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Danièle Sallenave et les deux bandes du drapeau israélien

Jul 1st, 2018
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  1. La face d’ombre du ressentiment, Danièle Sallenave et les deux bandes du drapeau israélien, ou la banalisation d’un discours paranoïaque, par Meïr Waintrater
  2. L’Arche, avril 2004
  3.  
  4. Dans son dernier livre, joliment intitulé dieu.com (Gallimard), Danièle Sallenave dénonce la polarisation actuelle sur la menace islamiste. Le véritable danger est, dit-elle, dans la montée des crispations identitaires, qu’elles soient religieuses, nationalistes ou communautaires.
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  6. On peut accepter ou non sa thèse, mais disons que cela se discute. À un endroit du livre, cependant, le ton change du tout au tout; jusque-là mesuré, il devient véhément voire frénétique. C’est le moment où il est question du judaïsme, des Juifs et d’Israël. De l’argumentation on passe à l’imprécation. L’auteur verse dans une polémique de bas étage, entretenue par des citations de bric et de broc utilisées le plus souvent sans lien avec leur signification originelle et parfois de manière diamétralement opposée à celle-ci.
  7. Je contemple, effaré, un tel amas d’invectives et de contrevérités. Et je découvre un passage où Mme Sallenave explique que le sionisme, «de par sa nature propre», est «expansionniste» et «reprend à la lettre la promesse de Yahvé “Je te donnerai la terre comprise entre le grand fleuve (le Nil) et l’Euphrate”». Immédiatement après cette assertion vient la «preuve» d’une telle «nature»: «C’est le sens des deux barres bleues qui, sur le drapeau d’Israël, encadrent l’étoile de David.»
  8. Je lis cela, et les bras m’en tombent.
  9.  
  10. Peut-être se trouvera-t-il une âme charitable pour expliquer à Mme Sallenave à quoi ressemble le châle de prière dont les Juifs s’enveloppent depuis des siècles, et lui faire ainsi découvrir l’origine des deux bandes bleues du drapeau israélien. Mais la question n’est pas là. Que Mme Sallenave ne sache pas d’où proviennent ces deux bandes bleues (bien des Juifs l’ignorent, d’ailleurs), cela est sans grande importance. Qu’elle soit prête à faire sienne une interprétation délirante, voilà qui est grave.
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  12. Le mythe des deux bandes bleues représentant le Nil et l’Euphrate appartient à la vaste famille des mythes paranoïaques antisionistes. Ce mythe a un cousin germain: la fable selon laquelle une pièce de monnaie israélienne, la pièce de dix agorot, porte sur l’une de ses faces la représentation de la carte du Grand Israël – toujours «du Nil à l’Euphrate». Dans les deux cas, la source de l’information est la même: il s’agit de Yasser Arafat en personne, qui en a fait l’exposé devant divers groupes de journalistes et jusqu’à la tribune des Nations unies. Des propagandistes se sont empressés de colporter ces balivernes, et de fil en aiguille elles ont acquis droit de cité non seulement au sein du monde arabo-musulman mais chez des militants occidentaux.
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  14. Ce qui caractérise de telles légendes, c’est qu’elles sont, en quelque sorte, constitutivement blindées contre le sens commun. Montrez à un antisioniste la monnaie datant de l’ère hasmonéenne qui est reproduite sur la pièce israélienne de dix agorot, dites-lui que ce dessin date d’il y a plus de deux mille ans et n’a rien à voir avec une prétendue carte du Grand Israël; il vous regardera d’un air entendu, et pensera que les sionistes ont plus d’un tour dans leur sac. La logique du complot résiste à toutes les atteintes de la logique.
  15. On sait que des propagandistes anti-israéliens ont répété pendant des années – certains le font encore – que le bâtiment de la Knesset était orné d’une carte et d’une invocation reprenant le fameux «du Nil à l’Euphrate». Il fut impossible de leur prouver le contraire. Lors de la visite du président Sadate à Jérusalem, en 1977, certains de ses accompagnateurs égyptiens demandèrent à voir ces «preuves» de la volonté sioniste d’expansion, et refusèrent de croire leurs hôtes qui leur expliquaient qu’elles n’existaient pas. Yasser Arafat se lança par la suite dans des affirmations confuses, dont il ressortait que la carte «du Nil à l’Euphrate» avait été présente à la Knesset pendant dix ans, puis qu’elle avait été retirée, et réinstallée à nouveau. Beaucoup le crurent, sans doute, et continuent à le croire.
  16. Les mythes antisionistes ne sont pas les seuls de leur genre. Il existe, de par le monde, des fanatiques de la conspiration qui voient partout les indices d’une présence occulte: un grade maçonnique dans une marque de bière, une image satanique dans le logo d’un fabriquant de lessive, une déclaration anti-musulmane dans le nom d’une boisson gazeuse et un sigle d’extrême droite sur une boîte de cigarettes. Ces croyances ridicules ne font de mal à personne. Mais l’obsession du complot, dans sa variante antisémite, est autrement dangereuse. Elle a derrière elle un long sillon de cadavres, et elle peut tuer encore.
  17. Croire que les Juifs – ou les Israéliens, ou les sionistes: nul ne s’arrête plus à de tels distinguos – ont pour habitude de dissimuler des messages sur des drapeaux ou des pièces de monnaie, c’est adhérer à une vision du judaïsme qui repose sur la banalisation d’un discours paranoïaque. (Confidence pour confidence: si le drapeau européen porte douze étoiles, ce n’est pas, comme le croit Mme Sallenave, en référence à un symbole marial mais pour représenter les douze tribus hébraïques dont les auteurs du traité de Rome préparaient secrètement la dictature.) Lorsqu’on ajoute foi à ce genre de mythes, et qu’on se sent autorisé à les reproduire, les Protocoles des Sages de Sion ne sont pas très loin.
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  19. Il est vrai que, dans son livre, Mme Sallenave pratique la dénonciation rituelle de l’antisémitisme. Sans doute est-elle persuadée de n’avoir envers les Juifs que de bons sentiments et refuse-t-elle sincèrement toute discrimination à leur égard. Mais le fait est que, s’agissant des Juifs, cette femme cultivée, par ailleurs écrivain de talent, accepte sans l’ombre d’un doute les plus infâmes racontars, et qu’elle se laisse aller à d’inquiétantes rêveries sur la «nature propre» du «sionisme».
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  21. Que Danièle Sallenave soit totalement ignorante du judaïsme, du sionisme et d’Israël est une condition qu’elle partage avec la grande majorité de nos contemporains – y compris de nombreux Juifs. Ce qui est remarquable, et qui ne laisse pas d’inquiéter, c’est qu’elle s’autorise de son ignorance. Sur tout autre sujet, elle ne se permettrait pas d’écrire sans se documenter, sans poser des questions à de plus savants qu’elle. S’agissant d’Israël, aucune retenue n’est nécessaire. Le projet d’expansion «du Nil à l’Euphrate», et quelques autres fariboles figurant dans les pages adjacentes du même livre, ont la grande vertu de correspondre à une vision antisioniste du monde. Cela suffit, sans doute, pour attester de leur véracité.
  22.  
  23. Mme Sallenave a ramassé les papiers gras de la propagande antisioniste qu’elle a trouvés dans la poubelle d’internet, et en a fait la matière d’un chapitre de son dernier ouvrage. C’est ainsi qu’au milieu d’un livre de relativement bonne facture nous voyons soudain surgir le front bas du préjugé, la face d’ombre du ressentiment. Avec une circonstance aggravante: la thématique du complot, qui dépasse désormais le contexte proche-oriental pour infecter la société où nous vivons.
  24.  
  25. http://www.upjf.org/fr/331.html
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