Entretien 7

Moi:"Le sujet de ma thèse, c'est sur la prise en charge... L'identification des déterminants de la prescription des examens paracliniques dans la prise en charge des infections respiratoires basses au cabinet"

Med:"D'accord"

Moi:"En gros, c'est qu'est-ce qui fait qu'on va prescrire des examens complémentaires ou pas quand on a un patient qui vient pour une infection respiratoire."

Med:"D'accord"

Moi:"Donc, j'ai quelques questions"

Med:"Très bien"

Moi:"Donc, la première question c'est quels sont les différents symptomes que vos patients fréquemment lors d'une consultation pour une infection respiratoire basse ?"

Med:"Ben, ça peut aller de je tousse, à j'ai du mal à respirer, à ça serre dans la poitrine quand j'essaye de respirer, ça serre"

Moi:"D'accord, quels sont les diagnostics qu'ils évoquent quand ils viennent vous voir ce types de symptomes ? S'ils en évoquent, parce que des fois ils arrivent leur diagnostic"

Med:"Oui, alors est-ce que j'ai une infection des poumons ? Est-ce que j'ai le cancer parce que je fume ? Voilà, j'ai une bronchite"

Moi:"D'accord, cancer c'est la première fois qu'on me le dit. Quelles sont les requetes particulières de vos patients ? Est-ce qu'ils vous demandent des médicaments en particulier ? Est-ce qu'ils vous demandent des choses en particulier ?"

Med:"Oui, je pense que malgré toutes les campagnes de publicité, les gens persistent à demander des antibiotiques"

Moi:"D'accord. Et des anti-tussifs, ils vous demandent ça ou pas ?"

Med:"Oui, des sirops, les gens me demandent des sirops. 'donnez moi un sirop pour la toux'.. des sirops"

Moi:"Ok. Comment décririez-vous le rapport de vos patients aux antibiotiques ?"

Med:"Ben y a quand même beaucoup de fantasmes. 'Je suis très malade donc il me faut un antibiotique parce qu'il n'y a que l'antibiotique qui me permet de guérir. Tout le reste ne va pas me guérir.' Ou 'vous êtes sur docteur qu'il ne faut pas d'antibiotique ?'"

Moi:"D'accord, donc si vous ne leur prescivez pas, ils sont un peu..."

Med:"Oui, après ça fait du tri. ça veut dire que chaque médecin a sa patientèle. Le patient qui n'est pas content avec ma prescription"

Moi:"Il ne reviendra pas ?"

Med:"Faut savoir, ça m'arrive souvent de leur expliquer, de prendre le temps de leur expliquer. Et après de faire une prescription au bas de la page, où je marque : 'en cas de fièvre, prise le matin plus de 38.5°C pendant plus de deux jours, prenez l'antibiotique'

Moi:"Oui, c'est une prescription sous conditions"

Med:"Oui voilà"

Moi:"Ok, Ok! Selon vous, quel est le ressenti des patients quand vous lui prescrivez des examens complémentaires en urgence ?"

Med:"Alors, il y a un coté réassurance. Ils sont rassurés, parce qu'on va avoir un examen qui va nous dire si c'est grave ou pas; plus qu'anxiogène. Beaucoup plus rassuré, d'autant plus qu'il y a un cabinet de radiologie, deux cabinets, juste à coté, avec qui je travaille très bien; qui les fait pratiquement tout de suite. 'Allez-y tout de suite j'appelle', ils sont vraiment rassurés.

Moi:"D'accord, Ok. C'est parfait. Sur quels critères cliniques vous appuyez-vous pour prescrire ou non des antibiotiques ?"

Med:"Alors, j'essaye d'être quand même responsable avec les antibiotiques. Y a le terrain d'abord, un terrain de fragilité, cancer en cours, chimiothérapie. Et après vraiment, fièvre de plus de 48h, fièvre élevé. Puis j'ai beaucoup de chance car j'ai un laboratoire juste à côté. Et si les patients toussent, ils vont cracher juste à côté."

Moi:"D'accord"

Med:"Et ça nous a déjà fait des belles surprises, parce qu'on a eu des diagnostics, quand même.. je travaille avec un médecin remplaçant et, c'est lui d'ailleurs qui m'a donné.."

Moi:"L'adresse ?"

Med:"Non, l'adresse je connaissais. Mais qui a appelé, et qui m'a dit 'on devrait leur faire faire des BK crachats, enfin des crachats... des ECBC juste à côté, et le laboratoire voulait jouer le rôle. donc on a fait ça"

Moi:"D'accord. Y-a t'il d'autres critères qui interviennent ? que clinique, pour la prescription des antibiotiques et des examens complémentaires."

Med:"Non... Des fois les contextes, par exemple, un patient... J'avais un couple, qui partait faire le tour du monde, dans une semaine, voilà, donc ils n'allaient pas partir avec une infection en cours, quelque chose comme ça.. Mais c'est vrai qu'une prescription d'antibiotique pour une origine pulmonaire, pour moi s'accompagne systématiquement pratiquement d'un bilan biologique"

Moi:"Oui, d'accord, ok"

Med:"Pour savoir, vraiment s'il y a une infection. C'est pas banal"

Moi:"oui, pour savoir si c'est justifié. Ok. Qu'attendez-vous des examens complémentaires dans votre démarche thérapeutique ?"

Med:"De confirmer la gravité. Enfin, c'est un critère de gravité. J'attends pas qu'il confirme mon choix. Mais plus la gravité. Le bon choix de l'antibiotique par exemple"

Moi:"Avec les ECBC"

Med:"Oui"

Moi:"Ok, ok. Qu'estimez-vous être un frein à la prescription des examens complémentaires ?"

Med:"Le week-end"

Moi:"S'ils arrivent en fin de journée ?"

Med:"Oui voilà le week-end."

Moi:"D'accord, oui c'est la disponibilité des..."

Med:"Oui, c'est la disponibilité, le plateau technique disponible. Après, voilà, on est dans des populations dans ces quartiers où les gens sont quand même assez responsables. Donc s'ils viennent voir le médecin, c'est qu'ils veulent aller faire les examens complémentaires, donc j'ai pas de patients qui refusent ou..."

Moi:"Ou qui n'y va pas alors que vous avez tout prescrit ?"

Med:"Tout à fait, c'est rare"

Moi:"Ok, ok. Dans quel cadre jugez-vous utile les examens complémentaires dans les infections respiratoires ?"

Med:"Terrain, et critères de gravités cliniques, si j'ai par exemple quelqu'un qui a une désaturation, qui a vraiment un tirage ou.."

Moi:"s'il a des signes de détresse quoi"

Med:"Voilà, des signes de détresse, et j'essaye d'avoir quand même les examens complémentaires avant, par exemple, d'envoyer quelqu'un aux urgences. Vu que le cabinet est vraiment juste à côté"

Moi:"D'accord, ça c'est bien; ça c'est vraiment bien. Comment jugez-vous votre propre prescription d'antibiotique ?"

Med:"Bonne ! Je suis mariée avec un infectiologue, donc du coup je fais très attention. Je suis très responsable avec la prescription d'antibiotique. Je n'en prescris..."

Moi:"Que si c'est nécessaire"

Med:"Voilà!"

Moi:"Donc voudriez-vous l'améliorer ? J'imagine que..."

Med:"Elle est bien. Par contre j'avoue que en plus de travailler ici, une fois par semaine je fais une garde de 24h aux urgences."

Moi:"Où ça ?"

Med:"A sarcelles"

Moi:"D'accord"

Med:"Et j'avoue que là-bas, ma prescription d'antibiotique n'est pas aussi bonne qu'ici. Parce que là-bas, souvent, les gens sont vraiment; il y a une pression telle; avec un tel flux de patients. J'ai pas le temps de m'assoir pour leur expliquer, le pourquoi du comment. C'est une population beaucoup plus précaire aussi, ou des fois je ne sais pas si quelqu'un va les voir derrière, ou s'il va y avoir un suivi. Et là-bas, ma prescription d'antibiotique, elle est plus sauvage."

Moi:"D'accord, donc vous avez une activité mixte ?"

Med:"Oui"

Moi:"Ah c'est bien ça. Ok. Connaissez-vous des outils qui pourrez vous aider à la décision de prescription ou non des antibiotiques ?"

Med:"Oui, mais je ne m'en sers pas."

Moi:"C'est quoi ?"

Med:"Tous les tableaux décisionnels, les arbres décisionnels pour savoir si la pneumopathie a un critère de gravité tout ça. Je m'en servais beaucoup aux urgences, et là je m'en sers peu ici en ville"

Moi:"D'accord, et le site antibioclic vous connaissez ?"

Med:"Oui, mais je... Non. Oui, je connais bien mais.. A l'époque, c'était antibiogarde, on l'avait dans la poche, ça marchait très bien. Et puis, depuis qu'il n'y a plus antibiogarde, non je..."

Moi:"Ok, parfait. Que savez-vous sur la résistance aux antibiotiques ?"

Med:"Je sais qu'il y en a de plus en plus. Je sais qu'au niveau de tout ce qui est les germes urinaires. Bon c'est pas le sujet mais.."

Moi:"Si si, c'est le sujet quand même, parce quand on prescrit des antibiotiques pour une autre infection ça crée résistances"

Med:"Ah oui c'est vrai. Je sais que les fluoroquinolones, on en avait déjà presque à 30%, parce que j'en vois de plus en plus dans la pratique en germe urinaire des résistants. Et au niveau des germes respiratoires, je ne sais pas à quel point c'est incident, mais je sais que au niveau, déjà tout ce qui est pénicillines, on en a déjà beaucoup de résistance aux antibiotiques"

Moi:"Oui. Mais en vrai, moi ça parle sur les infections respiratoires basses, mais chaque fois qu'on prescrit des antibiotiques, on crée des résistances sur toutes les autres bactéries. Euh.. Vos patients ont-ils des requêtes particulière vis-à-vis de la prescription d'antibiotique ? Lesquels ? Quels sont leurs arguments pour essayer d'influencer votre prise en charge ?"

Med:"'Ah mais moi c'est toujours comme ça.' 'ça passe jamais sans antibiotique'"

Moi:"ça je l'entend souvent"

Med:"Voilà. Après il y a aussi : 'non, mais mon médecin, mon médecin d'avant, mon vrai médecin traitant avant qu'il parte à la retraite, elle me donnait toujours des antibiotiques'. Ce qui me laisse parfaitement indifférente."

Moi:"D'accord, alors ils sont très demandeurs. A l'inverse, y-a-t'il des patients..."

Med:"Pardon, il y a une classe d'âge"

Moi:"Oui qui demande plus.."

Med:"Voilà. Les personnes plus âgées demandent plus d'antibiotiques. Que je pense les jeunes, sont dans une démarche; alors je ne sais pas si c'est la confiance vis-à-vis du médecin qu'ils l'ont plus; parce qu'effectivement ils ne me voient pas comme une petite jeune, ils me voient comme une 'madame'. Ou alors, je ne sais pas si vraiment c'est parce que les campagnes publicitaires quand ils étaient petits, ils ont écouté 'les antibiotiques, c'est pas automatique'. Je ne sais pas, mais chez les jeunes, y a la tranche d'âge 20-30 ans, ils ne sont pas trop demandeurs d'antibiotique. Alors que la tranche d'âge 40-60 ans..."

Moi:"Oui, c'est ça, 'je viens pour des antibiotiques'"

Med:"Voilà."

Moi:"Ok, et est-ce qu'il y a des patients qui sont réticents aux antibiotiques ?"

Med:"Oui ! ça arrive aussi chez les jeunes. Et euh.. Voilà, c'est plus les gens, un peu, dans la modalité vegan, bio, voilà...'

Moi:"ceux qui suivent les tendances"

Med:"Voilà ! C'est vraiment un suivi de tendance. Mais bon, en même temps, j'ai jamais eu quelqu'un qui a refusé de prendre un antibiotique. Et vu que j'en prescris pas souvent..."

Moi:"Oui, si vous prescrivez, c'est qu'il faut. OK. J'ai bientot fini. Connaissez-vous la procalcitonine ?"

Med:"Oui !!! Mais on m'a dit jamais en ville."

Moi:"Ah."

Med:"Oui on m'a dit jamais en ville. Enfin, mes études sont finis depuis longtemps, mais on m'a dit jamais en ville. Je m'en servais pas mal beaucoup aux urgence, pour évaluer les gravités, notamment dans les pneumonies. Mais je ne m'en sers jamais en ville. Je me sers de la CRP, plus de la VS, je la laisse au rhumatologue. Et par contre, on m'a dit, la procalcitonine jamais en ville. Je ne sais pas si c'est toujours d'actualité"

Moi:"ça a changé"

Med:"ça a changé, d'accord !"

Moi:"Parce que... Y a pas mal d'études qui ont montré que, surtout des études suisses, qu'ont montré que pour tous les patients pour lesquels on aurait prescrit des antibiotiques, si on faisait la procalcitonine avant, ça réduit la prescription de 75%"

Med:"C'est vrai ?"

Moi:"Oui. ça m'interesse ça"

Med:"Et du coup, il faut la faire en bilan pré ?"

Moi:"Pré oui, si on a un doute, sur est-ce que c'est bactérien ou viral. et si on a un doute si c'est pulmonaire ou cardiaque, ça peut être très utile"

Med:"Si on a un doute, si c'est pulmonaire ou cardiaque..."

Moi:"Après, cliniquement c'est vrai que les signes..."

Med:"Oui oui, mais ça peut être utile en effectivement, si on a un doute. Et moi on m'avait appris aussi que la procalcitonine n'était pas diagnostique, mais c'était dans le suivi thérapeutique, pour voir les l'évolutions."

Moi:"C'est les deux maintenant. En fait, c'est utile, dans le diagnostic, parce que la CRP ça augmente dans les 48h après le début des symptômes, alors que la PCT ça augmente dans les 3h"

Med:"D'accord"
Moi:"Et ça diminue, des que les antibiotiques sont efficaces. donc dans le suivi c'est hyper pratique, mais du coup ça c'est plutot en réa qu'ils font le suivi tous les jours."

Med:"Bon ben, je vais faire, je vais faire maintenant"

Moi:"Et maintenant, ils ont sorti des petits, des PCT minutes, pour pouvoir faire au cabinet. pour l'instant ça coute cher. Mais plus tard ça pourrait être utile."

Med:"Ah c'est sympa pour les urgences aussi."

Moi:"Oui, oui oui oui. Pour l'instant ça coute dix milles euros, mais dans dix ans, ça sera peut-être accessible."

Med:"La tropo rapide aussi au départ"

Moi:"Oui, voilà, ça il y en a aux urgences"

Moi:"Ensuite, alors quels sont globalements vos prescriptions d'examens complémentaires ?"

Med:"Bilan biologique. Beaucoup de bilan biologique"

Moi:"De radio ?"

Med:"Radio rarement. Souvent, les patients tabagiques, et encore... Mais si j'ai un doute je prescris un scanner directement, parce que souvent la radio.... ça fait une irradiation pour rien. Alors que le scanner on a la réponse."

Moi:"D'accord, et le bilan biologique c'est ECBC et..."

Med:"L'ECBC c'est récent, depuis que j'ai pris un remplaçant, y a deux ans, enfin y a un an j'ai un remplaçant qui m'a fait sur un patient que je connaissais très bien, et je me suis dit que c'était une énième bronchite tout ça... Chez un monsieur très très bien, aucune exposition, aucun voyage ni rien. Puis il lui avait fait un ECBC, c'était un BK. ça s'est fini par trois mois d'hospitalisation, avec un germe multi-résistant tout ça. Et depuis, mais ECBC à tout ce qui toussent. ECBC ! C'était assez impressionnant, quand même cette... Mais... ECBC, et après un bilan biologique pour voir si un syndrome inflammatoire, si un terrain particulier, les reins, le foie, pour savoir si je peux mettre un antibiotique à dose normale"

Moi:"D'accord. Dans quelle situation adressez-vous un patient aux urgences ?"

Med:"Comme j'ai beaucoup travaillé à l'hotel-dieu, à saint antoine, à tenon. Je fais très attention pour adresser les patients. Je sais ce que c'est le travail des urgences donc il faut vraiment qu'il y ait des critères de gravité clinique ou des critères de gravité social. Un patient avec un trouble psychiatrique, qui ne va pas se prendre en charge. Un patient en détresse sociale, qui va pas pouvoir avoir accès aux examens complémentaires, aux médicaments. Ou alors, cliniquement, une personne âgée fragile à risque, ou les critères de gravité : le patient qui sature à 80%, ben il ira aux urgences. Ben voilà"

Moi:"Ok, très bien. Réalisez-vous une consultation de contrôle systématique dans les pneumopathies infectieuses ?"

Med:"Oui, plusieurs même, parce que moi je suis médecin 2.0 connecté. Donc j'échange avec mes patients. J'ai un portable dédié donc j'échange avec mes patients par mail, sms, whatsapp. Donc j'ai vraiment le suivi, quotidien, 'envoyez moi un petit pouce si tout va bien', voilà"

Moi:"Ah c'est génial"

Med:"Voilà, connectée ! Et je fais systématiquement une consultation, mais loin, je la fais à trois semaines, un mois pour vérifier que tout est bien rentré dans l'ordre. que tout va bien, tout ça"

Moi:"Ok, d'accord. Ben c'est parfait. Comment décrirez-vous votre bassin de population et le lieu où vous exercez ?"

Med:"Alors, c'est une population, très, très très favorisée. Ce sont des quartiers très privilégiers, avec une population, globalement très jeunes et en très bonne santé. Voilà. Qui s'occupe très bien de sa santé donc j'ai vraiment beaucoup de chance. Voilà, donc je compense avec Sarcelles mais.. haha. Pour faire l'équilibre, mais j'ai très peu de personnes âgées. Et les peu de personnes âgées que j'ai, c'est des gens qui sont en très bon état de santé, donc c'est disneyland"

Moi:"C'est top. Pour finir, avez-vous des remarques sur le déroulement de l'entretien ?"

Med:"Non, je trouve c'est parfait cette histoire, par rapport à ce qu'on fait d'habitude, où on reçoit des questionnaires et en fait, sincèrement, on appui un peu de façon systématique.

Moi:"Oui c'est ça on écrit le mot clé"

Med:"Voilà, on passe quoi. Voilà, je pense qu'on peut receuillir plus facilement des choses vrais avec ça. Après j'imagine que le traitement de l'information doit être quand même un peu plus chaud que pour les questionnaires."

Moi:"Oui, c'est plus long."

Med:"Mais je pense qu'on arrive à quelque chose de beaucoup plus utile. Et merci pour la PCT"

Moi:"Merci à vous de m'avoir reçu"