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- INTERVIEW RIP AVEC EMMANUEL LEGEARD SPECIALISTE INTERNATIONAL DE LA NUTRITION DES ATHLETES
- (manque 3 premiers échanges)
- Maria Gonzalez : Vous avez beaucoup parlé aussi de la synergie vitamine D/bicarbonate de
- potassium?
- Emmanuel Legeard : C’est vrai. La synergie vitamine D/bicarbonate de potassium me semble
- importante dans le domaine de l’alimentation du sportif de force. A mon avis, elle constitue un
- avantage certain pour l’entretien et le développement des fibres blanches de type II, surtout chez les
- vétérans.
- Maria Gonzalez : Contre la sénescence, il y a le rééquilibrage hormonal, qui marche très fort. J’ai vu
- qu’on peut trouver des suppléments sans danger sur le marché susceptibles d’élever par exemple la
- testostérone?
- Emmanuel Legeard: Dans les substances en vente libre, la liste est très courte, en vérité. Dans
- l’ensemble, ça se répartit entre les molécules qui ne marchent même pas sur le papier et celles qui ne
- servent à rien en pratique. Toutes sont très vieilles et sont sorties des laboratoires soviétiques entre
- les jeux olympiques de Munich en 1972 et les jeux olympiques de Montréal en 1976, période à
- laquelle on a élaboré les protocoles capables de dépister l’usage des stéroïdes anabolisants. Elles
- réémergent une vague d’amateurs sur deux, le temps qu’on oublie que ça ne marche pas. Notez qu’il
- y a des choses qui se présentent bien sur le papier et qui ne valent rien en pratique. Par exemple, on
- suppose que la daidzéine du soja pourrait partiellement se convertir en méthoxy-isoflavone une fois
- dans l’organisme. Rien n’est moins sûr; en tout cas, il n’existe aucune étude sérieuse, et le fait est que
- ça n’a jamais marché sur personne. Et je ne parle même pas des substances franchement comiques
- qui n’ont strictement aucun effet.
- Maria Gonzalez: Ces substances, quelles sont-elles?
- Emmanuel Legeard: Eh bien, parmi celles qui n’ont pas le pouvoir d’élever ni directement ni
- significativement la testostérone, il y a la vitamine E, la vitamine PP, le bêta-sitostérol et toutes ces
- sortes de choses, dont l’effet est proche de zéro, même sur le papier. J’ai vu dernièrement qu’on
- s’était remis à commercialiser très cher du campestérol. Comme les gens n’ont aucune notion de
- chimie, on a beau jeu de leur vendre n’importe quoi. Il suffit de leur dire que le campestérol est le
- précurseur de la boldénone et on peut leur revendre de l’huile de colza à prix d’or. Seulement le
- campestérol est le précurseur de la boldénone comme le cholestérol est le précurseur de la
- testostérone. Si on vous vendait très cher du cholestérol sous prétexte d’élever vos taux de
- testostérone, vous en achèteriez, vous? Non? Eh bien, voilà.
- Maria Gonzalez : Mais vous avez expliqué dans votre conférence que les graisses étaient très utiles à
- l’athlète de force, notamment sur le plan hormonal…
- Emmanuel Legeard : Mais c’est vaste, le plan hormonal. Par exemple, la vitamine D est apportée par
- les graisses et elle est très importante. C’est elle-même… bon, je vais me faire taper sur les doigts par
- les puristes, parce que je fais un raccourci un peu cavalier… mais c’est une hormone, la vitamine D, et
- elle est indispensable à l’entretien des fibres rapides. Enfin, je vais clarifier un peu. Il y a plusieurs
- formes de vitamine D. Pour faire bref, la vitamine D importante, c’est la vitamine D3. C’est celle
- qu’on synthétise à la lumière du soleil, et qu’on ne trouve que dans les graisses animales. Pour tirer de
- son alimentation de la vitamine D3, il faut manger du poisson gras des mers froides, du foie, ou des
- oeufs entiers. Quand elle arrive dans le foie, la vitamine D3 est transformée en calcidiol, qui est
- indispensable à l’entretien des fibres blanches de type II à contraction rapide, voire à la
- transformation des fibres à contraction lente en fibres à contraction rapide. Or ce calcidiol, c’est une
- préhormone. Voilà. Maintenant, puisque manifestement c’est à la testostérone que vous pensez, ma
- réponse est : oui, en effet, les graisses saturées et monoinsaturées ont une influence positive sur la
- testostérone.
- Maria Gonzalez : Jean Texier défendait l’idée curieuse que les acides gras essentiels élevaient la
- testostérone ; est-ce qu’il n’avait pas tout faux, en l’occurrence? Parce que je me souviens que vous
- avez écrit que contrairement aux graisses saturées, elles le font baisser.
- Emmanuel Legeard : C’est un malentendu. Jean Texier était l’un des meilleurs experts au monde de la
- diététique culturiste; il était sorti avec un an d’avance parmi les premiers de sa promotion de l’Ecole
- Nationale de la Santé Publique dont il était cadre supérieur, et il était international naturel de
- culturisme. Il ne disait pas de bêtises. Ce que Jean disait, c’est que les omégas-3 tirés de l’huile de
- poisson gras évitent la conversion de la testostérone en DHT. Là, il parlait du rapport favorable de
- l’activité anabolique à l’activité androgénique, qui est catabolique. D’ailleurs je me souviens que ça
- m’avait donné l’occasion d’échanger quelques courriers avec mon excellent collègue canadien
- Anthony Ricciuto qui est comme moi Spécialiste de la Nutrition de la Performance de l’Association
- Internationale des Sciences du Sport. Et nous sommes d’accord, évidemment.
- Maria Gonzalez : Vous parliez de substances séduisantes sur le papier et sans effet en pratique pour
- augmenter la testostérone…
- Emmanuel Legeard: Oui, dont l’isolation remonte aussi à la période 1972-1976, par exemple les
- triterpènes tirés du palaquium gutta ou de la bugle de Kachgarie. La turkéstérone est une
- phytoecdysone isolée de l'extrait méthanolique des racines de la bugle de Kachgarie. C’est
- l’analogue de la 20-hydroecdysone, l’hormone sexuelle qui déclenche la mue des arthropodes.
- Certaines plantes en contiennent pour se défendre des insectes en provoquant leur mue prématurée,
- ce qui introduit dans leur organisme une espèce de chaos métabolique dont ils meurent vite. On
- trouve des ecdystéroïdes dans les plantes les moins exotiques, comme les asperges. Le problème,
- c’est que ça ne marche pas non plus. Les effets notoires de la turkéstérone, qui est la plus puissante,
- c’est de dérégler le système digestif, de perturber les taux de sucre sanguin et de drainer les
- ressources nerveuses de l’organisme parce que c’est un excitant.
- Maria Gonzalez : Il n’y a donc rien qui puisse élever les taux de testostérone?
- Emmanuel Legeard : D’abord il faudrait s’entendre sur ce que ça veut dire, « augmenter la
- testostérone » ! En ce qui me concerne, c’est du slogan. Ça sonne creux déjà au départ. Le problème,
- c’est le piégeage par la protéine de liaison, la SHGB, et la conversion de la testostérone en DHT et en
- oestrogènes. La SHGB est produite dans les mêmes proportions que la testostérone. Elle se lie à 98%
- de la testostérone circulante et neutralise complètement la moitié. Donc ce qui faut considérer, c’est
- la testostérone libre. Or apparemment, il semble possible de l’augmenter par des extraits de racine
- d’ortie, du fait que celle-ci renferme un lignane. Les lignanes présentent souvent des caractéristiques
- structurales assez semblables aux hormones sexuelles pour mystifier l’organisme. A part ça, il y a
- l’acide aspartique, et bien d’autres choses encore. Un nutriment fétiche et «secret» de certains
- professionnels dans les compétitions de culturisme naturel, aux Etats-Unis, c’est le mustard honey, un
- mélange un-pour-un de miel et de moutarde qui, d’après eux, leur permet de réorienter leur
- organisme vers l’anabolisme en fin de prépa. Et, de fait, à y regarder de plus près, c’est un mélange
- intéressant à plus d’un titre, non seulement du fait de la concentration de la moutarde en
- brassinolides qui sont en quelque sorte les stéroïdes anabolisants dont les végétaux ont besoin pour
- la croissance de leurs tissus, mais encore parce que la combinaison des deux peut certainement
- stimuler le système immunitaire.
- Maria Gonzalez : Mais est-ce que tout ne dépend pas de la sensibilité à la testostérone, au final?
- Emmanuel Legeard : Oui, vous avez parfaitement raison. Tout dépend de la sensibilité des récepteurs
- musculaires. C’est beaucoup plus important que la testostérone même. Maintenant, comment améliorer naturellement sa sensibilité ? Par l’entraînement de force, aucun
- doute. Peut-être par l’électrostimulation. On l’a montré sur des rats. Le tartrate de carnitine, qui avait
- fait l’objet d’une campagne commerciale maquillée en articles scientifiques, ne m’a jamais
- convaincu, et le temps m’a semble-t-il donné raison, puisque le « tar-car » n’a pas l’air de faire effet
- sur grand monde.
- Maria Gonzalez : Toutes les protéines se valent-elles ?
- Emmanuel Legeard : Non, évidemment. Il y a des sources de protéines plus intéressantes que
- d’autres. L’oeuf, le quinoa…
- Maria Gonzalez : Comment calculer la ration idéale de protéines? Hier, je lisais une interview du
- professeur Tipton, la grande autorité en matière de métabolisme protéique, et il disait que le bilan
- azoté n’avait aucun intérêt?
- Emmanuel Legeard : Evidemment! Tout le monde est revenu du bilan azoté pour déterminer le statut
- ou les besoins d’un athlète; ça ne marche pas, c’est faussé. Les études abondent qui montrent une
- augmentation du bilan azoté sans aucun changement de la masse musculaire. C’est Rennie, je crois,
- qui a dit que s’appuyer sur le bilan azoté, c’était comme projeter un voyage dans la lune avec un fil à
- couper le beurre. Dire que ce n’est pas un moyen fiable de juger du gain de masse maigre n’est pas
- assez: c’est carrément qu’il n’y a aucun rapport. Même Hegsted l’admettait déjà en 68! Donc, c’est
- complètement rétrograde. C’est comme l’indice glycémique. A tout prendre, on pourrait au moins lui
- préférer la charge glycémique. Vous me demandez quelle est la ration idéale, et je n’en sais rien. Ce
- qu’il faut déterminer, c’est le rapport entre les macronutriments qui est idéal pour vous, et ça, c’est
- du suivi individuel. Il y a de grandes lignes au fonctionnement du corps humain, mais les méthodes
- sont des attrape-nigauds. Deux individus apparemment semblables peuvent réagir l’un très mal et
- l’autre très bien à un même régime. Et là, malgré toute la technologie postmoderne, c’est la grande
- leçon d’humilité parce qu’il faut tâtonner à l’intuition et parfois pendant des semaines avant d’y voir
- clair dans le métabolisme d’un individu.
- Maria Gonzalez : Il y a quelques années, vous avez dénoncé la plaisanterie des 40 grammes de
- protéines par repas, mais il y a encore des tas de gens à raisonner dans ces proportions-là. Quelle est
- l'origine de cette idée bizarre?
- Emmanuel Legeard: Attention; ce que j'ai dénoncé, comme vous dites, c'est les 40 grammes comme
- plafond, non les 40 grammes comme seuil, proportion tout à fait justifiée. Tout part d'un
- malentendu. Dans les années 60, le grand spécialiste du métabolisme des protéines, Hamish Munro
- qui dirigeait alors le département de nutrition humaine au MIT a montré que c'était le contenu des
- protéines alimentaires en acides aminés ramifiés qui décidait de la croissance musculaire, et que des
- trois – valine, leucine et isoleucine – c'était la leucine qui jouait le rôle déterminant. Munro a étudié
- plusieurs isolats de protéines, dont celui du soja qui était considéré depuis la fin des années 50
- comme celui de référence pour les plantes parce qu'il contient les 8 acides aminés essentiels, et celui
- du blanc d'oeuf, maître-étalon selon le "coefficient d'efficacité protéique" utilisé depuis 1919. Or il se
- trouve que le contenu en leucine de ces deux isolats est équivalent: 7 grammes pour 100 grammes.
- De sorte que pour apporter les 3 grammes de leucine que Munro pensait nécessaires à la
- surcompensation anabolique, il faut environ 40 grammes d'isolat de soja ou de blanc d’oeuf.
- Maria Gonzalez : Vous m’apprenez vraiment quelque chose, jamais je n’avais entendu parler de
- Munro.
- Emmanuel Legeard : Il gagne pourtant à être connu. Comme tous les pionniers qui ne sont pas
- vraiment dépassés et dont on ne fait en définitive que confirmer les intuitions ou les constats grâce
- aux moyens technologiques extraordinaires dont ils ne disposaient pas encore, mais qui ont peut-être,
- en revanche, détrôné l’imagination qui n’est manifestement plus au pouvoir.
- Maria Gonzalez: A ce propos, justement, et pour revenir au concept de plafond alimentaire : j’ai lu il
- y a dix ans un article de Monsieur Texier dans lequel il écrivait qu’il fallait obligatoirement être en
- déficit calorique pour maigrir et que les protéines alimentaires en trop pouvaient se stocker sous
- forme de graisse.
- Emmanuel Legeard: Une alimentation trop systématiquement riche en protéines peut faire du tissu
- adipeux, c’est certain, parce que l’accumulation d’acides aminés dans le sang déclenche le signal de
- la synthèse protéique et que ce signal est donné par une enzyme activatrice sensible à la leucine
- dont la cible, S6K1, a non seulement la capacité de surmener les cellules bêta sécrétrices d’insuline,
- ce qui souvent entraîne un diabète gras, mais encore de stimuler la prolifération des cellules
- graisseuses, donc l’invasion du tissu adipeux. De sorte que des rations à la fois très riches en protéines
- d’origine animale et très fréquentes présentent en effet le risque de rendre gras.
- Maria Gonzalez: Je croyais que c’était parce que les acides aminés se transformaient en glucose et
- que le glucose se stockait sous forme de graisse ?
- Emmanuel Legeard: Non, je ne crois pas que ce soit possible. D’abord, chez l’homme, la
- transformation du glucose en acide gras n’a pas lieu dans le tissu adipeux, comme chez le rat, mais
- dans le foie, et cette voie métabolique est si infime qu’elle ne compte pas vraiment. C’est de l’ordre
- d’un pour cent. Evidemment, si on avale tous les jours une boîte entière de sucres en morceaux en
- plus du reste, et sans bouger de son canapé, c’est tellement monstrueux qu’on peut tout envisager,
- mais cliniquement, les scientifiques ne sont jamais tombés sur un sujet au métabolisme de rongeur,
- même obèse. La conversion se fait presque exclusivement dans le foie, elle est négligeable. Quant à
- celle qui s’opère dans les cellules du tissu adipeux, elle est infime. Normalement. Deuxièmement,
- tous les acides aminés ne sont pas convertibles en glucose via la gluconéogenèse. Par exemple, la
- leucine dont nous parlions tout à l’heure n’est pas glucoformatrice. Elle est cétogène, c’est-à-dire
- qu’elle donne des corps cétoniques qui sont immédiatement utilisés à des fins énergétiques ou bien
- éliminés dans l’urine ou par la respiration, ce qui donne une mauvaise haleine à l’odeur de pomme
- qui est l’odeur de l’acétone. Troisièmement, la double conversion des acides aminés en glucose, puis
- du glucose ainsi gagné en graisse corporelle est trop tortueuse pour être efficace, sans compter que
- son coût énergétique en neutraliserait les effets. Enfin, il y a l'antagonisme insuline-glucagon: le
- corps ne peut pas simultanément encourager la dégradation des protéines en glucose et la
- pénétration du glucose dans les cellules graisseuses.
- Maria Gonzalez: C’est très intéressant. Vous parliez du rôle de mTOR dans l’engraissement. Je ne lis
- pourtant que des choses positives sur la voie mTOR…
- Emmanuel Legeard: La nature ne donne rien pour rien. L’activation de la voie mTOR est
- indispensable à la synthèse des protéines musculaires, mais la surstimulation du complexe mTOR
- provoque le diabète de type 2 et entraîne le vieillissement accéléré des cellules. Si la restriction
- calorique allonge considérablement la durée de vie, c’est parce que la signalisation mTORC–S6K1
- s’en trouve diminuée. De même, l’argument commercial du resvératrol, c’est qu’il retarderait le
- vieillissement par inhibition de mTORC-1. Pourtant, développer ses muscles et sa force passe
- obligatoirement par la stimulation de cette voie de signalisation. C’est la vie.
- Maria Gonzalez: Pour l’insuline, c’est la même chose : à la fois un bien et un mal. Provoquer des pics
- d’insuline est sans doute indispensable?
- Emmanuel Legeard: Le pic d'insuline est quelque chose d’excessivement malsain, ça crève les yeux, et
- pourtant je suis moi-même passé à côté, parce qu'on est tous plus ou moins piégés par le
- conditionnement culturel et ses tropismes, par le prêt-à-penser, comme on dit, qui détourne
- l’attention des vrais problèmes. Et puis un jour, je me suis mis à sérieusement reconsidérer la
- question, et tout à coup j’ai vu le pic d'insuline pour ce qu’il est : un phénomène tout à fait inquiétant,
- donc indésirable. Qu’est-ce que c’est, le pic d’insuline? C’est une réaction d'urgence à une
- perturbation interprétée comme toxique par l'organisme: le corps cherche par une salve désespérée
- à évacuer de la circulation un taux de sucre sanguin qui est contre nature. Il y a de l’ironie à comparer
- les réactions catastrophées - et comiques - face au pic de cortisol, alors qu’il s’agit d’une fluctuation
- ponctuelle sans importance, avec la totale indifférence au pic d'insuline qui n'est pas du tout un
- phénomène rassurant.
- Maria Gonzalez : En effet, c'est la première fois qu'on me présente la chose sous cet angle... Donc, le
- pic de cortisol est moins inquiétant que le pic d'insuline?
- Emmanuel Legeard : Ce n’est même pas comparable. Le rapport cortisol/testostérone à la fin d'une
- séance n'est révélateur de rien du tout, sinon de l'intensité de la séance, de sorte qu'on peut soutenir
- que c'est plutôt bon signe. Se mettre dans l’état d’excitation nécessaire pour mobiliser ses forces et
- attaquer les barres a inexorablement pour conséquence de libérer instantanément de l’adrénaline et
- de la noradrénaline, et au bout de quelques minutes du cortisol. C’est un mécanisme qui permet de
- déstocker du glycogène et de rendre les fibres rapides plus excitables pour une réaction immédiate.
- Si l’effort dure, le cortisol inhibe la sécrétion d’insuline afin que le glucose du foie puisse se déverser
- dans la circulation sanguine et satisfaire aux besoins du métabolisme d’alarme, qui est glycolytique.
- Maria Gonzalez : Donc le cortisol est une hormone catabolique…
- Emmanuel Legeard : Evidemment. Le cortisol, c'est une hormone catabolique. Mais ses effets
- délétères sur les protéines musculaires, s’ils sont réels, ne sont pas instantanés parce que c'est un
- facteur de transcription, comme la testostérone. Que vous ayez un pic de cortisol ou de testostérone,
- ça ne veut rien dire. Les étalons qui s'accouplent connaissent un pic de testostérone; ça n'a aucun
- effet anabolique sur leur musculature ou leurs temps de course à Longchamp. Le cortisol ou la
- testostérone n'ont d'effet que si leur élévation est chronique, c'est-à-dire si elle se maintient
- longtemps. Les fluctuations ponctuelles n'ont pas la même signification. De toute manière, pas de
- testostérone sans cortisol.
- Maria Gonzalez : Il n’y a pas de testostérone sans cortisol?
- Emmanuel Legeard : Non, parce que la prégnénolone, qui est l’hormone mère, est à la fois le
- précurseur du cortisol via la progestérone et de la testostérone via la DHEA et l’androsténédione, et
- que ces deux voies se délimitent réciproquement.
- Maria Gonzalez : Je comprends mieux… Quand on a une alimentation très riche en protéines, qu’estce
- qu’il faut adapter comme paramètres alimentaires ?
- Emmanuel Legeard : Il faut de la vitamine B6, parce que celle-ci est le coenzyme du métabolisme
- protéique, donc le facteur limitant des réactions. Il faut boire aussi, beaucoup. Les fibres sont
- indiquées parce qu’on est facilement constipé. Les enzymes digestives sont très utiles. Mais c’est une
- question très complexe. Il faudrait des heures pour y répondre convenablement.
- Maria Gonzalez: Et qu’est-ce qu’on peut utiliser comme suppléments naturels pour améliorer les
- séances, la caféine ?
- Emmanuel Legeard: Je constate que les gens sont très mal renseignés en général sur la caféine; ils en
- parlent beaucoup, mais sont incapables d'expliquer ce que c'est, comment ça marche, et cætera. En
- fait, il n’y a que sur les fibres rouges de type I à contraction lente et métabolisme oxydatif que la
- caféine agit comme stimulant, parce que celles-ci, à la différence des fibres blanches de type II,
- disposent d'un mécanisme de libération du Ca2+ sensible à la caféine. Tous les effets positifs de la
- caféine sur le muscle viennent de là. Par exemple, si la caféine encourage l’activité de la protéine
- lipase contenue dans les fibres rouges de type I à contraction lente, c'est parce que la protéine lipase
- est réactive à la teneur du milieu en Ca2+. Sinon, c'est parfaitement connu, la caféine bloque les
- récepteurs à l'adénosine produite par une diminution de l’irrigation sanguine et de l’apport
- d’oxygène. L’adénosine inhibe le bon fonctionnement du cerveau. Donc si la caféine bloque son
- action, elle permet certainement de faire reculer la fatigue. C’est bon pour une séance interminable
- de force-endurance. Mais pour l'athlète de puissance, je ne vois pas l'avantage.
- Maria Gonzalez : Mais il n'y a pas d'inconvénient pour autant?
- Emmanuel Legeard : Il y a des inconvénients majeurs avec la caféine. Les effets de la caféine, tout le
- monde le sait, ne sont notoires qu'à partir d'une forte dose. Ca pose de sérieux problèmes parce que
- ces effets contrarient clairement les adaptations désirables aux entraînements de force et de
- puissance. D'abord, comme vous le savez sûrement, ce qui fait la différence pour nous, c'est la teneur
- des muscles en fibres blanches de type II à contraction rapide, du fait que ce sont celles capables de
- développer leur force et leur puissance en ajoutant des unités contractiles en parallèle ou en série;
- c'est d'ailleurs la raison pour laquelle ce sont les seules disposées à l'hypertrophie fonctionnelle. Or
- ces fibres consomment du sucre. On dit qu'elles ont un métabolisme glycolytique. Eh bien la caféine
- ou la théophylline qui sont les alcaloïdes contenus dans le thé et le café ont ceci de particulier qu'ils
- empêchent les fibres blanches et les muscles rapides de reconstituer leurs stocks de glycogène par
- les deux voies de la contraction et de l'insuline. Moins de glycogène, c'est non seulement moins de
- sucre, mais aussi moins d'eau, donc un milieu intérieur défavorable à la croissance. Tout cela sans
- compter que l'assimilation des acides aminés est également perturbée. Par-dessus le marché, vous
- allez voir que j'ai gardé le meilleur pour la fin, la caféine enclenche le commutateur clef de la
- transformation des fibres rapides en fibres lentes, le PGC-1 alpha.
- Maria Gonzalez : Mais ça, il n'y a que vous à le dire?
- Emmanuel Legeard : Pas du tout. L'équipe de Handschin l'a prouvé, ainsi que l'équipe de Holloszy, et
- bien d'autres encore. Concernant la caféine et la théophylline, les Norvégiens sous la direction de
- Bolling l'ont encore démontré il y a un an ou deux... Tout le monde est au courant que la caféine
- renforce l’expression du PGC-1 alpha, dont on sait très bien qu’il est régulé par des canaux calciumdépendants.
- On en parle régulièrement comme d'un bienfait parce que l'expression renforcée du
- PGC-1 alpha sous l’effet de la caféine favorise la biogenèse mitochondriale. Soit! Tout dépend des
- objectifs. Mais en ce qui nous concerne, le remplacement du phénotype glycolytique anaérobie par
- le phénotype oxydatif n’est pas quelque chose d’avantageux.
- Maria Gonzalez : S’il y a des aliments ou des substances capables de transformer les fibres de type II
- en fibres de type I, est-ce que l’inverse est possible?
- Emmanuel Legeard : Bien sûr. Par exemple, l’iode, la vitamine D ou la citrulline encouragent la
- conversion dans le sens type I, type II. D’après D’Antona, l’alimentation hyperprotéique y
- contribuerait aussi. Et évidemment, l’hydratation est très importante pour l’entretien et la croissance
- des fibres rapides, ainsi que l’apport calorique, notamment sous forme glucidique parce que les
- fibres blanches de type II s’étiolent et peuvent même se transformer si leur carburant spécifique se
- fait rare. Il y a une centaine d’études montrant que les fibres rapides se détériorent en priorité dans
- les régimes hypocaloriques ou chez les dénutris. C’est pour cette raison qu’on leur a donné le nom de
- fibres réservoirs. Et même s’il n’y a jamais eu, à ma connaissance, d’études spécialement consacrées
- aux rapports entre le régime sans hydrates et l’intégrité des fibres rapides, je suis absolument
- persuadé qu’un régime « zéro sucre » est mauvais pour les fibres blanches. Ça me semble si
- implacablement logique que je ne vois pas comment il pourrait en être autrement.
- Maria Gonzalez : Je vous remercie de m’avoir accordé cette interview passionnante.
- Emmanuel Legeard : Mais non, c’est moi qui vous remercie.
- (c) M.Gonzalez, 2013
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