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Et Muhammad dans tout ça?

Apr 16th, 2024
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  1. Et Muhammad dans tout ça ?
  2. L'Histoire, no. 472, juin 2020
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  4. Julien Loiseau Professeur à Aix-Marseille Université
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  6. Si Muhammad a bel et bien existé, sa biographie, telle que nous croyons la connaître, est en grande partie légendaire. Quant à son rôle historique dans l'élaboration du Coran, il est bien difficile à établir avec précision.
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  8. Muhammad, le fondateur de l'islam, n'est pas une figure légendaire mais bien un personnage historique : une chronique syriaque de Mésopotamie le mentionne ainsi dès 640, soit quelques années seulement après sa mort en 632, à Médine, d'après la tradition musulmane. Le témoignage de textes contemporains des débuts de l'islam, produits en contexte juif ou chrétien, apporte ainsi une confirmation au récit de la tradition musulmane sur l'existence historique de ce prophète et chef de guerre des Arabes dans la première moitié du VIIe siècle.
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  10. Selon le récit traditionnel, c'est à Muhammad que Dieu a révélé sa parole, en langue arabe, verset après verset, pendant une vingtaine d'années : d'abord à La Mecque, où il subit l'hostilité de ses compatriotes, rétifs à sa prédication annonçant la fin des temps, puis à Médine, où il part en exil (hijra)avec ses compagnons en 622, date qui sera choisie comme point de départ du calendrier de l'hégire. Toujours selon la tradition, après chaque révélation, Muhammad transmet les versets que Dieu a fait « descendre » à ses fidèles, qui les apprennent par coeur et les récitent : le mot quran(Coran) signifie dans ce contexte « récitation ». Il en fait aussi copier certains sur des omoplates de dromadaire, des pierres plates ou du cuir. La mort de Muhammad en l'an 11 de l'hégire, à plus de 60 ans - sa date de naissance n'est pas connue, mais, selon la tradition, il a commencé sa prédication une vingtaine d'années plus tôt, à l'âge de 40 ans -, marque la fin de la Révélation.
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  12. Selon la tradition, pour éviter que la parole de Dieu ne se perde avec la mort de celles et ceux qui l'avaient apprise par coeur, ou que les versions connues ne divergent, les versets sont rapidement collectés et rassemblés en un livre.
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  14. La tradition musulmane sur la révélation et la composition du Coran repose intégralement sur des récits (hadith) rapportant les paroles et les actes de Muhammad et de ses principaux compagnons, ainsi que de ses épouses. Ces traditions ont été agencées en une biographie, la sira ou « vie exemplaire », racontant sa vie de marchand avant l'islam, les débuts de la Révélation, les premiers convertis et, surtout, son action, normative et guerrière, à la tête de la communauté originelle des musulmans. C'est aussi sur la sira que se fonde par exemple le classement chronologique des sourates, selon que leurs versets ont été révélés à La Mecque ou, après l'hégire, à Médine. La tradition est également riche de détails sur les circonstances de la révélation de tel ou tel verset, et en éclaire le sens, souvent obscur ou très allusif. Sans le secours de la sira le Coran est en effet difficilement intelligible.
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  16. Or, depuis les travaux fondateurs des islamologues Gustav Weil (1808-1889) et Ignac Goldziher (1850-1921), la recherche moderne a montré que les récits de la tradition ne sont pas antérieurs, dans le meilleur des cas, à la fin du premier siècle de l'hégire, près d'un siècle après la mort de Muhammad. Cela ne veut pas dire que sa biographie repose entièrement sur du sable : on sait par exemple que le calendrier de l'hégire est employé dans des documents officiels et privés (comme par exemple les graffitis) dès les années 640, une vingtaine d'années seulement après l'hégire en 622, signe que le récit de l'exil à Médine avait marqué les esprits au point d'être retenu comme le début d'une ère nouvelle. Mais tout se passe comme si les traditions (hadith) rapportant les propos et les actions du Prophète avaient été fixées a posteriori pour mieux éclairer le sens du Coran. Muhammad est donc bien un personnage historique, mais sa biographie est une pieuse légende à visée exégétique et apologétique.
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  18. La sira ou « vie exemplaire »
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  20. Aucun autre document que le Coran n'a été conservé qui permette d'éclairer les débuts de la communauté musulmane, à part la charte établie par Muhammad lui-même vers 625, qui fonde l'alliance entre les exilés mecquois et les clans de l'oasis de Médine. En l'absence d'autre source contemporaine de la vie du Prophète, il faut donc se tourner vers le Coran pour essayer d'en savoir davantage sur le Muhammad historique. Ce « retour au Coran » est caractéristique des travaux les plus récents sur Muhammad, qu'ils s'inscrivent dans une démarche de critique textuelle, comme le remarquable Coran des historiens dirigé par Mohammad Ali Amir-Moezzi et Guillaume Dye (Cerf, 2019) ou qu'ils se maintiennent dans le cadre général de la tradition musulmane, comme La Vie de Muhammaddu grand historien tunisien Hichem Djaït (Fayard, 2007-2012).
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  22. Le Coran, cependant, parle très peu de Muhammad. Son nom n'apparaît que quatre fois dans ses 6 236 versets, une cinquième fois sous la forme « Ahmad » dans un verset où Jésus annonce sa venue (Coran, LXI, 6), alors que celui d'Abraham (Ibrahim) apparaît à 69 reprises. En de très nombreux versets, en revanche, Dieu s'adresse sans le nommer à son prophète ou à ceux qui contestent l'authenticité de sa prophétie. A deux reprises, le Coran réfute que la Révélation résulte d'un travail d'écriture préalable effectué par son prophète (Coran, XXVIII, 48) ou par d'autres qui lui dicteraient les versets récités (Coran, XXV, 5). Outre ces considérations relatives à la prophétie, le Coran ne dit pratiquement rien de la vie de Muhammad, à une importante exception près : ses femmes. Les intrigues de son harem (Coran, LXVI, 3-5), l'injonction faite aux femmes et aux filles de son prophète de porter le voile (Coran, XXXIII, 59), enfin l'affaire du mariage de Muhammad avec la femme de son fils adoptif (Coran, XXXIII, 37, cf. p. 55) ont donné lieu à la révélation de versets ad hoc. Il est fort possible, cependant, que ces versets aient été substantiellement modifiés dans le contexte ouvert par sa mort en 632.
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  24. La recherche moderne a en effet remis en question le récit traditionnel de la collecte du Coran et de la fixation précoce de la Vulgate dès le règne d'Uthman (644-656), suggérant que le texte n'a été fixé que sous le règne du calife omeyyade Abd al-Malik (685-705). En un demi-siècle, de nombreuses modifications ont pu être apportées au texte coranique, et notamment la question très sensible de la succession du Prophète (cf. p. 40).Il est donc très probable que la Vulgate du Coran ne reflète pas exactement la prédication de Muhammad. L'une des tâches des « éditeurs » anonymes du Coran a été en outre de distinguer strictement le Coran du hadith, la parole de Dieu rapportée par Muhammad de la parole de Muhammad lui-même. Ainsi, le « verset de la lapidation », dont Umar (634-644) affirmait qu'il avait été révélé par Dieu à Muhammad, est rapporté par la tradition, mais n'a pas été intégré au Coran : le Coran condamne les adultères non à la lapidation, mais à la flagellation (Coran, XXIV, 2). La délicate distinction initiale entre parole de Dieu et parole de Muhammad est illustrée par une formule présente presque à l'identique dans la tradition et dans le Coran (XXXIX, 23) : « Le livre de Dieu est le plus beau des hadiths. »
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  26. Si la biographie du Prophète est donc une élaboration tardive destinée à éclairer la compréhension du Coran et que le Coran lui-même est très peu disert sur la vie de Muhammad, alors la figure historique de Muhammad nous échappe presque entièrement. Reste cependant ce que le Coran peut nous apprendre sur les croyances de Muhammad et de ses contemporains, à condition d'en soumettre l'analyse à une critique rigoureuse. Ainsi « décapé » de considérations postérieures, Muhammad pourrait bien avoir été avant tout un prophète de la fin des temps, appelant à un monothéisme strict au sein d'une société arabe qui avait déjà rompu de longue date avec le polythéisme de ses ancêtres.
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