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Jan 23rd, 2018
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  1. « Je ne vous licencie pas, je vous libère... »
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  3. Le processus de néo-euphémisation qui touche le monde de l’entreprise a atteint son paroxysme grâce au fondateur de la start-up Udacity. Sebastian Thrun ne licencie pas ses collaborateurs, il les « libère ».
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  5. LE MONDE | 22.01.2018 à 06h37 • Mis à jour le 22.01.2018 à 08h24 | Par Nicolas Santolaria
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  10. Pour faire rester les salariés au bureau, le Chief Happiness Officer (CHO) peut organiser des tournois de baby-foot.
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  12. Chargé de vous faire rester jusqu’à 23 h 30 au travail sans même que vous vous en rendiez compte, le Chief Happiness Officer (CHO) se trouve au cœur d’un vaste processus de néo-euphémisation qui frappe de plein fouet l’entreprise moderne. Ainsi ne dit-on plus : ­ « Arghhh, je ne peux pas encore partir sinon je risque de me faire griller par la pointeuse », mais : « Allez, je reste encore un peu, le CHO a organisé en fin de journée un tournoi de baby-foot avec des crocodiles Haribo ». Dans ce monde merveilleux, chaque réalité problématique se voit envisagée sous un jour terminologique nouveau. C’est ­notamment le cas du terrible entretien annuel, dont la dynamique coercitive tend aujourd’hui à être remplacée par le feed forward, une évaluation en amont se concentrant sur les aspects positifs de l’activité du salarié.
  13. Là où le licenciement s’abat sur vous de manière unilatérale tel un implacable couperet, la « libération » vous invite au contraire à devenir proactif dans le processus exotique consistant à aller voir ailleurs
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  15. Fondateur de la start-up Udacity, spécialisée dans la formation en ­ligne, Sebastian Thrun s’est récemment attaché à appliquer cette malléabilité sémantique à la rupture de contrat. Dans un article publié sur le site Quartz, cet ingénieur allemand expliquait qu’il ne licenciait pas ses collaborateurs mais qu’il les « libérait » : « Si vous êtes malheureux, et que vous et moi partageons le même constat, je ne vous vire pas, je vous libère. La libération est différente du licenciement. » Là où le licenciement s’abat sur vous de manière unilatérale tel un implacable couperet, la « libération » vous invite au contraire à devenir proactif dans le processus exotique consistant à aller voir ailleurs.
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  17. Pour bien en souligner la dimension volontariste, Sebastian Thrun a appelé cela le « Project Freedom ». Cette usine à gaz libératoire vise à vous laisser le temps nécessaire pour trouver un nouvel emploi et, enfin, accéder au privilège suprême d’annoncer vous-même votre éjection prochaine. En apparence, la chose est moins humiliante qu’une mise à la porte classique. Mais le souci est que votre « désir » de départ semble toujours provenir du patron lui-même. Comme l’explique Thrun : « Je dis aux gens : regardez, je sais que vous n’êtes plus investi et capable de travailler à votre meilleur ­niveau de performance, et nous n’avons pas réussi à résoudre ce problème. Alors, pourquoi ne trouvez-vous pas vous-même un nouveau travail ? » Là, dans le fait que ce prétendu désir de liberté vous a été très fortement soufflé à l’oreille par un tiers hiérarchiquement supérieur, se situe sans doute la limite à l’humanisme débordant dont se réclame cette vaste entreprise d’euphémisation.
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