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Sep 23rd, 2017
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  1. Je déteste écrire.
  2.  
  3. Ecriture et lecture sont étroitement liée, dans une lutte immonde et contradictoire. Ainsi, comme le lecteur dépend de l’écrivain pour avoir sa dose d’images, l’écrivain est prisonnier de la vision d’un lecteur qui, conditionné par sa lamentablement étriquée condition d’ «individu», a le pouvoir de refuser l’image que lui offre l’écrivain et par là même, détruire tout le sens, toute la passion, si forte soit elle, qu’auras mis l’auteur en sa peinture.
  4.  
  5. D’aucuns répondront que l’on écrit avant tout pour soi même, que l’avis des autres importe peu tant que le gribouilleur d’image est satisfait. Tout ce que je verrais en cet argument écœurant d’optimisme, est une sale volonté d’atténuer la violence de la réalité de cette lutte perpétuelle et volontaire entre gribouilleur et critique, et de s’enfermer dans une rassurante utopie, celle de l’autosatisfaction.. L’avis des autres importe peu, tant que l’on est satisfait de soi, n’est ce pas, «ami» lecteur ? Quand on a seulement la conscience d’avoir, toute sa vie, été conditionné par son entourage... cette notion indiscutable que tout, absolument tout ce que nous sommes, physiquement comme moralement, vient d’un ensemble d’autres individus et de l’influence qu’ils ont exercés sur nous ... d’une giclée de sperme aux bancs scolaires, des cercles d’amis au critique lecteur que tu es, tout, absolument tout ce que je suis, moi, le gribouilleur du moment, est le triste résultat des influences qu’ont exercés sur moi toutes ces diverses personnes, à qui je n’avais d’ailleurs absolument rien demandé.
  6.  
  7. Mon texte sera dès lors soumis à ton avis, lecteur, tout comme ta lecture sera soumise à ma volonté de communiquer avec toi, et je n’accorderais aucun crédit à la simple idée que je puisse, sans toi et ton avis, me trouver satisfait des souillures que j’aurais apporté à la douce virginité de cette page A4. Je me fous de la violence de ton avis. Que tu craches sur ces lignes m’emplirait d’une joie infinie, par rapport à l’hypocrisie dont tu pourrais faire preuve envers elles. Les avis positifs m’intéressent peu mais ils me font peur, car jamais je ne saurais si ces compliments (à part peut être si ils viennent de quelques rares personnes proches qui ont, sans aucun doute à tort, ma confiance), ont le moindre fond de sincérité ou si il ne s’agit que de cette horrible hypocrisie, vouée à préserver ma santé mentale peut être ?
  8.  
  9. Mais me voilà déjà égaré dans mon préambule. A la vérité, ce que tu viens de lire, «ami» lecteur (oui, tu seras ironiquement, toi mon pire ennemi, surnommé «ami» ici. Peut être que ce procédé pathétique est issu de cette volonté désespérée de fuir ton diktat, je n’en sais rien moi même et ne pousserait pas plus loin la réflexion), est un concentré haineux de tout ce que m’inspire ce rapport de force entre toi et moi. Je voulais détailler celui ci, pour que tu comprennes l’enjeu de ce texte, et ma volonté d’exploiter à mes propres fins perverses cette insupportable pression que tu exerces sur moi, « mon ami».
  10.  
  11. Ce soir, je vais te parler de haine, de colère et de frustration, et les quelques baguettes de lexomil que je me suis enfilé dans la journée n’y changeront, pour mon malheur, absolument rien. Toute la violence de ces sentiments n’est pas dirigé contre toi, bien qu’elle t’affectera forcément si, comme te le conseillais Lautréamont dans les premières strophes de ses chansonnettes, tu te refuses à «diriger tes talons en arrière et non en avant». Non, tu n’es pas la victime de cette agression rédigée, celle ci m’est entièrement destinée. Je plaide ici coupable, et jouerais dans cette pathétique parodie de procès mon rôle avec la plus grande et la plus folle aisance.
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  13. Quant à toi, mon «ami», je t’invite à en être le juge, rôle pour lequel tu me semble tout indiqué, ta tendance naturelle de critique à l’appui. Ne t’en fais pas, les autres figures grimaçantes et détestables qui infectent le genre de cérémonie que je te dépeint là sont présentes aussi : ce soir, je serais, en plus de l’accusé, mon procureur et mon avocat de la défense. Ce texte de la première à la dernière ligne, sera mon réquisitoire et ma plaidoirie.
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  15. Oui, tu seras mon seul juge; je te souhaite dès à présent de te perdre dans mon immonde gribouilli suintant par toutes ses lettres et par tout ses mots une haine presque maladive , à la recherche d’un quelconque sens qui pourrait venir te rassurer. Je veux que tu prennes la pleine conscience de la joie sadique qui m’emplira au fur et à mesure que tu avanceras dans cette lecture. Je veux te voir t’y perdre, t’y noyer même ... je joue en cela mon rôle : n’est ce pas la fonction même d’un procureur et d’un avocat, que d’enfumer le juge dans de nauséabondes paroles ?
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  17. Commençons donc, «cher ami», maître, et ne vous avisez plus de faire évacuer la salle avant d’avoir pris connaissances de toutes les données, et elles sont nombreuses, du dossier qui nous occupe. Je suis en effet, en bonne projection de l’être humain moyen, une créature abjecte, bourrée de défauts dont chacun est un crime, crime qui me serait sans doute passible d’une mort lente et douloureuse, si mon aspiration à la mort n’était pas, de mes crimes, le plus répugnant.
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  19. Mais mes accusations (ou bien est ce ma défense que je présente ainsi ? Ce ridicule jeu m’agace déjà, et je ne le continue que par intime conviction qu’il t’atteindra autant que moi) sont déjà tellement empreintes de ce délire maladif qui m’amène à écrire cette horreur, que j’ai commencé par la fin. Ne t’ai je d’ailleurs pas invité dès les premières lignes à te détourner de mon putain de texte ? A toi, «cher ami», j’ai présenté ma fascination pour la mort, et la pleine conscience que chaque jour de ma vie constitue pour mon physique comme pour mon esprit, un danger mortel. C’est une torture quotidienne, ce qui ne la rend pas moins tendrement douloureuse. La dépression est la mort, et elle m’entraîne chaque jour plus proche de son idéal qu’au final, je finirais par atteindre : j’ai même mis mon style de vie au service de cette douce angoisse.
  20.  
  21. Je n’ai pour ma défense, qu’une image empruntée à un autre spleeneux, celle de mon corps grouillant de petites bestioles comme n’importe quelle charogne « sur lequel le soleil rayonnera, comme afin de la cuire à point ».
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  23. Mais il semblerait que ce texte n’ait ni sens ni linéarité, et avoir commencé par la fin vient donc désormais appuyer mon second crime, sans aucun doute le plus cruel, pour moi comme mon entourage. Celui dont lequel découlent tout les autres, «cher ami», il s’agit de mon désir de vivre. Chaque interaction avec le monde m’est précieuse, et je suis ainsi désespérément attaché à cette ignoble engeance. Quelques instants de vie, une simple respiration, un courant d’air sous un ciel chargé d’étoiles, ou bien un sourire amical d’un être qui, aussi naïf qu’il soit, m’est infiniment précieux. Un volute de fumée bleue qui se dissipe dans cette nuit. J’ai bien trop conscience de la beauté de tout cela pour imaginer une seconde à l’éventualité de perdre ces sensations. De cela résulte la présence de cet être complexé, cynique et agressif qui pourrit le quotidien de beaucoup trop d’autres créatures conscientes, dont celles que j’appelle «mes amis» (ces guillemets ne te sont pas destinés) .Voilà mon second crime.
  24.  
  25. Ma défense sera un simple clin d’oeil à ce que tu ressens, toi, lecteur et juge de mon texte, en ce moment même. Si en tant que gribouilleur, je trouve cela un peu léger dans la forme, nous nous équilibrons, car tu dois y voir en tant que critique, un fond lourd de sens, épais et gluant.
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  27. Mon troisième et dernier crime, est l’incertitude. Elle découle du reste, presque naturellement. Le tiraillement entre cette conscience et fascination pour la mort et ce profond attachement à une vie qui, même terne, m’est horriblement précieuse. Triste paradoxe de l’absurdité de la condition humaine, qui a inspiré de bien plus grands gribouilleurs que moi. Si ceux ci ont reconnu ce crime et vécu malgré tout avec ce poids, adoptant une quelconque philosophie de vie nauséabonde, j’étouffe quant à moi celui ci dans absolument n’importe quoi qui puisse dissiper l’amertume de la situation dans la douceur de l’oubli. Je n’ai, pour cet ultime infraction à la vie, aucun argument à exposer pour ma défense. Justifier un paradoxe n’aurait de toute façon, à ce point pas plus de sens que l’infâme ramassis de lignes que tu viens , «ami lecteur», de t’enfiler et que tu vas maintenant devoir éventuellement... digérer ?
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  29. Sale affaire, n’est ce pas ? peut être devrait tu relire, histoire d’être sûr qu’il y ait vraiment un sens à tout ça. C’est d’ailleurs pour cela que je ne le relirais pas moi même. A part ça, j’attends ta sentence, le sourire amer aux lèvres, le valium en sublingual et la peur au ventre, comme tout gribouilleur du moment qui se respecte.
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