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- Un grincement à peine perceptible, suivi d'un bruit de griffe sur la pierre. Frénétique. Acharné.
- Affamé. Des reniflements, une proie à portée. L'odeur des excréments mêlés à la chair. Des cris,
- lointains. Trop pour alerter d'un danger. Des pleurs, aussi. Plus proches. Étouffés par la peur. Le
- bruit de griffe se rapprochait, lui. Quelque chose venait. Un mouvement. Une douleur. Un autre
- grincement sec. Pas de repos possible, juste l'attente. Une seconde, un jour, une année. Tout était
- pareil. Un craquement morbide. Un liquide giclant sur la pierre. Des mots, diffus. Fermer les yeux,
- quelques instants... Puis la douleur en guise de rappel. La lumière qui brûlait. Le feu qui
- consumait. La mort qui attendait. Un autre pleur, tout proche. Une supplication. Un hurlement. Un
- gargouillis. Puis le silence. Encore et toujours. Jusqu'à la prochaine douleur. Penser, encore et
- encore. Penser pour ne pas dormir. Penser pour ne pas souffrir. Pour éviter le feu et le froid. Le
- froid !
- - T'as pas compris c'qu'on t'a dit, toi ? Tu veux qu'on t'le rappelle ?
- Il secoua la tête pour s'ébrouer de l'eau gelée dont il venait d'être aspergé. Son mouvement fit
- claquer les fers contre la pierre et entailla davantage ses poignets meurtris. Il redressa sa nuque,
- difficilement, et osa fixer son tortionnaire.
- - Et me r'garde pas comme ça, ou j'te laisse là encore une journée !
- Il ne réagit pas. Une journée, il ne savait plus ce que c'était. Chaque seconde était une journée
- entière et chaque journée valait plus qu'une année. Il baissa néanmoins les yeux vers le sol. Les
- restes d'un rat gisaient à ses pieds, tout juste écrasé par la plante d'un pied. Il l'enviait presque. Il ne
- souffrait plus, lui. Il pouvait dormir. Échapper à tout ça. Près de lui, un grincement de chaîne
- retentit brièvement. Il tourna la tête. Elle s'était assoupie. Seuls ses fers la retenait encore.
- L'homme la frappa au visage, mais elle resta immobile. Il saisit un tisonnier, posé dans une
- coupole de braise, et l'appliqua sur son petit ventre décharné, mais rien n'y fit. Il jeta l'objet en fer
- là où il l'avait prit et entreprit de lui ôter ses chaînes. Elle chuta lourdement au sol.
- Le garçon regarda l'homme hisser le corps inanimé sur son épaule et l'emmener hors de la pièce. Il
- était soulagé. Elle avait enfin réussi à mourir. Elle était allée là où beaucoup rêvaient de la
- rejoindre.
- Plusieurs d'entre eux levèrent les yeux, profitant de l'absence du bourreau. Qu'ils soient nimbés de
- folie ou de résignation, tout les regards qu'il croisait reflétaient une éternelle fatigue. Les corps
- squelettiques pendaient comme des cadavres, accrochés aux poignets par de lourds fers reliés aux
- murs. La dignité, la compassion, la liberté... Des concepts annihilés. Plus personne n'en connaissait
- vraiment le sens, ici. La vie était un fardeau, et la mort une récompense enviée de tous.
- Une femme fixait la porte de ses yeux vides. Elle devait être jeune, avant. Peut être même belle.
- Son crâne rasé lui enlevait le peu de féminité qu'il pouvait lui rester.
- - C'était ma fille, dit-elle à voix basse. Elle aurait eu neuf ans. Mais elle est libre maintenant.
- Personne ne releva ses maigres paroles. Par peur d'être entendu. Par désintérêt, aussi. Un numéro
- parmi tant d'autres.
- Des bruits de pas provoquèrent une vague d'inquiétude dans la salle. Tous baissèrent les yeux,
- fixant le sol sans ciller. Deux personnes entrèrent dans la pièce.
- - C'est bon pour lui. J'ai du l'réveiller une fois, mais j'crois qu'il va être bon.
- - Détachez le, dans ce cas.
- Les pas s'approchèrent de lui et il senti qu'on triturait ses fers. Il contint une grimace quand ses
- poignets heurtèrent le métal, mais ne put s'empêcher de chuter quand on défit les chaînes. Un
- violent coup de pied dans les côtes s’ensuivit aussitôt.
- - Relève toi, pauvre fiente ! Y a des gens d'la haute, ici !
- - On vous a déjà dit de ne pas trop les abîmer, il me semble. Ils doivent remonter en bonne santé
- physique, pas en charpie bonne à jeter.
- - S'cusez moi, m'sieur. Ils savent pas écouter, ces bougres.
- - Ceci est notre affaire, pas la votre. Allez, suis-moi, mon garçon.
- Un main gantée se tendit pour l'aider, qu'il saisit sans grande hésitation. Une fois sur ses pieds, le
- tortionnaire le poussa dans le dos. Ses jambes tremblaient violemment, menaçant de se dérober à
- chaque pas.
- - Allez, avance ! On a pas toute la nuit !
- Il fit quelques pas jusqu'à la porte, attendant celui qui était venu le chercher tandis qu'il parlait au
- bourreau. Il prit appui contre le mur pour soulager ses membres squelettiques.
- - Les sujets que l'on vous confie ont la fâcheuse tendance à revenir fort... abîmés, si je puis dire. Et
- je m'inquiète grandement de leur taux de mortalité. Tachez de remédier à ça dans les plus brefs
- délais, ou nous saurons vous remplacer.
- - Oui, m'sieur. Ne vous en faites pas, m'sieur.
- Une pointe d'inquiétude était perceptible dans sa voix. L'autre homme finit par le rejoindre, posant
- sa main sur son épaule amaigrie.
- - Allez mon garçon, il est temps de remonter.
- Mécaniquement, il marcha le long du couloir jusqu'à l'escalier étroit qui en représentait l'amorce. Il
- grimpa lentement les marches, tachant de ne pas tituber. L'homme avait toujours la main sur son
- épaule, dans un geste presque apaisant. Mais c'est tout juste s'il s'en apercevait. Il poussa la porte et
- dû plisser des yeux face à la lumière qui en émergea.
- - J'espère que tu aura compris, cette fois.
- La peur, seule maîtresse en ces lieux, noua son ventre décharné. Métronome du temps qu'il lui
- resterait à vivre, elle serait de nouveau sa compagne la plus fidèle. Et la plus retorse.
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