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Stèle pour un empereur solaire

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Apr 1st, 2010
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  1. Stèle pour un empereur solaire
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  3. "Les amis de l'empereur Julien sont toujours des gens bien; et ses calomniateurs des canailles" G. Matzneff, Boulevard Saint-Germain, 1998
  4. "Julien est admirable. Il y a toujours des moments dans la vie où son exemple fait chanceler" Michel Déon, lettre du 24 novembre 2002
  5.  
  6. Le 26 juin 363 mourait l'empereur Julien, "le plus grand homme qui peut-être ai jamais été" (Voltaire), tué à l'ennemi... mais par un javelot romain! Nul ne sait qui arma ce bras, qui priva l'Antiquité de son dernier grand capitaine et Rome de sa plus belle victoire depuis Hannibal: la chute de l'empire perse, son seul concurrent sérieux... À Julien agonisant, ses amis les philosophes néoplatoniciens Priscos et Maxime d'Éphèse transmirent un oracle d'Hélios:
  7.  
  8. "Quant à ton sceptre tu auras soumis la race des Perses,
  9. Jusqu'à Séleucie les pourchassant à coups d'épée,
  10. Alors vers l'Olympe tu monteras dans un char de feu
  11. Que la région des tempêtes secouera dans ses tourbillons.
  12. Délivré de la douloureuse souffrance de tes membres mortels,
  13. Tu arriveras à la lumière éthérée de la cour royale de ton père,
  14. D'où tu t'égaras jadis, quand tu vins demeurer dans le corps d'un homme."
  15.  
  16. Ces quelques vers parurent réconforter l'Empereur, qui expira à 32 ans, après un trop court règne de vingt mois. Né en 331 d'une vieille famille d'adorateurs de Sol Invictus, Julien assista, à l'âge de six ans, au massacre de son père, de son oncle, de ses cousins, égorgés sous ses yeux sur l'ordre du chrétien Constance II. Seul survivant avec son demi-frère Gallus de ce carnage dynastique, il fut élevé dans la religion chrétienne, qu'il connut donc de l'intérieur avant  de la combattre. Le surnom insultant d'Apostat ("renégat"), donné par les chrétiens ne se justifie que dans une vision déformée de l'Histoire (parle-t-on de Constantin l'Apostat?); il est donc plus juste de l'appeler Julien le Philosophe ou même Julien le Grand, comme ses contemporains. 
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  18. L'immense Julien ne fit que rejeter la religion des assassins de ses parents, qu'un baptême fort opportun avait, aux yeux du clergé, lavés de leurs crimes. Après une enfance cloîtrée et studieuse, passée en Cappadoce dans l'amitié des livres mais dans la crainte constante d'être assassiné, Julien étudia la philosophie et la littérature grecque, qui achevèrent de le convaincre de l'imposture chrétienne. Dès 351, Julien est redevenu ce qu'il était depuis toujours: un adorateur des anciens Dieux, et tout particulièrement d'Hélios. En témoigne l'une des plus belles pages de l'Antiquité, celle qui ouvre son Hymne à Hélios-Roi:
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  20. "Je suis un suivant du roi Hélios. J'en ai à part moi que je garde pour moi, des preuves trop certaines. Ce que je puis dire sans encourir le blâme, c'est ceci. Dès l'enfance j'ai été pénétré d'un amour passionné pour les rayons du dieu; dès mon plus jeune âge, la lumière de l'éther m'a mis si complètement l'esprit en extase que non seulement je désirais de fixer mes regards sur les rayons du soleil, mais que, s'il m'arrivait de sortir; la nuit, par un temps serein, sans nuages et pur, me délivrant de toute autre pensée je m'attachais aux splendeurs du ciel, sans plus rien comprendre ce qu'on pouvait me dire ni plus faire attention moi-même à quoi que je fisse."
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  22. À l'âge de vingt ans, sa conversion au paganisme consommée, Julien fréquente les cénacles païens, qui observent d'un oeil plein de sympathie pour ce jeune prince impérial dévoué à leur cause. Pour cette franc-maçonnerie qui rêve au retour des Dieux, Julien représente l'espoir de restaurer l'hellénisme, de sauver l'Empire de la décadence qui le mine. Supérieurement intelligent et lucide, rempli d'un amour aristocratique du passé et d'un mépris infini pour le présent chrétien, Julien, qui est aussi le dernier descendant de la famille de Constantin,
  23. mène alors la vie rangée du jeune philosophe, simple et accessible, d'où sa popularité, qui ne laisse d'inquiéter Constance II. Vers 350, le christianisme est encore minoritaire: les classes dominantes, l'intelligentsia, la haute administration, le corps professoral, l'armée, l'aristocratie, demeurent fidèles aux Dieux de l'Empire. Sous Constantin (306-337), les chrétiens ne représente que cinq pourcents de la population mais ils sont remarquablement organisés en une Église, qui est déjà un modèle d'opportunisme.
  24. Les conversions sont souvent dictées par l'intérêt, comme celle de l'évêque de Pégase, adorateur en secret d'Hélios… Dans ce contexte, parler de "Crépuscule des Dieux", de "fin du paganisme" ne correspond nullement à la réalité: à l'instar de la civilisation romaine, on peut dire, en paraphrasant Piganiol, que le paganisme a été assassiné.
  25. Julien ne se convertit donc pas à une religion moribond, mais bien à un néopaganisme caractérisé par le goût pour le syncrétisme, par l'importance accordée à la théologie solaire et au rituel, tous les éléments qui se trouvent déjà chez Jamblique, le maître à penser du Prince. L'un des multiples intérêts de l'oeuvre de Julien réside dans le fait qu'elle constitue le seul témoignage personnel de conversion religieuse, avec celle d'Augustin. Cette conversion a été expliquée de diverses manières depuis l'Antiquité, au gré des préjugés.
  26.  
  27. Naturaliter paganus, le jeune prince a, très tôt, ressenti une répulsion instinctive pour la foi chrétienne, totalement incompatible avec son mysticisme panthéiste et solaire, son amour de la culture grecque, méprisée par les Galiléens. Primordial est le rôle joué par son pédagogue, Mardonios, qui fut pendant les années de jeunesse de l'orphelin, le seul adulte à lui témoigner de l'affection. Il semble qu'il y ait eu conversion à Mardonios, qui se mua en conversion à la Paideia hellénique, ce qui explique son refus du christianisme, en tant que contre-culture.
  28. Après quelques courts moments passés à Athènes, où il se fait initier aux Mystères d'Eleusis, Julien se voit confier la défense des Gaules ravagées par les Barbares. Il y fait ses premières armes et montre des qualités militaires et administratives inattendues chez un rat de bibliothèque. Sa popularité ne cesse de croître, attisée par ses amis crypto-païens, à la tête desquels se trouve le médecin Oribase. Enhardi par ses premiers faits d'armes, Julien écrase les Germains près de Strasbourg: il est alors maître d'une Gaule pacifiée pour 50 ans. Il n'hésite pas à franchir le Rhin à plusieurs reprises, dernier César à porter les aigles impériales au-delà du fleuve. C'est dans sa chère Lutèce, dans l'Ile de la Cité, qu'il est proclamée Auguste à la mode germanique en 360 par les troupes celtiques révoltées.
  29.  
  30. Relisons ce qu'en dit Julien. Les hommes de Constance tentent de soudoyer ses partisans, mais "l'un des officiers de la suite de ma femme surprend cette surnoise manoeuvre et me la révèle sans tarder. Quand il voit que je n'en fais aucun cas, hors de lui comme les gens inspirés par les Dieux, il se met à crier en public, au milieu de la place: Soldats, étrangers et citoyens, ne trahissez pas l'Empereur!
  31. A ces mots, l'indignation saisit les soldats: tous accourent en armes dans le Palais, et là, m'ayant trouvé vivant, ils se livrent à la joie comme on le ferait à la vue inespéré d'un ami.
  32. Ils m'entourent de tous côtés, m'embrassent, me portent sur leurs épaules. C'était un spectacle digne d'être vu: on se serait cru devant un divin transport". Ammien Marcellin décrit la façon, peu orthodoxe pour un Romain, dont fut couronné Julien: "On (les Celtes et les Pétulants) le hissa sur un bouclier de fantassin, et tandis qu'il se dressait bien haut au-dessus de la foule sans que personne fît silence, il fut déclaré Auguste; […] un certains Maurus retira la torque qui était son insigne de porte-étendart, et le posa avec une belle audace sur la tête de Julien"
  33.  
  34. Ce sont donc des corps francs celtiques, au courage reconnu, qui proclament le dernier empereur païen, sur le pavois comme un chef barbare et le coiffent d'un torque gaulois en guise de couronne. Image saisissante que ces Celtes du Bas Empire qui, comme leurs ancêtres de la période de Halstatt mille ans plus tôt, offrent un torque à leur chef. Quelle continuité! Que les descendants de ces guerriers qui résistèrent à César se révèlent -fascinant paradoxe- les plus fidèles soutiens de l'Empire quatre siècles plus tard m'émeut au suprême. J'y vois l'une de ces contradictions qui donnent leur sel à la vie: malgré l'immense tort causé par Rome, malgré la depopulatio et les massacres, malgré l'interdiction du druidisme sous Claude, des Celtes, fidèles à la parole donnée, se battent et meurent pour un suzerain dont ils se veulent les vassaux. 
  35.  
  36. À l'origine de ce pronunciamiento, l'activité souterraine et inlassable d'une sorte de fraternité groupée autour d'Oribase. La mort providentielle de Constance II le laisse seul maître de l'Empire en 361. Julien est libre d'adorer les Dieux en public et d'inaugurer une ambitieuse politique de restauration païenne. Lors de son arrivée triomphale à Constantinople, il est promu aux plus hauts grades du culte de Mithra, le Dieu perse né d'une vierge le 25 décembre, identifié au IVe siècle avec le Soleil Invaincu, principale manifestation de l'Être.
  37. Toute sa vie, Julien respectera scrupuleusement la morale mithriaque, exigeante et chevaleresque: loyauté, maîtrise de soi, bonté et piété. Une des premières mesures de l'autocrate est de proclamer la liberté religieuse, pour les païens, dont les temples en Orient étaient pillés par le clergé, pour les hérétiques. Ces derniers sont libres de rentrer d'exil, de sortir de la clandestinité, à la grande fureur des orthodoxes.
  38. Nulle persécution donc, comme l'a prétendu l'hagiographie ecclésiastique: tout simplement les chrétiens redeviennent des citoyens comme les autres. Pour le clergé, le temps du privilèges, du parasitisme des finances publiques, de la spoliation systématique est terminé. Quelques émeutes anti-chrétiennes éclatent en Orient, à Alexandrie par exemple.
  39. Julien entreprend de réformer la Cour orientalisante de ses prédécesseurs: il supprime les postes inutiles ainsi que le cérémonial calqué sur celui des Sassanides pour revenir à une certaine austérité, une simplicité plus romaines. Car, fidèle à ses modèles Trajan et Marc-Aurèle, le jeune empereur aspire à un retour au principat libéral des Antonins avec un Sénat respecté, des cités autonomes. Tout le contraire de l'Empire centralisé et totalitaire des souverains chrétiens, leur police politique (les agentes in rebus) toute-puissante, leur administration tentaculaire, sans oublier le fisc...
  40.  Tout comme Marc-Aurèle, Julien pratique une politique de déflation, réduit les charges, répartit mieux les impôts, qui diminuent de 20%. Dans l'armée, il rétablit la discipline et veille au paiement régulier de la solde. L'avènement de Julien marque le début d'une authentique réforme intellectuelle et morale, d'un effort de recivilisation. En effet, le Prince éprouve, depuis toujours, une vive répulsion pour la violence physique et la répression aveugle, fait unique au IVe siècle, "époque où l'on a haï le plus" (Cioran).
  41. Dans ce siècle de fer, Julien le Philosophe sera le seul souverain réellement tolérant, le seul à refuser les conversions forcées: "Pour persuader les hommes et les instruire, il faut recourir à la raison, et non aux coups, aux outrages, aux supplices corporels. Je ne puis trop le répéter: que ceux qui ont du zèle pour la vraie religion ne molestent, n'attaquent ni n'insultent les foules des Galiléens."
  42. Pour lui, l'hellénisme est l'humanisme par excellence: le renier, comme le font nombre de Chrétiens de son temps, est à ses yeux le pire des crimes. Mille générations d'hommes, et non des moindres, Homères, Hésiode, les Tragiques, le divin Platon, seraient perdus à jamais pour n'avoir pas adoré le Christ ?
  43.  Idée impensable pour ce philhellène. Le "Tu n'adoreras pas d'autres Dieux", le "Je suis un Dieu jaloux" lui paraissent de purs blasphème et, à ses yeux, le Dieu d'Israël n'est qu'un Dieu national, celui des Hébreux. Il y a chez Julien un refus net de l'universalisme religieux. Déjà le polémiste Celse ironisait sur la révélation envoyée "dans un seul coin de la terre". L'arrivée tardive du novus Deus Galilaeus faisait les gorges chaudes païens anciens : Celse l'appelle "Celui qui vient d'apparaître". En fait, pour Julien, les Chrétiens, qui ne sont même pas fidèle au Dieu des Hébreux, sont des apatrides, qui n'ont point leur place dans vision hiérarchisée du Cosmos où chaque peuple a ses Dieux nationaux, qu'il appelle "ethnarques".
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  45. Au mois de Mars 363, aveuglé par le mirage oriental, l'Empereur lance contre la Perse la grande expédition dont il ne reviendra pas. Après sa mort, providentielle pour l'Église, son successeur, le chrétien Jovien, signe une paix honteuse avec les Perses, réduisant à néant les acquis de la campagne. Le clergé pavoise et les païens se terrent. C'est le début de la légende noire de Julien, qui durera mille ans. Pourtant, nombreux sont les chrétiens qui reconnaissent l'envergure exceptionnelle et le charisme de l'autocrate. Ses idées forment de la propagande païenne au Ve siècle et son prestige fait de lui le héros de la résistance au christianisme. Ses oeuvres continuent d'être lues à Byzances par des cénacles non-conformistes, qui perpétuent sa mémoire et recopient inlassablement ses manuscrits. En 1489, Laurent de Médicis fait représenter une pièce ou Julien apparaît comme le défenseur de la grandeur romaine et de l'hellénisme. Ses écrits sont alors publiés, devenant accessibles à toute l'élite cultivée.
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  47. Il a souvent été reproché à Julien d'avoir péché par excès de passéisme, par manque de réalisme. Vision romantique d'une sorte de Don Quichotte peu au fait des réalités de son temps ou mirage du "sens de l'histoire", préjugé judéo-chrétien par excellence. Ce reproche est vide de sens car fondé sur une interprétation a posteriori des faits: le triomphe "inévitable" de l'Église. Julien n'a jamais eu l'intention d'éradiquer le christianisme, ni même de le persécuter. Simplement, il voulut l'évincer des classes dirigeantes et le réduire à une foi de simpliciores, ce qu'il était aux origines. Si Julien avait régné vingt ou trente ans, il est fort probable qu'il aurait récupéré les élites encore peu touchées par la nouvelle religion. Leur énergie aurait été mise au service de l'Empire et non point de l'Église.
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  49. En marginalisant le clergé chrétien, en le privant de ses privilèges politiques et financiers, Julien aurait sans doute pu éviter le triomphe sans partage d'une Église ivre de puissance temporelle ainsi que l'effondrement du paganisme. Une forme de syncrétisme pagano-chrétien serait vite apparue.
  50.  
  51. Pour un contemporain, l'immense Julien demeure un modèle de droite, de pureté, ainsi que le héros clandestin de notre culture. Comment ne pas partager l'opinion de Montagne: "C'était, à la vérité, un très grand homme et rare, […]; et, de vrai, il n'est aucune sorte de vertu de quoi il n'ait laissé de très notables exemples"; ou celle de Montesquieu: "Il n'y a point eu après lui de prince plus digne de gouverner les hommes" ?
  52.  
  53. Christopher Gérard
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