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Jun 26th, 2017
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  1. 3-1
  2.  
  3.  
  4. Claire se tient au bout de la pièce, et me tourne presque le dos ; l'ovale du visage qu'elle me cache pour le moment semble se porter vers la cour de l'établissement, et l'attitude lascive de son être m'incline à penser qu'elle rêve plus qu'elle ne m'écoute. Une fille qui porte une attention flottante vers le dehors quand je lui parle d'amour. Cette affaire me semble assez mal barrée.
  5. « Franchement, les feuilles qui tombent t'empêchent d'en avoir quelque chose à foutre de ce que je te raconte ? »
  6. Elle se retourne lentement vers moi, et ses sourcils se froncent tandis qu'elle pointe un regard dur vers moi, droit comme un piquet sur son divan, les mains jointes, ballantes entre les jambes : et je me prends à regretter sa position initiale.
  7. « Mais non Damien, je t'assure, je suis suspendue à tes lèvres. C'est fabuleux ce que tu racontes. J'aime tellement t'entendre me rabâcher des déclarations accusatives, des envolées lyriques aux arrières-plans puants de doutes. Tu me dis « je t'aime » comme on dirait  « j'accuse » ! T'es le Zola de l'épanchement amoureux, Damien. ».
  8. Elle ne sourcillait même plus, maintenant ; son visage avait la tension d'une hargne animale, avec des yeux grands ouverts, presque révulsés, et sa fine mâchoire crispée. Elle reprit dans un souffle :
  9. « Tu veux que je te dise Damien... »
  10. Je n'avais plus très envie qu'elle me dise, en fait.
  11. « Tu veux que je te dise ? T'es une lopette. T'es un faible. Tu te fais dessus en toute occasion : j'aurai dû m'en douter dès notre rencontre, que t'étais un faible. Sérieusement, qui aborde une fille comme tu l'as fait avec moi ? T'étais tout rouge, tu pleurais la sueur, tu renversais la moitié de ton verre tellement tu tremblais. T'as toujours eu peur de tout, et t'auras sans doute peur jusqu'à ta mort – et de la mort aussi, presque autant que de la vie. Ça fait combien de temps qu'on est ensemble ? »
  12. Je sens bien qu'il s'agit une question rhétorique, mais je profite qu'elle halète pour exister un peu. Je glisse un rapide « Ça fait huit mois... » et ma gorge sèche se noue un peu plus.
  13. « Depuis le début de l'année à peu près, c'est ça. Et en un semestre et demi, t'as eu le temps de croire que t'allais me perdre une douzaine de fois, et toujours avec une personne différente sortie d'une de tes nouvelles obsessions. Le samedi je couchais avec le mec de la cafétéria, le mercredi avec la fille que j'avais rencontrée à la bibliothèque. Marianne, Marianne ! T'as même été jusqu'à me foutre avec Marianne dans le pieu imaginaire que t'as rangé dans ta petite tête, tu te rends compte comme t'es cinglé ? »
  14. Elle marque un temps : un silence d'un poids inédit, un silence qui crie. Et s'avance vers moi, plie les jambes pour planter son visage à hauteur du mien. Je sens sa main sur mon bras se crisper avec force.
  15. « Et si au moins t'avais été un jaloux qui gueule ! »
  16. C'est elle qui gueule, pour le moment
  17. « J'aurai pu prendre ça pour de la virilité ! Le gros macho de base, il paraît que ça peut être excitant ! Mais non, tu cries pas toi : toi, tu parles en mangeant tes mots, les yeux fuyants et les guibolles qui dansent. T'es une lopette je te dis. T'es un faible, un faible ! »
  18. Claire me hurle dessus et je suis tétanisé, pétrifié par l'importance de l'évènement. Je sens que je dois réagir, qu'il s'agit d'un tournant, un de ces moments importants qu'il ne faut pas foirer sous peine de la perdre. Une fois de plus, je ne me sens pas à la hauteur pour gérer une telle situation. J'aurai volontiers réclamé une pause pour aller travailler le cas à tête reposée, me prendre la tête dans une main et, le crayon dans la bouche, travailler les possibilités, les explorer jusqu'à monter le plan parfait. Mais comme le monde est mal fait, ce genre de parenthèse n'est pas autorisé. Je n'ai pas le droit à un délai : alors je me décide à prendre la parole, en sachant d'avance que je vais être minable.
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