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Séparer le chercheur du militant ou noyer le chercheur sous le militant ? (Nadine Richon, 2024)

Jul 23rd, 2024
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  1. Séparer le chercheur du militant ou noyer le chercheur sous le militant ?
  2. Nadine Richon, Le Regard Libre 2024/5 (no 107)
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  4. TRIBUNE. Il fallait séparer l’homme de l’œuvre, faudra-t-il séparer le chercheur du professeur, et le professeur du citoyen qui harangue les étudiants et soutient l’occupation des universités ?
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  6. Pour certains professeurs, les travaux académiques produits dans l’apaisement de l’écrit et sous le regard des pairs doivent être radicalement séparés des actions publiques que mènent par ailleurs ces mêmes chercheurs. Cette première assertion paraît déjà fragile si l’on estime que les actions de toute personne responsable – de profession scientifique ou non – reposent sur des connaissances, des lectures, des échanges et non simplement sur des affects et des commandements guerriers hors de toute réflexion.
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  8. En Suisse comme ailleurs, des étudiants et des militants propalestiniens ont investi des locaux universitaires, par exemple à Lausanne, à Genève et à Zurich. Or ces bâtiments sont destinés à la recherche et à l’enseignement : ils appartiennent à la collectivité et aucun groupe ne peut se les approprier, même animé des meilleures intentions morales, paré d’appuis politiques divers (relativement rares) et soutenu, pour ce qui concerne « la cause palestinienne », par des religieux aux intentions politiques, comme on l’a bien vu sur certaines vidéos. Mettre un bâtiment entier sous pression, peser ainsi sur l’ensemble de la communauté universitaire, au moins sur le plan psychologique, est-ce réellement pacifique ? N’est-ce pas là une forme de harcèlement que toute personne le subissant – juive ou non – pourrait dénoncer ?
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  10. Déshabiller l’enseignant pour nourrir le militant ?
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  12. Dans ce contexte, j’espère ardemment que des étudiantes et étudiants ne pâtiront pas de ces occupations qui visent, d’une certaine façon, à prendre quantité de personnes qui travaillent ou étudient en otages d’une idéologie qui ne relève pas de la recherche sociologique ou historique telle qu’on la pratique dans les universités.
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  14. Bien sûr, l’idéologie n’appartient jamais à un seul camp, et l’enseignant devrait pouvoir offrir ce recul minimal quand il se présente comme tel devant des étudiants, en prenant la parole sur le site de l’occupation et dans les médias. Ou faudrait-il que cet enseignant en vienne à faire un harakiri symbolique pour se présenter crûment comme un pur militant de la cause palestinienne, au même niveau que les étudiants et les activistes politico-religieux mobilisés sur le lieu ?
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  16. Dis-moi quel est ton antisionisme
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  18. En ce cas, ce chercheur qui ne l’est plus durant l’occupation n’est pas davantage un enseignant durant cette période et se présente sous sa troisième casquette d’activiste antisioniste. On reste en droit de lui demander à quel type d’antisionisme il se réfère, puisque ce militant s’exprime publiquement. Souhaite-t-il deux Etats, et donc le maintien d’un minuscule pays israélien au cœur d’un Proche-Orient immensément arabe ? Ou un seul Etat qui viendrait noyer les Juifs sous le nombre des Palestiniens ?
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  20. S’il milite pour un seul Etat, quel est son attitude vis-à-vis des Juifs ? Première option, rien à fiche. Seconde option, les Juifs n’ont qu’à être musulmans comme tout un chacun au Proche-Orient, éventuellement chrétiens, éventuellement encore juifs mais invisibles, ou alors athées discrets pour ne pas heurter les sensibilités islamistes entretenues par les djihads locaux et le Hamas…
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  22. Pourquoi un intellectuel ne mettrait-il pas toutes ces questions sur la table ? Evidemment, c’est beaucoup plus difficile que d’entretenir l’idée qu’Israël est le seul dominant dans la région, en somme un confetti juif paradoxalement très puissant, sans jamais prendre en compte l’angoisse des Israéliens qui subissent depuis la création de leur Etat une haine et une violence à visées éradicatrices. Certains jeunes universitaires sont abreuvés de longue date par cette vision totalement unilatérale qui place Israël à l’origine de tous les maux du Proche-Orient, si bien qu’ils manquent totalement d’empathie y compris pour les victimes civiles du Hamas massacrées le 7 octobre dans un déchaînement d’horreurs, au point de les occulter du panorama et d’oublier totalement les otages. Faut-il en rajouter ?
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  24. Oublier le danger pour Israël
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  26. Alors, il y a en effet une terrible guerre, que les haineux animés sur les réseaux sociaux d’une volonté totalement débridée d’éradication du « Satan israélien » estiment être du seul fait juif, puisque cet Etat est selon eux un voleur de terres arabes, de la mer jusqu’à la rivière ; ils méprisent ainsi tout ce que les citoyens israéliens, y compris arabes, ont bâti de leurs mains et de leurs cerveaux depuis 75 ans : un beau pays israélien ! Bien sûr, cette guerre a des effets particulièrement douloureux sur la population civile de Gaza, et on peut penser que ce gouvernement israélien n’a pas fait les bons choix aux bons moments, lesté du poids des ultrareligieux et de la peur qu’inspire le terrorisme, la menace iranienne constante et d’autres dangers actuels ressentis très fortement dans ce petit pays dont le sort particulier, on le rappelle, permet à d’aucuns de déstabiliser l’Europe et une certaine idée de l’Occident.
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  28. La guerre est horrible, mais elle l’est pour les deux parties en conflit. Parler de la culpabilité israélienne sans jamais évoquer celle du Hamas relève du militantisme de guerre. Pas de la recherche, pas de l’enseignement, donc pas de l’université. Que les personnes enseignantes ou étudiantes qui s’y adonnent – certaines sous le coup d’une émotion que je ressens également – le fassent donc hors du périmètre universitaire, comme tout citoyen peut le faire dans notre pays. Tout le monde veut séparer le chercheur du militant pour mieux préserver l’un et l’autre, et c’est une très bonne chose, certains devraient pourtant prendre garde à ne pas noyer le chercheur sous le militantisme, surtout en temps d’extrême confusion et de guerre.
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  32. L’occupation « non-violente » ou l’oxymore de l’activiste
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  34. COMMENTAIRE. New York, Los Angeles, Londres, Berlin, Paris, et enfin Lausanne, Genève et Zurich. A travers les pays occidentaux, des milliers d’étudiants se mobilisent sur les campus en faveur de la Palestine. L’objectif ici n’est pas de débattre du conflit israélo-palestinien, mais d’analyser la méthode employée par ces étudiants : une « occupation » qu’ils qualifient de « non-violente ». Cette méthode s’inscrit dans l’approche de la désobéissance civile, à l’image des militants écologistes qui se collent aux routes pour entraver la circulation, en vue de faire passer leur message.
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  36. A l’Université de Lausanne, la stratégie des étudiants est on ne peut plus claire : occuper illégalement le bâtiment Geopolis jour et nuit jusqu’à ce que leurs revendications – notamment le boycott académique des institutions israéliennes et une prise de position claire de l’université sur le conflit – soient satisfaites. Les militants ne demandent pas, ils exigent. En refusant de quitter les lieux et en imposant leur présence physique pour soumettre le rectorat à leur volonté, c’est bien de violence dont ils font preuve. Passive, certes, mais pas moins coercitive. Et pour preuve : c’est le lieu de débat par excellence qu’ils prennent en otage. Ils ne semblent pas s’intéresser au dialogue, comme ils le prétendent, mais bien au pouvoir.
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  38. Face à cette situation, le rectorat semble n’avoir que deux options : céder aux exigences des militants ou évacuer le bâtiment par la force, au risque d’être accusé de « répression policière ». Par un renversement de rôles – rappelons que ce sont les étudiants qui enfreignent la loi –, le monopole de la violence passe ainsi de l’Etat aux militants. Cessant donc d’être légitime. Bien que ces derniers se réfugient derrière le prétexte du pacifisme, une occupation reste par définition violente. Et les militants pro-palestiniens sont mieux placés que personne pour le savoir. Yann Costa
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