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- Économie
- La vie rêvée des pilotes d'Air France
- Septième ciel. Sont-ils prêts à des sacrifices pour redresser la compagnie ?
- Marie Bordet (avec Thierry Vigoureux)
- Publié le 28/06/2012 à 00h00
- Temps de lecture : 8 min
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- Ils sont devenus très méfiants, les pilotes si enviés d'Air France. A l'égard de leur compagnie, qui veut se débarrasser des sureffectifs, et à l'égard de l'opinion publique, qui réduit souvent leur vie à une sublime caricature. On les décrit souvent comme (trop) bien payés, ne travaillant pas plus que ça, jetant sur le monde un regard hautain et forcément déconnecté, à la Arthus-Bertrand, fréquentant des hôtels de luxe et leurs hôtesses, vivant mille aventures au bout du monde. Bref, une caste de privilégiés qu'il serait aisé de brocarder en ces temps de crise. Alors, ils ont décidé de montrer la "réalité du métier". La vie rêvée des pilotes ? On a testé pour vous. On a expérimenté la rotation éclair, sorte de bizutage propre à dégoûter pour toujours de la magie de l'avion. Eric Prévot, commandant de bord qualifié sur Boeing 777 et porte-parole d'Air France, a opté pour une destination anti-glamour. On a fait Paris-Luanda-Paris dans le siège arrière du cockpit. Un voyage bouclé en trente-six petites heures... Au menu, un décollage en fin de soirée et une nuit blanche à bord. Une arrivée en Angola à l'aube, une heure de car jusqu'à l'hôtel en traversant un Luanda endormi. Petit déjeuner, douche, sommeil. Puis le réveil a sonné de façon incongrue en fin d'après-midi et on s'est enquillé une seconde nuit blanche - sept heures et quarante minutes de temps de vol - pour rallier Paris. Arrivée à Roissy à 6 heures du matin. Sur les rotules.
- On a compris le message, la vie d'un pilote n'est pas (toujours) celle que l'on imagine."On travaille souvent le week-end, on enchaîne les nuits blanches, on bouffe du décalage horaire. ça dézingue la santé et pèse lourdement sur la vie privée", assure un commandant de bord d'Air France. Les "escales" d'une semaine à Tahiti, quand les pilotes mangeaient des noix de coco en maillot sur la plage, c'est déjà de l'histoire ancienne. Mais il restera toujours une part de mythe..."Ces dernières semaines, je suis allé faire une randonnée d'une journée au Chili, j'ai visité une expo à New York et rapporté du thé vert de Hongkong, raconte le "capitaine" Eric Prévot.J'ai conscience de mener une vie exceptionnelle. C'est notre réalité de pilote. Sauf que avant de faire les courses et seulement quand la durée du séjour le permet, je remplis ma mission, qui est d'assurer la sécurité des vols en dépit des aléas météorologiques ou techniques. C'est mon obsession." Les pilotes d'Air France vivent dans un monde à part.
- Puissants, ils forment un Etat dans l'Etat dans la compagnie aérienne. Une sorte de quatrième pouvoir que les dirigeants d'Air France redoutent tout autant que la neige à la veille de Noël à Roissy-CDG. Les 4 065 pilotes d'Air France - 25 % de la masse salariale de l'entreprise - ont pour eux d'avoir une conscience aiguë de la défense de leur corporation et de leurs avantages, doublée d'une capacité de blocage explosive. Les PDG d'Air France le savent bien, on ne gouverne pas contre les pilotes. Mais avec, forcément avec... Alexandre de Juniac, intronisé nouveau patron d'Air France en novembre 2011, ne le sait que trop bien. Comme il sait qu'Air France va mal. La flambée du pétrole, la concurrence des low-cost et des compagnies du Golfe risquent de mettre Air France sur le flanc. Les comptes se dégradent à toute vitesse (809 millions d'euros de pertes en 2011) et l'endettement atteint un degré monstrueux (6,5 milliards d'euros). Pour survivre, Air France doit réduire drastiquement ses coûts. Tout comme le font déjà les compagnies rivales Lufthansa, British Airways et Iberia. Il a donc osé. Juniac l'intrépide tient désormais les pilotes dans son viseur. Il leur a demandé, comme aux autres personnels - hôtesses et stewards, personnels au sol -, de revoir leurs conditions de travail. Message (apparemment) reçu.
- Nomades de luxe. Les pilotes, par l'intermédiaire du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) se sont mis autour de la table et ont abordé sans tabou tous les sujets : formation, rémunération, productivité, gestion de l'emploi."Air France a signé avec les pilotes des accords de méthodologie pour gagner 20 % d'efficacité économique, explique Eric Schramm, directeur général adjoint chargé des opérations aériennes, commandant de bord (CDB) sur B777.Dans de nombreux domaines, on a vécu comme des riches et cela ne peut plus durer. Les pilotes d'Air France le savent bien. Ce ne sont pas des tendres, mais ils veulent comprendre, négocient et on peut bâtir avec eux."
- Les pilotes constituent une élite au sein de la compagnie. Les sélections d'Air France sont longues et ardues : tests physiques et psychiques, connaissances théoriques et pratiques, tests psychotechniques, etc."On subit un recrutement digne des films de cosmonautes, dit un CDB sur Airbus 320.On est mis sur le gril pendant des semaines, on se fait pourrir sans arrêt. On ne peut pas arriver là par hasard. Une fois qu'on a survécu à cette épreuve, on ressent de la fierté. Et on se dit : je le vaux bien et, maintenant, je vous emmerde tous !" Pilote à Air France, c'est l'assurance de signer pour une luxueuse vie de nomade. Pas d'open space dans une tour de banlieue, de boss énervé sur le dos, de voisin qui parle fort au téléphone, de queue à la machine à café. Leur quotidien professionnel vogue dans les turbulences en plein ciel, à une altitude de 12 000 mètres au-dessus du commun des mortels. Jamais de routine."On part souvent en vol tôt le matin et on rentre tard le soir. Je ne fais que passer à Roissy, et le plus souvent à des horaires décalés", raconte un des 1 500 pilotes A320 d'Air France. Un pilote long-courrier effectue trois ou quatre allers-retours par mois. Cela équivaut à une douzaine de jours de travail en l'air et en escale."C'est épuisant, mais, quand on rentre à la maison, c'est les vacances. On peut alors penser à autre chose", dit un jeune copilote.
- "Disjoncter". Plus de la moitié d'entre eux habitent en province : Bordeaux, Montpellier, Marseille, Toulouse, etc. Certains (pas tous, loin de là) s'inventent alors une seconde activité : gèrent leur patrimoine immobilier, reçoivent dans leur gîte rural, cultivent leur vignoble, ouvrent une cave à vins à New York, revendent des tapis d'Orient dénichés en escale, possèdent une compagnie de cars, se lancent dans un élevage de chevaux. Certains (pas tous, loin de là) ont une vie sentimentale agitée, et cela compte souvent pour un bon temps partiel. On dit couramment que les pilotes affichent un des taux de divorces parmi les plus élevés - éloignement oblige -, mais on n'a pas de preuves scientifiques à produire pour étayer cette assertion."Si les personnels navigants techniques (PNT) ne sont ni entrepreneurs ni coureurs de jupons, ils se lancent alors avec conviction dans le mouvement syndical des pilotes pour défendre leurs droits et ceux de leurs semblables", s'amuse le dirigeant d'une compagnie aérienne.
- Préserver ce statut social exceptionnel. Coûte que coûte."Quand ils sortent de formation, les pilotes constituent une élite ultramotivée. Mais on les enrobe instantanément d'un gilet de sauvetage social en béton armé. Dès l'âge de 40 ans, ils gagnent plus de 10 000 euros par mois, voyagent quasi gratuitement et en font profiter leurs amis. A bord, ils sont les seuls maîtres après Dieu. De quoi disjoncter", ajoute un expert de l'aérien. Les pilotes n'ont pas l'habitude de subir le poids de la hiérarchie. Ils s'apparentent à des patrons de PME : chaque vol a un chiffre d'affaires, des salariés (l'équipage), des clients (les passagers)."Je travaille avec des hôtesses et des stewards[NDLR : ils sont 15 000 personnels navigants commerciaux (PNC) à Air France]que je ne connais pas et que je ne reverrai jamais. La probabilité de recroiser les mêmes est infime", raconte Eric Prévot. Le commandant de bord choisit sa route, gère son carburant, commande les PNC. Dans son avion, il a la délégation du patron d'Air France.
- La carrière d'un PNT est toute tracée, et cela grâce à la liste de séniorité. Chaque pilote a un numéro de matricule en fonction de sa date d'entrée à Air France et il progresse - en changeant de taille d'avion ou en devenant commandant de bord - au fur et à mesure dans cette fameuse liste à l'ancienneté. Copilote sur court, moyen puis long-courrier, il passe ensuite commandant de bord. En fin de carrière, si tout va bien, le pilote sera CDB sur B777 et enfin sur l'A380, le hit du moment, le plus gros avion du monde."Il s'agit d'un système digne de l'armée soviétique", déplore un expert. Bien sûr, le pilote est contrôlé chaque année, testé à chaque étape. Mais la liste de séniorité est incontournable. Un acharné de boulot ne peut pas doubler un camarade moins compétent. L'ancienneté dans l'entreprise prime donc sur tout...
- Valeur d'exemple. Chaque pilote est rémunéré à l'heure de vol effectuée. Il touche un fixe qui compte pour un quart de la paie et une part variable liée à l'activité."Chaque avion est payé différemment, dit Roger Loisel, le directeur des ressources humaines PNT.Plus la machine est lourde et rapide, plus elle est rentable pour la compagnie, mieux l'heure de vol est payée au pilote. L'A380 offre logiquement la prime de vol la plus élevée !" Les pilotes bénéficient du minimum garanti d'heures de vol. La moyenne des rémunérations mensuelles des copilotes, selon le bilan social d'Air France, dépasse 11 000 euros, celle des commandants de bord 17 000 et même 20 000 pour ceux qui sont aussi instructeurs. Un CDB sur Airbus 380 peut toucher jusqu'à 27 000 euros par mois, c'est la rémunération la plus élevée ! Les pilotes bénéficient en prime d'un abattement fiscal."Evidemment, les salaires font rêver, mais il sont amplement mérités. C'est un métier très spécial, qui nécessite de grandes compétences et tout le monde n'est pas câblé pour le faire, explique Eric Schramm.On ne peut pas leur donner de telles responsabilités, leur confier la vie de centaines de personnes et mal les payer."
- Gagner moins, jamais. En revanche, les pilotes seront obligés de travailller plus."Les pilotes feront des efforts pour redresser Air France, mais il ne faut pas nous raconter d'histoires, dit Jean-Louis Barber, le président du SNPL.Nous avons peut-être une valeur d'exemple, mais nous ne sommes pas au centre du jeu." La direction d'Air France donnera le détail final des réformes fin juin. Le syndicat, conseillé par le cabinet Roland Berger, rendra alors son verdict et veillera à ce que cette histoire ne les mène pas trop loin..."Pourquoi ne met-on pas un pilote en escale dans un hôtel formule 1 plutôt que dans un hôtel de luxe ? Car la qualité de son repos participe du fait que le jour J, quand il aura un incident en vol, il aura la lucidité de prendre la bonne décision, dit-il.Notre métier est complexe. On n'est pas des chauffeurs de bus."
- Les chiffres
- 460 C'est le sureffectif total des pilotes attendu après la mise en place des mesures de productivité
- 565 heures par an C'est la durée moyenne de vol d'un pilote d'Air France sur moyen-courrier. Chez les concurrents, un pilote vole plus (entre 700 et 900 heures par an).
- 5 122 Postes seront supprimés d'ici à fin 2013, soit une réduction de 10 % des effectifs.
- 27 000 euros par mois C'est le salaire que peut toucher un commandant de bord (CDB) sur A380. La rémunération moyenne des CDB dépasse 17 000 euros.
- 2 milliards d'euros C'est le montant des économies qui seront réalisées d'ici à 2015 par le plan Transform 2015.
- Transavia, le low-cost d'Air France
- Les pilotes de Transavia sont aussi bien payés que ceux d'Air France, mais volent plus. Le nombre d'avions Transavia pourrait passer de 14 à 22-23. Avec l'accord des pilotes d'Air France...
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- Commentaires (5)
- AirRaison 26-10-2014 • 18h44
- Les pilotes d'Air France méritent leurs payes.
- - Ils ont fait plusieurs années d'étude pour en arriver là
- - Ils peuvent perdre leurs travaillent du jour au lendemain
- - Ils sont séparer de leur famille pendant plusieurs jour
- - Ils sont la responsabilité de plusieurs centaines de passagers et de l'avion
- Alors, OUI ! Ils méritent leur payes. Je pense que TOUTE les compagnies aérienne devrait en faire autant, AIR FRANCE est un modele.
- Il sont payé 10 000, 15 000 et 20 000 pour certaint mais ils le méritent.
- Lefrançois 23-09-2014 • 09h33
- Et le taux d'accident le plus élevés. (11, american airlines c'est 9). Y a pas photo c'est les meilleurs.
- Laurent2a 28-12-2013 • 10h02
- Quelle honte, s'appuyer sur une escale, certes la pire, pour juger de l'ensemble du métier... Soyez plus réalistes ! Cette escale est comme le PNC, le pilote ne la croisera pas souvent. Allez faire un tour à Rio pour juger de la difficulté de la vie de ces nantis privilégies ! Les heures de sommeil manquantes ne sont pas toutes dues aux horaires de travail...
- Que dire de la paye d'un CDT de bord d'A 380, pousse-boutons en hyppo-vigilance pendant une grande partie du vol... 12 jours de travail par mois, escales comprises, cela donne 2 à 3 rotations mensuelles sur Long-courrier. 12000 euros la rotation sur A380 pour des gens qui n'ont souvent que le bac, et qui ont pu payer la formation grâce à l'argent familial.
- Il est temps de revoir le modèle d'Air-France, pour éviter sa faillite. Que les PNT se réveillent et voient avec objectivité dans quel état est leur système.
- Pour information, dans le monde de l'aéronautique, Air-France est surnommée air-chance...
- Grace à tous ces gens si égoïstes et si persuadés qu'ils pourront toujours obtenir plus, la compagnie est au bord du gouffre, et le plan de sauvetage futur sera payé par qui ? Les contribuables, car comme pour les banques, l'état ne voudra sûrement pas laisser couler la compagnie nationale. Ce jour, je l'attend avec impatience, pour au. Enfin cette superbe compagnie reparte sur des bases saines.
- NON, GÉRER UN SYSTÈME MOINS COMPLIQUÉ QU'UNE PLAYSTATION, MÊME AVEC 400 PAX NE JUSTIFIE PAS DE CES CONDITIONS DE TRAVAIL.
- DeeMango 12-10-2013 • 18h19
- C'est vrai !... Le chauffeur de bus, lui, ne peut pas faire une sieste au volant de sont car... Mais est payé cinq fois moins. ; -)
- Prenons un autre exemple :
- Les pilotes militaire
- ... En plus de faire de l'IFR et d'être ATPL comme les pilotes de lignes, ils font aussi du vol tactique (BA, CAM I, CAM V, CAM T... Etc. Autant règlementations de vol différentes à connaitre), personne pour leurs "gratter" ou leur poser leurs plan de vol ou leur faire la prep vol (route, calcul pétrole, météo, NOTAM, AIP, documentation... Etc. ), on ne leur apporte pas le dossier de vol au pied de l'avion, se "reposent" bien souvent dans des chambres miteuses en Afrique, n'ont pas d'horaire de travail et surtout, ne sont pas syndiqués ; -)... Ils gagnent également trois à cinq fois moins... (entre 2500€ et 4300€ pour un pilote dans l'armée)
- Mais tout cela est une histoire de choix de carrière... Les pilotes de linge défendent leurs acquis et ils ont bien raison !
- jeuneblasé 26-07-2012 • 18h00
- Ils vont être contents tiens !
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