Mon manège

Premier plan : gros plan sur des yeux marrons presque noirs, ouverture-fermeture des paupières, ralenti. Gros plan sur la bouche rouge vif. Sourire. Petites dents couleur du lait.

Devant la glace se dresse un joli reflet. Elle se séduit, est amoureuse de son reflet, aime se regarder des heures, la musique dans les oreilles. Le sourire aux lèvres, elle fait la star. Elle lance à elle-même des regards sensuels, joue des épaules pour attirer le reflet. Elle le séduit avec des mots à la fois crus, sexuels et émouvants. Jeu d’épaules. Le mieux, c’est quand elle se voit en entier. Elle sait qu’elle est déjà attirante. Son reflet et elle se rapprochent. Elle l’embrasse, lui dit des mots d’amour. La petite fille a une jolie robe rouge, elle est décoiffée, pieds nus. Une des bretelles de la robe tombe sur son épaule. Elle est dans une chambre plein de jouets. Ses yeux se ferment, on la retrouve dans une pièce noire. Elle bouge dans tous les sens, accélération x 120. Le contraste entre la robe rouge et le noir de la pièce est saisissant. Ses jolies boucles à l’anglaise bougent dans tous les sens. Elle devient pâle, très pâle. Sa bouche est blanche. Ses jambes sont droites, elle se baisse, touche ses pieds. Elle se relève : sa bouche, rouge coco chanel. Ses yeux cerclés par le noir.  Derrière une musique au piano, très gaie. Mais la musique se dégrade, devient laide et triste.

Scène suivante : la passion est passé, ils ne s’aiment plus. Il lui a fait mal, tellement mal. Il l’a frappé. Plan sur son poing qui atterrit sur sa petite joue. Deuxième plan : sa main qui agrippe son bras, il la secoue. C’est le moment qu’elle préfère, elle aime avoir mal d’amour. On la voit se donner des coups dans le ventre. Elle a toujours vu aimer comme ça : des mots violents, insultants, qui font mal. Elle préfère ce moment car c’est seulement là qu’elle se sent vivante. Oui, elle peut se faire mal toute seule, en s’insultant. Mais oui, c’est ça l’amour. S’aime-t-elle ? Oui, oui, oui, c’est comme ça qu’on aime : en faisant mal. Elle aime tellement qu’elle se protège en faisant mal à ce reflet, à cet autre. Elle est dans une pièce blanche, toute nue. Par terre. Un bruit de manège résonne.  Les murs sont couverts de miroirs. Jusqu’à ceux-ci, elle rampe. Elle se regarde enfin. C’est pas beau à voir. Son noir coule le long de ses joues. Elle se frotte les lèvres. Le rouge vomit sur son menton. Sa tête est pris dans un étau qui se resserre. Elle pleure et jouit littéralement de voir les larmes sur ses joues. Entre ses cuisses, un petit liquide chaud et épais. Plaisir sexuel de se prendre en pleine gueule cette douleur. Plaisir sexuel de douleur. Echos. Remous dans le ventre, c’est chaud, la douleur. Et pourtant, elle y survivra.


Fin : Elle se réveille, en sueur, dans son lit. Pyjama blanc. Sa chambre est baigné des lueurs de la pleine lune. Elle a 20 ans.

A l’Inconscient qu’on a réveillé…
A cette bête sauvage qu’on laisse parfois échapper…