. Le corps médical les ignore et ils se retrouvent le plus souvent dans une position de simple spectateur prié d’être habités par peu de choses.
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  26. P.H. : Par exemple, au moment des échographies, on octroie au partenaire une petite chaise dans un coin de la pièce, mais il doit rester silencieux. Pourquoi ? Parce que la grossesse est souvent réduite à une simple expérience physique féminine. On rappelle à l’autre que même s’il fait plus ou moins partie du projet, c’est dans le corps de la femme que cela se passe. Du coup, aucun dialogue de couple ne s’instaure. On ne parle ni de l’attente psychique, ni de l’expérience sociale, car la grossesse est perçue comme un événement exclusivement physique et biologique.
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  28. On croit souvent que le désir d’enfant est en premier lieu féminin. C’est faux, il est partagé. Comment expliquez-vous que cela soit si ancré dans l’inconscient collectif ?
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  30. E.R. : Cette fausse idée est véhiculée notamment dans la littérature de grossesse. Souvent, on a l’impression que l’événement est une surprise pour le père. Une grossesse n’est jamais voulue ou attendue, mais subie. Il y a des chapitres entiers où on adresse aux hommes des subterfuges et conseils pour « survivre à cette galère ». C’est désolant car en réalité, la majorité d’entre eux veulent des enfants, ne vivent pas ce moment comme une épreuve et aimeraient même y prendre une place plus significative.
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  32. Pourquoi ce partage égalitaire est-il si difficile à mettre en place ?
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  34. E.R. : Parce qu’on ne veut pas enlever à la femme cette expérience-là. La difficulté réside dans l’idée que si la grossesse peut être partagée socialement et psychologiquement, cela est impossible d’un point de vue physique. Parce qu’il y a quelque chose qui appartient fondamentalement au corps féminin, on ne peut ni le lui enlever ni oser dire qu’un homme est habilité à comprendre ce qu’il se passe. On le voit notamment à travers l’essor de mouvements ultra-naturalistes qui développent l’idée d’un suprématisme féminin. Alors que ces mouvements se revendiquent comme féministes, ils sont extrêmement excluants pour les hommes. Mais c’est sans doute une des étapes nécessaires pour que les femmes se réapproprient cette expérience.
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  36. P.H. : Nous ne sommes pas en train de nier le fait qu’une grossesse se déroule dans le corps des femmes. C’est un fait. Simplement, c’est une expérience bien plus complexe qu’elle n’y paraît. Mais parce que nous n’en parlons pas, nous ne le réalisons pas.
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  38. Justement, parce que la grossesse se déroule dans le corps de la femme, toute cette pression ne repose-t-elle pas trop sur ses seules épaules ?
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  40. P.H. : En effet et le risque, c’est de ne pas vivre sa grossesse de manière libre. Si cela ne se passe pas chronologiquement comme dans les livres, une femme enceinte va s’inquiéter. « Est-ce que je suis normale parce que je me sens comme ça ? » Et c’est ainsi qu’elle va se retrouver sur d’obscurs forums et paniquer. Or, une grossesse normale, ça n’existe pas.
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  42. Vous écrivez que « préférer une fille ou un garçon, c’est projeter tout un tas de constructions associées de manière souvent stéréotypées au genre ». Est-il possible de ne pas tomber dans ces dérives-là ?
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  44. P.H. : C’est difficile, voire impossible. Si on n’a pas pris le temps d’y réfléchir ou si on ne s’interroge pas en tant que futurs parents sur les questions de genre, on se projette inconsciemment et on reproduit des rôles et des schémas malgré soi. Et, même si on en a conscience, on reste une personne qui a évolué au sein d’une société qui n’a de cesse de nous montrer la place qui est censée être la nôtre.
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  46. E.R. : Des études sociologiques montrent que cette projection du genre existe avant la naissance de l’enfant. Cela va de la préparation de la chambre à la garde-robe, mais cela peut aller plus loin, jusqu’à influer sur les attentes des parents concernant le caractère de leur enfant. Après de telles projections, certains parents peuvent même être déçus d’apprendre qu’ils vont avoir une fille ou un garçon, ce qui est absurde !
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  48. Pourquoi le sexe de l’enfant à naître prend-il une place si importante dans les discussions ?
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  50. P.H. : Parce que le genre est tellement ancré dans notre société. Au moment de l’arrivée du bébé, on vous assène de : « Ah oui, les bébés garçons font ci, les bébés filles font cela » alors que ce n’est absolument pas prouvé. Il s’agit d’idées reçues qu’on devrait interroger socialement. Pourquoi les renforce-t-on malgré nous dans le langage et dans le comportement ? Quelles sont les conséquences de ce genre de schémas ? Ce sont des sujets dont on parle dans notre prochain livre, Fille-Garçon, même éducation – Guide pour une parentalité féministe de 0 à 3 ans, qui va sortir en janvier 2020. Je trouve que c’est aussi très culturel. En Finlande, le sexe importe moins et il serait même extrêmement mal vu de dire qu’on est déçu. L’important, c’est de s’assurer que le bébé est en bonne santé.
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  52. Mais alors, pour ne pas tomber dans le piège de la projection, est-ce qu’il ne vaut mieux pas ne pas savoir le sexe du fœtus ?
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  54. E.R. : Peut-être que dans la préparation on évitera certaines choses, mais à la naissance, l’entourage rappellera aux parents que les garçons, c’est plutôt pyjama bleu avec des camions, et que les filles portent des robes et du rose. Même si on lutte, il est compliqué de rattraper les réflexes des autres. Quand j’ai annoncé que j’attendais un garçon, je me rappelle que ma mère m’a dit : « Oh, tu as de la chance, il va t’aimer super fort. »
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  56. Comment expliquez-vous que cette expérience soit ponctuée d’autant de stéréotypes et d’injonctions ?
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  58. E.R. : C’est qu’il s’agit de l’expérience la plus universelle qui soit et, en même temps, la plus intime. Les gens ne peuvent pas s’empêcher de t’inonder de conseils. « Tu vas vivre ça, tu vas voir ça. Par contre, ne fais pas ci, ne fais pas ça ». Parce que j’ai moi-même été enceinte, je sais ce que la personne est en train de vivre. Or, chaque grossesse est singulière.
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  60. Et après la naissance, est-ce que cela s’atténue voire disparaît ?
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  62. E.R. : (rires) Jamais. J’imagine que quand tes enfants ont 15 ans, il y a encore des gens qui te disent : « Oui, mais tu sais pendant l’adolescence, tu devrais faire comme ça », « A mon avis, tu es trop proche de lui »
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  64. P.H. : Et tout ce qui ne va pas bien chez ton enfant sera de ta faute. « Tu ne l’as pas assez allaité », « tu n’étais pas suffisamment présente », ou « peut-être l’es-tu trop », les jugements critiques sont systématiques, et surtout envers les mères.
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  66. E.R. : A cela s’ajoutent, les pics de culpabilisation. Les pédiatres sont particulièrement forts dans ce domaine. « Ah mais vous lui donnez ça à manger. C’est pas très bon, vous savez », vous lancent-ils.
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  68. Les femmes disent que la culpabilisation parentale débute dès la grossesse. Pensez-vous à un aspect en particulier ?
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  70. E.R. : Sans hésitation, la prise de poids. Monter sur la balance tous les mois, entendre son médecin vous lancer : « Attention ! Si ça continue vous allez prendre 25 kg », tout ça parce qu’on a pris quelques grammes supplémentaires, c’est l’enfer. La plupart des femmes angoissent suffisamment pour ne pas qu’on leur rajoute du stress supplémentaire.
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  72. Si on pouvait laisser les femmes vivre ce moment plus librement, et si le corps médical pouvait s’intéresser davantage à l’aspect psychologique à ce qui peut traverser l’esprit d’une femme qui s’apprête à accoucher, alors je suis persuadée que bien des parents se sentiraient rassurés et cesseraient de se dire que quelque chose ne va pas chez eux.
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  74. Qu’en est-il de l’allaitement ?
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  76. E.R. : C’est assurément un autre point de culpabilisation. Bien que ses bienfaits soient démontrés, il n’empêche que toutes les femmes n’ont pas la possibilité d’allaiter ou n’y arrivent pas. Or il se trouve qu’on vous fait comprendre que ne pas le faire, c’est mal.
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  78. P.H. : Le pire, c’est que si une femme souhaite allaiter, elle sera peu aidée parce que seul un tiers des maternités disposent d’un conseiller en lactation et que le personnel soignant formé sur cette question est quant à lui relativement rare.
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  80. C’est un peu contradictoire, non ?
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  82. E.R. : Totalement. En gros, on te dit qu’il faut le faire parce que c’est mieux. Mais si tu le fais, tu es seule au monde. A l’hôpital public, les femmes qui veulent allaiter doivent la plupart du temps s’en remettre à elles-mêmes, et c’est dommage. Si ça ne fonctionne pas, elles laissent tomber. Et si ça se passe bien, elles doivent s’accrocher parce qu’une nouvelle pression fait son entrée : celle de la courbe de poids du bébé. Dès qu’il perd un gramme, c’est la panique à bord et on te menace de tout stopper pour des biberons.
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  84. C’est du vécu. Quand mon fils a eu trois semaines, il a eu la grippe et on a fini à l’hôpital. Il vomissait et ne gardait pas ce qu’il mangeait et, pour les médecins, ne grossissait pas assez. Pour savoir exactement les quantités qu’il buvait, on me forçait à tirer mon lait et à lui donner au biberon gradué. Epuisée, ça ne venait pas alors je lui donnais le sein en douce et je notais au hasard des quantités sur la feuille de suivi. Je me faisais confiance. Je savais qu’il mangeait, mais j’ai fait croire aux médecins que j’obéissais au doigt et à l’œil à leurs instructions pour qu’ils me laissent tranquilles.
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  86. P.H. : En France, il y a une obsession pour les calculs. En Finlande, comme dans tous les pays nordiques, on te dit que dès que le bébé pleure, tu peux le mettre au sein. Et tu fais confiance au bébé dans la mesure où il prend du poids bien sûr. Par chance, quand j’ai accouché de mon premier enfant, je me suis retrouvée dans une maternité où j’ai eu la visite d’une conseillère en lactation. Elle était rassurante. Pour le deuxième, je suis tombée sur une équipe moins formée. A 4 heures du matin, quand mon bébé dormait, on me réveillait pour tirer mon lait juste pour leur prouver que j’en avais
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  88. Qu’est-ce qui fait que beaucoup de femmes finissent par céder ?
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  90. E.R. : Parce que le médical prime sur tout le reste. Le souci, c’est qu’avant même d’être informée ou accompagnée, les femmes sont jugées dans leurs choix.
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  92. P.H. : C’est comme avec la péridurale. Si tu dis juste que « tu ne sais pas si tu la veux », on te répond immédiatement : « Vous êtes sûre madame ? Vous pensez vraiment y arriver sans ? ». Le fait que les maternités soient aussi à flux tendu joue aussi. Les équipes n’ont pas nécessairement de temps à consacrer pour dialoguer avec les patients.
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  94. Que peut-on faire pour améliorer les choses et permettre aux femmes de sentir moins jugées ?
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  96. P.H. : Il faudrait des formations pour tout le personnel soignant des maternités, notamment pour leur permettre de repérer les symptômes d’une dépression. C’est une maladie qu’on traite après l’accouchement. Or, les recherches ont montré que souvent les symptômes existaient déjà pendant la grossesse. Là aussi, la place du conjoint est importante. Et si on leur posait simplement la question : comment allez-vous ? L’idéal serait de laisser plus de place au dialogue et moins au médical.
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  98. La grossesse devrait prendre plus de place dans le débat féministe. Or, cela reste insuffisant. Comment l’expliquez-vous ?
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  100. E.R. : La grossesse n’est pas juste « un détail » de la vie d’une femme. C’est pourquoi il est primordial de valoriser davantage cette expérience en prenant en considération le libre arbitre de la femme, puisque c’est de son corps dont il est question. Sauf qu’il y a un problème de transmission. Ce savoir de la maternité qui devrait être supposément transmis de mère à fille ne l’est plus. C’est tout l’objet des travaux d’Yvonne Knibiehler.
  101. « Il n’y a pas un combat féministe au singulier, mais des féminismes »
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  103. La tradition féministe française veut que le vrai choix soit de ne pas faire d’enfant. C’est le discours tenu par Simone de Beauvoir et celui de la génération de nos parents. Nous sommes marquées par cela. Parce que devenir mère est un choix qui n’est pas féministe, une femme insuffisamment informée se voit contrainte de suivre un protocole et s’appuie sur ce qu’elle voit ou lit autour d’elle, sans même s’interroger. Elle banalise l’événement et fait comme tout monde, alors qu’en fait, il faudrait qu’elle prenne possession de cette expérience et la transmettre par la suite.
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  105. P.H. : Comme si tu ne pouvais pas rester femme, féministe et être mère.
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  107. Louise Auvitu
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