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Au XXIe siècle on tue des Juifs en France (Pierre Birnbaum, L'Histoire, 2019)

Sep 12th, 2024
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  1. « Au XXIe siècle on tue des Juifs en France »
  2. Entretien avec PIERRE BIRNBAUM
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  4. L'Histoire - Collections, no. 83, avril 2019
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  6. (Propos recueillis par Michel Winock)
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  8. Aujourd'hui, en France, des personnes sont assassinées parce que Juives. Les vieilles haines antisémites associant les Juifs, le pouvoir et l'argent ont ressurgi. Le constat accablant de Pierre Birnbaum.
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  10. L'Histoire : Dans vos deux ouvrages Le Moment antisémite. Un tour de la France en 1898 et Sur un nouveau moment antisémite. « Jour de colère » 1, vous avez beaucoup réfléchi à ce qu'est un moment antisémite. Aujourd'hui, estimez-vous que nous sommes dans un autre de ces moments ?
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  12. Pierre Birnbaum : Je ne crois pas que je qualifierais ce que nous vivons aujourd'hui de moment antisémite, analogue à l'affaire Dreyfus ou aux années 1930. On trouve des similitudes mais aussi de fortes différences. On ne constate pas d'action collective organisée1 l'extrême droite, mobilisée à ces époques avec ses uniformes et ses oriflammes, est infiniment moins présente. Elle participe du mouvement mais elle ne le structure pas, ne le guide pas.
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  14. Les choses étaient très différentes le 26 janvier 2014, lors du « Jour de colère », explosion radicale qui surgit au terme de rassemblements bon enfant et nullement antisémites organisés par La Manif pour tous en faveur de la famille traditionnelle. Ce mouvement catholique pacifique, a été pénétré peu à peu, à partir de 2013, à la suite du Printemps français, par des groupes d'extrême droite. Ce jour-là, on voit défiler dans les rues de Paris plusieurs centaines de personnes faisant le signe nazi, criant « Mort aux Juifs ! », « Juif, Juif, Juif, la France n'est pas à toi ! ». C'est un court moment antisémite tout à fait étonnant. Juste à côté, main dans la main, sont présentes les quenelles, les partisans de Dieudonné, dont le message antisémite explicite a été condamné plusieurs fois par les tribunaux.
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  16. Le tableau est très différent aujourd'hui. Certes on a pu voir certains gilets jaunes brandir de manière provocatrice cette «quenelle » antisémite, certes aussi l'agression contre Alain Finkielkraut, qualifié de « sale race » par un gilet jaune, le 16 février 2019, se fait au nom de la « Palestine » et du cri « Nous sommes le peuple », impliquant que le philosophe n'en fait pas partie en tant qu'autre, Juif ou bourgeois, donc parasite. Mais la dimension collective de l'antisémitisme qui réunissait en 2014, durant le « Jour de colère », des mouvements de la droite radicale influencée par un catholicisme intransigeant et des jeunes issus des banlieues a disparu.
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  18. En 2019, ce sont des actes individuels qui se répandent comme une traînée de poudre. On agresse dans les rues, on tague, on insulte et on profane des cimetières, on profère des injures antisémites en passant devant la synagogue de Strasbourg. Mais il n'existe pas de mouvement collectif, structuré, pris en charge par des organisations, des partis politiques ou des ligues antisémites comme au moment de l'affaire Dreyfus ou dans les années 1930.
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  20. Nous ne savons donc pas quels sont les responsables des actions antisémites qui se développent à travers toute la France, et dont on a vu une explosion encore après le 19 février 2019 et le rassemblement contre l'antisémitisme. Ce jour-là, Emmanuel Macron se rend au cimetière israélite alsacien de Quatzenheim pour protester contre de tels actes. Une radio alsacienne sur place ouvre alors un espace de discussion, qu'elle est obligée de fermer très rapidement devant l'avalanche de messages de haine antisémites, des « Heil Hitler » ou des « sales Juifs ».
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  22. Tout cela reste difficile à mesurer : on constate des actions antisémites un peu partout, mais elles ne sont pas plus nombreuses que les années précédentes. Le chiffre, donné par le ministre de l'Intérieur, annonçant une hausse des actes antisémites de 74 % en 2018 ne signifie pas grand-chose car, selon les années, on observe des hauts et des bas2. On a constaté un pic en 2014. Ce qui est sûr, c'est que les chiffres donnés par la Commission nationale consultative des droits de l'homme depuis 2010 soulignent, année après année, la constance des actions antisémites violentes.
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  24. Si les cris et les gestes antisémites semblent se libérer dans le cadre d'un retour à l'irrationalisme, ils sont bien antérieurs au mouvement des « gilets jaunes ». On tue des Juifs dans la société française depuis plus de dix ans. L'affaire Ilan Halimi, en 2006, a constitué un tournant. Ilan Halimi, jeune homme juif, est séduit par une jeune fille boulevard Voltaire. Elle l'emmène à Bagneux, où il est capturé, ligoté et torturé par une bande de jeunes Français de toutes origines sociales et culturelles dont le chef, Youssouf Fofana, adhère à l'islamisme antisémite. Puisque Halimi tient un magasin et qu'il est Juif, il est supposé détenir de l'argent1 on est toujours dans la pensée irrationnelle, celle d'Édouard Drumont, le « prophète » de l'antisémitisme à la fin du XIXe siècle (cf. p. 40). Pendant quinze jours, les meurtriers vont au restaurant et festoient pendant que l'homme agonise, nu, torturé.
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  26. Ce passage à l'acte annonce un changement radical. Durant l'affaire Dreyfus, tout comme pendant les années 1930, et sauf en Algérie, on ne tue aucun Juif alors que les mobilisations antisémites sont considérables. Il me semble que, dans l'Hexagone, en dehors de Vichy, il faut remonter aux violences contre les Juifs durant la Révolution française, en Alsace, pour retrouver ce degré de violence.
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  28. Il diffère entièrement des attentats de la rue Copernic en 1980 (premier attentat contre les Juifs en France depuis 1945) ou de la rue des Rosiers en 1982, tous deux à Paris. Si, dans les deux cas, on tue là encore des Juifs - auxquels Raymond Barre, Premier ministre de l'époque, dénie implicitement la qualité de citoyens français3 -, c'est davantage en fonction du conflit au Proche-Orient et ce sont des commandos venus de cette région qui passent à l'action. Dans une certaine mesure, on peut rattacher l'affaire Merah à ce schéma-là, même si Mohamed Merah est Français et cela change tout. En mars 2012, ce jeune Toulousain, un délinquant de droit commun, exécute trois militaires pour l'unique raison qu'ils portent l'uniforme français et participent donc, de près ou de loin, aux guerres menées par la France en Syrie et Irak, puis exécute froidement trois enfants dans une école juive de Toulouse, Ozar Hatorah, ainsi qu'un enseignant pour venger, selon lui, les personnes tuées par l'armée israélienne. Son action meurtrière se trouve même bruyamment applaudie, dans son quartier, par plusieurs Français originaires de l'immigration nord-africaine et agissant au nom d'un islam radical. Il en est de même lors de la tuerie de Charlie Hebdo et du magasin Hyper Cacher.
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  30. Aujourd'hui, tout paraît se mélanger : les motivations liées au Moyen-Orient qui génèrent un antisionisme radical largement partagé propice aux dérapages antisémites et les actions spécifiques issues des profondeurs de la société française. Ces dernières attestent de la résurgence de cette haine antisémite qui pousse au passage à l'acte en fonction d'imageries ancrées dans l'histoire, fréquemment liées à l'argent. En témoignent la mort d'Ilan Halimi, celle de Sarah Halimi en avril 2017 à Paris ou de Mireille Knoll (cette femme de 85 ans rescapée des camps, assassinée en mars 2018 à Paris toujours) ou le viol, en décembre 2014, à Créteil, d'une jeune femme juive et donc supposée elle aussi fortunée.
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  32. Nous ne vivons pas un moment antisémite, mais il y a bien en France aujourd'hui un climat populiste délétère hostile au capital, au cosmopolitisme, à l'oligarchie, aux «gros » assimilés dans l'inconscient aux Juifs, un climat entretenu par des acteurs qui ne sont pas antisémites mais qui, sans le vouloir, ouvrent grand les vannes à cet irrationalisme.
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  35. L'H. : Vous pensez à l'extrême gauche ?
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  37. P. B. : Même s'il n'est pas antisémite bien sûr, le populisme assumé explicitement par Jean-Luc Mélenchon, ses attaques virulentes contre les « goinfrés », l'oligarchie qui instille un « venin » au sein du peuple français, cette dénonciation de l'argent est, sans le vouloir, propice à tous les dérapages. L'élection d'Emmanuel Macron, assimilé à la banque Rothschild où il a travaillé, a fait le reste. Avant même l'élection d'Emmanuel Macron, François Ruffin a publié en mai 2017 dans Le Monde une « Lettre ouverte à un futur président déjà haï ». La haine est là, une haine martelée tout au long de l'article, « Vous êtes haï, vous êtes haï, vous êtes haï »,assène- t-il. Publié en février 2019, le livre de François Ruffin, Ce pays que tu ne connais pas, s'adresse à Emmanuel Macron. « Bienvenue en France », dit la jaquette, une manière de dénoncer la distance entre le président et le peuple français. Derrière Emmanuel Macron, c'est Rothschild qui est visé en permanence, c'est Rothschild qui provoque un rejet « physique », « viscéral », du président de la République que l'on n'hésite pas à tutoyer.
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  39. Avant lui pourtant, d'autres personnalités politiques étaient passées par la banque Rothschild comme Georges Pompidou, mais aussi Henri Emmanuelli qui y a fait toute sa carrière1 personne ne le lui a reproché lorsqu'il était premier secrétaire du Parti socialiste.
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  41. Les temps ont changé : aujourd'hui, c'est l'alliance ENA-Rothschild qui peut expliquer cette haine, à un moment où l'État est affaibli, où le pouvoir a perdu ses « deux corps ». C'est, pour certains, une démonstration parfaite de la prise en main du pouvoir par des hauts fonctionnaires obéissant aux ordres de Rothschild, marionnettes du capitalisme. On s'en prend à « Macron la pute des Juifs », au président de la « République juive », comme autrefois1 on dénonce à la une de journaux royalistes Emmanuel Macron à la tête du « lobby juif ». C'est la réalisation du cauchemar annoncé par Édouard Drumont dans lequel les Juifs riches tiennent en main l'État, un mythe que l'on retrouve plus tard avec « le mur d'argent » ou encore les « deux cents familles » (les actionnaires de la Banque de France), dénoncées dans les années 1930 comme dominant le bon peuple de France innocent. D'une époque à l'autre, il s'agit d'une tradition bien française, que l'on retrouve néanmoins, par exemple, dans le populisme américain.
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  44. L'H. : Que sait-on, de ce point de vue, des valeurs politiques des« gilets jaunes » ?
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  46. P. B. : On ignore jusqu'à présent les valeurs partagées par les « gilets jaunes », on a très peu de matériel fiable disponible. Quelques-uns d'entre eux se laissent photographier en train de faire la « quenelle »1 on dispose aussi d'images montrant la présence, dans les défilés du samedi, de l'ensemble des dirigeants d'extrême droite. Dans une réunion qui a eu lieu le samedi 19 janvier 2019 à l'espace Jean-Monnet de Rungis, étaient inscrits ces mots : « RF ce n'est pas République française, c'est Rothschild ». Étaient présents le leader d'Égalité et Réconciliation, Alain Soral, Yvan Benedetti, porte-parole du Parti nationaliste français, ou Jérôme Bourbon, le directeur du journal Rivarol. Cela montre une pénétration de l'extrême droite qui ne révèle pourtant rien des valeurs des « gilets jaunes » dans leur ensemble.
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  48. Un sondage Cevipof, réalisé à la fin décembre 2018, sous la direction de Luc Rouban4, sur les sympathisants des « gilets jaunes », montre cependant que 62 % des enquêtés se situent du côté du populisme fort, cette proportion allant jusqu'à 92 % chez ceux qui soutiennent « tout à fait les "gilets jaunes" ». Ceux-là estiment que la France est pervertie, que les hommes politiques sont soudoyés, que la démocratie représentative est insuffisante. On touche là quelque chose de ce degré d'exaspération qui n'est pas directement antijuif, mais qui témoigne d'un moment de haine pouvant charrier et susciter éventuellement l'antisémitisme. Dans ce même sondage sur les sympathisants, on voit d'ailleurs que 44 % de ceux qui soutiennent « tout à fait » le mouvement font confiance à Marine Le Pen contre 27 % à Jean-Luc Mélenchon. Les auteurs du sondage mettent ainsi l'accent sur la forte présence des valeurs national-populistes parmi les sympathisants des « gilets jaunes »5.
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  50. Une autre donnée est impressionnante1 il s'agit d'un rapport de la Fondation Jean-Jaurès du 14 janvier 20196, portant sur les réseaux sociaux. On y apprend que la page Facebook d'Éric Drouet, une des figures à l'origine du mouvement des « gilets jaunes », contient des messages qui dénoncent le pouvoir de la « mafia sioniste », entendus et suivis par plusieurs millions de personnes. D'après ce rapport, Éric Drouet et Maxime Nicoll, un des autres initiateurs, ont essayé d'effacer leurs messages antérieurs à la mobilisation des « gilets jaunes », où ils manifestaient, à plusieurs reprises, leur soutien aux discours de Marine Le Pen. Cela témoigne bien, là encore, d'une pénétration de l'extrême droite, sans nous renseigner sur les valeurs des « gilets jaunes » eux-mêmes.
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  53. L'H. : Comment expliquer alors le passage à l'antisémitisme ?
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  55. P. B. : Dès l'élection d'Emmanuel Macron, une caricature antisémite est diffusée par le parti Les Républicains (LR). Quelques jours après, Gérard Filoche, qui était encore membre du comité directeur du Parti socialiste, poste sur le site du Parti socialiste une affiche où l'on voit des Juifs comme Jacques Attali ou Patrick Drahi entourant Emmanuel Macron et les deux drapeaux américain et israélien. Le président porte un brassard nazi, mais dont la croix gammée a été remplacée par un dollar1 il est présenté comme dominant le monde. L'idéologue d'extrême droite Alain Soral à son tour diffuse ces caricatures assimilant le président Macron à Rothschild, au sionisme, au pouvoir juif mondial. Des images qui reprennent directement la logique des Protocoles des Sages de Sion (cf. p. 63).
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  57. Elles ont d'autant plus d'impact que, selon les rapports de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, si les Français ne sont pas antisémites et considèrent les Juifs comme des citoyens comme les autres, 60 % d'entre eux estiment qu'ils ont un lien particulier avec l'argent, 30 % considérant aussi qu'ils ont un rapport privilégié avec le pouvoir. Ainsi se construit un lien implicite entre pouvoir, argent et Juifs qui peut être lourd de conséquences en un moment de fort populisme, ce dernier étant comme un passeur vers l'antisémitisme.
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  60. L'H. : Pourrait-on passer à l'acte ?
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  62. P. B. :Cette haine qui transpire aujourd'hui contre Emmanuel Macron, à travers, par exemple, cette phrase lancée par François Ruffin, « Il va finir comme Kennedy », ou encore à travers les échafauds que l'on construit, ces cérémonies de décapitation dans les stades, nous incite à un rapprochement avec ce qui s'est passé en février 1936, au moment de l'attentat perpétré par les Camelots du roi (des militants de l'Action française) contre le député socialiste Léon Blum, peu avant son arrivée au pouvoir. Cet attentat provoque un sursaut national considérable qui contribue à l'arrivée au pouvoir du Front populaire. Cette haine mobilisait alors des forces militantes immenses. Le 6 février 1934, deux ans avant l'attentat contre Léon Blum, des dizaines de milliers de militants des ligues étaient dans la rue, portés par un mouvement d'envergure, discipliné, à l'idéologie structurée, l'Action française. L'État n'a pas hésité à faire tirer la police. On relève 14 morts, de très nombreux blessés graves, la répression fut donc immédiate.
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  64. Ce fut aussi le cas en 1898 : au moment de l'affaire Dreyfus, des centaines de milliers de personnes dans toute la France hurlaient dans les rues « La France aux Français ! », « Mort aux Juifs ! ». Aucun Juif ne fut pourtant tué car cet État républicain était fort et légitime1 il n'hésitait pas à réprimer par la violence les militants des ligues. Les cavaliers chargent, les policiers sont blessés, toutes les synagogues sont protégées. Ce moment antisémite de janvier 1898, d'une ampleur impressionnante, fut freiné par la police : l'État s'est montré capable de défendre l'ordre républicain face aux ligues et aux divers populismes.
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  66. Une autre grande différence avec ce qui se passe actuellement, c'est que ces manifestants étaient guidés par des figures intellectuelles tutélaires comme Charles Maurras, à l'influence immense. Rien de tel aujourd'hui, où aucune grande figure intellectuelle n'offre sa caution aux actions antisémites.
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  69. L'H. : Pourquoi certains Juifs se sentent-ils aujourd'hui abandonnés par la République ?
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  71. P. B. : Pour beaucoup, la traditionnelle alliance verticale des Juifs et de l'État se trouve menacée, ce qui suscite une forte inquiétude, un sentiment d'abandon, en dépit du plan Vigipirate. D'où, pour la première fois dans l'histoire de France, des milliers de départs vers Israël, des centaines ou davantage encore vers les États-Unis ou le Canada. Ces départs sur lesquels on ne dispose d'aucune étude rigoureuse peuvent être motivés par des raisons économiques, culturelles ou idéologiques, par un sionisme récent résultant aussi probablement de la remise en question, en dépit de toutes les déclarations officielles, de l'efficacité de l'alliance avec l'État.
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  73. Au XIXe et dans la première partie du XXe siècle, les Juifs français ont été plutôt hostiles au sionisme tant ils étaient nombreux à être des adorateurs de l'État. Dans mon ouvrage Prier pour l'État(Calmann-Lévy, 2005), j'ai répertorié et analysé, depuis Louis XIII jusqu'à aujourd'hui, les nombreuses prières de dévotion aux rois, aux empereurs, à l'État. Les Juifs sont encore de nos jours les seuls à prier pour la République1 chaque shabbat, vers 11 heures du matin, une prière pour elle est prononcée dans toutes les synagogues. Cette alliance avec l'État est constante, que celui-ci ait été monarchiste, napoléonien ou républicain. Les Juifs dans la diaspora ont peur des voisins, redoutent les pogroms d'en bas et cherchent la protection d'en haut. Ce fut vrai en Pologne, en Allemagne, en Autriche-Hongrie. Et en France, d'autant que l'État y est fort et se montre normalement bienveillant. Cette croyance en la protection de l'État se trouve aujourd'hui ébranlée au moment où l'État lui-même est affaibli.
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  75. Les autorités de l'État continuent de marteler un discours protecteur à l'égard des citoyens juifs, impressionnant de bienveillance. L'État se pose constamment en protecteur. Des policiers protègent des synagogues et des écoles juives. Mais, dans la psychologie collective de beaucoup de Juifs, l'État serait devenu incapable de maintenir et de diffuser les valeurs universalistes qui les protègent. De fait, les autorités de l'État ont été peu présentes lors de l'affaire Halimi ou au moment du meurtre de Mireille Knoll, qui ont bouleversé l'une et l'autre plus qu'on ne le pense les Juifs français. Qu'a fait l'État ? Pourquoi ce long silence ? Pourquoi aussi cette quasi-indifférence de la population ?
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  77. Aujourd'hui, on est à un moment de vertige où tout peut se passer. On assiste à une succession d'actes antisémites qui, contrairement à ce qu'on avance, ne sont pas beaucoup plus importants que ceux qui se sont produits les années antérieures. Mais ils s'inscrivent dans un cadre de mobilisation populaire, celle des « gilets jaunes », largement alimentée par des valeurs populistes hostiles aux riches, à Rothschild, et donc aux Juifs. Il existe par ailleurs une responsabilité immense de certains dirigeants de gauche ou d'extrême gauche qui usent d'un vocabulaire dénonciateur sur les « gros », les « goinfrés », les riches cosmopolites : il nourrit une pensée réductrice de l'État, irrigue la société française depuis des années et trouve un écho chez certains « gilets jaunes ».
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  79. En d'autres termes, les «gilets jaunes » ne forment pas un mouvement antisémite, mais leur caractère hétéroclite, leur imaginaire souvent réducteur de la société française peuvent relancer des discours d'exclusion. Les diatribes de haine réitérées tous les samedis contre Macron-Rothschild peuvent favoriser, marginalement, cet antisémitisme inorganisé ancré dans une vieille passion anticapitaliste largement partagée. Les vieux mythes ne disparaissent pas, ils ne demandent qu'à renaître.
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