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Mar 19th, 2019
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  1. « Une série quotidienne, c’est une drogue dure, on vit avec, on dort avec… Là je suis en cure de désintox », sourit Hubert Besson. Le producteur fut des tout débuts de Plus belle la vie en 2004 sur France 3. Quinze ans plus tard, il est aussi l’artisan de Demain nous appartient, son clone sur TF1, créé l’an passé par la même société, Telfrance, désormais rattachée à Newen, elle-même filiale de la chaîne privée. « On est dans une époque où les groupes s’apprêtent aux combats, confie-t-il. Et sur les séries, on vise désormais l’international. »
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  3. Et de fait, France Télévisions n’est pas en reste : « Que TF1 achète Newen fut une déclaration hostile pour les chaînes publiques », explique ainsi Toma de Matteis. Lui aussi a fait ses classes sur la série avant de produire aujourd’hui, pour France 2, un autre clone de Plus belle la vie : Un si grand soleil.
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  5. Même cadre, même grammaire, même sémantique
  6. Plus belle la vie a fait des petits. Même cadre : un hôpital, un café, un commissariat, un collège… Même grammaire : des personnages multiples dont les histoires se croisent dans des intrigues en prise avec le quotidien mais empruntant au thriller. Même sémantique : belle, la vie ; grand, le soleil ; à nous les lendemains qui chantent, recette, depuis son apparition dans l’Amérique des années 1950, du « soap », feuilleton sentimental financé à l’époque par des fabricants de savon.
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  8. Seuls les lieux changent : Marseille sur France 3, Sète sur TF1, Montpellier sur France 2. Et chaque jour, ces trois programmes judicieusement placés l’un derrière l’autre dans les grilles horaires affichent chacun entre 3 et 4 millions de téléspectateurs. Le bonheur.
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  10. « Depuis quatre ans, on voit bien que le moteur d’audience, c’est la fiction française, remarque Sébastien Charbit, qui a remplacé Hubert Besson à la production de Plus belle la vie. Tout le monde dans les chaînes a toujours rêvé d’un rendez-vous fixe. Simplement, avant, on ne savait pas faire. » Plus belle la vie aura servi de centre de formation pour ce qui, jusqu’ici, avait toujours échoué : le feuilleton quotidien à la française.
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  12. « Quelque chose de plus rapide, de plus rocambolesque et moins “soapy” que les feuilletons quotidiens qu’on voit à l’étranger, plaide avec un sourire gourmand Olivier Szulzynger, qui fut sa cheville ouvrière scénaristique avant de créer cette année le feuilleton de France 2. Dans Un si grand soleil, j’ai déjà tué beaucoup de gens. »
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  14. Tournages quotidiens
  15. Au début de l’aventure, il y a trois étudiants de la fac de Censier à Paris. Hubert Besson et Georges Desmouceaux sont en filière cinéma, Olivier Szulzynger en théâtre. Quelques années plus tard, lorsque la direction de France 3 décide de lancer une série quotidienne, Besson fait appel à Desmouceaux. Démarrage difficile. On apprend. On découvre. Avant de faire appel à Szulzynger, qui avait travaillé auparavant avec Desmouceaux à l’écriture de Tramontane (une « saga de l’été », genre qui se rapproche le plus à l’époque en France d’un soap).
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  17. Olivier Szulzynger va devenir la pierre angulaire de cette tribu naissante qui apprend à dompter ces tournages quotidiens, « broyeuse à nourrir » pour reprendre les mots d’Hubert Besson. « Je les ai tous formés », s’amuse en haussant les épaules Olivier Szulzynger à propos des quelque 80 auteurs qui travaillent aujourd’hui aux scénarios et dialogues de ces trois séries concurrentes.
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  19. Dès sa jeunesse, l’homme écrit. Pour le théâtre. Gardien de nuit au musée d’Orsay pour se nourrir. « Son rêve à Olivier, c’est la littérature. Flaubert et Heiner Muller sont ses dieux, témoigne Marie-José Malis, la directrice du Théâtre de la Commune à Aubervilliers dont les mises en scène radicales figurent sans doute à l’opposé de ce que représente Plus belle la vie. Et c’est un redoutable pygmalion. Je lui dois d’avoir fait du théâtre en pro, quand je n’en faisais auparavant qu’en amateur. Il a créé ma compagnie pour qu’on monte ensemble l’un de ses textes – sa première et seule pièce jamais montée. Elle s’appelait Janvier. Inspirée du Misanthrope. Des jeunes qui crisent parce qu’ils doivent “s’intégrer”. Elle était bonne, cette pièce. Très ironique, drôle, antisentimentale, avec une langue qui allait contre le beau parler du théâtre français. Et très déchirante en un sens. »
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  21. « A l’autre bout du spectre »
  22. Tout comme sa compagne, Naïri Nahapétian, auteure de polars et journaliste à Alternatives économiques, Olivier Szulzynger explore à la fois la fiction – laquelle permet, dit-il, de « fouiller le passé. Les traumatismes familiaux qui se transmettent » – et le réel du politique.
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  24. Fils de parents communistes – un kiné, une psy –, il a grandi, à Perpignan, « dans l’idée que le monde allait changer de base. Que la vie ne valait que par l’engagement ». En 2002, alors qu’il a commencé à écrire des scénarios de feuilletons, il s’inscrit chez les Verts et lance la très productive maison d’éditions Les Petits Matins avec Marie-Edith Alouf, journaliste à Politis.
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  26. Le soap made in France, fruit du travail d’un fan de Heiner Muller doublé d’un militant écolo ? « Il y a une dichotomie bien française entre culture populaire et culture savante, constate-t-il. Ainsi, plus une série est proche des codes du cinéma, mieux elle est considérée. De ce point de vue, les feuilletons quotidiens sont à l’autre bout du spectre. Dans les festivals de télévision, ils n’ont jamais aucun prix et ne sont pas indiqués dans les programmes. En même temps, c’est très confortable. Ça m’amuse bien d’être dans cette position presque clandestine, inavouable. »
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  28. Lire l’enquête : Les soaps américains, un genre irremplaçable
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  30. Pour autant, l’homme veille à ne pas mélanger les genres. Chaque fois qu’il a laissé à la télévision le militant prendre le pas sur le scénariste, il l’a regretté : « Une quotidienne n’a pas vocation à être un livre de propagande. En faire une série militante peut rendre les choses très con. J’ai fait des arches [trames de scénario qui couvrent plusieurs épisodes dans le jargon des séries] antiracistes, c’était ce que j’ai fait de pire : le catéchisme donne de mauvaises histoires. » Au point que désormais, avoue-t-il en riant, « dans ce que j’écris, les écolos sont souvent antipathiques. Pour le 30e anniversaire de la marche pour l’égalité et contre le racisme, j’étais très fier parce que le père Christian Delorme est venu jouer son propre rôle. C’était ma jeunesse. Mais c’était contre-productif. »
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  32. Lire le focus : « Plus belle la vie » plus Marseille que jamais
  33. Enjeu d’audience et défi industriel
  34. Le fait est qu’aujourd’hui les séries quotidiennes ne sont plus seulement un enjeu d’audience, mais également un défi industriel en termes de production et commercial en termes de diffusion à l’international.
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  36. Ainsi France Télévisions, qui dépense pour Un si grand soleil entre 120 000 et 160 000 euros par épisode, a signé un partenariat avec la région pour construire à Montpellier 16 000 m² de studio, dont 2 500 m² de plateaux de tournage. « Détenir un feuilleton quotidien donne de la puissance en termes de production », explique Toma de Matteis qui plaide pour un cercle vertueux : ces outils onéreux permettront ensuite de produire d’autres programmes.
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  38. « C’est le miracle de ces feuilletons d’être ultra-fidélisants. Ce sont des programmes qui durent des décennies, dans le monde entier, et qui s’autorenouvellent, constate Vincent Meslet, qui tient aujourd’hui les rênes de Demain nous appartient. Le Plus belle la vie d’après-demain n’aura rien à voir avec celui d’aujourd’hui. Mais pour que le public soit fidèle, il faut qu’il pense qu’on va faire des choses qui soient osées, risquées. »
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  40. Un spectateur non aguerri ne risque-t-il pas de s’emmêler les pinceaux entre les séries et les similitudes étonnantes dans les décors et les intrigues ? « Il n’y a pas 15 000 manières de sortir vingt-six minutes par jour… », plaide Vincent Meslet. « Où est-ce qu’on souffre ? A l’hôpital. Où est-ce qu’on parle ? Au café… Il y a des lieux obligés », justifie Hubert Besson.
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  42. « Nous n’en sommes qu’au début. Chacun a besoin de trouver son identité, fait remarquer Sébastien Charbit. Au Royaume-Uni, ils ont quatre feuilletons quotidiens et plus de cinquante ans d’histoire. Il y a dans les séries quotidiennes un truc sur le temps qui passe, et c’est formidablement émouvant. Dans la série Coronation Street, un acteur est entré à l’âge de 7 ans, il en a aujourd’hui 60 ! »
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  44. Lire le décryptage : L’éternel retour du feuilleton quotidien
  45. Homogénéité de façade
  46. Front commun ? Union sacrée ? Un petit monde d’amour et de félicité qui se moque des guerres de territoires ? En apparence seulement. Si on leur lâche un peu la bride, comme dans tout groupe endogame, l’homogénéité de façade laisse percer les amertumes. « Le titre originel d’Un si grand soleil, c’était Demain tout est possible, glisse Toma de Mattéis. Hubert Besson a choisi Demain nous appartient : un nom qui, en nous dépossédant du nôtre, sonne comme un double pied de nez. »
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  48. Olivier Szulzynger relativise en riant :
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  50. « Ce n’est pas les Bisounours, mais la réalité, c’est qu’on dîne les uns chez les autres. Bien sûr, c’est tendu quand je leur pique des auteurs… Moi, on ne m’en a pas encore piqué. Forcément, comme j’ai formé tout le monde, je suis en haut de la chaîne alimentaire. »
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  52. Lui-même, raconte-t-il pour autant, a bien failli faire Demain nous appartient (qui devait alors s’appeler Le vent se lève) avec Hubert Besson, pour finalement choisir d’aller travailler sur Un plus grand soleil (qui devait donc s’appeler Demain tout est possible), lancé par Laetitia Recayte, autre ancienne de Telfrance, société mère de Plus belle la vie. Entre-temps, Laetitia Recayte a quitté France Télévisions, et son mari, Vincent Meslet, a remplacé Hubert Besson comme producteur de Demain nous appartient. Vous êtes perdus ? Cela s’appelle un soap.
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