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Jul 12th, 2017
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  1. Face à la protestation des milieux financiers, qui ne
  2. cachent pas leur déception, Emmanuel Macron décide
  3. d’anticiper les réductions d’impôt au lieu d’avoir pour
  4. seules priorités la baisse des dépenses publiques et la
  5. réforme du code du travail.
  6.  
  7. C’est un piège qui est en train de se refermer
  8. sur Emmanuel Macron. Lui qui avait pris mille
  9. engagements néolibéraux durant sa campagne
  10. présidentielle, promettant aux milieux d’affaires de
  11. réduire la dépense publique de manière audacieuse,
  12. tout en baissant la fiscalité, à commencer par celle
  13. des plus fortunés, et en mettant à bas une bonne
  14. partie du code du travail, éprouve à peine arrivé
  15. à l’Élysée les pires difficultés à tout mener de
  16. front. Un piège terrible, car Emmanuel Macron a
  17. précisément construit toute sa crédibilité auprès des
  18. milieux financiers sur le fait qu’il saurait, lui, conduire
  19. une politique économique de déréglementation
  20. économique et sociale beaucoup plus hardie que
  21. François Hollande, sans les atermoiements ou les
  22. demi-mesures dont ce dernier était coutumier.
  23. Or, ce quinquennat commence à peine que déjà
  24. Emmanuel Macron donne à ses soutiens le sentiment
  25. de tergiverser. Accélérer ou avancer à pas comptés :
  26. c’est en quelque sorte le choix auquel le chef de
  27. l’État s’est trouvé confronté à peine quelques semaines
  28. après son accession au pouvoir. Après des tractations
  29. dans les sommets du pouvoir tout au long du dernier
  30. week-end, le chef de l’État a tranché en retenant la
  31. première option : mener de front la réforme du code
  32. du travail et celle de la fiscalité. Une option hautement
  33. périlleuse, pour des raisons tout autant politiques et
  34. sociales qu’économiques.
  35.  
  36. Si l’on reprend le fil de l’actualité de ces derniers
  37. jours, on comprend en effet sans peine le casse-tête
  38. auquel Emmanuel Macron s’est soudainement trouvé
  39. confronté.
  40.  
  41. Premier acte de ce psychodrame : accédant à l’Élysée,
  42. le nouveau pouvoir a sans doute vite mesuré qu’il
  43. aurait du mal tout à la fois à tenir ses promesses
  44. de baisse des déficits publics – et donc de baisse
  45. des dépenses publiques – et à réduire les impôts.
  46. Dans un élan initial, le premier ministre Édouard
  47. Philippe a donc tenté un « coup » politique, celui de
  48. l’héritage. Sans doute était-ce assez périlleux, puisque
  49. c’était mettre en cause l’impéritie du précédent
  50. gouvernement, dont faisait encore partie il y a moins
  51. d’un an un certain… Emmanuel Macron.
  52.  
  53. Mais en fin de compte, c’est ce premier « cadrage »
  54. politique qui a été retenu : accréditer auprès de
  55. l’opinion l’idée que la gestion économique de l’équipe
  56. précédente avait été irresponsable et que le nouveau
  57. gouvernement se trouvait donc confronté à une priorité
  58. absolue, celle de réduire la dépense publique, de 7 à
  59. 8 milliards d’euros dès 2017 et sans doute de quelque
  60. 20 milliards d’euros en 2018. Édouard Philippe a
  61. ainsi tenu cette première partition : pour respecter les
  62. engagements de la France vis-à-vis de Bruxelles en
  63. matière de réduction des déficits publics, la baisse de
  64. la dépense publique passe avant toute autre priorité ;
  65. il n’y a donc d’autre choix que de repousser à 2018,
  66. sinon 2019, des promesses comme le démantèlement
  67. partiel de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou
  68. de la taxe d’habitation…
  69.  
  70. Mais cette hiérarchisation des priorités a eu un effet
  71. qu’Emmanuel Macron a sans doute très mal anticipé :
  72. elle a déclenché un mouvement de protestation dans
  73. les milieux d’affaires, qui constituent ses premiers
  74. soutiens.
  75.  
  76. De cette contestation, il existe de nombreux signes.
  77. Dans L’Opinion, un quotidien qui sans complexe
  78. se présente comme « pro-business » et qui
  79. avait vivement applaudi la victoire présidentielle
  80. d’Emmanuel Macron, son directeur Nicolas Beytout
  81. fait dès le 6 juillet un édito rageur pour s’indigner
  82. des tergiversations du nouveau locataire de l’Élysée.
  83. « Impôt : comme un air de déjà-vu », lit-on en
  84. titre. Et la suite n’est guère plus aimable : « Ce
  85. fut un des axes de conquête d’Emmanuel Macron :
  86. bousculer les habitudes, refuser de se soumettre au
  87. cursus politique traditionnel, ne rien faire comme les
  88. autres prétendants au pouvoir. Ce fut aussi un des
  89. secrets du succès de ses premières semaines de chef de
  90. l’État : agir à l’inverse des anciens hôtes de l’Élysée,
  91. apprendre de leurs erreurs, celles qui, en quelques
  92. semaines ou quelques mois, avaient empêché leur
  93. action (…). Quelle surprise, donc, de voir la facilité
  94. avec laquelle le gouvernement est retombé dans les
  95. travers classiques de ses prédécesseurs : faire croire
  96. qu’il découvre l’état réel du pays (il lui aurait suffi
  97. d’écouter ce que disait l’opposition Les Républicains
  98. de la gestion Hollande). ( …) Ces facilités n’ont jamais
  99. donné les résultats escomptés. Elles ont au contraire
  100. contribué à miner la confiance des électeurs dans
  101. les promesses des candidats et à donner le sentiment
  102. que les gouvernements, une fois parvenus au pouvoir,
  103. étaient tous incapables de repousser la fatalité de
  104. la demi-mesure. Au prix de l’inefficacité. Au prix du
  105. retard français. » L’analyse acide d’un pro-Macron
  106. qui découvre tardivement que son idole est moins
  107. allant qu’il ne l’espérait.
  108.  
  109. Le même jour, le quotidien Libération publie un
  110. entretien de l’économiste libéral débridé Gaspard
  111. Koenig, qui fulmine lui aussi contre Emmanuel
  112. Macron en des termes qui auraient été impensables
  113. voici quelques semaines : « La ligne PhilippeLe
  114. Maire, c’est cette droite pâteuse qui n’a jamais
  115. rien fait, qui bloque tout et n’ose rien ; le retour
  116. du chiraquisme allié aux technos de Bercy »… « Le
  117. retour du chiraquisme », ces mots-là ont dû siffler aux
  118. oreilles d’Emmanuel Macron, qui fait tout pour donner
  119. de lui l’image strictement opposée…
  120. Le méchant sobriquet de « président des
  121. riches »
  122.  
  123. Rendant compte des « Rencontres économiques »
  124. d’Aix-en-provence, qui rassemblent chaque année
  125. les grands patrons français et le « Cercle des
  126. économistes » (de la pensée unique néolibérale),
  127. le magazine Challenges fait lui aussi apparaître
  128. le très fort agacement qui commence à se faire
  129. jour dans les milieux d’affaires. « Pour Emmanuel
  130. Macron, l'état de grâce est déjà terminé. Même
  131. auprès d'un public conquis, les grands patrons et
  132. les économistes plutôt libéraux, réunis pour les 17es
  133. Rencontres Économiques d'Aix-en-Provence, du 7
  134. au 9 juillet. En privé ou à la tribune, beaucoup
  135. ont exprimé leurs craintes, voire leur scepticisme
  136. sur la volonté réformatrice du Chef de l'État, qui
  137. avait fait un tabac ici, l'année dernière, en tant que
  138. ministre de l’Économie. Les participants à ce “Davos
  139. Provençal” n'ont pas digéré les annonces d'Édouard
  140. Philippe, le Premier Ministre, sur trois réformes
  141. fiscales importantes, qui ne seront mises en œuvre
  142. qu'en 2019 : la transformation du CICE, un crédit
  143. d'impôts, en baisse pérenne de charges plus simple et
  144. plus visible, la baisse de la fiscalité du capital à 30 %
  145. et le recentrage de l'ISF sur l'immobilier. »
  146.  
  147. Et le magazine évoque plusieurs coups de gueule
  148. entendus au cours de ces rencontres d’Aix. « “La
  149. priorité, c'était de provoquer un choc fiscal pour
  150. stimuler la croissance. Il ne fallait différer ces
  151. réformes”, déplore Philippe Aghion, professeur au
  152. Collège de France, l'un des inspirateurs du projet
  153. macroniste, notamment sur la fiscalité. Et les 30
  154. membres du Cercle des Économistes, organisateur
  155. de ce forum huppé, ont glissé cette critique dans
  156. leur déclaration finale très diplomatique, demandant
  157. de “tenir dès à présent les engagements fiscaux du
  158. président Macron”. Du côté des patrons, certains
  159. ont dénoncé publiquement ce report, comme Marie
  160. Ekeland, cofondatrice du fonds d'investissement
  161. Daphni ; d'autres, en coulisses, ont pointé le
  162. risque que Macron “se laisse emporter par la
  163. technostructure”. Déjà, le 8 juillet, au sein du conseil
  164. de l'AFEP (Association française des entreprises
  165. privées), qui rassemble les grands groupes français,
  166. beaucoup avaient exprimé leur déception. Et deux
  167. jours plus tôt, Pierre Gattaz, le patron du Medef, avait
  168. déploré la version édulcorée du premier bloc de la
  169. réforme sur le code du travail, en limitant l'espace
  170. donné à l'accord d'entreprise par rapport à la branche
  171. et à la loi. »
  172.  
  173. Tout confirme donc que le climat s’est brutalement
  174. dégradé dans le camp des pro-Macron et que les
  175. milieux d’affaires n’ont guère goûté les premiers pas
  176. du nouveau pouvoir. Et ils l’ont fait savoir sans le
  177. moindre ménagement.
  178.  
  179. Dès lors, brutal changement de cap. Selon de
  180. nombreuses sources, Emmanuel Macron a décidé
  181. dimanche en fin de journée de modifier radicalement
  182. le « cadrage » de la politique économique et sociale
  183. qu’il avait préalablement choisi, en ne repoussant plus
  184. à 2019 la réforme de l’ISF et l’allègement de la taxe
  185. d’habitation, mais en retenant leur mise en œuvre
  186. dès l’année prochaine. Ici est précisément le piège.
  187. Car Emmanuel Macron va du même coup prendre un
  188. double risque. Un risque politique et social en menant
  189. simultanément des réformes hautement sensibles ; et
  190. puis un risque économique, parce que la mise en
  191. œuvre de toutes ces promesses sera bien difficile
  192. budgétairement à honorer.
  193.  
  194. Le premier risque se décrypte sans grande difficulté.
  195. Ainsi donc, le jour même où l’Assemblée nationale
  196. engage l’examen du projet de loi d’habilitation des
  197. ordonnances, pour démanteler à la hussarde le code du
  198. travail, le gouvernement annonce aussi son intention
  199. d’engager dans le même temps le démantèlement de
  200. l’ISF. Or, ce télescopage des deux réformes risque de
  201. faire des ravages dans l’opinion.
  202.  
  203. Emmanuel Macron a, certes, cherché de longue date
  204. à répondre par avance aux critiques que pourrait
  205. soulever sa réforme de l’ISF, en faisant valoir qu’un
  206. recentrage de l’assiette de l’impôt sur les seuls
  207. actifs immobiliers avait pour ambition de stimuler
  208. l’attractivité de l’économie française. Mais il n’est pas
  209. certain que beaucoup de Français soient sensibles à
  210. l’argument. Non sans raison, car les actifs financiers
  211. ne seront alors plus assujettis à l’ISF, ceux-là mêmes
  212. qui constituent l’essentiel des actifs des plus grandes
  213. fortunes. En clair, ce sera, quoi qu’en dise le nouveau
  214. pouvoir, un immense cadeau de près de 3 milliards
  215. d’euros offert aux plus hauts revenus et même aux
  216. milliardaires. Un cadeau que ni Nicolas Sarkozy,
  217. ni François Hollande n’avaient osé leur offrir. En
  218. quelque sorte, Emmanuel Macron risque à son tour
  219. d’être affublé du méchant sobriquet qui avait fait tant
  220. de mal à ses deux prédécesseurs, celui de « président
  221. des riches ».
  222.  
  223. L’actualité va donc offrir ce télescopage ravageur :
  224. au moment précis où le gouvernement lance la
  225. réforme du code du travail, qui risque d’accroître la
  226. flexibilité et la précarité du travail, il offre par ailleurs
  227. aux plus grandes fortunes un cadeau formidable.
  228. L’intransigeance pour les uns ; la bienveillance pour
  229. les autres : ce gouvernement fait donc le choix risqué
  230. de prendre un cap économique très contestable, celui
  231. de l’égoïsme social. « Le capital noie toutes choses
  232. dans les eaux glacées du calcul égoïste », disait
  233. Marx…
  234.  
  235. Signe très révélateur de cette accélération que
  236. l’Élysée a visiblement décidée, le gouvernement a
  237. aussi présenté au cours de ce même week-end aux
  238. partenaires sociaux sa réforme du compte pénibilité,
  239. tant voulue par le Medef, et que François Hollande
  240. avait présentée comme la contrepartie à la dernière
  241. réforme des retraites.
  242.  
  243. En bref, le gouvernement presse le pas et annonce
  244. sans la moindre précaution une cascade de réformes,
  245. très généreuses pour les plus hauts revenus et très
  246. menaçantes pour le monde salarié. Autrement dit, pour
  247. ne plus s’exposer à la critique de marcher sur les
  248. brisées de Jacques Chirac, il prend le risque de prendre
  249. pour exemple la méthode d’Alain Juppé de l’automne
  250. 1995, lequel avait annoncé une ribambelle de réformes
  251. aussi sensibles les unes que les autres. Ce qui, on s’en
  252. souvient, ne lui avait pas vraiment réussi.
  253.  
  254. L'insoluble équation budgétaire
  255. Quant au risque économique de cette nouvelle
  256. stratégie, il n'est pas moins sensible. Car les factures
  257. vont s'accumuler. Édouard Philippe a ainsi annoncé
  258. samedi, avant l'arbitrage de dimanche d'Emmanuel
  259. Macron, une baisse d’impôts « d’environ » 7
  260. milliards d’euros dès 2018. Des promesses qui sont
  261. en réalité la reprise des engagements du précédent
  262. exécutif, comme le souligne le journal Les Échos :
  263. augmentation du taux de crédit d'impôt CICE ainsi
  264. que son élargissement aux associations (4,5 milliards
  265. d’euros), baisse du taux de l’impôt sur les sociétés à
  266. 28 % (1 milliard d’euros) et extension aux personnes
  267. retraitées non imposables du crédit d’impôt sur les
  268. services à la personne (1,1 milliard d’euros). A priori,
  269. donc, rien de nouveau. Mais en réalité, le maintien de
  270. ces promesses était tout sauf évident compte tenu de la
  271. très difficile équation budgétaire pour l’an prochain.
  272.  
  273. En effet, réduire le déficit public à 3 % du PIB en 2017
  274. ne suffira pas. Le pacte de stabilité européen exige
  275. en effet une baisse du déficit public structurel (hors
  276. effet de conjoncture) de 0,5 point de PIB l’an prochain.
  277. Le respect du pacte budgétaire passe également par
  278. cette réduction. Or, ce sera une tâche ardue puisqu’on
  279. ne pourra pas, ici, compter sur un effet de croissance.
  280. Édouard Philippe avait déjà admis cette contrainte en
  281. annonçant lors de son discours de politique générale
  282. le 4 juillet un gel en volume (hors inflation) des
  283. dépenses publiques. Cet engagement représentait déjà
  284. une inflexion très dure par rapport aux politiques
  285. envisagées par le précédent gouvernement, qui avait
  286. promis de maintenir le rythme moyen de croissance
  287. des dépenses publiques en volume, soit 0,9 % par an.
  288.  
  289. On estime à 15-20 milliards d’euros l’effort nécessaire
  290. sur les dépenses. C’est dire si, face à cette lourde
  291. tâche, il eût été envisageable de revenir sur certains
  292. engagements passés de baisses d’impôts qui n’étaient
  293. pas explicitement revendiqués par le nouvel exécutif.
  294.  
  295. Accepter ces engagements exerçait donc déjà une
  296. pression importante sur les dépenses. Mais l’arbitrage
  297. de l’Élysée complique encore plus la donne. La
  298. réforme de l’ISF conduit à sortir l’ensemble des
  299. valeurs mobilières de l’assiette de l’impôt et à
  300. le transformer en un « impôt sur la fortune
  301. immobilière » (IFI). Cette mesure doit donc coûter
  302. 3 milliards d’euros, dans la mesure où l’on
  303. parvient à éviter le contournement par les sociétés
  304. civiles immobilières de la transformation des valeurs
  305. immobilières en valeurs mobilières. Parallèlement,
  306. le gouvernement a donc aussi décidé d’engager une
  307. première phase de la suppression partielle de la taxe
  308. d’habitation, qui devrait également coûter 6 milliards
  309. d’euros. En tout, donc, une réduction d’impôts de
  310. près de 13 milliards d’euros – soit les 7 milliards
  311. annoncés par le premier ministre, auxquels s'ajoutent
  312. les 6 milliards découlant de l'arbitrage d'Emmanuel
  313. Macron. Ce qui laisse donc l’Élysée face à un choix
  314. budgétaire difficile pour 2018. Un choix qui va, en
  315. grande partie, déterminer la politique économique du
  316. quinquennat.
  317.  
  318. Première option : Emmanuel Macron peut confirmer
  319. son attachement à ses engagements européens. Cette
  320. question du déficit n’est pas réellement, comme le
  321. prétendent les membres du gouvernement depuis
  322. une semaine, une question de « souveraineté »
  323. et de « maîtrise de la dette ». C’est d’abord
  324. un élément central de la stratégie européenne du
  325. président de la République. Pour convaincre Angela
  326. Merkel d’avancer sur la réforme de la zone euro,
  327. Emmanuel Macron doit prouver que mutualiser des
  328. risques avec la France ne représente aucun danger
  329. pour le contribuable allemand. La chancelière lui a
  330. d’ailleurs donné un feu vert sous condition à cette
  331. réforme. Et la condition, c’est à la fois la réforme
  332. du code du travail et la consolidation budgétaire.
  333. Si cette consolidation échoue en 2018, année que
  334. le gouvernement devra budgétairement assumer seul,
  335. sans avancer le prétexte de « l’héritage Hollande »,
  336. l’Allemagne pourra rejeter toute réforme de la zone
  337. euro sous prétexte du « laxisme français ». Emmanuel
  338. Macron se retrouverait alors dans la position de
  339. François Hollande après 2012 et son ambition
  340. européenne serait terminée.
  341.  
  342. C’est pour cette raison que la consolidation budgétaire
  343. a été placée en position prioritaire, avec la « loi travail
  344. saison 2 » actuellement en discussion. Mais maintenir
  345. cette priorité tout en baissant les impôts supposera
  346. une politique de coupes massives dans les dépenses.
  347. Le calcul n’est pas simple à réaliser, mais puisque
  348. l’objectif sera structurel, on peut estimer qu’il faudra
  349. aller vers un recul en volume des dépenses et trouver
  350. entre 25 et 30 milliards d’euros d’économies, soit
  351. jusqu’à 1,5 point de PIB en un an. La France entrera
  352. alors dans une logique franchement austéritaire.
  353. Ce sera l’adoption d’une politique économique qui
  354. rappellera celle de Margaret Thatcher au Royaume-Uni
  355. dans les années 1980 où, pour financer les
  356. cadeaux fiscaux aux plus riches et aux entreprises,
  357. on a déconstruit les services publics. Car il ne sera
  358. pas possible alors d’éviter une remise en cause du
  359. modèle social français et des transferts sociaux. Les
  360. plus fragiles paieront donc le financement des cadeaux
  361. fiscaux aux plus fortunés et aux entreprises.
  362.  
  363. Cette logique est l’essence même de la politique
  364. néolibérale. L’impact sur la croissance sera forcément
  365. négatif, car les baisses d’impôt sont concentrées sur
  366. ceux qui les utilisent le plus pour l’épargne, non pour
  367. la consommation. Or, comme l’État sera mis au régime
  368. sec et que la flexibilité du marché du travail sera
  369. renforcée, l’incitation à l’épargne sera encore plus
  370. forte. Quant aux entreprises, on sait que les pays qui
  371. ont baissé le plus la fiscalité, comme le Royaume-Uni,
  372. sont aussi ceux qui souffrent le plus de la baisse
  373. de l’investissement productif et de la productivité. Ces
  374. cadeaux fiscaux ont été surtout utilisés pour rémunérer
  375. dirigeants et actionnaires, ainsi que pour réaliser des
  376. achats immobiliers spéculatifs. Du reste, en renforçant
  377. les inégalités, on affaiblit le potentiel de croissance,
  378. comme de nombreuses études l’ont désormais montré.
  379. Bref, ce choix ferait entrer le pays en terrain glissant.
  380. Il a cependant été revendiqué par le ministre de
  381. l’économie et des finances, Bruno Le Maire, qui,
  382. samedi sur BFM TV s’est dit « convaincu qu’on peut
  383. à la fois baisser les dépenses publiques et baisser les
  384. impôts ». Et de conclure : « Je pense qu’on peut faire
  385. les deux en même temps. »
  386.  
  387. Cette logique du « en même temps » chère au président
  388. de la République l’emportera-t-elle ? L’alternative
  389. serait de privilégier la croissance en limitant la
  390. consolidation budgétaire et en favorisant l’effet de
  391. relance des baisses d’impôts. Elle compterait sur une
  392. consolidation future plus rapide grâce à l’impact sur
  393. la croissance de ces mesures et passerait donc par
  394. une forme de renonciation à la baisse rapide du
  395. déficit structurel et peut-être même du déficit global.
  396. Cette voie est privilégiée par les milieux d’affaires
  397. français qui pâtiraient aussi, quoi qu’ils en disent,
  398. de l’austérité. Mais elle n’est pas non plus assurée
  399. en termes de croissance. Les 3 milliards d’euros
  400. d’exonération de l’ISF sur les valeurs mobilières
  401. favoriseront davantage les marchés financiers que
  402. l’économie réelle (le lien entre les deux est de plus en
  403. plus ténu). La baisse de la taxe d’habitation viendra
  404. compenser la hausse de la CSG pour les retraités.
  405. Plus globalement, l’impact macroéconomique sur la
  406. croissance des baisses d’impôts sur les plus riches
  407. et les entreprises demeure contesté. Mais la politique
  408. serait nécessairement moins violente. Le problème,
  409. c’est, comme on l’a vu, que le président de la
  410. République devra assumer la « pause » dans la
  411. consolidation budgétaire et faire adopter sa stratégie
  412. à ses partenaires européens, à commencer par Angela
  413. Merkel.
  414.  
  415. En fait, la principale inconnue de l’équation budgétaire
  416. de Paris réside dans la réaction de Berlin. La
  417. chancelière allemande se contentera-t-elle de la
  418. réforme du code du travail et de promesses de
  419. croissance future pour engager une réforme de la zone
  420. euro comme le veut Emmanuel Macron ou exigera t-elle
  421. aussi de la France le respect des engagements
  422. européens ? Les équilibres internes aux conservateurs
  423. allemands et la future coalition allemande après les
  424. élections du 24 septembre détermineront la réponse
  425. à cette question. Mais le président de la République
  426. devra choisir sa voie auparavant. Ce choix sera le vrai
  427. déterminant de la politique économique française de
  428. ces cinq prochaines années.
  429.  
  430. C'est dire qu'Emmanuel Macron est pris en étau, entre
  431. ses ambitions européennes et la pression des milieux
  432. d'affaires dont il fait si grand cas.
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