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- Antisémitisme
- Des apprentis terroristes ordinaires
- Didier Rose; Stéphanie Marteau; Christophe Deloire
- Le Point, vendredi 19 avril 2002
- Bus scolaire, synagogues, cimetières... les attentats antisémites se multiplient. Leurs auteurs, des petits délinquants désoeuvrés n'appartiennent apparemment pas à des réseaux organisés. Portraits
- Le trio a présenté ses excuses. Mais leurs airs contrits et leurs remords n'ont pas évité à Morad, Djamel et Hakim une mise sous écrou. Dans leurs cellules de la maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone, le maçon de 24 ans, l'ouvrier agricole du même âge et le diplômé en carrosserie de 20 ans ont tout loisir de méditer sur leurs « regrets amers » , selon le mot d'un avocat.
- Ces jeunes gens ont apporté leur sinistre contribution à la série d'attaques contre des lieux de culte juifs, vécue par certaines victimes comme une réminiscence de la Nuit de cristal. Le mercredi 3 avril, les comparses, qui résident au milieu des vignobles de l'arrière-pays héraultais, ont passé la journée à ramasser des fruits dans un verger pour gagner trois euros six sous. En soirée, comme de coutume, ils décident une vadrouille à Montpellier. Morad, Djamel et Hakim errent dans les épiceries pour tromper l'ennui, vont et viennent dans les faubourgs, avalant des kebabs, buvant cannette de bière sur cannette, devisant sur tout et rien, quand, après minuit, la causerie dérive sur les événements du Proche-Orient.
- Le bavardage produit parfois une curieuse émulation, à base de bravades et de surenchères. La Palestine agit comme un catalyseur. Sur le coup de 4 heures du matin, Morad reprend le volant de sa BMW avec ses deux passagers à bord, en direction du quartier des Beaux-Arts. Arrivés devant la synagogue, les hommes extraient de leur coffre des bouteilles, des torchons et de l'essence, des composants pour préparer trois cocktails Molotov. De ces projectiles les apprentis terroristes font usage sans deviner qu'une brigade anticriminalité patrouille aux alentours. Ils manquent d'ailleurs leur cible, puisque les bouteilles éclatent au pied de la Maison de l'environnement, juste à côté.
- Pour leur défense, les trois habitants de Saint-André-de-Sangonis, Gignac et Saint-Saturnin invoquent leur état d'ivresse. L'alcool a peut-être aboli leur censure, amoindri leurs inhibitions, mais le breuvage n'a pas suscité leur pulsion spontanée. De sa geôle, Djamel a rédigé une missive à l'attention de sa meilleure amie, une plaidoirie intime dans laquelle il se distancie de son acte : « Tu le sais, je ne suis pas comme ça. » La destinataire le croit sur parole. Dans son village, Djamel a la réputation d'un dragueur impénitent. D'un commerce convivial avec ses amis, il goûte le plaisir des boîtes de nuit que trop souvent les videurs lui refusent. Dans son appartement d'une cité minuscule de Gignac, sa mère se plaint de ses « excès de boisson » et regrette ses « petites bêtises ». La litote désigne des délits caractérisés. Bientôt père, Morad, lui, est passé deux fois derrière les barreaux. Dehors, il se conformait aux règles coraniques jusqu'à ce que, sans raison, il y renonce ces derniers mois. Tous respectent Allah plus qu'ils ne le vénèrent et, selon leurs proches, n'ont rien contre Yahvé.
- L'Intifada leur importe peu
- La raison de leur animosité contre les autres fils d'Abraham ? Une terrible information, venue à leurs oreilles : « Les Israéliens brûlent des mosquées. » Les gamins de l'immeuble se souviennent d'avoir vu de telles images à la télévision. Cette invention pure et simple colportée par la rumeur pare leur violence d'oisifs des attraits du djihad et des séductions politiques. Au fond, l'Intifada leur importe peu. Montpellier n'est pas Jénine, ni Naplouse. De la Palestine ils n'ont que faire, même si Morad a affiché le sigle « SFR Palestine » sur le cadran de son téléphone portable. Détail à vrai dire peu probant : des « Gaulois », comme ils disent pour désigner les « Français de souche », ont bien téléchargé des portraits de Ben Laden sur leurs mobiles.
- Un acte sinistre peut-il n'être que le « produit du désoeuvrement », selon l'analyse du procureur de la République, Léonard Bernard de La Gatinais ? Ce n'est pas l'avis du maire de Montpellier. Georges Frêche récuse l'histoire d'une « dérive d'après-boire » : « La banalité de l'acte est le signe du danger [...]. Si les auteurs avaient été des fêlés d'Al-Qaeda, j'aurais été rassuré [...]. Il faut que les sanctions soient impitoyables, sinon c'est la guerre de religions. »
- « Nous ne pouvons pas sonder les reins et les coeurs », déplore Jacques Beaume, le procureur de Marseille. « Je ne suis pas antisémite » , proteste un jeune homme pris sur le fait à crier « mort aux juifs ». Le 30 mars, à Marseille, des adolescents tentent d'incendier la bibliothèque du collège public André-Malraux, puis griffonnent des tags judéophobes sur les murs. Le magistrat s'abstient de toute conclusion : « Le tag antijuif diffère-t-il de leur scatologie ordinaire ? Il y avait aussi trente inscriptions du genre "nique ta mère". » Un autre affreux mélange, à base de « NTM » et de croix gammées, est découvert le 12 avril au cimetière israélite de Cronenbourg, près de Strasbourg.
- Une semaine plus tôt, à quelques lieues, des artificiers neutralisaient un engin explosif dans un pavillon - qui fait office d'oratoire de cérémonie - du cimetière juif de Schiltigheim. La bombe, rudimentaire, consiste en un extincteur rempli de plusieurs kilos de poudre. Les auteurs se font vite pincer, par hasard. Dans le cadre d'une enquête sur les voitures brûlées dans la région, la police observait depuis une planque dans un appartement de la Cité nucléaire les allées et venues. Le 4 avril au soir, les caméras policières filment un drôle de manège dans le quartier. Une bande d'au moins dix personnes remplit un extincteur, volé au neuvième étage d'un immeuble, de chlorate de soude et de sucre. Sur la bande vidéo, la plaque minéralogique de la Clio dans laquelle l'attirail a été chargé est très lisible.
- Le chauffeur du véhicule, Rachid, 21 ans, ne réside plus dans la Cité nucléaire depuis que son père, cariste de métier, a décidé il y a deux ans de déménager pour une commune calme au nord de Strasbourg. Mais Rachid revient sans cesse sur le lieu de ses premières amours. Aux policiers il affirme qu'on lui a demandé comme un service ce convoyage jusqu'à un terrain vague. Il s'en serait même étonné. Ses camarades de jeu de la rue Kepler voulaient prétendument faire « un essai » et ont fini par passer à l'acte contre un pavillon qui avait déjà subi semblable tentative d'attentat le 11 mars. Les portes de l'oratoire de cérémonie ont été incendiées début avril.
- « Pour épater la galerie... »
- L'un des camarades de jeu de Rachid a été mis en examen en même temps que lui. Selon un policier du quartier, Adel, 21 ans, « fait partie de ces jeunes qui font les quatre cents coups dans la cité et qui un jour dépassent les limites pour épater la galerie ». Dans son salon, le père d'Adel fait profil bas. La « connerie » de son fils le désole. Afin de prouver que son rejeton n'est pas le portrait craché d'un caïd, il exhibe sa convocation au bac technologique en 2001 et son inscription à la mission locale pour l'emploi. Une semaine avant qu'il soit écroué, une entreprise avait envoyé à Adel une lettre déclinant son offre de services.
- Autres cieux, autres méthodes. Le jeudi 4 avril, vers 2 heures du matin, des délinquants jettent deux bouteilles d'essence sur le toit de la petite synagogue du Kremlin-Bicêtre. Alertée par le gardien, la police traque les auteurs aux alentours et, dix minutes plus tard, interpelle cinq passagers d'une voiture volée. Indice à charge : un bidon d'essence empeste à l'intérieur de l'habitacle. Placés en garde à vue, Wicem, Sofiane, David, Azedine et Abdelkader contestent la suspicion et donnent la même version. Non, ils ne s'étaient pas attaqués à la synagogue. Oui, l'essence devait leur servir, dans le cadre d'une vendetta, à régler un compte avec un de leurs ennemis d'une cité voisine. Malgré leur défense, tous seront mis en examen et incarcérés.
- Le lendemain, la grand-mère de David, le mineur de la bande, voit débarquer à son domicile de Villejuif des officiers de police judiciaire. Dans le placard de ce petit-fils de 17 ans dont elle a la garde, mais qu'elle est décidée à ne plus reprendre chez elle, les policiers saisissent deux armes. L'une factice, mais l'autre de 4e catégorie. Renée, 71 ans, raconte le cursus pathétique de David, comment sa mère toxicomane cachait des seringues dans son berceau alors qu'il n'avait que 18 mois. Le petit Martiniquais qui porte un prénom juif n'a jamais eu de père.
- « La veille de son arrestation, David m'avait demandé 1 euro et je lui en ai donné 5, pour aller au McDonald's », narre la vieille dame à l'accent créole. Il y a trois semaines, l'adolescent avait renoncé à son stage de gondolier au Monoprix de Villejuif. « Il a fait une rechute », s'alarme l'éducateur qui le suit depuis trois ans. « Combien de fois David a-t-il ramené des consoles de jeu et des téléviseurs à la maison? » rappelle sa cousine. Quand ce n'étaient pas des sacs de voyage ou des morceaux de résine de cannabis.
- A peine placé en détention provisoire, David est extrait de sa cellule un après-midi, le temps d'être traduit devant un juge des enfants de Créteil. L'audience, prévue de longue date pour le 15 avril, porte sur la conduite d'une voiture sans permis. Le jeune homme s'en tire avec une admonestation
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