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- L'école, le lieu de tous les dangers pour les jeunes juifs
- Par Nathan Tacchi
- Le Point.fr, no. 202406, dimanche 23 juin 2024
- L'ENQUÊTE DU DIMANCHE. Depuis les massacres du 7 octobre, les lycéens et les collégiens de confession juive sont en première ligne face à l'explosion de l'antisémitisme.
- Scolarisé en classe de terminale dans un lycée public de la région parisienne, Joshua* est confronté depuis déjà plusieurs années à la recrudescence de l'antisémitisme . « Quand je suis arrivé en seconde dans mon lycée, il y avait déjà à l'époque plein de croix gammées dessinées sur les murs », se souvient-il. Mais depuis les attaques terroristes du Hamas contre Israël le 7 octobre, le climat s'est envenimé au sein de son lycée. « Au mois de février, j'ai eu une altercation avec un camarade de classe. Assis au dernier rang, j'étais en train de rigoler avec quelques amis quand, soudainement, un jeune homme s'est retourné et m'a déclaré : "Il veut quoi le sale juif ?" »
- Les mois ont passé et, jeudi 30 mai, Joshua a intercepté une conversation alarmante. « Avec deux amis, nous avons entendu à la pause de dix heures des bribes de phrases venant d'un autre groupe. Et je l'assure, les mots clés prononcés étaient : "'vengeance", "palestiniens", "planter", "groupe" et "juifs". » L'auteur de ces menaces serait le même jeune homme à l'avoir insulté en février. « Très vite, nous avons fait le rapprochement entre ses paroles et notre groupe : nous sommes les seuls juifs du lycée. »
- L'école, le premier lieu d'exposition à l'antisémitisme
- Joshua et ses amis ont quitté le lycée, craignant une action violente à leur encontre. Immédiatement, la mère du lycéen l'a emmené porter plainte contre ce jeune homme. « En tant que membre de la communauté juive, on ne se sent ni en sécurité ni protégé », se désole-t-elle. Une semaine a passé depuis ces menaces. Aujourd'hui, Joshua évite au maximum de se rendre en cours et vit avec la boule au ventre. « Je ne sors presque plus de chez moi... Hier, je suis retourné au lycée pour une épreuve du bac , et quand j'ai vu le regard de cet élève, j'ai su qu'il me voulait du mal », souffle-t-il.
- Ces témoignages se multiplient depuis plusieurs mois. De façon constante depuis 2019, l'école constitue le premier lieu d'exposition à l'antisémitisme, apprend-on dans une vaste enquête réalisée par l'Ifop pour l'American Jewish Committee (AJC) , en partenariat avec la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol), publiée en mai. En 2023, 62 % des victimes d'actes antisémites ont subi au moins une fois des injures, des menaces ou des violences physiques dans l'enceinte d'un établissement scolaire. De surcroît, 42 % ont été victimes d'actes répétés. « Des chiffres en augmentation », souligne Simone Rodan-Benzaquen, directrice de l'AJC Europe et coautrice de l'étude.
- « On ne savait pas ce qu'ils mijotaient. Elle n'était plus en sécurité... »
- Mais ça, c'était avant les massacres du 7 octobre et l' explosion de l'antisémitisme . Selon les données du Service de protection de la communauté juive (SPCJ), les actes antisémites dans le cadre scolaire sont en très nette hausse : de janvier à septembre 2023, entre 0 et 14 faits étaient recensés chaque mois, avant de bondir à 60 en octobre et à 66 en novembre. « Des chiffres très inquiétants, d'autant que les jeunes ont une tolérance beaucoup plus élevée que la moyenne à la violence antisémite », estime Simone Rodan-Benzaquen.
- Rose*, élève de terminale dans un lycée public du Val-de-Marne, y a elle aussi été confrontée. Au détour d'un travail à réaliser en ligne avec des contributions anonymes, des messages aux relents antisémites ont circulé au sein de sa classe : des menaces d'actions violentes envers « des porteurs de kippa » dans une synagogue, notamment. « J'étais bouleversée... » explique la lycéenne. Puis, au cours des vacances de la Toussaint, l'élève a été expulsée, sans raison apparente, de son groupe de classe. « On a commencé à s'inquiéter. On ne savait pas ce qu'ils mijotaient. Elle n'était définitivement plus en sécurité », explique la mère de Rose.
- Après réflexion, ses parents décident de la retirer de son lycée de secteur pour l'inscrire dans un établissement privé juif, à une heure et quart de leur domicile. Aujourd'hui, elle se sent de nouveau en sécurité grâce à la présence d'agents de sécurité au sein de son établissement. Mais Rose croise encore parfois dans son quartier d'anciens camarades de classe. « À chaque fois, j'en ai des sueurs froides, mais je suis aussi très en colère contre eux, pour tout ce qui a pu se passer », glisse-t-elle.
- Ce climat d'angoisse dans lequel vivent Rose, Joshua et leurs parents touche une immense partie de la communauté juive. D'après les chiffres du service de protection de la communauté juive (SPCJ) et le ministère de l'Intérieur, 1676 actes antisémites ont été recensés en 2023, dont près de 60 % d'entre eux portaient atteinte à des personnes, le plus souvent sous la forme de gestes et propos menaçants. Et après le 7 octobre, le nombre d'actes antisémites a bondi de plus de 1000%.
- Un des symptômes les plus visibles de l'antisémitisme en France
- « Depuis les attaques du 7 octobre, je vis assez mal la situation », raconte Liam, 15 ans, élève de seconde dans un lycée parisien. De confession juive, il a lui aussi été confronté à l'antisémitisme grimpant ces derniers mois. « On a par exemple retrouvé dans mon lycée des nombreuses croix gammées, qui n'étaient pas là avant le 7 octobre. » Le symbole de l'Allemagne nazie a été tagué dans d'autres établissements, comme au lycée Simone-Veil à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), avec la mention « à finir » accolée.
- Liam se souvient aussi avec grande émotion des récits de certains camarades qu'il avait rencontrés lors d'une conférence organisée par l'Union des étudiants juifs de France (UEJF). « J'ai été vraiment choqué des témoignages que j'ai entendus. Certains racontaient des choses horribles, qu'ils étaient insultés de sales juifs, qu'ils étaient exclus de la vie de groupe parce que juif... »
- « L'école est dépassée »
- « L'école, qui était auparavant un sanctuaire protégé de l'antisémitisme, est aujourd'hui un lieu où s'exerce une violence symbolique ou physique sur des générations qui n'ont jamais été pas préparées à cette haine. Des parents d'élèves de CE1 me racontaient récemment les insultes antisémites dont leurs enfants étaient les cibles », explique le président du Crif, Yonathan Arfi.
- Samuel Lejoyeux, président de l'UEJF, qui a constaté la montée de l'antisémitisme dans les universités, alerte aussi : « Aujourd'hui, on constate deux phénomènes à l'égard des élèves juifs dans les collèges et les lycées : premièrement, un phénomène de méfiance et d'ostracisation, puis deuxièmement une hausse des cas d'antisémitisme à un degré élevé, tels des cas de harcèlements ou des violences. Cette hausse de l'antisémitisme dans les lycées s'est notamment faite à l'arrivée du mouvement propalestinien dans le second degré. »
- Comme le confirme Yonathan Arfi, cette explosion de violence est grandement dictée par une haine d'Israël. « La désignation des sionistes à la vindicte populaire est devenue un cri de ralliement. Cet effet de meute vise à stigmatiser Israël, puis les sionistes et donc très vite les juifs. Bien sûr, quand l'école est alertée, elle peut protéger. Mais dans de nombreuses situations, aujourd'hui, malheureusement, l'école est dépassée face à ces phénomènes. »
- « C'est l'école pour tous, sauf pour certains »
- Selon l'Observatoire du fonds social juif unifié (FSJU), un tiers des enfants juifs sont scolarisés dans des établissements publics, un tiers dans des établissements privés sous contrat, laïques ou catholiques, et un dernier tiers en écoles juives. Or, d'après la dernière « radiographie de l'antisémitisme en France » faite par l'Ifop pour l'AJC, en partenariat avec la Fondapol, à l'instar des parents de Rose, 69 % des familles juives font le choix de scolariser leurs enfants dans le privé, notamment pour des raisons de sécurité.
- « Que l'école publique, un pilier de la République, ne puisse plus protéger une partie de la population est en réalité un symbole de sa faillite totale. Il faut s'interroger collectivement de ces faits », lance Simone Rodan-Benzaquen. « C'est l'école pour tous, sauf pour certains », glisse doucement la mère de Rose.
- Le Conseil représentatif des institutions juives de France interpelle les pouvoirs publics. « Si l'on veut combattre ce phénomène, il faut notamment que l'école prenne à bras-le-corps la question de l'antisémitisme contemporain, celui qui se nourrit de la haine d'Israël, de l'islamisme et du complotisme sur les réseaux sociaux. Si l'école ne regarde cette problématique qu'à travers le prisme historique de l'antisémitisme chrétien et nazi, elle ne prépare pas assez les enfants à l'antisémitisme d'aujourd'hui, qui va essayer de les "séduire", notamment sur les réseaux sociaux », explique Yonathan Arfi.
- Aujourd'hui, un problème subsiste aux yeux des experts interrogés : le manque de statistiques exhaustives sur l'antisémitisme à l'école. L'Éducation nationale ne recense pas les actes de violence contre les élèves de la communauté juive. « Ainsi, nous manquons cruellement de lisibilité sur ce phénomène. Nous demandons donc la mise en place de communications nationales régulières et claires sur le nombre d'actes d'antisémitisme à l'école », exhorte Yonathan Arfi. D'autant que, comme le rappelle la radiographie de l'antisémitisme, peu de victimes portent plainte ou signalent ces actes antisémites. Il se pourrait donc bien que les faits évoqués ne soient que la partie émergée de l'iceberg.
- * À la demande des intéressés, les prénoms ont été modifiés.
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