La chute sans fin de Florian Philippot

Les déboires se multiplient pour le président des Patriotes, depuis qu'il a quitté le FN il y a près d'un an
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Florian Philippot prend tout son temps pour boire son café. L'ancien bras droit de Marine Le Pen n'est pas pressé, en ce mois de juillet. Le Lutétia vient de rouvrir ses portes cinq fois étoilées. L'occasion pour le président des Patriotes d'y fixer rendez-vous mardi 17 juillet. Mais pas trop tôt; il n'est " pas très petit déjeuner " . Plus très, du moins. Le temps s'est quelque peu ralenti depuis sa ruptureavec le Front national (FN, désormais Rassemblement national, RN), il y a près de dix mois.

" En six ans de politique, j'ai l'impression d'avoir déjà tout vécu " , soupire l'ancien combattant frontiste, pas même quadragénaire. Et de dégainer sa première anecdote sur sa " dernière fois " ici, dans le réconfort du palace parisien. C'était en 2012, avec le président de Debout la France, Nicolas Dupont-Aignan. Il y a deux campagnes présidentielles. Les fauteuils étaient en velours, l'ambiance feutrée. " Fallait se faire discrets. "

Six ans plus tard, dont quatre de travaux au Lutétia,M. Dupont-Aignan a rejoint Marine Le Pen dans l'entre-deux-tours de la présidentielle de 2017, et le café du grand hôtel se partage désormais sous verrière et lumière, dont M. Philippot a lui aussi besoin. Son capital médiatique s'est rabougri depuis qu'il a quitté sa patronne et monté sa propre entreprise patriotique. Le conseiller régional Grand-Est, député européen et désormais chef de petit parti s'est même mis à sourire aux journalistes, voire à les rappeler.

Déficit de notoriété, manque d'argent, score maigrelet aux législatives partielles, conférence de presse avec l'ex-" madame Miss France ", Geneviève de Fontenay, dont elle-même s'est désolidarisée peu après, " choquée " d'être associée à l'extrême droite, l'ancien chouchou des matinales enchaîne les déboires à la tête des Patriotes.

Dernière fausse note dans l'oratorio philippotiste : une plainte pour " usage de faux " déposée contre lui par son ancienne acolyte, Sophie Montel, mercredi 18 juillet. Et une accusation contre X de détournement de fonds européens au profit de son mouvement. Car sa signature, assure la députée européenne, aurait été falsifiée pour utiliser une partie de ses dotations à Bruxelles.

La plainte, que Le Monde a pu consulter, évoque 20 559,20 euros de " gadgets " financés par les fonds européens, dont une somme de 12 960 euros de sacs en toile achetés à un fournisseur des Patriotes, qu'elle soupçonne en outre de surfacturation. L'argent dégagé aurait, selon le même document, servi à fournir " une prestation publicitaire (...) au bénéfice sans aucun doute possible du mouvement de M. Philippot " .

" Il ne m'a pas laissé le choix " , précise au Monde l'élue franc-comtoise qui a claqué la porte des Patriotes le 5 juillet, en dénonçant " les mêmes dérives " qu'au FN qu'ils avaient quitté ensemble. M. Philippot, lui, dément " tout " et a d'ores et déjà fait savoir qu'il répondrait à cette plainte par une autre. Pour diffamation? " Pour plein de trucs, je laisse faire mon avocat " , rétorque-t-il, balayant des accusations " sans fondement " , un départ " attendu " , une ex-acolyte " qui ne participait à rien " . A peine concède-t-il une déception " humaine " face au départ et à la violente mise en cause de celle dont il se disait très proche.

" Pas investie? Je suis quand même allée me prendre une belle tôle à Belfort pour eux " , peste Sophie Montel, candidate aux législatives partielles de janvier. Résultat : 2 %. Malgré les coques de téléphone et autres goodies siglés à peine le parti lancé. Malgré le visage de M. Philippot sur son affiche, et les quelques rues arpentées à ses côtés. Sans, bien souvent, que personne ne les reconnaisse.

Un livre à la rentréePeu leur importait alors, les deux complices avaient trouvé un créneau vendeur : tous deux faisaient la paire pour grincer de concert contre leur ancienparti. A l'image de Sophie Montel, imitant " Miss 3 mai " - date du catastrophique du débat d'entre-deux-tours sur la scène du congrès fondateur des Patriotes, en février. M. Philippot, lui, n'a jamais manqué de glisser un tacle à chaque invitation médiatique depuis son départ. " Parce qu'on ne me parlait que de ça! ", se justifie-t-il, jurant n'avoir " jamais été dans la critique acerbe. "

D'ailleurs, le livre qu'il a " écrit tout seul " , se targue l'énarque, n'aura rien d'un " livre d'attaques personnelles " . Il sera " concret " , bourré de " fond " et de " programme " politique. Le titre : Frexit, en sortir pour s'en sortir. Chapitre premier : le " FN exit ". Sans règlement de comptes ni critique acerbe, donc. " Juste quelques anecdotes qui permettent d'éclairer " , ajoute-t-il, sourire affûté.

Est-ce l'analyse politique sur la sortie de l'Europe du président des Patriotes ou les " anecdotes " de l'ancien proche de Marine Le Pen qui lui ont permis de " dealer " les bonnes feuilles avec un hebdomadaire à la rentrée, avant la sortie prévue le 19 septembre et une tournée de signatures dans les librairies? " Et les grandes surfaces " , précise-t-il. Comme un ancien président de la République, donc.

Autre anecdote éclairante venue d'un ex-frontiste parti aux Patriotes. Ce jeune élu local raconte qu'il arrivait à M. Philippot de " commander " des Tweet à ses soutiens, pour critiquer un " ennemi interne " sur les réseaux sociaux, et " faire monter " la ligne Philippot au sein du parti frontiste.

" A force de délire télévisuel et de Tweet, il a fini par croire que c'était son moment... Mais il ne s'est pas rendu compte du chemin de croix que c'était, de lancer un parti " , commente le dirigeant d'un autre petit parti souverainiste.

Pour exister dans la campagne européenne, M. Philippot compte encore pourtant largement sur ce monde numérique dans lequel certains le taxaient d'être recroquevillé au point de ne plus se rendre compte du degré réel de sa popularité. " C'est un outil gratuit! " , souligne-t-il, évaluant à 500 000 euros le budget nécessaire pour monter une liste aux européennes. Ce qui ne l'empêche pas de viser les 5 %, et de livrer déjà ses deux meneurs de liste : la députée européenne Mireille d'Ornano en numéro 2 et lui, évidemment, en numéro 1.

Ne se sent-il pas isolé, lui à qui même François Asselineau pourtant sur la même ligne de Frexit refuse pour le moment de parler? Etre seul et gagner, Macron l'a bien fait. Alors pourquoi pas lui?Avant de quitter le FN, M. Philippot avait confié à un proche observateur que le chef de l'Etat " avait réussi à faire quelque chose qu' il pouvait faire ".

M. Dupont-Aignan, lui, assure l'avoir dragué pour qu'il rejoigne Debout la France, avant qu'il ne quitte le FN. Offre que M. Philippot aurait balayée d'un " je suis le numéro 2 du premier parti de France, je ne peux pas être le numéro 2 d'un petit parti comme le tien ". Démenti de l'intéressé. M. Dupont-Aignan enfonce le clou : " Je ne comprends pas qu'un homme aussi intelligent puisse se mettre dans un tel corner tout seul. "

Sa " divine solitude " , comme l'appelle Sophie Montel dans son communiqué de démission. Elle évoque son entourage et sa tendance à créer une " cour " autour de lui, un reproche déjà courant lorsqu'il était au FN. D'autres citent son " obsession europhobe ", ce " Frexit " qui serait " sa réponse à tout " , l'isolant dans un espace politique plus que restreint... Et qui restera son cri de ralliement dans la prochaine campagne européenne.

Ecouter les peurs des Français sur la sortie de l'euro et de l'Union européenne? " Je ne comprends pas cet argument, rétorque celui que l'on taxe souvent de manquer d'empathie. Dans ce cas, Mitterrand n'aurait jamais fait passer l'abolition de la peine de mort. " L'histoire lui donnera raison, Florian Philippot en est certain. D'ailleurs, le Brexit, qui doit être déclenché par le Royaume-Uni en mars 2019, est une " très bonne nouvelle " pour lui. A deux mois des européennes, " cela polarisera le débat entre sortie ou pas , analyse-t-il. Et là, ce sera En marche! contre les Patriotes ". Carrément? " Carrément. "

Lucie Soullier