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Feb 12th, 2016
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  1. Valeurs actuelles 11 février 2016
  2. Pressée par son aile droite de “remanier” la ligne du FN, Marine Le Pen a botté en touche, à huis clos, lors du dernier séminaire du parti. Mais le “statu quo”, fragile, ne contente personne. Récit.
  3. Tous tendent l’oreille lorsqu’elle prend la parole, craignant qu’elle dérape, qu’elle se trahisse, que le naturel revienne au galop. Elle parle. « Moi, je ne connais pas la droite, je n’en viens pas. » Ils écarquillent les yeux, accusent le coup quelques secondes, et se rendent à l’évidence : Marine Le Pen a bien prononcé ces mots, laissant son auditoire, sagement assis autour d’une grande table en U, à la limite de la sidération. D’aucuns jureront même l’avoir entendue ajouter : « Je n’y comprends rien. » L’ancien adjoint au maire de Nice, Olivier Bettati, rallié au Front national durant les dernières élections régionales, vient d’expliquer les ressorts de son choix, expliquant au passage quelle stratégie le parti pourrait mettre en branle pour séduire d’autres cadres venus des Républicains.
  4. « C’est intéressant », a tranché Marine Le Pen, suggérant aussitôt, en apostrophant d’autres transfuges, de réfléchir à une structure permettant d’accélérer ces ralliements. Mais l’aveu est tombé : Marine Le Pen ne comprend pas la droite.
  5. La question, justement, est au cœur des débats du Front national, réuni pendant trois jours en séminaire dans l’Essonne. Et l’interrogation prend racine dans la soirée électorale du 13 décembre dernier, lorsque, aux portes du pouvoir en Nord-Pas-de- Calais-Picardie et en Provence-Alpes- Côte d’Azur, le FN est assommé par les résultats, emporté par la vague du front républicain, loin, si loin du pouvoir. Marine Le Pen, alors, encaisse mal le choc. Épuisée, elle fuit les médias, se réfugie, les week-ends, dans sa maison de Millas, dans les Pyrénées-Orientales. Cogite. S’inquiète. Se remet en question.
  6. Parmi ses proches, certains décè- lent alors une évolution. La présidente marathonienne, qui avait battu la campagne, dans le Nord, à un rythme harassant, va mieux. Elle se repose, écoute, mûrit. « Il faut s’ouvrir, je suis prête à tout entendre », assure-t-elle enfin à plusieurs proches, signe que l’époque des débats interdits et des tabous en
  7. “Elle avait une vraie hantise, c’était que tout cela tourne au carnage contre Philippot.”
  8. masse est révolue. Tout doit être remis à plat, discuté, disséqué. Les grandes manœuvres commencent. L’“aile droite” du FN, qui prend son mal en patience depuis trop de temps, voit son heure arriver. Sur les ques- tions économiques, identitaires et sociétales, elle regrette l’influence croissante de Florian Philippot (lire page 15) et de sa « ligne gauchisante », dixit un cadre, et veut prendre sa revanche. Dans la presse, Louis Aliot, Gilbert Collard ou Robert Ménard montrent successivement les crocs, pour réclamer, tour à tour, une inflexion du discours économique, afin de mieux parler aux artisans, commerçants et patrons de PME, rétifs à l’idée de glisser un bulletin FN dans l’urne, un changement de nom du FN ou enfin une droitisation géné- rale du programme du parti.
  9. Voilà pourquoi le séminaire des 5, 6 et 7 février agit comme un second coup de massue asséné sur le crâne des cadres du Front national. Tous, ou presque, sont immédiatement surpris par la pugnacité de leur présidente. Celle qu’ils croyaient apaisée, régéné- rée, réincarnée en clone de Gandhi, est extrêmement offensive. « En mode plateau de télé », relate un témoin, stu- péfait d’avoir vu Marine Le Pen « mon- ter au filet comme dans un échange ave
  10. des adversaires politiques ». Chaque participant qui tente une percée est fauché en pleine course. Axel Lous- teau, Philippe Péninque, pourtant his- toriquement proches de Marine Le Pen, sont éparpillés, étrillés, laminés. Un sort peu enviable est réservé aux interventions de Gilbert Collard et de Robert Ménard. Louis Aliot et Marion Maréchal-Le Pen, incarnations de l’aile droite du parti, restent discrets, comme résignés. De l’aveu de tous, l’ambiance est pesante. « Chaque cri- tique constructive était vécue comme une agression », se désole un partici- pant. « Elle avait une vraie hantise, nuance un de ses proches, c’était que tout cela tourne au carnage contre Phi- lippot. » Le message, du reste, est entendu par tous : lorsqu’elle critique les piques glissées, même discrète- ment, contre le vice-président du parti, Marine Le Pen affirme en subs- tance que la ligne tant vilipendée est, en réalité, la sienne. À un moment, elle lâche le morceau : « C’est moi qui le dis, et pas Florian. »
  11. La ligne : c’est bien ce terme qui cris- tallise aujourd’hui toutes les pas- sions. Plus que les questions d’image, l’objet des débats, lors du séminaire, est d’amender le “national-colbertisme” du parti pour adresser davantage de messages d’amour à cet électorat de droite qui fait tant défaut au FN dans les seconds tours d’élections et qui bloque aujourd’hui le parti sous son fameux “plafond de verre”. « Si, aujourd’hui, nos adversaires réussissent à nous créer une image de néocommunistes, même s’il y a beaucoup de mauvaise foi, il n’y a pas de fumée sans feu », ose alors, durant les débats, la députée Marion Maréchal- Le Pen, pointant l’absence de position claire de son parti sur le droit du travail, les effets de seuil, les 35 heures, les retraites, les régimes spéciaux, la fonction publique... « Je n’ai jamais rencontré un mec qui m’ait dit qu’il votait pour nous pour les quarante annuités pleines », ajoute-t-elle pour enfoncer le clou. Mais autour de la table, les participants ont le sentiment que l’euro, le code du travail, l’entrepreneuriat, sont devenus autant de tabous au Front national. Que la présidente du FN ne fera pas son aggiornamento. Que, comme le résume l’un d’eux, « Marine est ressortie aussi mariniste qu’en entrant ».
  12. Ménard : “Si tu ne changes pas, tu perdras les élections ;
  13. si tu changes,
  14. tu as une petite chance.”
  15. La question de l’euro, ainsi, est vite tranchée. Ceux qui réclament un aban- don de ce thème, un véritable repous- soir pour les classes moyennes et les retraités, en sont pour leurs frais : le parti maintiendra dans son pro- gramme la fin de la monnaie unique et le retour à une « monnaie nationale », calqué sur le modèle britannique. Ber- nard Monot, Gilbert Collard, l’écono- miste Jean-Richard Sulzer attaquent. Le maire de Béziers, Robert Ménard, insiste : « Si tu ne changes pas, tu perdras les élections ; si tu changes, tu as une petite chance. » Sur ce point, Marine Le Pen se veut catégorique : « Je préfère perdre plutôt que me renier. »
  16. Lorsqu’ils quittent le Country Club d’Étiolles, la quasi-totalité des cadres
  17. du FN sont, au choix, déboussolés, irri- tés ou exaspérés. Et s’interrogent : Marine Le Pen peut-elle amender cer- taines de ses positions ? Lorsque la question lui a été posée, ce week-end, la présidente n’a pas tranché. À Bruno Bilde, pourtant peu suspect de dérive droitière, qui affirme que la seule chance de victoire du FN en 2017 réside dans un affrontement au second tour avec Hollande, elle rétorque qu’« on ne sait pas ce qui peut se passer » et que « rien n’est écrit ». Un seul sondage, pourtant, l’a donnée gagnante en 2017 : réalisé par l’Ifop pour le Figaro, en septembre 2014, il la faisait atteindre 54 % au second tour face à... Hollande.
  18. Quand on lui objecte que les électeurs de gauche, aux régionales, se sont quasi intégralement reportés sur les candidats des Républicains dans les duels face au FN et que seul un report de l’électorat de droite peut la conduire à l’Élysée, elle affirme que « 30 % de [s]on électorat vient de la gauche ». « Même entre nous, elle refuse d’admettre que notre ADN est de droite », se désole un cadre. Durant la campagne pour les élections municipales de 2008, furieuse, Marine Le Pen avait déjà fait
  19. Marine Le Pen : “Il ne faut pas dire publiquement
  20. que notre potentiel
  21. électoral est à droite.”
  22. changer le slogan du candidat parisien Martial Bild, “La vraie droite”. Visant sa nièce Marion Maréchal-Le Pen, qui s’était répandue dans les médias pour réclamer une « droitisation » de la straté- gie du FN, “Marine” va jusqu’à clore le débat : « Il ne faut pas dire publiquement que notre potentiel électoral est à droite. »
  23. Le désarroi gagne certains responsables frontistes. « 80 % du bureau politique est sur la ligne droitière, concède un cadre, selon qui Marine se met en minorité dans son propre parti, mais ça tient parce que tout le monde dépend d’elle financièrement. »
  24. On se met à murmurer que la présidente est coupée des réalités, enfer- mée dans ses certitudes, « à côté du pays ». On critique la « culture groupus- culaire » d’un parti qui, pourtant, pèse près de 7 millions d’électeurs. On reproche à la présidente de vouloir garder l’aspect « chimiquement pur » de sa “ligne”, sans envisager de l’amender pour conquérir le pou- voir... Les langues se délient aussi au sujet de Florian Philippot, le vice-pré- sident du FN, accusé d’« isoler Marine, de verrouiller l’équipe, le projet », dixit un cadre.
  25. Mais personne n’attaque “Marine”. Il n’y aura pas, au FN, de scission façon Mégret en 1999, pas davantage de “courant” à la droite de la présidente. Trop risqué, trop violent, inaccepta- ble par Marine Le Pen. Les nouveaux “frondeurs” du FN sont muselés. Condamnés à subir. « Il n’y aura pas de vraie remise en question avant 2017, regrette l’un d’eux. Si on gueule, on sera accusé d’avoir précipité la défaite, alors on est condamné à attendre l’échec et alors nous dirons : “on vous avait pré- venus”. » « Le paradoxe, conclut un ténor, c’est que tous ceux qui montent au créneau et se font rabrouer ne demandent qu’une chose : l’aider. On a l’impression de tendre la main et de prendre une claque en retour...» ●
  26. Geoffroy Lejeune
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