Not a member of Pastebin yet?
Sign Up,
it unlocks many cool features!
- Echo Perpétuel
- Chapitre I
- "Ironie de la nature, l'Homme n'est pas immunisé contre son propre venin."
- - Stéphane Mobaert, philosophe.
- Suite à la guerre d'Iran, et au lâcher inévitable de la bombe K sur ce dernier, un
- engrenage fatidique fut mis en mouvement, dont le premier cran fut, ironiquement, le
- moins lourd à supporter.
- La deuxième dent de la roue métaphorique s'engagea le matin du 25 décembre 2017, quand
- la Corée du Nord, n'ayant plus d'autre options pour garantir leur sécurité, envoyèrent
- le "Guerrier Sans Cause" sur les Etats-Unis. Engin de destruction aux propriétés
- nouvelles, le Guerrier carbonisa quasi-instantanément toute vie sur le continent
- Nord-Américain. Deux ondes de choc parcoucurent la planète. Une, physique, causa des
- brûlures légères à des personnes situées un peu partout sur le globe, stoppa net quelques
- pacemakers, et provoqua de nombreuses coupures d'électricité. L'autre, politique, fut la
- création immédiate de l'ASOW: Allied States Of the World, organisation regroupant tous les
- pays de la planète, à l'exception bien entendu de la Corée du Nord, ainsi que de quelques
- autres pays réticents: la côte d'Ivoire, en pleine guerre civile, le Mexique, ou plutôt ce
- qu'il en restait, sans gouvernement ni organisation, la Suisse, fière de sa neutralité, et
- le Nouvel Israël, regroupement de l'ancien Israël et de quelques pays voisins conquis
- durant la Grande Guerre de Palestine en 2015, qui refusait d'avoir à faire à nouveau la
- guerre - car tel était le but de l'ASOW, s'unir pour mieux détruire la Corée du Nord.
- Garantir la paix mondiale par l'intermédiaire de la guerre.
- L'engrenage continuait de tourner, engageant irréversiblement avec lui l'activation d'un
- mécanisme d'auto-destruction. Une dent de plus s'engagea, et une autre, et encore une autre...
- Le 2 janvier 2018, une tentative de coup d'état au Nouvel Israël leur fit changer de point
- de vue et rejoindre l'ASOW. Il fallait se rendre à l'évidence: si la Corée du Nord n'était
- pas détruite au plus vite, qui sait quel continent serait détruit demain? Sous la pression
- de ce nouveau membre, la présidente de la Russie et de l'ASOW, Marina Kapalev, décida qu'il
- était temps, et déclara ouvertement la guerre à la Corée du Nord. Kim Jong-Il II répondit
- peu après: à la moindre action entreprise contre la Corée du Nord, c'est la planète entière
- qu'il annihilerait.
- Persuadés d'être engagés dans une nouvelle guerre froide, l'ASOW, de peur que les Coréens du
- Nord tiennent promesse, prit une stance passive en attendant de trouver une solution. C'est
- un certain Brad Higglesby, citoyen des ex-Etats-Unis, se trouvant en voyage au moment de
- l'arrivée du Guerrier Sans Cause, qui poussa lui-même l'engrenage jusqu'à son dernier cran,
- en trouvant un moyen de s'introduire en Corée du Nord et d'y tuer Kim Jong-Il II,
- le 3 janvier 2018, à 17h39, heure française.
- -------------------------------------------------------------------
- Clermont-Ferrand, 3 janvier 2018. Se contortionnant inconfortablement sur une chaise en rotin,
- le Professeur regardait avec envie les restes de son ancien fauteuil, dont la carcasse gisait
- encore à proximité. Tandis qu'il réprimait un spasme compulsif, il griffonnait sans conviction
- des notes sur des copies. Solitaire, il tenait à avoir le moins possible de compagnie lorsqu'il
- ne faisait pas cours. Néanmoins, depuis l'incident du Guerrier Sans Cause, un compagnon qu'il
- n'appréciait pas se faisait entendre en permanence dans son bureau, où il vivait, refusant de
- rentrer chez lui, même pour dormir. La télévision portable débitait inlassablement des inepties
- politiques, opposant dans un débat de maigre intérêt le ministre de la culture digitale au
- président d'une multinationale regroupant divers sites internet et alphanet de haute réputation.
- Le Professeur n'aimait pas la télévision, mais elle était la seule réponse possible à sa paranoïa,
- psychose qui l'avait poussé à accumuler une réserve de boîtes de conserve, de bidons d'eau, de
- lits et coussins, et autres objets plus ou moins utiles dans une pièce d'un ancien réseau
- souterrain militaire serpentant sur des dizaines de kilomètres sous l'université. Rongé par la
- peur, le Professeur tentait tant bien que mal de convaincre ses collègues et élèves de faire de
- même, mais tous lui riaient au nez, mettant en avant le fait que même si la bombe tombait, ils
- seraient forcés de vivre des siècles sous terre, le temps que les radiations mortelles issues
- d'une éventuelle bombe se dissipent. Ils préféraient encore mourir. Mais pas le Professeur.
- C'est ainsi qu'à 17h41, le débat fut interrompu, l'image coupée net quelques secondes, et qu'un
- luron à l'air terrorisé prit la parole en tremblant. Selon lui, les grands frères du Guerrier
- Sans Cause, baptisés les "Feu Follets", étaient en route vers diverses destinations, et
- rayeraient le monde entier de la carte. Les Coréens du Nord, dans un excès de gentillesse,
- avaient jugé bon de prévenir le reste de l'humanité une dizaine de minutes avant son
- extermination, tandis qu'eux partiraient se réfugier dans les nombreuses cités souterraines
- qu'ils avaient bâties, où ils pourraient rester enfermés des centaines d'années durant si
- nécessaire. D'un geste maladroit, le Professeur se leva de sa chaise, et se cogna le genou
- sous son bureau. Après avoir bafouillé un juron peu lyrique, il s'empara d'un grand sac à dos
- qu'il avait disposé près de l'entrée de son bureau, et joua des coudes pour se réfugier au plus
- vite dans le complexe souterrain, tandis que les gens restaient figés sur place dans les
- couloirs, hébétés, ou continuaient sans broncher leur vie quotidienne, incrédules.
- Poussant de toutes ses forces la grande porte métallique dont il s'était procuré quelques mois
- auparavant par une ruse quelconque la clé, le Professeur se faufila en haletant de l'autre côté,
- la referma derrière lui, et, s'assurant qu'elle était bien fermée, prit une quinzaine de
- secondes de pause pour reprendre son souffle. Courant de toutes ses forces - c'est à dire
- gauchement et lentement - vers le point le plus profond du réseau, qu'il avait préalablement
- repéré, il y retrouva toutes ses provisions, soigneusement entreposées, et, réflexe primal, se
- roula en boule sur un matelas tout en se couvrant les yeux des mains. Le silence qui hantait ces
- souterrains lui garantissait la solitude qu'il chérissait tant, même si, pour une fois dans sa
- vie, il se disait qu'il aurait tout de même été plus à l'aise s'il avait eu de la compagnie.
- A 17h48, le Feu Follet destiné à l'Europe esquissa un grâcieux pas de danse en plein ciel, et
- tomba droit dans le centre-ville de Francfort. Un homme, dont le nom et l'existence échappèrent
- pour des raisons évidentes à la mémoire collective, se pencha sur l'étrange sphère lumineuse
- tombée au sol, et eut tout juste le temps de dire, en allemand, que c'était marrant, car il la
- croyait plus grande, et qu'elle n'était pas bien impressionnante pour une bombe si destructrice.
- Les explosions furent simultanées, et tout ce qui était humain, et, effet secondaire inévitable,
- primate également, fut carbonisé sans même avoir eu le temps de réaliser ce qui leur était arrivé.
- -------------------------------------------------------------------
- "Paris. Enfin. Ca fait des années que je n'y avait pas mis les pieds", disait le Professeur.
- Pour faire face à l'étreignante solitude qu'il traversait depuis maintenant plus de cinq ans,
- il aimait à se parler à voix haute. Il était persuadé qu'un jour, quelqu'un l'entendrait. "Ca
- a changé depuis la dernière fois. Sacrément changé". Lorgnant un monticule de gravats qui avait,
- semblait-il, doucement perlé des années durant d'un immeuble qui penchait dangereusement sur un
- bord de la route, et voyant au loin les hordes d'ossements humains, couverts de fripes et de
- haillons, stationnés entre les voitures figées de partout comme si le temps s'était arrêté d'être,
- le Professeur abandonna son vélo, qui, de toute manière, le fatiguait trop, et entreprit de
- continuer à pied.
- Il rejoignit les bords de Seine, qu'il pensait épargnés, mais vit qu'ils avaient également été
- ravagés par l'effet combiné de l'onde de choc du Feu Follet et de l'abandon toutes ces années
- durant. Là où la végétation n'avait pas repris ses droits, les quais partiellement effondrés
- semblaient trop bancaux pour être empruntés. Résigné, et pressé par le tomber imminent de la nuit,
- les journées étant particulièrement courtes en hiver, le Professeur défonca la vitrine d'un
- Franprix, et s'y servit en ce qui semblait encore assez conservé pour être mangé et bu. Puis il
- rentra dans le premier immeuble qu'il trouva dont la porte était ouverte, pour passer la nuit dans
- son hall, avachi à même le sol sur le coussin de feu son fauteuil préféré, qu'il transportait
- partout avec lui.
- Le lendemain, le Professeur passa la matinée à s'amuser comme il le pouvait avec une console
- portable qu'il avait prise dans un magasin spécialisé, se changea dans un magasin d'habits de
- luxe - où il prit, néanmoins, par politesse, les habits les moins chers - et reprit sa route.
- Depuis le Feu Follet, les hivers n'étaient plus très froids, au même titre que les étés n'étaient,
- eux, plus très chauds, ce qui permit au Professeur de se contenter d'habits simples et peu épais.
- Il profita également d'une pharmacie à la vitre soufflée en morceaux pour refaire son stock de
- pansements, qui s'amenuisait bien plus lentement maintenant qu'aux débuts de son odyssée solitaire,
- et marcha tout le long de l'Avenue d'Italie sans trouver signe de vie, sinon animale.
- Une longue marche plus tard, tandis que le Professeur se rendait compte que le jour ne tarderait
- plus à être épuisé, il continuait à se promener nonchalamment, remarquant avec joie que sa ville
- natale avait été globalement plutôt épargnée par le souffle du Feu Follet. Distrait par le paysage
- à la fois familier et étranger, observant avec amusement des feuilles tourbillonnant autour d'une
- carcasse de camion, il ne se rendit pas compte qu'une voie de la chaussée était étrangement dégagée
- de tout véhicule, jusqu'à ce que le trottoir, qui, lui, était encombré de voitures, lui fut
- inpénétrable. "Merde, c'est pratique ça", fit-il remarquer à voix haute, dans un élan poétique.
- Quelques centaines de mètres plus loin, il avait croisé plusieurs rues pareillement dégagées,
- mais il semblait que seules les grandes artières étaient aménagées de la sorte. Il fallait
- se rendre à l'évidence: il y avait quelqu'un d'autre de vivant à proximité. C'est néanmoins,
- comble de l'ironie, l'évidence qui se rendit au Professeur et non l'inverse lorsqu'une
- voiture le percuta de plein fouet tandis qu'il traversait distraitement un boulevard.
- La douleur se dispersait avec une intolérable lenteur de ses côtes au reste de son corps.
- C'est également avec une lenteur surréelle qu'il vit une femme sortir de la voiture, lever
- le poing en l'air, et gueuler, telle une charretière: "Non mais, ça vous arrive de regarder
- avant de traverser?". La femme en question continua de secouer son poing, semblant lutter
- contre un moustique invisible ayant décidé d'élire domicile dans l'air surplombant sa tête,
- puis reposa son bras, tomba à genoux, et un mélange d'hébétitude et de choc traumatique
- pouvait soudain se lire dans les yeux. Elle se releva, tituba un peu, dut prendre appui
- sur un mur, bougea deux fois les lèvres sans émettre le moindre son, puis se mit une
- claque, et vint jusqu'au Professeur. Avec peine, elle tenta de le remettre sur pieds,
- mais cela ne fit qu'intensifier sa douleur, à un tel point que le corps du Professeur
- ne lui laissa d'autre option que celle de perdre connaissance.
- Fin du chapitre 1
- :o
Add Comment
Please, Sign In to add comment