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- III / Les expériences combattantes
- L
- es historiens ont mis du temps à s’intéresser aux combattants
- de la Grande Guerre. Dans les années 1920 et 1930, leurs livres
- ont d’abord été consacrés à une histoire militaire traditionnelle,
- racontant les batailles menées par les généraux et les mouve-
- ments des unités. Ces récits de guerre laissaient de côté l’essen-
- tiel de celle-ci : l’expérience de millions d’hommes confrontés à
- la mort et à la guerre industrielle dans l’univers des tranchées.
- C’est d’abord par le roman et le témoignage que ces réalités ont
- été transmises, pour être ensuite étudiées par les chercheurs (voir
- encadré, p. 46).
- L’univers du front
- Il n’existe pas d’expérience unique des combattants de la
- Grande Guerre. L’étendue des fronts a multiplié les situations de
- combat : guerre de montagne dans les cols enneigés des Alpes
- et des Vosges, guerre confinée des sous-mariniers, guerre
- d’embuscade dans les Balkans et au Proche-Orient, guerre
- enterrée et industrielle dans les tranchées de France et de
- Belgique. Mais ce front ouest, qui concerne la grande majorité
- des combattants occidentaux, est lui-même marqué par une très
- grande diversité.
- Une guerre de tranchées
- Structure du « système-tranchées ».
- —Lecreusementetle
- perfectionnement des tranchées, à partir de l’automne 1914,
- donnent naissance à un cadre spatial original qui conditionne
- l’expérience des combattants. Ce « système-tranchées » [Cochet,2006 ; Cazals,
- in
- Offenstadt, 2004] est d’abord constitué des
- premières lignes, occupées en permanence par les soldats chargés
- de les défendre. On y trouve donc des emplacements pour le tir
- des fusils, des mortiers et des mitrailleuses, ainsi que des « petits
- postes » avancés où sont placés des guetteurs chargés de déceler
- dans l’obscurité d’éventuelles attaques. Ces tranchées, dont le
- tracé sinueux vise à protéger les hommes des explosions et des
- tirs d’enfilade, sont aussi défendues par les fils de fer barbelés que
- les soldats installent, la nuit, au-devant du parapet. Elles diffèrent
- suivant leur emplacement géographique et la nature des sols : aunord du front, l’humidité rend les tranchées moins solides que
- dans la craie de Champagne, où les armées utilisent les cavités
- naturelles comme abris (« Caverne du Dragon »).
- Depuis cette première position subissant quotidiennement des
- tirs, on communique vers l’arrière par des « boyaux » qui rejoi-
- gnent les tranchées de deuxième et troisième ligne, où des
- troupes sont également disposées, un peu mieux installées, afin
- d’effectuer la relève des soldats au feu et d’intervenir en cas
- d’offensive à repousser. Plus loin, on trouve les zones du « front
- arrière » et de l’« arrière-front », où l’on peut enfin se tenir en
- terrain découvert malgré les bombardements fréquents. C’est là
- que se trouvent les batteries d’artillerie, les cuisines, les dépôts de
- matériel, les états-majors et leurs services, les points d’arrivée du
- réseau ferré, ainsi que les baraques et villages à demi aban-
- donnés servant de cantonnements aux troupes. Les soldats
- connaissent généralement une alternance qui les conduit à une
- semainede«repos»(consistanttropsouventàleursyeuxen
- exercices et en corvées), puis une semaine en position de réserve,
- après une semaine en première ligne. Ce rythme répétitif est
- rendu très irrégulier par les combats. À la fin 1918, l’épuise-
- ment des effectifs ne permet plus à l’armée allemande d’assurer
- ce roulement.
- Des affectations différenciées.
- — La géographie du front induit
- une différenciation des individus par la fonction, l’arme et le
- grade. En effet, seuls les soldats de l’infanterie habitent réelle-
- ment les tranchées de premières lignes. Ces fantassins ne sont
- qu’une partie des militaires : autour de la moitié des 8 millions
- de mobilisés en France sur toute la durée du conflit ;
- 1 477 000 hommes en juillet 1916. Avec 22 % de morts, leur
- guerre est très différente de celle des artilleurs (8 %), des hommes
- du Génie (6 %) et de ceux qui sont affectés dans les services (3 %).
- Cette nette inégalité devant la mort traduit des inégalités sociales
- [Maurin, 1982 ; Loez,
- in Matériaux pour l’histoire de notre temps
- ,
- 2008 ; Mariot, 2013]. Pour servir les canons et aménager les tran-
- chées, l’artillerie et le Génie recrutent des soldats plus qualifiés
- dans le civil, tandis que ceux qui ont de réelles compétences,
- pour l’écrit en particulier, peuvent plus facilement se faire
- affecter dans des bureaux, loin du feu : l’armée a aussi besoin de
- greffiers, de traducteurs, de comptables et de contrôleurs du cour-
- rier bien abrités.
- Ces éléments dessinent un fait majeur, non seulement pour
- la France mais aussi pour les autres belligérants : les soldatsd’infanterie qui affrontent le plus durement l’expérience de
- guerre sont issus des couches sociales les plus dominées. En
- Russie et en Autriche-Hongrie, on peut ainsi parler d’armées de
- paysans. La composition des armées allemande, britannique et
- française est plus complexe, reflet de sociétés plus différenciées
- qui doivent en même temps assurer une mobilisation indus-
- trielle : de nombreux ouvriers sont affectés dans les usines de
- guerre, et beaucoup de fonctionnaires et de cheminots sont restés
- à l’arrière. On trouve ainsi dans les tranchées un très grand
- nombre de petits employés et de domestiques aux côtés d’une
- masse de travailleurs manuels, urbains et surtout ruraux.
- Alors que les soldats les plus âgés sont affectés dans l’armée
- « territoriale » et à des tâches moins dangereuses comme la
- surveillance des gares (du côté allemand, 2 millions d’hommes
- appartiennent à la
- Besatzungsheer
- stationnée à l’intérieur des
- frontières), les soldats des tranchées sont surtout des hommes
- jeunes, nés dans les années 1890. Ils apprennent malaisément à
- affronter une guerre imprévue.
- Un cadre protecteur mais oppressant.
- — La guerre des tran-
- chées, aussi effrayante soit-elle, est bien moins meurtrière que
- les épisodes de guerre de mouvement de l’été 1914 et de l’année
- 1918, durant lesquels les combattants sont frontalement exposés
- aux tirs. Mais si les tranchées protègent en partie les soldats, c’est
- au prix de l’enfermement dans un cadre désespérant [Cazals et
- Loez, 2010 ; Cochet, 2006].
- Celui-ci est d’abord marqué par des conditions matérielles très
- précaires. Dans les « forteresses de terre » des tranchées [Watson,
- 2008], les explosions, la pluie et l’humidité transforment le sol en
- boue. C’est la « glaise tenace » évoquée en 1915 par l’historien
- Marc Bloch, alors sergent, qui colle aux armes et aux vêtements,
- qui alourdit les godillots des Français et le kilt des Écossais, qui
- gèle les membres (les médecins parlent de « pied des tran-
- chées ») et engloutit quelquefois irrémédiablement des combat-
- tants au hasard des accidents du terrain. Il faut donc en
- permanence travailler pour étayer, remblayer, consolider les
- parois. À ce labeur incessant s’ajoutent la pose des barbelés et
- aussi le creusement des abris et des « feuillées » (latrines), qui font
- des premières lignes un univers de rude travail manuel.
- Un signe encore plus net de la régression des conditions de
- vie que connaissent les fantassins est la présence de parasites : en
- plus des démangeaisons que provoquent les puces, les poux et
- la vermine, il faut chasser les innombrables rats qui infestent les
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- 48
- lignes, empêchent de dormir, dévorent les provisions et s’atta-
- quent même aux cadavres. Car la vie en première ligne est avant
- tout marquée par la présence et le risque de la mort. On doit
- vivre avec les corps de soldats restés au-devant du parapet qu’on
- n’a pas pu aller chercher, et avec les débris humains qu’un écla-
- tement d’obus découvre tout à coup dans la paroi d’une tran-
- chée. Le risque est permanent : en dehors même des attaques
- et des grandes offensives, il faut subir les tirs des fusils depuis
- les lignes adverses, visant certains passages moins bien abrités
- où il faut penser à se courber ; prendre garde aux accidents (ébou-
- lements des abris, explosions de grenades...) et faire face aux
- bombardements.
- Combattre et subir la violence
- Sous les obus.
- — La structure du front induit toute une gradation
- des formes de combat. L’artillerie est devenue l’arme essentielle.
- Ses tirs, destinés à préparer les offensives, à vider les tranchées ou
- à épuiser, « user » et tuer les fantassins adverses, sont respon-
- sables d’environ 70 % des morts de la guerre. Les obus tuent par
- leur explosion directe, par les éclats tranchants qu’ils projettent
- et par l’ensevelissement qu’ils provoquent. La terreur que tous les
- témoignages évoquent lors d’un bombardement prolongé tient
- à la douleur physique des secousses, du bruit qui endommage
- les tympans, à la perspective des blessures épouvantables dont
- chacun a pu être le témoin et au sentiment de complète impuis-
- sance alors éprouvé face à ces « orages d’acier » (Ernst Jünger).
- La violence de la guerre est ainsi, avant tout, une violence
- stationnaire pour les fantassins cloués au sol par les tirs d’artil-
- lerie qui peuvent déchiqueter leur corps. Il faut y ajouter les effets
- spécifiquesdelaguerredesgazetdelaguerredesmines.On
- nomme ainsi les explosifs placés dans des cavités creusées sous
- la tranchée adverse. Certains secteurs s’y prêtent plus particuliè-
- rement, comme la butte de Vauquois, en Argonne, qui connaît
- cinq cent vingt explosions sur la durée de la guerre. On ne peut
- guère s’en défendre, sauf à déceler le son du creusement des
- galeries.
- Attaques et « coups de main ».
- —Lerythmeetl’intensitédes
- bombardements sont accrus entre 1914 et 1918, et au cours de
- chaqueannéelorsquevientlemomentdesoffensives.Pour
- conquérir du terrain, les combattants doivent alors sortir,
- s’élancer à l’assaut des lignes adverses, espérer que leur artillerie
- L
- ES EXPÉRIENCES COMBATTANTES
- 49
- ait réussi à détruire les fils de fer et à réduire au silence les mitrail-
- leuses. Le moment de l’attaque est redouté en raison des pertes
- très élevées qui y sont toujours associées, soit au sortir de la tran-
- chée, soit dans les combats suivant la prise des objectifs, soit
- encore lors des contre-offensives que subissent les assaillants
- survivants et épuisés par leur avance. En avril 1917, après
- l’attaque sur Craonne, un témoin évoque ainsi « la grande tache
- bleu horizon de centaines de cadavres amoncelés au même
- endroit » [Offenstadt, 2004, p. 205].
- En dehors même des grandes batailles impliquant des cen-
- taines de milliers d’hommes sur plusieurs mois comme à Verdun,
- il faut mener de petites opérations propres à chaque secteur, les
- patrouilles nocturnes de reconnaissance et les « coups de main »
- à dimension limitée qui visent à prendre des prisonniers. Au
- total, la violence interpersonnelle directe reste, sur le front ouest,
- peu fréquente. Elle peut être le fait de groupes spécifiques,
- chargés du « nettoyage » des tranchées lors des attaques. Même
- dans ce cas, le recours à l’arme blanche est très marginal (moins
- de 1 % des pertes [Prost, 2004]).
- Dans un tel cadre, précaire, violent, mortifère, l’expérience des
- tranchées apparaît comme une épreuve quelquefois insoute-
- nable. En Allemagne, on compte 613 000 soldats traités pour
- troubles psychiques durant le conflit, soit environ un dixième
- des combattants [Watson, 2008 ; Bessel, 1993], chiffre sans doute
- minoré par la difficulté à faire reconnaître le trauma par la
- psychiatrie du temps dont les outils conceptuels (« obusite »,
- shell-shock
- , « hystérie ») sont inadaptés et qui tend à soup-
- çonner les soldats de couardise [Bianchi, 2001 ; Lerner, 2003 ;
- Bogousslavsky et Tatu, 2012 ; Viet, 2012]. Plus largement, les
- séjours en première ligne conduisent à l’épuisement physique
- (on n’y trouve généralement qu’un mauvais sommeil, de jour,
- entrecoupé de tirs et d’alertes, roulé dans une couverture) et
- mental. Dans ce contexte, la ténacité des combattants est remar-
- quable. Elle s’explique par les capacités d’adaptation des indi-
- vidus et le renforcement des liens sociaux.
- Apprentissages et adaptations
- Apprendre à faire la guerre
- Les historiens britanniques discutent de la « courbe d’appren-
- tissage » qu’aurait connue l’armée, idée selon laquelle les pertes
- L
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- désastreuses des volontaires inexpérimentés dans les premières
- années de la guerre auraient, au fond, été utiles pour former les
- unités aguerries qui l’emportent en 1918 [Prost et Winter, 2004].
- Si cette thèse relativise à l’excès les erreurs des généraux, elle
- illustre toutefois de réels processus de professionnalisation au
- cours de la guerre [Morton, 2005 ; Cochet, 2006].
- Les fantassins apprennent ainsi à se repérer sur les champs de
- bataille dévastés [Offenstadt, 2004], savent reconnaître, à leur
- son, le calibre des obus, leur type et leur provenance, et parvien-
- nent à se plaquer au sol pour éviter les « torpilles » que lancent,
- très en hauteur, les mortiers de tranchées. Certains deviennent
- des tireurs d’élite, récompensés pour leur adresse [Ashworth,
- 1980]. Lors des attaques, ils acquièrent plus de savoir-faire quant
- au maniement des armes, des mitrailleuses en particulier, et
- davantage de mobilité au sein de petites unités semi-auto-
- nomes (demi-section d’infanterie) qui se généralisent à la fin de
- la guerre.
- Ces apprentissages se doublent de différentes formes d’adapta-
- tion psychologique. D’un côté, devant la présence de la mort et
- des blessures, il faut s’endurcir, devenir insensible, afficher une
- fausse gaieté et les signes extérieurs du courage masculin, en
- bannissant larmes et tristesse — du moins sous le regard des
- autres, dans l’« espace public » du front [Loez,
- in
- Cazals
- et al.
- ,
- 2005]. Mais beaucoup développent un rapport fataliste à la
- violence de guerre, ce qu’illustre l’idée répandue dans les troupes
- anglo-saxonnes qu’existe « une balle marquée de son nom »,
- façon de dire qu’on ne dispose pas de son sort. On espère cepen-
- dant être protégé, par toutes sortes de pratiques religieuses et
- superstitieuses, comme le fait de porter de petites médailles
- bénites avant de monter à l’assaut [Watson, 2008].La recherche de la normalité
- Le recours à des formes de piété populaire aux tranchées
- illustre la nécessité, pour les combattants, d’y reconstituer une
- forme de normalité permettant d’endurer l’épreuve. Cela passe
- par le souci de l’approvisionnement en alcool et en nourriture.
- Les rations sont peu équilibrées mais généralement suffisantes, et
- plus carnées que dans la vie civile (grâce au « singe », nom donné
- à la viande en conserve). L’alcool fort aide parfois à surmonter
- « coups durs » et dépression. Surtout, les repas pris en commun
- [Duffett, 2012] et les efforts pour acheminer aux lignes une soupe
- L
- ES EXPÉRIENCES COMBATTANTES
- 51
- chaude, du vin et du café ont une grande importance dans le
- maintien de la solidarité combattante.
- Il existe aussi au front des moments de calme relatif, qui
- permettent de s’adonner à des activités visant, de même, la
- reconstruction d’une forme de normalité. Dans les secteurs tran-
- quilles, et lorsqu’ils sont en arrière ou au repos, de nombreux
- combattants fabriquent des objets (bagues, briquets, croix, vases,
- coupe-papier...) en réutilisant des matériaux militaires et des
- douilles d’obus [Saunders, 2003 ; Desfossés
- et al.
- , 2008]. Cet arti-
- sanat de tranchées, auquel nombre de soldats sont préparés par
- leurs métiers civils, permet aussi d’améliorer le quotidien, en
- aménageant un peu mieux un abri ou un boyau, ou en vendant
- les « souvenirs » ainsi produits.
- Les moments libres sont aussi consacrés à l’écriture, pour soi
- ou ses proches, et aux divertissements. Dans l’arrière-front,
- tandis que des gradés composent de petites gazettes impropre-
- ment nommées « journaux de tranchées », les soldats jouent aux
- cartes ou tentent d’améliorer l’ordinaire par le braconnage. Les
- armées britannique et des dominions accordent une grande
- importance à la transposition, au front, de la « culture popu-
- laire » [Fuller, 1990]. Elles organisent des matchs de football et
- des spectacles, invitant même de célèbres artistes de music-hall :
- en 1917, le spectacle d’Harry Lauder attire 5 000 soldats à Arras
- [Roshvald et Stites, 1999]. En France, malgré la participation de
- Sarah Bernhardt, le Théâtre aux armées peine à susciter le même
- enthousiasme.
- Un des aspects les plus importants de ces efforts pour recons-
- truire un équilibre au front concerne la mort. Parce que le conflit
- suscite des morts plus nombreux que ce qu’on imaginait, et que
- les destructions corporelles sont plus graves, les efforts des survi-
- vants se développent pour assurer à chacun une digne sépul-
- ture et pour identifier correctement (grâce à des objets tels que la
- plaque individuelle en fibre ou en métal que porte chaque soldat)
- les décédés. À la mort d’un camarade, si l’intensité des combats le
- permet, on improvise une messe ou une petite cérémonie funé-
- raire. Ses proches feront le nécessaire pour informer sa famille,
- tentant d’atténuer la peine en précisant dans leurs lettres qu’il
- « n’a pas souffert », donnant à chaque fois que c’est possible
- l’emplacement exact de sa tombe [Hardier et Jagielski, 2001 ;
- Desfossés
- et al.
- , 2008].
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- 52
- Obéissance et désobéissance
- Les facteurs de la ténacité combattante
- Camaraderies.
- — Le resserrement des liens sociaux contribue à
- assurer la ténacité des combattants. Au sein de petites unités,
- comme l’escouade, en France, qui rassemble une douzaine
- d’hommes prenant leurs repas en commun, les liens de camara-
- derie sont très étroits. Ils relèvent parfois d’une transposition de
- sociabilités préexistantes, puisque les régiments ont initiale-
- ment un recrutement régional, voire, en Grande-Bretagne, local.
- On manque cependant de travaux analysant précisément les
- interactions au sein de ces groupes, dont on doit rappeler qu’ils
- sont toujours fragilisés par les renouvellements et les pertes. Il
- faut également se garder d’idéaliser l’univers du front et d’en faire
- le lieu d’une parfaite osmose. Vols, jalousies, bagarres y ryth-
- ment également le quotidien [Stanley, 2010], et l’image d’une
- « communauté des tranchées » ou d’une « génération du feu », si
- prégnante en Allemagne, est surtout une construction rhétorique
- de l’après-guerre [Bessel, 1993].
- Patriotisme ?
- — L’historiographie française a connu dans les
- années 1990 et 2000 de virulents débats concernant la ténacité
- des combattants. À l’origine de la controverse, on trouve une
- généralisation : par patriotisme et haine de l’ennemi, les soldats
- auraient « consenti » à la guerre [Audoin-Rouzeau et Becker,
- 2000 ; Prochasson, 2008]. Formulée de façon volontiers provoca-
- trice, cette thèse a reçu d’utiles critiques, insistant sur la multi-
- plicité des facteurs de l’obéissance et la diversité des
- représentations combattantes.
- Tous les soldats ne partagent pas, en effet, les conceptions
- patriotiques clairement formulées et souvent exaltées des
- membres des élites, le plus souvent officiers, dont certains
- peuvent frissonner ou pleurer à la vue du drapeau tricolore. Au
- bas de l’échelle sociale, au plus près de la ligne de feu, on trouve
- davantage un rapport ordinaire à la guerre, envisagée comme une
- épreuve à traverser sain et sauf le plus vite possible [Loez, 2010 ;
- Mariot, 2013]. La nécessité de défendre la nation envahie, de
- même, ne s’exprime pas en termes abstraits mais en rapport avec
- le foyer, le village, le « pays » qu’on veut protéger et où on espère
- revenir. On vérifie dans d’autres armées, parmi les soldats ruraux
- de Bavière par exemple, ce décalage entre une rhétorique
- L
- ES EXPÉRIENCES COMBATTANTES
- 53
- patriotique exaltée — celle des officiers et de l’arrière — et les
- motivations des combattants : rentrer chez soi, faire son
- « devoir » [Ziemann, 1997]. En Italie, où l’unité récente et la
- scolarisation lacunaire n’ont que très tardivement exposé les
- ruraux à l’idée nationale [Procacci, 1999], en Russie, où l’allé-
- geance au tsar est déjà vacillante avant le conflit [Wildman,
- 1980], en Autriche-Hongrie, travaillée par les séparatismes et les
- particularismes nationaux [Király et Dreisziger, 1985], la place du
- patriotisme dans le maintien de l’obéissance est plus faible
- encore.
- Plus largement, la question du « patriotisme » des soldats ne
- peut être séparée de ses cadres sociaux. Dans des armées de
- conscription, participer au conflit n’est en rien un choix, mais
- une obligation prévue depuis le service militaire, renforcée par la
- situation de guerre qui impose, sous le regard des camarades, de
- faire son « devoir » et d’accomplir sa tâche, souvent sur le mode
- d’une « conscience professionnelle », avec zèle parfois, de façon
- routinière ou résignée le plus souvent [Maurin, 1982 ; Cazals et
- Loez, 2008 ; Cochet, 2006 ; Prost, 2004 ; Rousseau, 2003].
- Paternalisme et punitions.
- — L’absence de choix est rappelée,
- concrètement, par la hiérarchie : officiers et sous-officiers.
- Suivant les armées et les sociétés, les pratiques d’encadrement
- diffèrent toutefois fortement. À l’ouest de l’Europe, il s’agit large-
- ment d’une transposition aux tranchées des mécanismes opérant
- dans le monde du travail, mêlant discipline et paternalisme
- [Watson, 2008 ; Saint-Fuscien, 2011]. Les officiers de contact
- obtiennent l’obéissance en se montrant courageux et proches de
- « leurs » hommes et en tentant de leur assurer, chaque fois que
- c’est possible, un approvisionnement décent. Alors que l’armée
- britannique [Beckett et Simpson, 1985] reproduit la structure de
- classes et de déférence de la société civile (moins marquée
- toutefois dans les unités des dominions), l’armée française, où
- exercent de nombreux officiers de réserve issus des classes
- moyennes, est peut-être celle qui connaît les distances sociales les
- moins fortes. À l’inverse, en Allemagne, une « haine de l’officier »
- est alimentée à la fin de la guerre par de très fortes inégalités
- de rémunération et d’alimentation : la solde mensuelle est de
- 15,90 marks pour les soldats, et de 310 marks pour un simple
- lieutenant, écart difficile à supporter devant les pénuries. Les
- écarts d’âge sont également problématiques, les soldats expéri-
- mentés acceptant mal les ordres trop secs d’officiers trop jeunes
- [Ziemann, 1997]. En Italie, les officiers peuvent se montrer
- L
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- 54
- brutaux envers des conscrits dont ils méprisent l’arriération et
- l’indifférence aux enjeux du conflit. C’est pourquoi environ un
- soldat italien sur dix, proportion énorme, sera traduit devant un
- tribunal militaire entre 1915 et 1918 pour désertion ou refus
- d’obéissance [Bianchi, 2001 ; Cazals
- et al.
- , 2005 ; Loez et Mariot,
- 2008].
- Cela illustre un dernier aspect contribuant à maintenir la téna-
- cité combattante : les dispositifs disciplinaires et judiciaires qui
- visent à sanctionner les transgressions, les refus d’obéissance et
- le défaut de combativité. L’armée allemande dispose jusqu’en
- 1917 de châtiments corporels (consistant par exemple à lier les
- membres des soldats), mais se distingue par un faible usage de
- la peine de mort (moins de cinquante soldats exécutés). Inverse-
- ment, les Britanniques (autour de trois cent cinquante), les
- Français (six cents) et les Italiens (plus de mille, dont bon nombre
- sans procès) ont recours à des exécutions souvent arbitraires afin
- de punir l’indiscipline et de faire des « exemples » [Oram, 1998 ;
- Offenstadt, 1999 ; Bach, 2004 ; Cazals
- et al.
- , 2005]. Dans l’armée
- française, ces fusillés sont plus nombreux au début de la guerre,
- en 1914-1915 : dans le contexte de l’invasion et des échecs mili-
- taires, les chefs voient là un moyen de conjurer les paniques et
- d’empêcher les désobéissances [Saint-Fuscien, 2011]. En plus de
- ces pratiques fortement ritualisées, qui ont marqué les contem-
- porains et les mémoires, il existe toute une gamme de punitions
- ordinaires (privation de tabac ou d’alcool, cachot, brimades,
- corvées), étant entendu que la peine la plus redoutée est l’envoi
- ou le retour au feu. S’il faut aussi recourir à ces modes d’encadre-
- ment, c’est parce qu’existent différentes formes de réticence au
- combat.
- Des stratégies d’évitement à la désobéissance
- Minimiser les risques.
- — Survivre à la guerre, c’est avant tout
- essayer d’échapper aux tranchées et d’en sortir lorsqu’on y est
- affecté. Il existe des échappatoires légales, pour les soldats qui
- parviennent à se faire affecter dans les bureaux ou à partir se
- former à l’arrière. De même, dès 1915, on observe un volonta-
- riat massif vers les armes moins dangereuses comme la Marine
- afin d’éviter les premières lignes [Maurin, 1982]. Pour ceux qui
- s’y trouvent et n’ont pas de contacts bien placés permettant
- d’espérer une mutation, reste la possibilité de la « bonne bles-
- sure » (
- Blighty wound
- ou
- Heimatschuss
- : la blessure qui renvoie au
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- ES EXPÉRIENCES COMBATTANTES
- 55
- pays), réelle mais non invalidante, qui conduit à l’évacuation
- vers un hôpital puis une convalescence qu’on souhaite longue.
- Dès l’automne 1914, certains soldats s’infligent des mutila-
- tions volontaires par des tirs dans la main ou l’application de
- pansements infectés, pour jouir du même sort. Très sévèrement
- punis et traqués par les médecins militaires, ces actes révèlent le
- versant illégal du refus de se battre [Offenstadt, 1999]. La forme
- la plus courante en est la désertion. De très rares soldats osent
- abandonner tout leur passé et risquer le passage à l’ennemi ou
- le franchissement d’une frontière. En réalité, le plus souvent, la
- désertion consiste en quelques semaines dérobées à la guerre, à
- l’arrière, chez soi ou caché, avant de reprendre le combat
- [Cronier, 2013]. C’est pourquoi ces pratiques peuvent être relati-
- vement tolérées par le commandement, ainsi en Allemagne où
- on y voit un moyen de compenser les effets de la guerre à
- moindres frais [Jahr, 1998 ; Ziemann, 2007].« Fraternisations » et mutineries.
- — Cela montre que les combat-
- tants trouvent des marges de manœuvre pour minimiser la
- violence de la guerre et l’exposition au danger. On l’observe
- également sur le front, où se mettent en place des trêves et des
- fraternisations improvisées, au cours desquelles les soldats
- ennemis peuvent interrompre les tirs, quitter leurs tranchées pour
- se rencontrer, échanger quelques paroles, de l’alcool ou du tabac.
- Contrairement à une image répandue, cela ne survient pas seule-
- ment à Noël 1914 : ces formes de coexistence apaisée, de « vivre
- et laisser vivre », suivant l’expression de T. Ashworth [1980],
- peuvent survenir sur tous les fronts et durant toute la guerre,
- malgré la vigilance des chefs [Bianchi, 2001 ; Brown
- et al.
- , 2005 ;
- Weber, 2012]. Ces pratiques courantes, aujourd’hui bien docu-
- mentées, indiquent qu’il faut relativiser la prégnance de la haine
- de l’ennemi, laquelle est davantage une réalité de l’arrière que du
- front.
- Enfin, à côté de ces accommodements avec les règles, de véri-
- tables ruptures de l’obéissance surviennent dans des contextes
- bien précis [Loez et Mariot, 2008]. Celles-ci peuvent être brèves :
- refus d’attaquer, de « marcher », d’obéir dans des secteurs diffi-
- ciles ou pour des troupes épuisées, comme le 154
- e
- régiment
- d’infanterie à Verdun en mai 1916. Mais la situation militaire ne
- suffit pas à expliquer les désobéissances. En Allemagne, dans le
- confinement des navires qui exacerbe les tensions avec les offi-
- ciers, l’identité politique et ouvrière des marins s’affirme, et leur
- indiscipline contribue en 1918 à la révolution qui emporte leLes mutins de 1917 : soldats,
- citoyens, militants
- Un mouvement de refus de la guerre
- survient en mai-juin 1917 dans
- l’armée française. La désobéissance
- concerne plus des deux tiers des
- unités d’infanterie, principalement
- dans l’arrière-front, où des soldats
- refusent d’aller aux tranchées et
- déploient une grande variété de
- pratiques protestataires : désertion,
- manifestation, meeting, pétition,
- pouvant aller jusqu’à la violence
- contre les officiers, dont quelques-
- uns sont sérieusement molestés. Défi-
- lant parfois sous le drapeau rouge, ils
- font entendre l’Internationale ainsi
- qu’un slogan : « À bas la guerre ! » Les
- plus radicaux des mutins essaient
- de gagner Paris pour adresser leur
- demande de paix aux gouvernants,
- tentative contrecarrée par leur
- arrestation.
- Cet événement a plusieurs sens. Les
- mutins, plus jeunes que la moyenne
- des troupes, sont d’abord des soldats
- qui réagissent à l’échec de l’offensive
- Nivelle (16 avril 1917), à l’instabilité
- de l’armée qu’indique la nomination
- en hâte du général Pétain et
- aux promesses non tenues de repos
- et de permissions. Mais ils sont
- aussi des citoyens qui demandent
- leurs « droits », appuyés sur les mouve-
- ments sociaux de l’arrière dont ils sont
- informés et solidaires. Enfin, si certains
- vivent les mutineries comme un
- « chahut » permettant de mettre un
- peu de « chambard » avant de se
- soumettre de nouveau à la discipline,
- quelques-uns, plus politisés, y expri-
- ment dans le vocabulaire du paci-
- fisme ou du socialisme un refus radical
- de continuer le conflit. Résolu par un
- mélange de temporisation et de
- répression des officiers et de l’armée,
- l’événement indique aussi bien la capa-
- cité d’action et de mobilisation des
- combattants que, sur le long terme,
- leur absence de choix devant l’inertie
- de la guerre [Smith, 1994 ; Loez,
- 2010].
- régime. De même, en Russie, l’armée devient un lieu de
- radicalisation politique, à travers les « comités de soldats » formés
- en 1917, où siègent en réalité beaucoup d’officiers gagnés aux
- idées libérales ou révolutionnaires [Ferro, 1971 ; Wildman, 1980].
- Dans ces deux cas, la désobéissance militaire se fait en lien avec
- les événements politiques intérieurs. Dans les mutineries de 1917
- en France, l’interaction est également complexe entre le front et
- l’arrière (voir encadré ci-dessus).
- Le front et l’arrière
- Les liens étroits entre désobéissances militaires et mouvements
- sociaux indiquent qu’il ne faut pas imaginer de coupure radicale
- entre le front et l’arrière. Ces univers complémentaires connais-
- sent de nombreuses interactions, qui contribuent à la complexité
- des identités combattantes.
- L
- ES EXPÉRIENCES COMBATTANTES
- 57
- Des liens maintenus
- Correspondance et permissions.
- — L’élément essentiel assurant
- un lien entre l’univers des tranchées et du front est la correspon-
- dance [Cazals et Loez, 2010 ; Cazals, 2013 ; Prochasson, 2008].
- Une estimation fait état de 10 milliards de lettres échangées au
- total sur la durée du conflit, indiquant l’importance de l’écrit
- pour des générations massivement scolarisées avant 1914. Si les
- armées ouvrent, à partir de 1915-1916 surtout, une fraction des
- lettres pour enquêter sur le « moral » des troupes, la plupart des
- courriers ne contiennent rien que de très ordinaire : l’assurance
- qu’on se porte bien, la description (souvent, mais pas toujours,
- rassurante) des lieux et des épreuves traversées, l’expression de
- l’affection réciproque. On s’informe par le courrier des événe-
- ments politiques mais surtout locaux et familiaux : la marche de
- l’exploitation agricole, les problèmes de ravitaillement, l’éduca-
- tion des enfants.
- Mais le courrier est aussi source de frustrations et d’inquié-
- tudes, pour ceux qui n’ont personne à qui écrire, pour les soldats
- de territoires lointains dont l’attente est très longue (il faut
- quarante-cinq à cinquante jours pour acheminer une lettre
- d’Australie en 1916), et lorsque le flux de courriers s’interrompt
- soudain : sans lettre de l’arrière, on redoute une infidélité ; sans
- lettre du front, c’est l’angoisse de la mort du correspondant.
- La permission est une reconstitution des liens antérieurs tout
- aussi précaire [Cronier, 2013]. Devant l’allongement de la guerre,
- il ne paraît pas possible de maintenir au front indéfiniment tous
- les combattants, lesquels revendiquent la possibilité d’un bref
- retour à l’arrière. Cette question fait l’objet de virulents débats,
- en France, où elle révèle clairement l’ambiguïté de l’identité des
- combattants, à la fois militaires soumis à des normes et citoyens
- jouissant de droits. Cela débouche, malgré les réticences des
- généraux, sur une codification des permissions en 1915-1916 :
- une semaine tous les quatre mois, plus le temps du trajet. De
- même, les Britanniques ont droit à dix jours par an de l’autre côté
- de la Manche.
- Attendu avec une extrême impatience, le moment de la
- permission conduit, après un temps de transport dans des condi-
- tions exécrables, à un retour partiel à l’identité et aux sociabi-
- lités civiles. Un tiers environ des soldats de la Grande Guerre sont
- mariés : le moment des retrouvailles avec leurs épouses est parti-
- culièrement émouvant. Pour les permissionnaires, au repos
- nécessaire après l’expérience du front s’ajoute souvent le travail,
- L
- A
- G
- RANDE
- G
- UERRE
- 58
- ainsiqu’unimportantrôledemédiation:ilsapportentdes
- lettres, des colis et des nouvelles aux proches de camarades restés
- au front. Le retour vers les lignes suscite l’angoisse, le « cafard »
- dont parlent nombre de témoins dans le langage spécifique que
- se sont donné les combattants [Roynette, 2010].
- Des tensions nouvelles
- Décalages et frustrations.
- — Il existe d’autres liens, plus ambigus,
- entre civils et militaires. L’arrière-front est un espace de
- rencontres et de contacts, dans les églises, les magasins et les
- débits de boissons des villages proches des lignes [Proctor, 2010].
- Mais si certains officiers peuvent faire venir leurs épouses pour de
- brèves étreintes, bien des soldats sont confrontés à la méfiance de
- la population et aux prix démesurés affichés par les commer-
- çants, surnommés « mercantis » en raison de ces abus.
- La presse circule de l’arrière vers le front, où les combattants
- cherchent à s’informer de la situation dans l’attente de la « fin »
- de la guerre. Mais sa lecture provoque généralement des ressen-
- timents, devant la manière biaisée et trompeuse dont l’expé-
- rience des tranchées y est décrite : c’est le « bourrage de crânes »,
- qui décrit des soldats joyeux de monter à l’attaque et des balles
- adverses peu meurtrières [Pappola et Lafon,
- in
- Cazals
- et al.
- , 2005].
- Ce problème révèle la tension constante, durant le conflit, autour
- de l’image des combattants. Chaque société se les représente de
- façon simplifiée, dans les films, la presse, sur les affiches de
- propagande, les cartes postales, et à travers les surnoms qui leur
- ont été trouvés :
- tommies
- pour les Anglais,
- diggers
- pour les Austra-
- liens et Néo-Zélandais, « poilus » pour les Français, ce dernier
- terme reprenant l’association courante dans l’argot militaire
- entre le courage et la pilosité virile. Mais on verse rapidement de
- l’image sympathique à la caricature éloignée des réalités du front.
- C’est aussi en réaction à ces dénis de leur expérience que tant
- de témoins ont voulu écrire, sur le moment et après guerre [Cru,
- 1929 ; Cazals et Rousseau, 2001].
- Le malaise éprouvé par les soldats devant les images faussées
- du combat dans la presse se retrouve parfois durant les permis-
- sions, lorsqu’ils rencontrent des civils qui les critiquent ou leur
- semblent indifférents à leurs souffrances. De même, les soldats
- espèrent jouer de leur identité valorisée, à l’arrière, pour couper
- court aux files d’attente et pour rencontrer des femmes, mais font
- plutôt l’expérience de la frustration [Cronier, 2013].
- L
- ES EXPÉRIENCES COMBATTANTES
- 59
- Cela explique le recours massif à la prostitution, dans toutes
- les armées, en ville et en arrière des lignes. Après une longue hési-
- tation (vaut-il mieux combattre le phénomène ou l’encadrer,
- pour minimiser à coups de pommades et de recommandations
- le péril vénérien ?), l’armée française officialise et réglemente les
- « bordels militaires » à partir de mars 1918 [Rousseau, 2003 ;
- Capdevila
- et al.
- , 2010]. En Belgique occupée, l’armée allemande
- gère des « maisons » depuis 1914, et le nombre des prostituées,
- très jeunes, semble doubler à Bruxelles en 1915 [Majerus, 2003].
- Chantier encore peu travaillé, cette prostitution révèle que le
- temps de guerre correspond à une détresse sociale partagée, des
- hommes et des femmes, bien au-delà du « premier cercle » des
- combattants des tranchées.
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