LA SOLUTION À ZÉRO ÉTAT (Gérard Biard, Charlie Hebdo , 29 mai 2024)

Gérard Biard est rédacteur en chef de l'hebdomadaire Charlie Hebdo,

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LA SOLUTION À ZÉRO ÉTAT

Gérard Biard, Charlie Hebdo , 29 mai 2024

Et de 146! Le 22 mai, l’Espagne, l’Irlande et la Norvège ont annoncé reconnaître officiellement l’État palestinien. Dans quelques jours, la Slovénie devrait en faire autant. Ce sont désormais les trois quarts des pays membres de l’ONU qui soutiennent la concrétisation d’un État palestinien. Lequel, pour le moment, n’existe que sous la forme fumeuse d’une «Autorité» qui n’en a que le nom, dirigée par une clique de vieilles croûtes corrompues, en concurrence ouverte et guerrière avec un groupe terroriste qui règne sur une enclave en voie de pulvérisation.

Qu’à cela ne tienne. Au train où vont les choses et en raison de l’aveuglement jusqu’au-boutiste de Netanyahou, il y aura bientôt davantage de pays dans le monde qui reconnaîtront l’«État» palestinien que de pays qui reconnaîtront l’État israélien… Or, pour que «solution à deux États» il y ait, il ne suffit pas de la réclamer sur un ton incantatoire. Il faut que ces deux États soient une évidence pour tous. On ne peut pas vraiment dire que nous y sommes.

La création d’un État palestinien viable et indépendant implique plusieurs choses. D’abord, il est indispensable de répondre à quelques questions de base. Quel État, sous quelle forme, à l’intérieur de quelles frontières et avec qui aux commandes? Ensuite, il faut aussi quelqu’un à la tête d’Israël pour l’accepter – à défaut de le souhaiter -, capable de surcroît de maîtriser les colons les plus radicaux. Enfin, l’État hébreu ne doit plus vivre sous la menace de tous ceux, nombreux et divers, qui ne le désignent que sous le terme d’«entité sioniste» et rêvent de le voir disparaître. Cela signifie l’éradication du Hamas – car il est peu probable que ses dirigeants actuels prononcent sa dissolution en assemblée générale… -, mais aussi du Hezbollah libanais, et, évidemment, la chute du régime des mollahs en Iran. Pour commencer.

À tous les finasseurs qui aujourd’hui récusent l’accusation d’antisémitisme en se déclarant fièrement «antisionistes», rappelons que, si l’on a bien le droit d’être antisioniste – nombre de Juifs le sont, mais pas pour les mêmes raisons -, le sionisme ne vient pas de nulle part. Il émerge à la fin du XIXe siècle dans le sillage de l’affaire Dreyfus et de l’affirmation toujours plus violente d’un antisémitisme politique et intellectuel en Europe – sans oublier les pogroms successifs en Russie -, et théorise la nécessité pour les Juifs du monde entier de cesser d’être un peuple «errant» et d’avoir un État à même de les accueillir et de les protéger. Une nécessité qui s’impose comme un impératif existentiel au lendemain de la Shoah. Malheureusement, ce constat demeure plus que jamais d’actualité. Par une écœurante ironie, le massacre du 7 octobre a encore davantage décomplexé la parole et l’action antisémites, comme si le Hamas, avec ses atrocités, avait rallumé le foyer d’une haine antijuive qui ne demandait qu’à flamber de nouveau.

Désormais, la légitimité de l’existence d’Israël, sans être ouvertement remise en cause, ne cesse d’être sournoisement questionnée en toute bonne conscience, aussi bien sur les campus où l’on crie «la Palestine de la rivière à la mer» – ce qui est une autre façon de dire «les Juifs à la mer» – que dans les grandes instances internationales, où l’on renvoie trop souvent dos à dos un mouvement terroriste et un État démocratique. Pour les élections européennes, les partisans de la disparition d’Israël présentent même une liste – Free Palestine, au logo représentant un État palestinien «de la rivière à la mer», justement, c’est-à-dire effaçant totalement l’État hébreu… -, sans que cela déclenche beaucoup d’indignations.

Les Palestiniens, qui vivent un calvaire depuis trop longtemps, méritent mieux que ces faux amis qui se foutent bien de les voir accéder à la liberté et à l’indépendance, et souhaitent surtout la disparition d’Israël. Ce n’est pas à leurs côtés qu’ils gagneront l’émancipation.

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Gérard Biard écrit dans Charlie Hebdo depuis 1992. Il en est le rédacteur-en-chef depuis 2004. Il y défend une laïcité sans adjectifs et une égalité femmes-hommes sans aménagements religieux, communautaires ou «culturels». Il pense qu’on peut rire de tout et que la seule question qui vaille est pourquoi on en rit. Il trouve que ceux qui disent n’être «ni de gauche, ni de droite» sont surtout de droite. Il n’est ni sur Facebook, ni sur Twitter, donc inutile de l’y chercher pour lui dire d’aller niquer sa mère ou pour lui envoyer la photo de la pizza super bonne que vous êtes en train de manger. Il n’est pas un agent du Mossad.