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Ronan Farrow : « Ce qui se passe autour de Roman Polanski et

Nov 18th, 2019
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  1. Dans son livre « Les faire taire », le journaliste américain retrace l’enquête qui a contribué à la chute du producteur hollywoodien Harvey Weinstein et au lancement du mouvement #metoo. Rencontre.
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  3. Propos recueillis par Annick Cojean Publié aujourd’hui à 05h36, mis à jour à 07h19
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  5. Le journaliste Ronan Farrow, 31 ans, fils de l’actrice Mia Farrow et du réalisateur Woody Allen, publie un livre – Les faire taire (Calmann Levy, 446 pages, 21,90 euros) – dans lequel il retrace la minutieuse enquête qui lui a valu le Prix Pulitzer en 2018 et qui a contribué à la chute du producteur hollywoodien Harvey Weinstein et au lancement du mouvement #metoo. Un « making of » aux allures de thriller qui montre la puissance des réseaux de Weinstein, décrit comme un dangereux prédateur sexuel, pour museler victimes et médias.
  6. Qu’est-ce qui vous a amené à enquêter sur les violences sexuelles à Hollywood et surtout à considérer qu’il s’agissait d’un sujet particulièrement important ?
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  8. Mon histoire personnelle a certainement développé ma compréhension profonde de la gravité d’un sujet auquel ma sœur Dylan a été exposée très jeune, au cœur même de notre famille [Depuis 1993, Dylan Farrow accuse Woody Allen de l’avoir agressée sexuellement lorsqu’elle avait 7 ans].
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  10. Mais il est important de souligner que je l’ai abordé comme les autres enquêtes difficiles que j’avais faites auparavant. Aucune différence de méthode d’investigation, malgré la spécificité des traumatismes endurés par mes sources. Même rigueur, même souci d’équité que pour des sujets aussi épineux que l’argent sale de la politique, ou n’importe quel autre sujet aux enjeux très lourds.
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  12. Je le précise parce qu’il me semble que dans nos deux pays, la violence sexuelle a longtemps été considérée comme un phénomène très spécial et enfermé dans la simple opposition de deux déclaratifs, parole contre parole. Sur ce point, ma formation d’avocat prévaut. Il s’agit d’un crime violent grave qui doit être traité comme n’importe quel autre crime violent grave.
  13. Comment l’affaire a-t-elle commencé ?
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  15. Je travaillais sur une série d’enquêtes concernant Hollywood, notamment le système de « promotion canapé », et j’avais commencé à m’entretenir avec quelques actrices soumises à ce type de pression pour décrocher un job. C’est alors qu’un patron m’a suggéré de m’intéresser aux tweets d’une actrice, Rose McGowan, évoquant un directeur de studio. J’ai rapidement découvert qu’il s’agissait d’Harvey Weinstein.
  16. Lire aussi Affaire Weinstein : Rose McGowan attaque le producteur en justice pour avoir tenté de la faire taire
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  18. Et ce nom, dès lors, n’a plus cessé d’apparaître dans mes entretiens avec une multitude de femmes. J’ai mis la main sur un enregistrement réalisé dans le cadre d’une enquête de police et dans lequel Weinstein avouait une agression sexuelle. Il s’agissait là d’un élément de preuve extraordinaire. Le sujet admettait non seulement un crime, et même une série de crimes puisqu’il disait : « Je fais souvent ça. »
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  20. Donc, très tôt, j’ai été convaincu de l’impératif moral de sortir cette affaire afin de protéger d’autres femmes qui pourraient être exposées à ce type de prédation. Ce fut d’ailleurs la motivation principale de toutes les femmes qui ont eu le courage de parler.
  21. Comment expliquez-vous que, très vite, vos patrons du puissant réseau NBC aient tenté de freiner votre enquête avant de vous ordonner de l’arrêter ?
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  23. D’abord, il ne faut pas sous-estimer un contexte de misogynie ordinaire dans lequel on n’écoute pas les femmes, on les croit encore moins, et on se fiche éperdument de ce qu’elles vivent. Et aussi la prévalence d’un statu quo, fait d’opportunisme et de lâcheté, qui prévaut dans la plupart des secteurs, et qui consiste à regarder ailleurs dès qu’une personne puissante commence à faire pression sur vous, à fermer les yeux sur toute critique la concernant. Il se trouve que dans le cas de Weinstein, nombre de décideurs dans le domaine de l’information avaient aussi des raisons personnelles de ne pas vouloir contrarier un des personnages les plus puissants d’Hollywood.
  24. Jusqu’à passer l’enquête à la trappe malgré les preuves accablantes que vous aviez accumulées ?
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  26. Oui. Et mon livre démêle la question du pourquoi. Sans entrer dans les détails, je dirais qu’il y a eu moult contacts secrets entre Weinstein et les responsables de NBC dans lesquels s’entremêlaient séduction et menaces, jusqu’à l’engagement d’enterrer carrément le dossier. J’apprendrai plus tard que le réseau pour lequel je travaillais cachait lui-même de sombres secrets, recourait à des contrats similaires à ceux de Weinstein pour faire taire des femmes employées dans la société, et tentait de protéger la carrière d’une poignée de stars et de gens puissants en interne. Cette similitude de mœurs entre le sujet de mon enquête et les dirigeants de mon média a contribué à créer une culture d’obstruction à la vérité.
  27. Une complicité des puissants qui ressemble à une conspiration. Est-ce le bon mot ?
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  29. Oui, c’est une conspiration : des gens – ici, des hommes puissants avec des secrets honteux et des patrons de presse – unissent leurs forces pour œuvrer à quelque chose d’illicite. Mon livre explore cette manipulation des médias par Harvey Weinstein mais aussi par Donald Trump, lequel, je le démontre, a également réussi à enterrer des informations le concernant pendant les dernières élections.
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  31. Vous voyez l’ampleur des enjeux ? D’abord, pour les femmes, qui restent ainsi exposées à toutes sortes de dangers parce que des hommes puissants restent au pouvoir, même lorsqu’il existe des plaintes contre eux. Puis, pour le futur de nos démocraties puisque les riches et les puissants, dotés de réseaux tentaculaires, peuvent museler la presse, étouffer les grandes affaires et enterrer la vérité. Enfin, pour les journalistes eux-mêmes, car aucun d’entre nous ne devrait être soumis aux pressions dingues que j’évoque dans le livre.
  32. Pouvez-vous détailler les difficultés rencontrées dans votre travail d’enquête ?
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  34. J’ai été exposé à une panoplie de tactiques exotiques et extrêmes qu’utilisent les gens riches quand ils veulent désespérément cacher la vérité. Weinstein a même embauché une société israélienne de renseignements appelée Black Cube, qui avait pour mission de déployer agents secrets et sous-traitants pour placer les journalistes et leurs sources sous haute surveillance. Appels étranges, piratages, filatures. Je finissais par devenir parano et regarder constamment derrière mon épaule.
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  36. J’ai d’abord pensé que j’étais fou, tout comme le pensaient mes interlocutrices qui avaient la conviction d’être espionnées. Mais les indices et menaces s’accumulaient. Je voyais et revoyais les mêmes personnes à mes trousses, des gens m’ont conseillé de me munir d’une arme à feu, j’ai dû quitter mon appartement… J’ai fini par découvrir – et dévoiler – l’histoire du réseau d’espions en cause, certains d’entre eux étant même devenus des informateurs, en désaccord éthique avec la mission qu’on leur avait confiée.
  37. Quelle folie ! On dirait un roman noir.
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  39. N’est-ce pas ? Je n’en parle pas par nombrilisme, mais pour mettre en lumière les obstacles qui peuvent se dresser dans notre profession. Et j’imagine la nature de ce qu’ils peuvent être dans des pays comme la Russie, le Pakistan ou tant d’autres nations où aucune loi ne protège les journalistes et où les enquêtes sur les puissants vous conduisent à la mort.
  40. Le sérieux de votre enquête publiée finalement par le « New Yorker » était authentifié par un processus de vérification des faits. Pouvez-vous l’expliquer ?
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  42. L’idée est simple : ne pas faire simplement confiance au journaliste-enquêteur et charger une tierce personne, indépendante, de tout vérifier et de s’assurer que les citations de personnes interviewées dans l’article n’ont pas été le fruit du hasard, mais qu’elles témoignent d’un véritable engagement et peuvent donc être répétées au vérificateur. Mon livre a lui aussi été soumis à ce même processus de vérification par un des « fact-checkers » les plus expérimentés du New Yorker. C’est une merveilleuse tradition qui exige du temps et un énorme travail, mais garantit le sérieux du boulot et vous permet de résister aux menaces d’actions judiciaires.
  43. Plus de 80 femmes ont maintenant témoigné contre Harvey Weinstein. Son procès aura lieu en janvier. Qu’en attendez-vous ?
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  45. J’aimerais être optimiste, mais Harvey Weinstein a toujours été très fort pour manipuler le système judiciaire. Son armée d’avocats continue de travailler avec les mêmes méthodes et les mêmes enquêteurs privés sont chargés de déterrer des informations pouvant salir les policiers travaillant sur l’affaire ou démolir les accusatrices de Weinstein. Il a déjà réussi à faire renvoyer un policier. Il continuera à faire des sales coups jusqu’au bout.
  46. Que pensez-vous de ce qui se passe en France ?
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  48. Je suis ravi de voir que la presse et le public français s’emparent sérieusement de ces questions et ce qui se passe autour de Roman Polanski et d’Adèle Haenel est prometteur.
  49. Diriez-vous « enfin » ?
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  51. C’est en effet le sentiment de plusieurs de mes sources, même si l’une des premières femmes à s’être exprimée sur Weinstein est l’actrice Emma de Caunes, qui a eu le courage de parler et de se soumettre à tout ce processus de vérification des faits. Quant à Polanski, il semble avoir été accusé de façon crédible par plusieurs femmes au fil des années. Et je pense que dans un tel cas où la personne s’est soustraite à sa responsabilité devant la justice, il est tout à fait approprié que des personnages publics – acteurs et producteurs – utilisent leur notoriété pour refuser de le soutenir et de travailler avec lui. C’est une question d’éthique.
  52. Difficile de ne pas vous poser la même question concernant Woody Allen.
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  54. C’est exactement la même situation ! Woody Allen a été accusé d’avoir eu des rapports sexuels avec plusieurs filles mineures. Et j’ai vu personnellement combien ma sœur est affectée par ceux qui choisissent de fermer les yeux et de continuer à travailler avec quelqu’un accusé de façon aussi crédible de crimes sexuels ; et combien elle est au contraire revigorée par ceux qui refusent d’utiliser leur notoriété pour aider – donc être complices – ce genre de comportement.
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