LE BIEN PUBLIC, 24/11/2015 PDF: http://nekaka.com/d/1SHrj6G3wM (p.12) SELONGEY. Une perquisition a été effectuée mercredi au domicile de Mehdi Benhadda. Ce dernier, qui a « coopéré du début à la fin de l’opération », raconte une soirée « difficile ». « A-t-on déjà vu un terroriste déclarer ses armes ? » Choqué d’avoir vu des dizaines de gendarmes envahir sa maison dans la nuit, Mehdi Benhadda raconte une perquisition non sans conséquences pour lui. Mercredi 18 novembre, 23 h 30. Dans le centre de Selongey, Mehdi regarde la télévision aux côtés de sa femme. Un soir comme les autres, en somme. Deux petites filles dorment paisiblement, l’une, âgée de trois ans, dans sa chambre à l’étage, l’autre, âgée d’un an, dans un cosy non loin de ses parents. La petite famille est loin de se douter que des dizaines de militaires sont en train de prendre position autour de la maison et que des hommes du peloton d’intervention interrégional de la gendarmerie (PI2G), cagoulés et fusil d’assaut à la main, s’apprêtent à faire sauter la serrure de la porte d’entrée (voir nos éditions du 19 et du 21 novembre). Deux explosions retentissent coup sur coup, suivies de puissants coups de béliers. Mehdi raconte : « Au tout début, j’ai cru qu’on nous attaquait ou qu’on nous cambriolait. Mais j’ai très vite compris qu’il s’agissait des forces de l’ordre. Je me suis dit que ce n’était pas possible, je n’ai pas voulu y croire… » En quelques secondes, les hommes vêtus de noir, lourdement armés, envahissent le salon, disent au Selongéen de s’allonger à terre et le menottent, sous les yeux ébahis de sa femme. Terrifiée, leur fille âgée d’un an pousse des cris stridents. Les gendarmes commencent alors à fouiller de fond en comble le domicile tandis qu’un hélicoptère de la gendarmerie survole le quartier et éclaire les environs au moyen d’un puissant projecteur. « Cela fait deux mois que je me suis inscrit dans un centre de tir. J’ai chez moi plusieurs armes, toutes déclarées à la préfecture. J’ai notamment deux fusils militaires déclassifiés, utilisés par l‘armée russe dans les années soixante », raconte le principal intéressé. Durant la perquisition, les gendarmes saisissent les armes, se penchent sur l’ordinateur de Mehdi. Ils veulent vérifier si ce dernier a consulté ou non des sites terroristes, ce qui pourrait laisser croire à une éventuelle radicalisation. Au cours de l’opération, le Selongéen ne manque pas de clamer son innocence et tente au maximum de protéger ses enfants. « J’ai fait en sorte que ma fille ne voie pas mes menottes lorsqu’elle venait vers moi, je les cachais sous mon pull », témoigne-t-il. Mehdi sera en effet menotté jusqu’à ce que les perquisitions se terminent vers cinq heures du matin. « Ma mère est encore en état de choc » « J’ai su après coup qu’au total, plus de 100 gendarmes avaient été mobilisés pour la perquisition. Ils ont bloqué la rue des deux côtés. Je trouve ça un peu disproportionné, dans la mesure où la perquisition semble uniquement reposer sur le fait que je suis musulman et que je fais du tir sportif ! Quand je suis inscrit dans mon club de tir, avant de devenir adhérent, mon profil a été examiné. Le club a notamment vérifié si mon casier judiciaire était vierge… », souligne Mehdi, qui précise par ailleurs que les gendarmes lui auraient confirmé qu’il ne faisait l’objet d’aucune fiche S. La mère de Mehdi, qui a également été perquisitionnée, se remet difficilement des événements. Son fils indique : « Ma mère est encore en état de choc, elle a reçu du soutien du voisinage mais elle ne comprend pas qu’un tel événement soit arrivé ». Mehdi, qui gère un restaurant kebab au centre de Selongey, est connu de bon nombre d’habitants de la commune. Il reprend : « Vers cinq heures du matin, lorsque j’ai traversé la place du village menotté pour me rendre dans mon restaurant avec les forces de l’ordre, des habitants allant travailler à l’usine Seb m’ont reconnu. La nouvelle a ainsi très vite fait le tour de la ville. Il y a des rumeurs qui ont circulé, c’est inévitable. Certains croient que j’ai été placé en garde à vue. Les gens ont dû se dire que si les gendarmes avaient déployé un tel dispositif, ce n’est pas sans raison ! » Ce sont ces rumeurs qui ont incité Mehdi à parler pour « éviter d’agrandir le fossé qui se creuse de plus en plus entre les individus de confession musulmane et le reste de la population depuis les attentats ». Il glisse : « Franchement, a-t-on déjà vu un terroriste déclarer ses armes ? » Si sa porte d’entrée détruite durant les opérations devrait lui être remboursée, pour l’heure, seuls de simples cartons lui permettent de protéger son domicile du froid. Et des regards, puisque les curieux défilent « De nombreuses personnes s’arrêtent devant chez moi pour essayer d’en savoir plus. », dit-il. Le propriétaire du kebab estime avoir été victime d’une injustice. Son commerce semble d’ailleurs en faire les frais. Il explique : « Je n’ai eu quasiment aucun client ce week-end. J’ai l’impression d’être un pestiféré », s’inquiète- t-il. S’il ne remet absolument pas en cause le travail des gendarmes, « qui ont obéi aux ordres », Mehdi voudrait que des excuses publiques lui soient adressées, « au vu du choc et des conséquences que ces opérations ont occasionnés ». Contactés, les services de la préfecture de Bourgogne se sont refusés à tout commentaire. Le maire de Selongey, Gérard Leguay, a lui aussi refusé de s’exprimer. NICOLAS ROUILLARD ET ALEXANDRE SIMARD (STAGIAIRE) (p.13) « Ils m’ont dit que je pourrais fabriquer des bombes avec mes cocottes minutes ! » Benacer, qui vit à Selongey depuis une quarantaine d’années, habite non loin de la maison de son neveu. Il était à l’étage de son domicile quand il entend des détonations à proximité immédiate. Il se penche alors à sa fenêtre et voit des dizaines de silhouettes en noir. « On m’a mis en joue, on m’a dit de ne pas bouger », raconte-t-il. Pétrifié, il reste immobile tandis que les gendarmes brisent une vitre de porte-fenêtre pour pouvoir rentrer. Il doit s’allonger au sol avant qu’on lui passe des menottes. « Je suis très choqué, même si je n’ai pas été brutalisé ou insulté. Je leur ai dit qu’il ne fallait pas nous confondre avec des criminels. Comme je fais un peu d’électronique, ils ont trouvé des composants, ils m’ont demandé à quoi cela me servait. Je les utilise pour réparer de vieilles consoles de jeu vidéo », raconte Benacer. Les militaires mettent ensuite la main sur de vieilles cocottes-minute. A priori, rien de choquant dans le berceau historique de la société d’emboutissage de Bourgogne (Seb). Mais l’oncle de Mehdi tombe de l’armoire quand on lui dit que les ustensiles de cuisine peuvent être utilisés pour fabriquer des bombes. « J’ai beaucoup parlé avec les gendarmes, je leur ai dit que les terroristes qui ont récemment frappé à Paris détestaient aussi les musulmans de France. Pour eux, nous sommes des traîtres parce que nous habitons ici. Nous ne pouvons pas les supporter, on trouve détestable qu’on nous mette dans le même panier qu’eux. Je redoute que toutes ces perquisitions et tous ces amalgames sur les musulmans ne provoquent que de la haine ». N.R. (p.13) CONTEXTE - Une pratique religieuse « récente » Le silence des services de l’État ne nous permet pas de dire les raisons qui ont motivé la perquisition menée chez Mehdi Benhadda. L’homme ne serait pas fiché “S”, n’a jamais voyagé en dehors de l’Union européenne. Il explique qu’il est « musulman pratiquant depuis quatre ou cinq ans ». Si la présence d’armes à son domicile a pu attirer l’attention des enquêteurs, c’est peut-être le seul point qui explique l’opération puisque les deux frères de Mehdi, qui se sont rendus en Egypte il y a quelques années « pour apprendre l’arabe », n’ont, pour leur part, pas reçu la visite des forces de l’ordre. Le voisinage évoque un habitant « sans histoire », qui travaille depuis une dizaine d’années à Selongey. Mehdi glisse, non sans une pointe d’humour : « Ce n’est pas ma barbe de trois semaines qui doit faire croire que je me suis radicalisé ! » (p.13) HUMEUR - Au mauvais endroit... PAR NICOLAS ROUILLARD On ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs, dit-on. L’adage n’a sans doute jamais paru aussi vrai qu’aujourd’hui pour Medhi Benhadda qui, suite à la perquisition effectuée à son domicile ce mercredi, est au centre de toutes les rumeurs dans sa commune de Selongey. Oui, le gérant du kebab avait des armes chez lui. Oui, il est musulman. Cela suffit pour faire de lui un suspect et pour déclencher une perquisition musclée. Même si ses armes sont déclarées en préfecture. Même si Mehdi s’est dit « marqué dans sa chair » quand il a pris connaissance des attentats de Paris et qu’il dit « haïr » les terroristes. Si le principe de précaution s’impose, surtout lorsque l’état d’urgence est en vigueur, il entraîne inévitablement des dommages collatéraux. Car ce qu’une partie de ses voisins ou de ses connaissances retiendront désormais de lui, c’est qu’il est celui qui a déclenché à Selongey un déploiement de forces de l’ordre sans précédent. Il aura beau rappeler qu’il n’a pas été placé en garde à vue, que l’examen approfondi de son ordinateur a prouvé qu’il n’avait pas de connexions suspectes, certains auront toujours un doute. C’est la raison pour laquelle Mehdi est venu spontanément dans les locaux du Bien public. Pour dire qui il est, pour protéger sa famille meurtrie, pour défendre son honneur, pour dire son rejet du terrorisme. Et aussi pour ne pas être, dans un sens, une victime supplémentaire des attentats du 13 novembre dernier.